"Mon
rapport à l'argent" - atelier du
26 novembre 2005
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
2) Comment j'utilise
l'argent pour acheter ? Qu'est-ce que j'achète
avec mon argent ?
3)
Quel rapport financier avec un psy, et pourquoi payer
ma thérapie ?
4)
Ce que me coute la demande de rétribution de
mon travail
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
Lecture du préambule.
Le modérateur : En ce
qui concerne…
La logique des ateliers. Les ateliers
sont une opportunité pour les acteurs victimes
d'inceste et leur entourage impacté par les
pratiques incestueuses de partager une parole sur
leur expérience dans un contexte d'écoute
libéré de toute contrainte morale.
La périodicité
des ateliers. Les ateliers sont proposés sur
une périodicité trimestrielle avec une
proposition thématique sur l'année.
La durée de deux heures et demie doit permettre
la participation active au niveau de la parole comme
de l'écoute, de l'ensemble des acteurs.
L'utilité des ateliers. Il
s'agit de l'accueil non restrictif de l'ensemble des
paroles des victimes de pratiques d'inceste dans leur
dimension de connaissance psychologique, émotionnelle,
sociale, socioprofessionnelle.
La parole dans les ateliers. La parole
ainsi que les silences sont offerts aux acteurs sur
la base de leur désir avec une régulation
du temps liée au nombre de participants et
aux thèmes de l'atelier.
Le recueil de la parole. L'ensemble
du discours pendant les ateliers est enregistré
afin d'en permettre une retranscription fidèle
qui permettra la réalisation de synthèse
thématique.
La synthèse de la parole.
Ces synthèses ont pour objectif pour chaque
membre de l'atelier de pouvoir, s'il le souhaite,
retrouver sa parole, garder sa parole, et peut-être
retrouver par une nouvelle manière, par une
nouvelle écoute, la parole de l'autre, de positionner
sa parole et son expérience au sein de la parole
des autres. Dans un deuxième temps, elles ont
pour objectif de permettre une lecture plus large,
mais aussi plus complète, des connaissances,
expériences, ressentis par l'ensemble des acteurs
concernés par la problématique des conduites
incestueuses. Il s'agit de communiquer l'expertise
et sur l'expertise du discours non programmée
des acteurs victimes. Et enfin, dans un troisième
temps, elles permettront dans le cadre d'une démarche
scientifique au plus proche de la parole des acteurs,
une analyse du discours sur le vécu des victimes,
en vue d'une publication.
Je vous rappelle que c'est un
atelier d'une durée de deux heures trente ;
on va se donner à peu près pour chaque
sous thème 40 minutes de paroles. La thématique
qui avait été choisie est : "quel
rapport j'entretiens avec l'argent ?" Trois sous
thèmes :
- Comment j'utilise l'argent pour acheter ? Qu'est-ce
que j'achète avec mon argent ?
- Quel rapport financier avec un psy, et pourquoi
payer ma thérapie ?
- Ce que me coûte la demande de rétribution
de mon travail.
2) Comment
j'utilise l'argent pour acheter ? Qu'est-ce que j'achète
avec mon argent ?
En ce qui concerne le premier
sous thème, c'est une réflexion autour
de l'argent, de ce qu'il représente dans une
dimension sociale assez générale. Et
après, qu'est-ce que représente l'argent
dans la logique d'achat, quand on parle de son propre
argent ; donc d'une dimension plus individuelle de
ce côté financier.
Qui souhaite prendre la parole
?
Delphine : je veux bien commencer.
Ben moi j'en perds beaucoup, de l'argent. Pas nécessairement
ce que j'achète mais j'en donne beaucoup aux
gens qui mendient dans la rue. J'en perds, je sais
pas comment je fais mon compte, mais j'ai du mal à
garder l'argent. C'est pas que je le dépense,
mais… il n'y a pas très longtemps, ma
mère - parce que j'ai beaucoup de frères
et sœur - nous a fait une donation d'argent,
en disant "autant que vous en profitiez maintenant".
