"Inceste
et risque d'accidents" - atelier du 25
septembre 2004
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Fonctionnement des ateliers
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Les incidents domestiques remarquables
- Les accidents
- Suicide et surmortalité chez
les victimes d'inceste et leur famille
Afin de préserver l'anonymat des participants,
et la confidentialité des propos, tous les
prénoms, ainsi que les pseudo, ont été
modifiés dans la transcription qui suit.
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Fonctionnement des ateliers
Le psychologue : avant qu'on
regarde le thème, et les sous thèmes
de l'atelier d'aujourd'hui, j'ai pris un certain nombre
de notes, pour essayer de vous présenter le
fonctionnement actuel des ateliers. Donc en quatre
points :
1- la logique des ateliers
2- la périodicité des ateliers
3- la parole dans les ateliers (le recueil de la parole)
4- la synthèse de la parole
1- la logique des ateliers
Les ateliers sont une opportunité, pour les
acteurs, victimes d'inceste, et leur entourage impacté
par les pratiques incestueuses de partager une parole
sur leur expérience dans un contexte d'écoute
libéré de toutes contraintes morales.
2- la périodicité
des ateliers
Les ateliers sont proposés sur une périodicité
trimestrielle avec une proposition thématique
sur l'année. La durée de chaque atelier
est de deux heures trente, et doit permettre la participation
active au niveau de la parole comme de l'écoute
de l'ensemble des acteurs.
3- la parole dans les ateliers
Il s'agit de l'accueil non restrictif de l'ensemble
des paroles des victimes de pratiques d'inceste dans
leur dimension de connaissance psychologique et émotionnelle,
sociale, socioprofessionnelle, etc.
La parole ainsi que les silences
sont offerts aux acteurs sur la base de leur désir
avec une régulation du temps liée au
nombre de participants et aux thèmes de l'atelier.
L'ensemble du discours pendant les ateliers est enregistré
afin d'en permettre une retranscription fidèle
qui permettra la réalisation de synthèses
thématiques.
4- la synthèse de la parole
Sur la notion même de synthèse ; dans
un premier temps, ces synthèses ont pour objectif
pour chaque membre de l'atelier, de pouvoir s'il le
souhaite, et de lui permettre, de retrouver sa parole,
de garder sa parole, de trouver - peut-être
une nouvelle manière, par une nouvelle écoute
- la parole de l'autre. C'est l'occasion aussi pour
chacun, de positionner sa parole et son expérience
au sein de la parole des autres.
Dans un deuxième temps,
ces synthèses ont aussi pour objectif de permettre
une lecture plus large, mais aussi plus complète
des connaissances, expériences, ressenties
par l'ensemble des acteurs concernés par la
problématique des conduites incestueuses. Il
s'agit de communiquer l'expertise, et de communiquer
sur l'expertise du discours non programmé,
des acteurs.
Dans un troisième temps,
ces synthèses permettront dans le cadre d'une
démarche scientifique au plus proche de la
parole des acteurs, une analyse du discours sur le
vécu des victimes.
Le thème de l'atelier
d'aujourd'hui concerne les liens entre "inceste
et les risques de mortalité", avec comme
sous thèmes : les incidents domestiques remarquables,
suicide et surmortalité chez les victimes et
leur famille, et les accidents.
Concernant les accidents, ça peut concerner
tout ce que vous considérez comme des accidents
; il n'y a pas un niveau d'accident plus remarquable
qu'un autre. Par contre, il pourrait y avoir des éléments
que vous, que les acteurs ne considéreraient
pas comme des accidents mais qui seraient un phénomène
de répétition, qui entraîneraient
une question…et ça, on pourrait le rapprocher
de ce qu'on met dans les incidents domestiques remarquables.
Je vous propose trois temps,
pour qu'on puisse aborder ces trois sous thèmes,
en sachant bien sûr que si quelqu'un veut intervenir
par rapport à une parole qui a été
émise, s'il y a un écho de résonance
particulière immédiate par rapport à
un des autres sous thèmes, il faut intervenir.
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Les incidents domestiques remarquables
- Delphine. : alors… la
personne qui n'a pas pu rester [une femme, gênée
par la présence du psychologue - qui n'est
pas lui-même victime - n'est pas restée
à l'atelier mais a néanmoins souhaité
faire part de son témoignage. Elle a chargé
Delphine. de le transmettre pour elle] m'a demandé
de vous faire part de son histoire. Elle m'a dit de
dire aussi qu'elle faisait partie du groupe de parole,
et qu'elle voulait témoigner mais ne pouvait
pas rester. Donc, elle dit que quand elle a commencé
à rentrer dans sa propre vie, une fois adulte
; elle a beaucoup voyagé, et notamment dans
la ceinture tropicale ; enfin, ce sont mes mots à
moi, là… et bon, presque la première
fois qu'elle partait, à un moment donné,
elle s'est faite une méga-brulure à
la cheville, et ça s'est transformé
en gangrène galeuse. Et il n'y a rien qui marchait,
rien ne l'aidait, mais bon, ça a fini par se
calmer. Par la suite, elle s'est fait des blessures
répétées au pied, et toujours
de façon accidentelle. Et tout à-coup,
elle s'est fait la remarque ; ça lui est venu
comme association que c'était comme si, ces
accidents, enfin, les blessures qu'elle se faisait,
ça remontait en fait jusqu'au genou. Et elle
a pensé que c'était pour lui attirer
l'attention sur les genoux. Parce que cette personne
là fait un lien entre les genoux, avoir mal
aux genoux, et l'inceste. En fait, ces blessures là
lui ont donné accès à ses genoux,
et des genoux, aux souvenirs d'inceste.
- le psychologue : est-ce que
quelqu'un veut réagir ?
- Annabel : j'ai commencé
à me brûler juste avant que l'amnésie
commence à se soulever et que je parle du fait
que j'avais été victime; donc la première
fois, je me suis renversé l'eau bouillante
du café sur la cuisse, et après, je
n'ai cessé de me brûler les mains, les
poignets, en mettant des choses au four, ou en touchant
le fer à repasser. C'est-à-dire qu'au
moment où l'accident arrive, je me dis : "je
suis en train de toucher", et c'est trop tard.
Et c'est très douloureux. En plus, j'ai eu
pendant longtemps une brûlure…qui laissait
une marque, toujours exactement au même endroit
; j'avais pensé que je me brûlais parce
que mon fils aîné avait été
pris dans un incendie, et il avait été
très gravement brûlé. Et puis
après, j'ai fait le rapport, en en parlant
en analyse, avec le côté "cuisant"
; parce que je me brûlais le plus souvent en
faisant la cuisine ; et le côté cuisant,
ça me fait penser à la [inaudible]
Régane : je me suis beaucoup
brûlée aussi ; pour l'instant, ce que
je me dis, c'est qu'en me brûlant comme ça,
automatiquement, personne ne voudra de moi, aucun
homme ne voudra de moi, et je serai tranquille. Il
faut dire aussi que quand ma mère m'incestait,
elle motivait ses actes en disant qu'elle me préparait
pour ma nuit de noces. Donc si je suis laide, aucun
homme ne voudra de moi, donc je ne me marie pas, donc
pas de nuit de noce.
[bande inaudible]
Lise : bien moi, je me faisais
des coupures. J'ai plein de cicatrices au doigt ;
et quand j'étais enfant, j'avais 12 ou 14 ans,
parce que à la maison, on allait chercher du
bois dans la forêt, et ensuite, il fallait le
scier, et souvent, je sciais le bois. On mettait le
bois sur la chèvre, et puis sur un pied, et
après, on scie ; c'est une scie qui coupait
très mal et qui déviait toujours, et
de nombreuses fois, je me suis coupée. Je me
souviens qu'à l'école, une fille m'a
dit : "mais enfin, pourquoi tu te coupes tout
le temps ?"
Stéphanie : Moi, je suis
tombée une fois sur les genoux, et depuis,
le genou me fait mal. Il doit y avoir quelque chose,
mais je refuse d'aller voir qui que ce soit, comme
si que à chaque fois que je me fais mal, c'est
une punition que je m'inflige à moi-même.
Et je sais que depuis, je ne peux plus poser les genoux
par terre. Il y a un tout petit choc, ça prend
des douleurs par rapport l'autre genou, qui sont intolérables
; et, je sais pas si je fais le lien par rapport à
l'inceste ou pas, mais c'est une façon de vouloir
toujours se faire du mal, de pas vouloir guérir
ce genou. Voilà, et ça dure depuis des
années.
Delphine : On sait qu'on a mal,
qu'on devrait aller se faire soigner, mais on y va
jamais.
Régane. : En fait, ce
que je retiens de ce que tu veux dire, c'est qu'on
refuserait de se soigner. Pourquoi ?
Delphine : Je ne sais pas si
on refuse, mais en tous cas, on n'y va pas. Par exemple,
j'ai attendu vingt ans de migraines et de douleurs
pour même penser aller chez le médecin.
Mireille : Moi j'ai une douleur
dans le dos qui revenait tout le temps [inaudible]
j'ai été prise, moi, dans l'inceste,
par derrière ; c'était vraiment à
mon insu. Et après, quand il y avait personne
derrière, et que je pensais qu'il y avait quelqu'un…
et cette douleur de dos, aussi ; c'est une douleur
qui vient de disparaître, quand j'ai pu parler.
Le jour où j'ai pu parler.
Régane : mais pourquoi
t'es pas allée te faire soigner ?
Mireille : Mais j'avais peur,
je ne pouvais pas. Je ne peux pas te dire. J'ai un
peu peur de parler ; je risque ma peau, parce que
j'ai jamais pu le dire. Parce que c'était en
famille, j'ai été incestée par
un cousin. Et lui, il est parti voir les parents,
et tout, je sais pas ce qu'il a dit, ce qu'il a menacé,
mais pour moi, le fait… je risque ma peau en
parlant. Et cette douleur de dos, depuis que je suis
venue ici [à AREVI ndlr] ; alors…
Le psychologue : donc on parle
des douleurs, est-ce que ce cela évoque quelque
chose à quelqu'un, un douleur occasionnée
par un accident ?
Delphine : Moi, c'est les mains.
C'est pas intentionnel, mais c'est les mains. L'année
dernière, j'étais en colère,
je me suis cassée les mains, en donnant des
coups de poings sur un mur. Et sinon, avant, depuis
que je suis petite, je sais que je dois faire attention
; je sais que ça pourrait arriver. Par exemple,
j'ai fait ça plusieurs fois : je nettoie une
cisaille ou un sécateur, et je veux enlever
un peu de terre qui reste, et je remonte la lame à
contre sens, pour pousser la terre ; ça fait
que ça m'entaille bien profondément
les doigts. Quand je nettoie des outils, c'est quasi
systématique. Pendant longtemps, je n'ai eu
aucune idée de pourquoi ça arrivait.
Pourquoi je m'abîme mes mains. Et puis il y
a peu de temps, j'ai fait un rêve, et le lien
est assez clair. C'est un rêve où je
suis toute petite, je dois avoir trois ans, quelque
chose comme ça, et c'est un zoom sur mes mains
de petite, qui pressent une couille de mon grand-père.
Et dans le rêve, je mets toutes mes forces,
parce que je pense que ça va lui faire mal.
Et en fait, non, ça lui durcit la couille,
et ça lui fait pas mal. Et après…
Donc le but, je pense, c'est de rendre mes mains inutilisables.
Et d'ailleurs, quand j'avais les attelles aux deux
mains, l'an dernier, je dois dire que c'était
pour moi quelque chose de protecteur.
Régane : Moi, j'ai tout
le temps, mais vraiment tout le temps, les jambes
crispées. Et ça, je suis quasiment sûre
que ça vient de là, parce qu'elle m'allongeait
et elle m'écartait les jambes ; et moi comme
je ne voulais pas, bah forcément j'avais les
jambes crispées. Et moi, c'est plutôt
les jambes, donc. Et mon protecteur, pour moi, le
seul qui pouvait l'empêcher de faire ça,
c'était mon père. Quand j'ai appris
qu'il est mort, je suis tombée à genoux.
Delphine : Mais ça a dû
te faire mal ?
Régane : j'ai pas ressenti
; je suis tombée à genoux, j'aurais
dû avoir mal. J'ai pas eu mal aux genoux. J'étais
debout, je suis tombée à genoux, mais
je n'ai pas eu mal, rien. Je les imagine en miette,
là. Mais je me dis, le jour où je remets
en place un truc dans mon esprit qui a trait à
ça, je vais le sentir. Mais j'ai toujours eu
des trucs au pieds ; je suis tombée plusieurs
fois, il y a un os qui est sorti ; je suis aussi tombée
de la machine à laver. Elle me mettait sur
la machine à laver pour faire ça. Une
fois on a eu une nouvelle machine à laver,
je suis montée dessus ; ma sœur était
montée dessus, elle était redescendue.
Je suis montée dessus, la machine à
laver a avancé, et crac, je suis tombée
en arrière. Je me souvenais encore de la douleur,
pendant un moment, mais là, ça va.
Virginie : Je pensais, par rapport
aux mains, je ne sais pas si c'est pareil, mais…
par rapport aux couilles du grand-père ; mon
père m'a pris les mains, aussi, et moi, je
suis très adroite, très attentive, avec
les mains. [bande inaudible] [je crois que c'est un
truc avec l'absence…ou l'herpès…]
[inaudible une dizaine de minutes]
Virginie : Moi, ce qui m'angoisse,
c'est quand je ne sais pas d'où vient la douleur.
Une bonne douleur de mutilation, tu sais d'où
ça vient, et de pouvoir localiser, je trouve
ça plus rassurant que la peur, ou la douleur
qui vient on ne sait pas d'où.
Annabel : bah moi, ça
me parle tout-à-fait. Parce que quand tout-à-l'heure,
Muriel a dit "moi je joue ma peau" ; quand
j'étais enfant, j'avais tout le temps l'impression
d'être en danger de mort. Alors je ne savais
pas pourquoi ; maintenant, je sais pourquoi. Et il
me semble que, avoir mal ; c'est-à-dire me
faire mal, une fois que c'est fait, la cloque ou la
coupure, c'est quand même présent. Et
peut-être que je ressentais ça ; quand
il était parti. C'est atroce, cette forme de
violence implicite et infligée me rassure quelque
part. Quand t'as parlé d'herpès, moi
j'ai souffert de 9 - 10 ans, c'est-à-dire quand
il a commencé à arrêter, jusque
à 35 ans, d'un eczéma récurrent
purulent dans la tête, qui venait complètement
de moi, qui me grattait avec une violence épouvantable
; j'avais toujours du sang, je m'étais arrachée…
j'avais parfois tellement de croûtes que je
ne pouvais parfois même plus baisser la tête.
Et quand j'ai été jeune fille, et puis
femme, quand j'avais ces crises, c'est-à-dire
80 % du temps, mon angoisse était toujours
[inaudible] enfin bon, je pouvais pas aller chez le
coiffeur, et ma mère m'emmenait. J'ai eu des
traitements qui étaient sensés piquer
horriblement et tout, et moi, en fait, ça me
faisait un bien fou. Je me souviens d'un jour, chez
le dermato, je devais avoir 13 ans, et le type dit
à maman et à moi "vous me le dites
si ça fait trop mal, vous me le dites".
Et moi, je lui disais, "non, non", et j'ai
senti qu'il y avait un truc qui n'allait pas du tout,
parce qu'il ne l'a pas dit de façon ironique
; il a dit "mais c'est quand même pas normal,
c'est un traitement qui fait très mal".
Et moi, non seulement ça ne me gênait
pas, mais vous pouvez pas savoir à quel point
j'étais rassurée. Et je ne comprenais
rien, maman non plus, on a repris le bus, et on est
rentré. Non, il a dit qu'il fallait que je
vois un psy, et en attendant le bus, maman m'a dit
: "est-ce que tu en as envie ?" et j'ai
dit "oh non, oh la! la! non." Elle m'a demandé
puisque le dermato il a dit "j'ai des adresses".
[inaudible]
Virginie : Et moi, quand j'étais
jeune, je faisais de la compétition dans un
art martial très violent, et j'étais
pleine de coups, de crampes, de bleus, mais dans ma
tête, je devais réussir, je devais continuer
à n'avoir pas mal ; et je n'avais pas mal.
Stéphanie : Moi je sais
que quand j'étais au collège, on m'appelait
la castreuse, parce que j'avais une facilité
à lever le genou sur les machins des mecs,
c'est ce que j'ai dit aux flics le jour où
il a fallu porter plainte. Je levais le genou pour…
mais c'était un jeu, et ils m'appelaient la
castreuse. C'était mon attitude. Je l'ai dit
aux flics et j'ai revu des anciens amis ; bon, eux
ne s'en rappellent pas, mais moi je m'en souviens
très bien. C'était… je ne peux
pas lui faire du mal à lui, donc je vais faire
du mal aux autres. Parce que moi, lui, c'était
la terreur, je vivais dans la terreur constante depuis
que je suis toute petite.
Mireille : tout-à-l'heure,
tu as parlé de ton genou, celui où tu
as très mal, est-ce que c'est le même
genou ?
Stéphanie : Non, c'est
l'autre, je suis droitière, donc je devais
lever celui-là.
- Le psychologue : est-ce que
vous saviez que c'était un geste qui entraînait
quelque chose d'extrêmement douloureux, ou est-ce
que c'est parce que c'était un endroit atteignable
?
Stéphanie : Non, je savais
que c'était pour faire mal, je savais que ça
faisait mal. Et je sais que c'était l'objet
qui me faisait mal, aussi. Et je savais que c'est
le truc qui peut envoyer par terre un mec.