Et mes frères et sœurs n'ont pas fait
pareil mais moi j'ai placé cet argent de telle
sorte que j'ai quasiment tout perdu, assez vite, et
que… voilà… comme si… et
ça ne m'a pas vraiment dérangée.
Cet argent venait de la famille donc je pense peut-être
que je me suis dit que ce serait pas mal que ça
disparaisse. … redis le thème…
Le psychologue : Comment j'utilise
l'argent pour acheter ? Qu'est-ce que j'achète
avec mon argent ?
Delphine : Ah oui… bah
voilà, j'utilise l'argent comme ça.
Ou bien pour acheter des choses mais pas pour moi,
en général. Ça me paraît
toujours possible d'aider ma sœur qui a un enfant,
et qui en aura bientôt deux, et qui n'a pas
un super gros salaire et son mari non plus. Et donc
de payer des trucs pour ma nièce et tout ;
et puis pour moi, je trouve ça plus compliqué.
J'ai jamais spécialement envie. Ou je trouve
toujours que je dois économiser, que je dois
faire attention. Puis j'ai toujours peur d'en manquer,
aussi, de l'argent.
Virginie : Moi c'est pareil,
j'ai toujours peur d'en manquer mais du coup, c'est
une catastrophe, ce qu'elle dit qu'elle en perd parce
que en fait, moi, je n'en perds pas du tout ; je sais
où il est, je le dépense, mais je ne
le perds pas. Je le dépense… et effectivement,
j'ai le stresse de ne pas avoir d'argent. On n'en
avait pas d'argent, quand j'étais petite, et
puis en plus, ma mère avait un boulot où
elle mendiait quasiment parce qu'elle était
ouvreuse de cinéma. Donc ce qui rentrait, c'était
ce qu'elle recevait dans la main. Donc c'était
très fluctuant, absolument pas sécurisant
parce qu'il n'y avait pas la notion de salaire. Donc
effectivement, moi, ma sécurité entière
en tant qu'individu repose sur l'argent. Si j'ai pas
d'argent, mais même pas énormément,
c'est à dire avoir un petit chez moi, puis…
bon, et à part ça, je ne fais pas du
tout mes comptes, c'est tout au pifomètre.
J'ai trouvé un truc, c'est d'avoir des messages
par SMS de ma banque le matin. Donc ça je suis
obligée de les lire, et comme ça je
sais où j'en suis. Mais j'ai une trouille bleue
d'aller voir l'état de mon compte.
Delphine : Mais quoi, ton banquier
il t'envoie des sms ? mais c'est juste pour toi ?
Virginie : non, non, c'est un
service payant. Et bon évidemment, je ne remplis
pas mes talons de chéquier et je suis complètement
au pifomètre. Donc c'est à la fois une
trouille… j'ai pas besoin d'avoir beaucoup d'argent,
même si on n'a pas eu d'argent et qu'on était
émigré, j'ai pas eu le trip d'en vouloir
beaucoup. Mais pour moi, c'est la sécurité
de ne pas être à la rue.
Delphine : je peux juste reprendre
la parole ? c'est pour dire que ça me fait
penser que… je suis presque gênée
de dire ça mais je crois que ce qui m'angoisse
horriblement, c'est d'être riche. Je ne peux
pas supporter cette idée. Je ne veux pas ressembler
à mes grands-parents, à cette famille
très bourgeoise. Alors quand je dis que j'ai
peur de manquer, c'est que j'ai besoin d'avoir ce
qu'il faut pour vivre mais l'idée d'être
riche me dégoûte profondément.
Virginie : on peut s'arranger…
Mireille : moi j'ai envie de
dire que je ne sais pas compter. A chaque fois que
je fais mes comptes, je me trompe tout le temps, j'oublie
des retenues, je… je fais aussi un petit peu
au pifomètre, et pourtant je suis issue d'une
famille où il fallait toujours compter. Il
n'y avait pas beaucoup d'argent. J'ai quand même
fait des études avec des bourses, donc je devais
faire très attention. Et cependant, je fais
très attention quand c'est pour moi, pour acheter
des vêtements, c'est toujours trop cher, je
vais toujours essayer de trouver ce qu'il y a de moins
cher. Par contre, j'ai dépensé beaucoup
d'argent pour des livres. Des livres, des livres,
des livres, je ne peux pas lutter contre les livres.