Mireille : C'est quelque chose
comme œil pour œil, dent pour dent, quoi.
Lise : C'est-à-dire que…
moi, j'ai commencé un petit plan parce que
je bafouille, sinon, donc… je suis presque incapable
de suivre un plan, donc je ne suis pas où j'en
suis par rapport à… je peux dire quelque
chose par rapport à ça, c'est que c'est
un petit peu mon côté sauvage, je n'arrive
pas… je suis toujours à côté
de la question, j'ai toujours l'impression d'être
hors sujet.
Le psychologue : tout a été
en liaison, il n'y a pas de problème. Et puis
on peut rebondir.
Lise : oui, mais ce que je veux
dire, c'est que ce que je vais dire est peut-être
en lien avec le thème suivant…
Le psychologue : C'est bien,
cela fera une introduction.
Lise : Donc, l'histoire des mains
que tu as racontée et de… je ne pas dire
le nom… le scrotum, je dirais, je prendrai le
terme médical aseptise. Donc, quand tu as parlé
de ça, j'ai pensé à mon père
qui se déshabillait avant de se coucher, plutôt
qu'à mon incesteur connu, qui est mon frère.
Et à propos de la douleur, je voulais parler
de la douleur dentaire : je suis allée chez
le dentiste quand je travaillais. Avant, petite, on
n'avait pas d'argent. Et quand je suis allée
chez le dentiste à partir de 18 ans, je n'avais
pas mal, et pourtant, le dentiste me découvrait
toujours des gros trucs. Il fallait extraire, faire
des couronnes, je n'avais pas mal. J'ai cassé
deux dents, en mangeant des dragées, et j'avais
un abcès : je pressais avec ma langue, le pu
sortait, je n'avais pas mal. Et je disais toujours
à ce dentiste : je viens, je n'ai pas mal,
mais je viens pour un contrôle parce qu'on peut
découvrir quelque chose de grave.
Régane : Mais une extraction,
ou une couronne, ça ne fait pas mal, c'est
après.
Lise : Mon état dentaire
était gravissime, mais les soins ne m'ont jamais
fait mal.
Le psychologue : Donc ce sont
des douleurs qui devraient exister, mais qui ne sont
pas ressenties, et qui sont mises en avant par quelqu'un
de l'extérieur. La personne extérieure
met en avant la douleur qui devrait être ressentie.
Delphine : Moi, c'est l'inverse,
en fait, de ce que vous dites, toutes. Tout me fait
horriblement mal, je suis terriblement douillette.
Rien que l'idée de la douleur physique me fait
mal. Aller chez le docteur m'angoisse, et chez le
dentiste, je ne peux même pas me mettre sur
le fauteuil tellement j'ai peur d'avoir mal.
Mireille : C'est des mauvaises
adaptations à la douleur, en fait.
Stéphanie : Quand j'étais
petite, on avait des chaises pliantes. Je me revois
monter sur le frigidaire, et je me vois tomber…
je ne dis pas les mots… je me vois tomber sur
la partie intime. Et je me revois, il paraît
que je pissais le sang, ma mère a cru que j'avais
une hémorragie tellement que… et je me
revois pendant des jours marchant en canard. Je me
souviens que jamais je ne remonterais sur des chaises
comme ça, je les visualise très bien,
mais je ne me souviens pas d'avoir eu mal. Je ne me
souviens pas de la douleur. Alors est-ce parce que
j'ai oublié ?
Virginie : Ma mère m'a
raconté qu'un jour, j'étais avec mon
cousin, et je ne sais plus ce qui nous est passé
par la tête mais … [inaudible]
Régane : Moi, chez l'esthéticienne,
tout le monde a mal mais moi, non. Et le moment que
je préfère, c'est l'arrachage à
la pince à épiler. Sur les jambes. Le
problème, c'est les conséquences d'aller
mieux. Maintenant que je vais mieux, je commence à
ressentir la douleur.
Mireille : De l'inconvénient
d'aller mieux…
[inaudible]
- Le psychologue : Est-ce que
ça veut dire qu'on ressentirait mieux la douleur
quand c'est quelque chose qui vient de l'intérieur
et qui ne se voit pas ? Comme les migraines ?
Régane : Par exemple,
là, je reprends mes études, et parfois,
pendant les cours, ça me fait mal. C'est pas
évident. [inaudible]
Lise : Quand dans ma classe,
on me disait, "mais enfin pourquoi tu te coupes
tout le temps ?" ; après, je me disais,
"oui, il ne faut plus que j'en parle", parce
que j'avais honte qu'à travers la coupure,
quelque chose se nomme, quoi. Et je me suis recoupée
par la suite, mais je n'en parlais plus parce que
on allait découvrir… une raison que moi-même
j'ignorais. Enfin, que je n'identifiais pas. Ce qui
allait transparaître. J'avais 14 - 15 ans quand
j'ai eu cette réaction de ne plus montrer,
même si je ne savais pas pourquoi il ne fallait
plus montrer.
Régane : Il y a des choses
comme ça qu'on nous dit, ça nous touche
comme ça tout de suite. Sur ce que je viens
de dire [inaudible] j'ai la maladie de Crone. Alors,
les saignements, des saignements localisés
dans ces endroits là, scrotum, machin…
on trouve ça chez les jeunes adultes, et moi,
c'est arrivé au moment où j'ai dit à
ma mère… je me souvenais de quelque chose,
avec elle ; alors qu'à l'époque, je
n'avais pas encore le mot d'inceste [inaudible]. Alors
voilà, on a trouvé que mon ventre avait
énormément gonflé, un soir, j'ai
pas compris ; pour moi, mon idée, sur la maladie
de Crone, parce que ça touche quand même
les jeunes adultes, pour moi, c'était psychologique.
[inaudible].
[inaudible].
Stéphanie : A une époque,
je devais aller prendre le car sur une grande nationale,
et je sais qu'à chaque fois, j'avais mal au
ventre. Mais mal au ventre à tordre les boyaux
; je disais "même pas mal, même pas
mal", et au bout d'un certain âge, j'arrivais
à ne plus pouvoir marcher. Et moi je savais
que c'était la peur. La peur, parce que je
voyais les voitures qui s'arrêtaient, et puis
après, c'était l'hiver, dans le noir.
Et moi, le noir, c'était impossible, c'était
la terreur; je commence seulement à pouvoir
sortir le soir, grâce au groupe. Et en fait,
on s'est aperçu que j'avais une inflammation
du colon, due à la peur. Si tu veux, moi, dans
ma tête, c'est clair. Je ne sais pas du tout
d'où ça vient mais [inaudible] mais
c'est vrai que tous les soirs, quand je devais reprendre
le car, j'avais une douleur que je pouvais plus marcher.
Et il a fallu attendre je ne sais pas combien de temps
avant que mes parents prennent conscience de pourquoi
j'avais ça.
Delphine : t'as toujours eu peur
?
Stéphanie : Toujours.
Toujours peur. Là, j'ai un instituteur de CM1,
CM2, pour le procès, et qui m'a dit que la
seule chose dont il se souvenait de moi, c'est que
j'avais un petit air bébé. Et je savais
qu'il y avait un autre car que mes amies prenaient
et qui s'arrêtait dans mon village ; et je disais
à mes parents : "mais pourquoi je peux
pas prendre le car avec mes copines ?" Et ils
disaient : non. Mais plus tard, quand on m'a emmenée
chez le médecin, ils ont pris l'affaire en
main, et j'ai pu prendre le car que mes amies prenaient.
Et c'est parti. Mais ça m'arrive encore, quand
j'ai des grosses grosses peur, d'avoir encore le colon
qui s'enflamme.
Le psychologue : compte tenu
du temps, voulez-vous faire une pause maintenant,
ou bien après le deuxième thème
?
[on fait une pause]
Le
psychologue : On va maintenant aborder la question
des accidents…
Noelly : Volontaires ou non ?
[inaudible une dizaine de minutes]
Stéphanie : Alors, on
peut commencer par un accident de voiture. C'est moi
qui ai tout voulu. Alors j'habitais pas loin d'une
nationale ; j'ai voulu me suicider, manque de bol,
le camion a bifurqué.
Annabel : Tu t'es jetée
sous le camion ?
Stéphanie : Non, non,
j'ai avancé tranquillement, et j'attendais
que le camion soit assez prêt. Mais le camion
a eu le réflexe de bifurquer.
Le psychologue : je vous propose
d'y revenir après, au moment du troisième
thème, qui est vraiment sur la mortalité,
ou la surmortalité, chez les victimes ou leur
entourage. Donc on va y revenir après.
Stéphanie : ah bon, c'est
hors sujet…
Le psychologue : non, pas du
tout, on va y revenir après. Simplement, il
y avait une demande de poursuivre par les accidents.
Donc y aurait-il des accidents dans lesquels vous
n'auriez pas consciemment intégré cette
notion de suicide ?
Noelly : J'ai traversé
le miroir [inaudible] et je m'en suis rendu compte
cette semaine, en séance de psy [inaudible].
Le lien ; j'avais 18 ans, j'avais mon appart, un copain,
j'avais une bijouterie, tout allait bien dans ma vie
; tout le monde me disait :"mais pourquoi tu
te plains", "qu'est-ce que t'as à
te plaindre", et ça allait pas. Pourtant,
ça allait pas. Et avec mon copain. Et…
ça, je m'en suis rendu compte très récemment.
Par contre, comment moi je l'ai vécu ; bah
je l'ai vécu allant au travail, et me réveillant
dans une cave complètement mutilée.
Donc la première chose que j'ai faite, c'est
d'aller à mon travail. Donc je suis arrivée,
j'étais complètement déchiquetée.
J'avais de la chair, de la peau sous les ongles, défoncés,
les vêtements…Donc mon patron [inaudible]
a été à la gendarmerie, où
j'ai fait mon témoignage. Donc ils ont fait
une recherche et ils ont trouvé la cave, avec
tous les éléments que je leur ai donnés.
Mais moi, j'avais le souvenir de rien, et là,
en fait, il y a une semaine, je me suis rendu compte
que c'était totalement inconscient. J'ai traversé
le miroir et j'ai entendu toutes les pensées
qui m'ont traversées il y a trois ans, c'est-à-dire
les pensées haineuses. Et après cette
histoire, j'ai gardé mon travail mais j'ai
lâché mon appart, mon copain m'a lâchée.
Et jusqu'à cette semaine, je l'ai vécu
[inaudible].
Delphine : Tu veux dire que dans
la cave, tu t'es tout fait toute seule ,
Noelly : Oui. Même la police,
même eux, ils en étaient persuadés.
Mais le pouvoir de l'inconscient, à quel point
il te fait faire des trucs. J'étais persuadée
que c'était un accident, une agression. Et
de la même façon que j'ai eu un examen
gynécologique, j'ai été suivie
pendant un an par une gynécologue judiciaire,
pour essayer de savoir comment on avait pu me mutiler
intérieurement. Maintenant, il y a des flashs
qui me sont revenus, notamment le fait que j'ai commencé
[inaudible] et peut-être que j'ai commencé
sur le trajet [inaudible] ; parce que j'ai complètement
changé de trajet pour aller à mon boulot.
Je me suis vue à la gare de Lyon, je n'étais
absolument pas sortie à gare de Lyon…
Delphine : en allant à
ton travail.
Noelly : Voilà. Je suis
revenue sur les pas de chez moi, et c'est là
que c'est noir. C'est une cave juste à côté
de chez moi, derrière chez moi. Et c'est flippant
parce que je revois le début de la scène,
je me vois dans le bus, et puis après [inaudible]
tu traverses le miroir, quoi. C'est pas un hasard
si je suis arrivée à ce moment là…J'ai
dit à la police, pour l'inceste. Que mon père…
Annabel : Et la peau qu'il y
avait sous tes ongles ?
Noelly : Bah ils l'ont fait analyser,
et c'était la mienne. Maintenant, pour arriver
à définir la cicatrice de 8 cm de long
que j'avais au fond du vagin, ça, c'est impossible
à définir ; si ça vient de l'extérieur,
si j'avais un objet, si j'ai pris un objet, je ne
sais absolument pas. Je ne me souviens pas. Il y a
juste le début qui revient, où je suis
consciente, je revois le trajet que j'ai fait, alors
que dans mon trajet conscient, j'ai pris la ligne
1 ; c'est total délire.
Delphine: Et jusqu'à présent,
t'avais vécu ça comme une agression,
accidentelle.
Noelly : Oui, bien sûr.
Et puis j'ai eu tous les symptômes de la nénette
qui a été victime de viol. Le fait de
se laver les mains jusqu'au sang, le fait de plus
pouvoir sortir de chez soi, même pas pour acheter
une baguette, tout. En fait, ce que j'ai compris,
moi, cette semaine, c'est qu'il a fallu que je passe
par là pour faire reconnaître l'inceste,
quelque part. C'est atroce.
Régane : Mais là,
ça va comment ?
Noelly : Bah là, je le
vis assez mal. Même si ça commence à
me libérer de beaucoup d'angoisse.
[inaudible]
Le psychologue intervient mais
le son de la cassette est trop mauvais pour entendre
ce qu'il dit.
Virginie : Ben moi, mon truc,
quand j'étais jeune, j'étais obsédée
par l'idée de savoir comment les gens avaient
fait pour résister à la torture, genre
Jean Moulin, tout ça. Et donc, je ne sais pas
si c'est un leurre ou quoi mais je me suis montée
un scénario. En fait, à l'époque,
je me prostituais un peu, tout ça, et je savais
qu'il y avait un groupe dans le sud, qui organisait
des scénarios de…
Régane : de jeu de rôle
?
Virginie : De jeu de rôle,
c'est ça. Alors c'était à base
sexuelle, leur truc, ils organisaient des week-ends
; c'est-à-dire qu'ils emmenaient les gens sur
la côte, tout ça, donc t'avais des gens
qui étaient là pour ça, pour
tabasser, violer ; et puis ils prenaient la fille,
et puis ils la… ils… ils l'utilisaient,
quoi.
Annabel : Ils la torturaient…
Virginie : Oui, c'est ça,
ils la torturaient. Mais j'imagine que la fille, au
départ, c'est la fille qui est maso, et les
mecs, en face, ils sont sados, donc tout le monde
est content. Donc comme je savais que ça existait,
bon, beah toujours dans l'histoire de "j'ai mal,
mais je ne le dis pas" etc…je me suis dit
: je vais voir jusqu'où je peux aller, et est-ce
que j'aurais pu résister s'il y avait eu la
guerre ?
Delphine : T'avais ça
en tête ? c'est ça que tu te disais ?
Le syndrome Jean Moulin, tu te le disais.
Virginie : J'avais ça
en tête. Oui, je voulais voir jusqu'où
je pouvais physiquement résister. Et donc,
bon, j'avais un peu la trouille, mais bon, j'ai pris
l'avion, et j'y suis allée, et là, bon
: je me suis faite dépassée par…
j'avais vraiment l'impression de contrôler et
tout, jusqu'à organiser mon propre… martyre.
Et sauf que une fois que je suis arrivée là-bas,
à ce week-end à Nice, une fois que je
suis arrivée, je n'ai plus pu rien contrôler,
dans le sens où je n'avais vraiment plus rien
à dire. Et même si après, je reculais,
et je disais "ah non! Non!, je ne veux plus!",
c'était trop tard, parce que toutes façons,
ça devait durer tout le week-end. Et voilà,
quoi. De toutes façons, plus on disait "non!",
plus ça les excitait, etc…c'était
dans un château, violée tout le week-end,
pistolet dans le vagin, enfin toute la mise en scène
y était. Je suis revenue à Paris. Je
suis rentrée… je me souviens encore quand
je suis rentrée dans le bain chaud, comme j'avais
le corps tout lacéré, ça me brûlait
horriblement, mais je me disais, bah voilà…[inaudible]
je ne sais pas si c'était voulu, pas voulu,
mais une fois que j'y étais, je ne voulais
plus, c'est sûr.
Annabel : [inaudible] Quand j'étais
toute petite… mon père avait été
victime de tortures, pendant la guerre, qu'il décrivait
- donc je le dis maintenant, par les Allemands, et
qui me tétanisaient d'horreur quand j'étais
petite - alors il y avait ma mère, ma grand-mère,
et tout le monde disait : "mais c'est atroce,
comment t'as pu tenir". Et lui, il disait qu'il
n'avait pas parlé, qu'il ne parlait pas. Et
moi j'ai pensé toute mon enfance, et ma jeunesse,
que c'était un héros. Donc je me posais
la question de la résistance, est-ce que j'aurais
parlé, pas parlé. Ça m'obsédait
littéralement, je pensais que c'était
une vraie valeur, et tout, et donc, moi, la découverte
de la vraie douleur, ça a été
mon premier accouchement. Comme on sait, ça
fait très mal. Et donc, au lieu de le vivre…
parce que c'est quand même, c'est un vrai bonheur,
ça fait mal mais c'est un événement
extrêmement heureux, je passais mon temps -
j'avais 17-18 ans - à dire : est-ce que je
tiendrais, là! Là, est-ce que je tiendrais
? Dès que j'avais une contraction, c'était
"faut pas que je parle, faut pas que je parle",
et donc, à un moment donné, ça
faisait tellement mal que je me suis mise à
crier, et là, le dégoût de moi-même
m'a envahi. Ça m'a complètement noirci
cet accouchement, la naissance de mon fils aîné.
Alors, je me disais : je suis vraiment une merde,
je trahirais mon réseau, je trahirais mes amis.
Ah non, mais tu vois : les pattes écartées
à la naissance de ton enfant, et donc, je fais
le lien avec… je pense que c'était aussi
une perversion, parce qu'il était donc l'étalon
douleur, le bourreau. Et je me souviens dans un groupe
de parole, ma fille qui disait une fois : "c'est
incroyable, personne n'a rien vu, je ne pouvais pas
marcher ni m'asseoir pendant un certain temps",
et étant dans l'amnésie, je n'ai rien
vu. Et je pense que de toutes façons, si mon
inconscient savait ce qui s'était passé,
étant donné que papa était le
super héros et que c'est lui qui avait supporté
le plus : personne, ni même mon enfant qui est
une partie de moi-même, notre douleur, elle
était…on n'avait pas à s'en plaindre,
à côté de ce qu'il avait vécu.
Le psychologue intervient, mais
c'est encore trop éloigné du magnétophone…
on peut déduire du brouhahas la question suivante
: est-ce que cette première grossesse, et cette
première naissance, était de type accidentel
?
Annabel : C'est tout à
fait un accident. Je m'en suis aperçue des
années après en analyse. J'avais 17
ans quand je suis tombée enceinte, et je ne
voyais aucune issu pour sortir de chez moi. Aucune,
parce que je pensais que je serais incapable d'avoir
un métier, de devenir une vraie personne ;
la vie me terrorisait. Et comme j'adorais les enfants,
je pensais quelque part [inaudible] et je pensais
que la seule chose que je pouvais faire, c'est d'avoir
des gosses. Donc le premier [inaudible].
Régane : Il y a quelque
chose, je dirais que ce sont des accidents [inaudible]
encore, c'est arrivé hier, j'oublie ma carte
de crédit dans le distributeur. Je n'appuie
pas sur annulation, rien. Et la personne qui était
derrière m'a rappelé ; donc il n'y a
pas eu de conséquences. Et au mois de juillet,
et en 2000 aussi [inaudible]. Et moi, mon argent,
c'est mon indépendance. Donc en me privant
de mes moyens de paiement, je me prive de mon indépendance.
[passage inaudible]
Lise : Moi au niveau des accidents,
c'est en quantité. Quand j'étais petite,
c'était parfois très graves, mais je
ne le disais pas. Par exemple, en sortie scolaire,
il y avait une espèce de téléphérique
en suspend avec un guidon, dans le vide, et on descendait
en se tenant au guidon. Ça partait d'un arbre.
Et je suis tombée sur les fesses, ça
m'a fait très mal et je n'ai rien dit. Alors
qu'une autre élève est tombée,
elle l'a dit. Et j'ai fait de nombreuses chutes comme
ça, je me suis récemment fracassé
la jambe, au Maroc, et le dernier accident, c'était
à vélo, j'ai traversé un feu,
et une voiture m'as touchée. Mais c'est pareil,
je n'ai pas de souvenirs de l'accident. En randonnée,
donc j'ai fait beaucoup de chutes ; et dans la forêt
de Rambouillet, en randonnée, on était
en haut de quelque chose, ça faisait comme
une cuvette qui remontait, et je ne sais pourquoi,
mais cette image…j'ai travaillé après
avec la thérapeute. Mais devant cette image,
je suis tombée. Et dans les Côtes d'Armor,
je faisais des kilomètres de randonnée,
et à un moment, mon pied s'est coincé
dans un roncier. Pareil, dans les Cévennes,
et chaque fois, je chute. Mais ce que je voudrais
rajouté, c'est que je me suis rendu compte
une fois au groupe de paroles… au groupe de
paroles, j'ai raconté que dans le lit que je
partageais avec le frère qui m'a incesté,
avec son doigt sur sa bouche il me faisait "chut".
Il mettait son doigt sur sa bouche et il faisait "chut!".
Et c'est grâce à V. qui m'a dit après
: "chut ?"- et j'ai compris "chute",
avec un "e". et il y a aussi une chose que
je voulais dire : c'est que j'ai eu beaucoup de tics,
quand j'étais enfant, que mes sœurs -
je suis d'une famille nombreuse - mes sœurs m'ont
rappelé plus tard que j'avais beaucoup de tics,
donc c'est vraiment authentifié. Et parmi ceux-là,
je faisais toujours "ch't!", et même
à l'école, on m'avait surnommée
la chuteuse, dans la famille. Parce que je faisais
"chut". Et c'est vrai que je m'exposais
aux chutes graves, mais pas volontairement. Et en
Bretagne, sur le rocher, j'ai été projetée
sur le rocher, avec le gros sac sur le dos. L'amie
avec qui j'étais m'a prise en photo le jour
d'après, et j'avais le visage complètement
tuméfié. Donc les chutes, pour moi,
c'est ce qui m'identifie.
Régane : [inaudible] il
faut savoir que chez moi, chaque fois que je faisais
la vaisselle, il fallait que je casse quelque chose,
ou moi ou ma sœur ; ma mère le savait.
J'étais maladroite. Ma sœur et moi étions
habillées pareil [inaudible]. Il y avait un
gars (?) qui commençait à me plaire,
il y a eu un truc ; quand je dis me plaire, je ne
sais pas ce qu'il y avait derrière, mais j'ai
balancé ma soupe par terre, on était
au japonais ; le bol de soupe par terre. Et en fait,
je crois que j'ai essayé de casser quelque
chose. [inaudible].
Noelly : A propos de casser,
il y a quelque chose qui est arrivé fréquemment,
et ça s'est produit il y a une dizaine d'années
et ça a continué : je vais chez le médecin,
et je passe régulièrement des radios.
Parce que dans la nuit, je sais pas ce que je fais,
mais je me réveille souvent, une vertèbre
déplacée, ou une côte fêlée
; là, je suis complètement défoncée,
je me suis tué le tibia au taf; J'ai vu, en
fait, la chaise basculer, j'étais en train
de faire quelque chose, et dans le fond, j'ai vu la
chaise basculer. Mon esprit conscient a capté
une seconde à l'avance l'enchaînement
qui allait se produire : la chaise qui tombe. Et non,
j'ai insisté : je me suis dit "woh, c'est
pas grave", et ça m'a tué. J'aurais
dû m'arrêter et je sais pas si c'est un
phénomène masochiste mais c'est limite
que je bossais mieux avec le tibia défoncé
que avec mon corps sans plaie. Et c'est ça
qui me tue, c'est que j'ai l'impression d'être
sans cesse à la recherche de cette douleur,
qui est à la limite une espèce de drogue.
Parce que quand j'ai trop mal, je me sens vivre ;
j'arrive pas à être heureuse, parce que
heureuse, pour moi, c'est le néant. Il n'y
a pas de son, pas d'odeur, pas de touché, pas
de matière : rien. Faut que je prenne des trucs,
faut que je fume, heureusement pour moi, je suis jamais
tombée dans les drogues dures ; mais ce qui
est affolant, c'est que sans cesse, j'ai mal. Là,
j'ai mal au dos, je sais pas encore ce que je me suis
fait cette nuit, mais les omoplates se déplacent.
Et comme je suis percussionniste ; au moment où
j'allais exceller dans ma recherche artistique au
niveau de la perçu, je me suis fait une luxation
au dos, quoi.Normal. Alors que ça faisait depuis
trois mois que je m'entraînais sur un morceau,
et là comme par hasard, juste avant qu'on me
donne une représentation, "pam",
je me fais une luxation, et un tendon qui pète.
Et je voudrais savoir si dans votre notion d'accident,
il y a la mutilation ?
Virginie : C'était notre
question de départ. On s'est posé la
question tout-à-l'heure.
Régane : ça dépend.
Delphine : On avait dit, ça
dépend du type de mutilation, de si on en a
l'intention ou pas, au préalable.
Régane : Ouais, d'ailleurs,
c'est toujours à propos des poils [inaudible],
et je me suis grattée la peau. Et avec quoi
? bah qu'est-ce qu'il y avait sous la main ? Des petits
ciseaux ; donc je me suis grattée avec des
petits ciseaux, ça grattait la peau. Quand
je fais ça, je sais que je vais me couper,
mais je ne vais rien changer.
Annabel : mais tu n'avais pas
l'intention de te couper ?
Régane : Des fois, je
me suis fait super peur ; j'avais douze treize ans,
le jour passait tranquillement, et j'ai le sentiment
de l'avoir cherché.
Virginie : Non, mais c'était
pas non plus : tiens, je prends le [inaudible], je
me brûle avec…on se retrouve dans un état
second. C'est comme quand je suis en train de fumer,
puis après, j'approche la cigarette, et je
me dis, tiens, c'est chaud ; et puis là, on
est comme dans une espèce d'anesthésie,
et puis ça va tout seul. On approche, on se
dit : tiens, on va juste faire comme ça, et
puis on reste, et puis on écrase. Moi, je dis,
c'est comme… comme une hypnose, quoi. Tout d'un
coup, je vois la cigarette, et je sais ce que je vais
faire avec, ça s'impose. Mais je suis désincarnée,
comme si j'étais droguée. Il n'y a pas
cette intention. La dernière fois que je l'avais
fait, j'avais juste allumé une clope pour la
fumer ; je ne venais pas de m'engueuler avec mon mec,
rien. C'est tout d'un coup une espèce de scénario
hors temps, comme ça. On est pris par le scénario,
et puis ça, on ne contrôle pas, c'est
plus fort que soi.
Lise : J'entends "on est
sous hypnose" ; quand j'étais dans la
forêt de Rambouillet, en haut de la descente,
j'étais, un moment ; je dis toujours : j'ai
un blanc. Tu dis hypnose, moi je dis "j'ai un
blanc", et là, j'ai chuté. Avant
cela, je suis très bien.
Annabel : Alors, une fois ça
m'est arrivé en vélo, je suis tombée.
[changement de face de la cassette : petite interruption]
Je ne sais pas ce qui se passe, mais en tous cas,
je me retrouve par terre. Je me dis ; oui, je dis
que j'ai eu un malaise, mais je me dis, c'est bizarre,
ça ne doit pas être ça, s'évanouir.
La première fois que c'est arrivé, j'étais
enceinte depuis quelque temps. Et en fait, j'ai l'impression,
consciemment, que je me mets…que je me jette
par terre. Mais, en fait, une fois que je suis par
terre, il y a quelques secondes, je ne sais pas, où
je ne peux ni parler, ni bouger ; en fait, on pourrait
me poignarder, on pourrait me faire n'importe quoi.
Après, ça revient, alors les gens me
ramassent, tout, bon…
Régane : Et t'as pas l'impression
que tu t'évanouis.
Annabel : Au moment où
je tombe, si tu veux, c'est pas comme un malaise ;
au moment où je tombe, je me dis que je suis
en train de me jeter par terre.
Régane : Sans résistance.
Annabel : Oui, et après,
quand je suis par terre, je suis pétrifiée.
Le psychologue intervient, mais
le magnétophone est trop éloigné
pour l'entendre.
Stéphanie : Au collège,
je disais que c'était la mode de se gratter
[inaudible] et au cutter, j'y allais, et c'était
conscient, je le disais, je le montrais.
[inaudible]
Noelly : Moi, je m'arrache tous
les poils. Comme je suis animatrice dans une garderie,
je ne peux pas le dire, et ça se voit, alors
pour me protéger, je leur ai sorti que le gaz,
c'est mon grand point de réponse à toux
prix [? - inaudible], j'ai dit que je m'étais
brûlé à la racine, et que c'est
[inaudible] à repousser, donc j'arrache. Donc
j'arrivais à ma vérité, quoi
; vicieusement, j'arrivais à la vérité
que je les arrachais, mais complètement. Les
cils, les sourcils.
Delphine : Et t'as toujours raconté
le même bobard ?
Noelly : Oui, toujours le même.
Delphine : Et maintenant, tu
dis toujours la même chose ?
Noelly : Non, maintenant, c'est
une maladie du stress…je dis que c'est une maladie
psychosomatique, liée au stress.
Mireille : Mais ça te
fait mal, quand tu arraches ?
Noelly : ça me fait mal,
ça me soulage, le problème c'est que
c'est pas que les ils, c'est que c'est sous les aisselles,
c'est les bras, c'est les jambes, c'est le pubis,
c'est les cheveux, c'est horrible, j'ai besoin. Parce
qu'en fait, le fait de sentir mes poils. Les poils,
c'est ce qui prend l'air, dans la peau, ça
vit, ça pousse, ça vit, c'est comme
les ongles ; à un moment, j'avais plus d'ongles.
Je m'arrachais les peaux, les ongles, tout. Et je
me demandais jusqu'où j'allais, parce qu'à
la limite, à un moment, je m'arrachais toutes
les mains, quoi. Et j'ai compris que chaque truc de
mon corps me faisait comprendre que j'étais
en vie, et il fallait que je le détruise. Donc,
quand je suis arrivée à ça, j'au
réussi à me calmer. Donc, au jour d'aujourd'hui,
j'ai encore des zones très sensibles, notamment
les bras [inaudible].
Virginie : [inaudible] Je voudrais
revenir aux revendications ; moi je sais que j'ai
des traces, des cicatrices sur les bras, et je ne
veux pas qu'on me les enlève. C'est mes trophées.
Si je les enlevais, je ne serais plus moi. J'ai besoin
de savoir que j'ai vécu ça pour ne pas
oublier. [inaudible]. Pour moi, c'est mon trophée,
c'est comme, je ne sais pas, un légionnaire
qui revient de la guerre avec son trophée.
Delphine : Moi c'est pareil,
je n'ai jamais voulu qu'on m'enlève ma cicatrice
au cou. [inaudible] et quand on a vu qu'elle était
moche et en plein milieu de cou, on s'est renseigné
pour savoir comment on pouvait l'enlever. Et moi,
à l'époque, j'osais pas le dire mais
je ne voulais pas qu'on y touche à ma cicatrice.
Je me l'étais faite en faisant de la moto,
c'était un accident [inaudible], c'était
à la maison de campagne de mes grands parents,
j'avais 14 ans, j'y allais depuis que j'étais
bébé, et tout-à-coup, il y avait
une super bosse que je voulais sauter, et je ne me
suis plus souvenu qu'il y avait la corde à
linge au-dessus. Et j'ai foncé. Ça m'a
pas décapitée parce que les poteaux
qui tenaient la corde étaient vermoulus et
ils ont pété. Et voilà, et moi
je suis tombée, et ça s'est enroulé
autour de mon cou. Et après, c'est devenu moche,
on aurait dit une grosse chipolata, et en même,
c'est comme tu dis, c'était ma cicatrice.
Régane : Mais personne
t'a dit : "mais tu l'avais pas vue ?"
Delphine : Je la connaissais
depuis que je suis petite, elle avait toujours été
là.
Régane : Ah oui d'accord.
Parce que ça me rappelle un truc pareil, avec
des barbelés. J'ai couru, il y avait des barbelés…On
me dit : j'ai de la chance, parce que c'est tombé
sur mon front. Mais c'est pareil, j'ai eu la même
question : mais tu l'avais pas vu ?
Delphine : Tu savais qu'il était
là, le fil barbelé ?
Régane : Oui. [inaudible]
revendication aussi [inaudible] avoir un accident
domestique, si je me crame avec quelque chose que
j'ai posé sur le four, bah j'explique. Par
contre
[inaudible]
Le psychologue : [inaudible]
on passerait au troisième sous thème
?
- Suicide et
surmortalité chez les victimes d'inceste et
leur famille.
[inaudible]
Noelly : [inaudible] ma mère,
dès son plus jeune âge [inaudible] ses
parents étaient divorcés et [inaudible]
; et mon grand père, qui étaient un
pédophile de première a essayé
d'abuser ma mère, je suis sûre qu'il
y est arrivé. Ma mère a été
récupérée par ses grands-parents
parce qu'il ne voulait plus s'occuper d'elle, et là,
ça a été problèmes de
hanches, problèmes pulmonaires, après,
ça a été problèmes au
cerveau, après ça a été
crise d'asthme sur crise d'asthme, tout le temps il
y avait des trucs.
Régane. : et des tentatives
de suicide ?
Noelly : ma mère, je n'appellerais
pas ça des tentatives de suicide, j'appellerais
ça des chantages au suicide. Aide moi ma fille,
je suis faible, si tu ne m'aides pas, je fais sauter
la baraque. Donc, il y a un moment où ça
va, et puis un moment où tu dis : tiens, si
tu veux, je te craque l'allumette, et puis on va faire
mieux, je te passe le couteau, et tu fais ça
proprement dans la salle de bain comme ça moi,
je ne me taperai pas le tapis à nettoyer après.
Et à partir du moment où elle a vu que
je rentrais plus dans son jeu…
Delphine : mais ça a commencé
il y a longtemps ?
Noelly : Bah moi, ça a
commencé dès ma naissance, ma mère
[inaudible] ; mon père, ça a été
une autre méthode mais [inaudible] pourtant
c'était une femme très forte, très
bosseuse ; elle a bossé en temps que femme
de ménage à 16 ans, à 18 ans,
elle était aide-soignante de nuit, et aujourd'hui,
elle en a 51 et elle continue encore, donc c'est quelqu'un
de courageux. On ne peut pas dire, mais maintenant,
j'aurais voulu qu'elle soit un peu plus forte. Qu'elle
entende. Même elle, ça lui aurait fait
du bien.
Annabel : Mais ça continue…
Noelly. : Oui, elle a toujours
des torticolis, elle ne sait pas d'où ça
sort ; l'autre fois, elle avait l'œil complètement
gonflé, on s'est dit c'est pas possible, elle
va perdre l'œil. Après c'est les jambes,
elle va à l'hôpital ; mais les maladies
mortelles, elle a refoulées dans son enfance.
Stéphanie : La première
fois où j'ai essayé de me suicider,
je ne sais pas quel âge j'avais, c'était
avec une boite de médicaments que j'avais le
droit de prendre seulement quand j'avais des règles
douloureuses ; moi je pensais que ça allait
me tuer.
Annabel : des médicaments
contre le mal de règle ?
Stéphanie : Oui, j'ai
avalé la plaquette de médicaments, je
l'ai dit à ma mère ; elle m'a dit :
"woff…", voilà. La deuxième
fois, c'était le camion qui m'a loupée
; ça a été les trains, beaucoup
les trains. Je les regardais de très près,
en me disant : tu sautes, tu sautes pas. Ça,
ça a été, et c'est encore beaucoup,
même je vois, tout-à-l'heure, la rame
de métro, je sens le vent venir, et pour moi,
je sens une puissance : je saute, je saute pas. La
dernière tentative, c'est celle qui a été
racontée aux flics parce que ça aurait
été au lexomil, puisque c'est juste
après qu'on m' a repêchée. Et
la dernière en date, c'était il n'y
a pas très longtemps, c'est là où
on m'a augmenté le deroxat (?), ça aurait
été aussi aux médicaments. Bon,
à 13-14 ans, on croit qu'avec une boite de
pilules contre les règles, on va se tuer, mais
avec le temps…
Delphine : on se perfectionne…
Stéphanie : Voilà,
on se perfectionne, comme tu dis. Par contre, mon
perpétrateur, parce que maintenant je l'appelle
comme ça, et c'est bien, je ne dis pas le mot
exact. Alors, il a fait une première TS, mais
c'était une fausse ; il s'est jeté dans
l'Yonne. Il s'était attaché à
la bagnole, et il paraît que mes frères
lui ont dit : mais pense à nous, pense à
nous, ça a rien fait. Quand mon frère
lui a dit : pense à (…) qui est notre
petite nièce, là, il s'est détaché,
et en fait, mon frère a été le
repêcher.
Delphine : Il était dans
la voiture, dans l'eau ?
Stéphanie : Oui.
Annabel : Devant ton frère
?
Stéphanie : Oui, c'est
pour ça que je dis que c'était une fausse.
La deuxième c'est grâce à moi.
Ça j'en suis très fière. C'est
parce qu'en fait, je l'avais enregistré sur
une cassette où il avouait les viols que j'avais
subis. Et j'avais cette arme dans la main. Parce que
pour moi, c'était une arme. Et j'étais
là : attends Sonia, bah ça, il le sait
pas. Et si tu lui disais que t'as cette arme, il va
essayer de se suicider ; et j'ai pas pu m'en empêcher.
Et je l'ai fait. Je l'ai appelé en lui disant
: tu ne savais pas, mais j'ai tout enregistré,
tout ce que t'as dit. Qu'est-ce que tu crois que je
vais faire avec cette cassette ? Bah je vais la filer
aux flics. Et le lendemain matin, mais alors ça,
c'était vraiment une fausse TS ; ça
en est marrant, parce qu'il a avalé des cachetons,
mais il a appelé l'infirmière. Alors
ça, franchement, ça me fait rire. Il
s'est retrouvé à l'asile psychiatrique
où il y a eu après une confrontation,
et bizarrement, là, il ne pouvait plus parler.
Delphine : Et [inaudible]
Stéphanie : Ben moi, non.
Tout ce que je sais, c'est que mon frère s'est
retrouvé en prison. Lui, c'est la drogue, il
s'est retrouvé en Somalie, à Djibouti,
en pleine guerre.
Annabel : Il s'était engagé
?
Stéphanie : Oui, il s'était
engagé pour se tirer de la baraque. La deuxième
sœur, elle s'est mariée avec le premier
venu pour se tirer de la baraque. (…le nom d'un
autre frère), le jour de ses 18 ans, a eu les
sacs poubelle devant la maison, moi, il m' menacé
de me tuer, donc je me suis sauvée de chez
moi, demandant ma majorité. Parce qu'il avait
des armes….
Mireille : Moi, j'ai essayé
de me tuer plusieurs fois, en avalant des cachets.
Et puis ce qui s'est passé, vers l'âge
de 14 ans, c'est que j'étais anorexique [inaudible]
et j'avais pas fait le lien, à l'époque.
Parce que c'est mon petit cousin qui m'a incestée,
et je fais le lien de l'anorexie avec ce qui s'est
passé dans ma bouche, quoi. [inaudible] Et
il y a eu après des tentatives de suicide,
je ne savais pas pourquoi. Non, il y avait un dégoût
de la vie, c'était… non, je ne savais
pas pourquoi parce que moi, il n'y a pas longtemps
que j'ai eu accès à ce qui s'était
passé. Donc je ne comprenais pas pourquoi.
Alors après ma tentative de suicide, j'avais
vu un psy, et le psy m'avait fait des avances. Il
m'avait donné un traitement et j'ai été
trahie. En fait, j'ai toujours été trahie
par… et donc, quand je suis rentrée chez
moi, je me suis dit : mais c'est dégueulasse
; les gens sont vraiment des salauds. Et ce que j'ai
fait, c'est que tout mon traitement et les médicaments,
je les ai foutus dans le vide-ordure. Donc mes parents,
ohhh! Le médecin… parce que mes parents
ont vu le médecin. Les médecins, il
faut les écouter. Eux, ils en ont rien à
foutre de nous, de leurs enfants. Mais les médecins,
il faut les écouter. Et j'ai tout fichu à
la poubelle. Maintenant, je pleure… c'est bien…
Annabel : Tu as des enfants ?
Mireille : Oui, j'ai trois enfants
[inaudible]
Mireille : J'ai un fils de 28
ans, d'un premier mariage qui n'a pas tenu. A l'époque…
quand j'ai quitté mon premier mari, je voulais
me suicider aussi, parce que je ne voyais pas ; pour
moi, l'amour, c'était pas ça, quoi.
Je ne voyais pas la vie comme ça. Je m'étais
dit, dans un an, je fais toujours la même chose,
et j'étais remontée jusqu'à 80
ans et puis je me suis dit : il faut que je m'en aille,
et là, j'ai tout arrêté. Je suis
partie avec mon fils. Et je savais pas ce qui n'allait
pas. Et après, je me suis remariée,
[inaudible] et j'ai deux filles.
Le psychologue : [inaudible]
tu pourras peut-être en parler dans les groupes
de parole.
Mireille : Et mon père
est mort d'une crise cardiaque, aussi. Parce qu'avec
mon père, il y a eu quelque chose. Il y a eu
quelque chose ; c'est toujours les personnes que j'aime
le plus qui me font les pires saloperies. Mon cousin,
je l'adorais, je le mettais sur un piédestal,
mon père aussi, et c'est toujours ceux-là
qui m'ont trahie. Donc, voilà.
Delphine : Et ton père,
il avait quel âge quand il est mort ?
Mireille : Il avait 60 ans.
Noelly : Jusqu'à l'âge
de 19 ans, j'étais à la recherche du
parfait suicide. Cachets, la corde, le gaz, je me
suis cassée la tronche [inaudible], quand j'étais
derrière un copain sur une mobylette, je voulais
qu'il accélère, qu'il accélère,
je cherchais tout le temps l'accident. Je n'ai pas
réussi, je ne serais pas là, sinon.
Celle qui a été le plus dur, c'est celle
qui a été sous médicaments, j'ai
mélangé antibiotiques, pilules de lithium
de mon père, des trucs très durs, et
en fait, il y a un moment où dans la recherche
de mon suicide, je me suis… en fait, il y a
eu la période où je me disais : de toutes
façons, je suis quelqu'un de négatif,
je suis [inaudible] de mes parents, je suis une incestueuse
de naissance, tout me le dit ; à chaque fois
que je déboule dans la vie d quelqu'un, je
fous la merde, on sait pas quoi, comment, je suis
toujours là où il faut pas, en plus,
comme par hasard. Je me suis dit, je vais me barrer,
je vais les laisser avec leurs conneries, je vais
être tranquille. J'avais 16 ans, je sifflotais,
j'étais comme ça, je flottais ; alors
tout le monde trouvait ça bizarre parce que
d'habitude, j'étais toujours renfermée.
Là, j'avais le sourire, je parlais à
tout le monde, et il y a quelqu'un, pas spécialement
une amie, mais quelqu'un qui avait dû me cerner
un minimum, qui avait dit : mais (…prénom),
tu caches quelque chose, t'es souriante, c'est pas
normal. Et puis moi, [inaudible], ce que j'avais pas
compris ; et ça ça a été
le schéma de l'inconscient, et je le remercie,
comme quoi il y a l'inconscient destructeur, et il
y a l'inconscient sauveur, c'est que si tôt
que j'ai pris conscience du fait que l'allais vraiment
mourir, parce que j'avais pris des trucs vraiment
pas cool, j'ai eu quand même un lavage d'estomac,
et…je suis allée vers mon père.
Je l'ai regardé, il n'y a aucun mot qui est
sorti, il m'a regardée, il a compris, il a
pas cherché une seule seconde, il m'a fait
boire du lait et de l'eau, il m'a fait vomir, vomir,
vomir ; j'ai perdu connaissance, il m'a foutu une
claque, je suis revenue ; il a appelé les pompiers,
là, les pompiers m'ont foutu sous un masque,
et puis ils me soulèvent les bras [inaudible]
et j'avais fait ça bien au scalpel pour pas
qu'ils voient, j'avais mis un truc, j'avais tout prévu.
C'était simple, c'était le suicide parfait.
Et en fait, c'est grâce à ce suicide
que mon père m'a dit : mais qu'est-ce qui va
pas (… prénom), qu'est-ce qui fait que
depuis toutes ces années, chaque fois que tu
réussis quelque chose, tu te fous en l'air
? Dans tout ce que tu fais, tu te fous en l'air. Et
grâce à ce suicide, c'est là que
tout doucement, l'abcès commençait à
crever. J'avais réussi à craquer la
croûte. Fallait que je me dégage de moi-même,
il fallait aussi que je me fasse culpabiliser.
Stéphanie : Il y a un
médecin qui m'a dit [inaudible] parce qu'actuellement,
j'ai une gastroplastie, et il m'a dit : "c'est
un moyen de ne pas te faire pénétrer
par la nourriture". [inaudible]
Virginie : Non, bah rapidement,
parce que je suis un peu comme (…prénom),
je suis abonnée au suicide depuis un certain
temps, et à mon avis, c'est pas vraiment des
suicides. Je suis pas fondamentalement persuadée
que je veux mourir, parce que je m'y prends quand
même relativement mal, mon mari est médecin
; je pourrais trouver les médicaments ad hoc,
mais quand même, la dernière fois, j'ai
avalé 60 xanax, j'ai mis la dose ; j'avais
mis de côté, et tout. Et je crois que
c'est plutôt une espèce de… je
veux m'anesthésier, et c'est vrai qu'en général,
je dors deux, trois heures… jours, je veux dire,
et ça me remet les compteurs un peu à
zéro. Je sais pas quoi dire ; je crois que
ça doit rester dans mon inconscient parce qu'en
fait… bon, je croyais que j'avais fini avec
les suicides, parce que j'en avais fait un le 31 décembre
la dernière fois, puis je croyais que c'était
fini, qu'on n'en parlerait plus, et là, il
y a deux jours, mon mari me dit, mais je m'en souviens
plus - c'est pareil, ça doit être inconscient
- j'avais bu, je suis rentrée, et j'ai essayé
de le convaincre qu'il fallait qu'on se suicide ensemble,
avec les chats. Enfin, c'est lui qui m'a raconté
ça le lendemain. Parce que, j'ai le problème
des chats. C'est bizarre, je ne peux pas me suicider,
c'est toujours à cause de quelqu'un. Là,
comme c'est à cause de mon mari parce qu'il
ne va pas y survivre, donc là, apparemment,
j'ai dû lui dire qu'on allait se suicider tous
les deux. Mais comme il était déprimé,
il m'a dit : écoute, me pousse pas trop, parce
que je suis vraiment très mal, et qu'est ce
qu'on va faire des chats, tout ça. Ouais, je
sais, c'est parce que j'ai entendu une émission
dans Delarue ; la fille, elle a voulu se suicider,
et en fait, réellement, elle a étranglé
son chat, pour qu'il reste avec elle. Et ce qui est
terrible, c'est qu'ils l'ont sauvée, et le
chat est mort. Mais moi, j'ai pas de souvenirs de
ça. Et il y a deux jours, mon mari a passé
la journée à me demander : ça
va ? ça va ? et je me demandais pourquoi, et
il m'a raconté la soirée. Donc je ne
sais pas. Je sais que je suis abonnée depuis
longtemps. Effectivement, j'ai toujours avalé
n'importe quoi. Alors pareil, les histoires de voiture,
c'est que souvent, quand j'étais avec des mecs,
je conduisais, par exemple ou bien j'étais
à côté, et j'agrippais le volant
en le tournant, n'importe quand. (changement de face)
alors pareil, j'ai arpenté cent fois le balcon
à l'extérieur. Tu sais, c'est…
parce que je me mets à l'extérieur du
balcon [inaudible]. Pareil, je me dis, j'ai pas la
force de sauter, mais si j'arrive à tomber,
là, au moins.
Lise : Le souvenir d'enfance
qui m'est venu avec ça, c'est que… avant
mes deux ans, parce qu'après, on a déménagé,
donc on habitait une pièce unique, on était
nombreux ; mon père [inaudible] il était
allongé sur le lit, saoul ; j'étais
avec ma jeune sœur qui a dix-huit mois de moins
que moi, et mon père ado… enfin, avait
une préférence pour cette sœur,
et il lui dit : est-ce que tu veux que je me tue ?
est-ce que tu veux que je me tue. Et (prénom…)
avait 9 ans, j'en avais 11 et demi, et je lui dis
: "mais dis lui oui, dis lui oui". Voilà,
c'est ce qui est venu en entendant ce que vous dites.
Le psychologue…[inaudible]
par rapport aux thèmes qui ont été
abordés, est-ce que vous pensez que ce serait
intéressant de revenir ultérieurement
sur cette thématique là ? On peut faire
un tour de table.
[inaudible] de mémoire,
et en reconstituant le tour de table qui est partiellement
inaudible : il est proposé de la ré-aborder
le thème, mais pas la fois suivante, plus tard.
Et d'aborder la violence et les comportements alimentaires.
Il est proposé d'approfondir certains points…
Stéphanie : dites-vous
que dans un an, certaines d'entre nous auront certainement
fait une autre TS, et on aura sûrement d'autres
trucs à dire (rire général)
Annabel : Je pense que ce thème
mériterait complètement un autre atelier,
et qu'il y a beaucoup à dire sur le thème
du corps, la mémoire de notre corps, la blessure,
la maladie et la mort, quand même. Parce qu'on
a beau dire "tentatives ratées",
c'est quand même un flirt avec la mort.
Delphine : Moi, j'aimerais qu'on
élargisse au reste de la famille ; que les
questions qu'on a posées pour nous, on les
pose pour notre famille, le suicide, les blessures.
Lise : Oui, et ça rejoindrait
la généalogie de l'inceste, qu'on a
déjà fait…ça se complète.
[inaudible]
Le psychologue : par rapport à ce que vous
venez de dire, mais c'est à décider
dans le cadre de l'association, on pourrait faire
rentrer cette notion par exemple de conduite dangereuse
amenant à un accident, ou amenant à
un risque d'accident. Parce que rentrer, vous mettre
en relation avec quelqu'un qui est susceptible de
vous taper dessus, c'est aussi une conduite amenant
à un accident ou à un risque d'accident.
Donc ça pourrait être un nouveau sous-thème
qu'on intégrerait dans cette notion générale
d'accidentalité, puisque c'est bien toutes
les conduites amenant à un accident ou bien
à un risque d'accident. D'accord ?
Annabel : Moi, je voudrais remercier
(le prénom du psychologue…), parce que
le dernier atelier, j'avais mis un mois à m'en
remettre. Il n'y avait pas de modération, il
n'y avait pas de traitement de parole ; donc, moi
je suis venue aujourd'hui en me disant, je tente le
coup, mais si ça recommence, je ne viens plus.
Et j'ai trouvé qu'il y a avait là, justement,
une stimulation.
Delphine : Moi aussi, je voudrais
te remercier de ta présence, et de l'efficacité
de la modération.
Lise : [inaudible]
Le psychologue : Si je peux me
permettre, moi, j'ai continué avec le thème
tel qu'il avait été proposé sur
le site : un thème avec trois sous thèmes
à aborder. Donc j'ai vraiment fait la construction
comme elle avait été proposée
aux acteurs. J'ai abordé les trois sous thèmes,
donc, ça veut dire, là où ta
remarque était juste ; peut-être que
trois sous thèmes, sur deux heures et demi
d'atelier, c'est peut-être trop. Il faut peut-être
qu'on en garde que deux, qu'on se donne une thématique
générale et deux orientations, deux
pistes de discussion.
Lise : C'est comme à l'école,
j'avais jamais le temps.
Le psychologue : Alors, la régulation
du temps, c'est vrai que je l'ai faite ; je l'ai faite
de manière un peu directe, en même temps
: on termine dans les temps, avec à peu près
des temps égaux entre les trois sous-thèmes.
C'était l'engagement que j'avais pris.
Lise : Non, mais c'était
très bien, c'est ce qu'il fallait. Justement.
J'ai beaucoup apprécié ta modération
; mais même si tu dis qu'il n'y avait que trois
sous-titres, j'en ai vu au moins dix, tu vois.
Le psychologue : A la retranscription,
tu verras que vous êtes restées très
autour des sous thèmes, il n'y a pas eu d'éloignement.
Delphine : Le prochain
atelier a lieu le 27 novembre, le samedi 27 novembre
[au moment de la transcription, la date du prochain
atelier a été avancée
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