Disons que dans ma vie, j'ai réussi ma vie
relativement, mais le côté intellectuel,
je l'ai développé. Et donc les livres,
j'avais le droit de dépenser de l'argent pour
des livres. Même si j'en achète certains
que je ne lis pas, ou que je donne après. Donc
je dirais comme ça que je ne sais pas compter.
Je me trompe tout le temps. Pourtant même maintenant,
je me dis aujourd'hui je m'y mets, je vais faire attention.
Ben même comme ça, je me trompe. Je ne
sais pas compter. Donc voilà ce qui me vient
maintenant.
Sidonie : Bien moi, je vais dire
que je sais compter, maintenant. Je ne savais pas
compter tant que j'étais mariée, que
j'étais que j'étais en couple. Mon argent
ne m'appartenait pas, c'était l'autre qui gérait,
et ça m'a menée à toutes les
catastrophes du monde. Je me suis retrouvée
par deux fois sans rien. Et alors un jour, quand je
me suis retrouvée seule, j'ai dit ben cette
fois-ci, c'est fini. Mon argent, c'est pour moi, je
compte. Et alors ça, pour compter, je vous
assure que je ne fais pas une dépense de deux
euros sans la noter sur du papier. Je fais mes comptes
tous les quinze jours, à la fin du mois, bien
sûr ; par année, bien sûr. Ça
va être Noël, j'emmène mes comptes
avec moi au ski pour faire un bilan de l'année.
La manière dont je le dépense, bon,
j'ai pas beaucoup, donc… faut quand même
bien gérer. Mais j'achète beaucoup de
cadeaux pour les autres. Pour moi, bien entendu, j'achète
tout en solde. Surtout au mois de janvier et au mois
de juillet. Et puis de temps en temps, je me fais
une petite paire de lunette de luxe parce que je sais
que c'est remboursé en partie par la sécu.
Les luxes que je me paie, c'est quand il y a de l'aide.
Maintenant, ça me touche beaucoup parce que
je ne savais pas que c'était le thème
de l'argent qu'on allait aborder aujourd'hui, et ça
fait peut-être deux nuits que j'en rêve,
j'ai une jouissance à faire mes comptes! Et
à m'occuper des comptes des autres! Mais alors
là! Mais c'est un plaisir. J'ai une vieille
tante de 83 ans qui n'arrive plus à gérer
son argent. En ce moment, je vais voir des conseillers
financiers pour essayer de voir avec elle ce qu'on
peut faire. Je lui fais des aditions, j'y vais deux
jours de suite, je compte pourquoi elle est dans le
rouge, etc. je m'explose la tête, je reprends
mon train, j'ai l'impression d'avoir fait de grandes
choses, alors que je ne fais que compter l'argent
des autres. Mais alors là, je ne me trompe
pas. J'ai la calculette, je refais… et…
ce n'est pas pour leur prendre de l'argent, hein.
Vraiment, je pense que… pour aider des vieux
qui peuvent plus compter leur argent, mais qui ont
su bien compter. J'ai pas du tout envie d'aider les
gens qui vont dans tous les sens. Mais quelqu'un qui
ne peut plus à un moment, j'ai vraiment envie.
Et ça, quand j'aligne les chiffres…
Delphine : mais qu'est-ce qu'il
y a de jouissif à ça ?
Sidonie : je ne sais pas, maintenant,
ce qu'il y a de jouissif. Je vais vous dire, j'ai
un ami dans ma vie, depuis dix-huit ans, je ne le
vois pratiquement jamais ; je n'ai aucune autre relation
avec lui que d'ordre sexuel, et depuis dix-huit ans,
on peut supposer qu'il doit y avoir autre chose. Il
est bourré de fric. Et il arrête pas
d'en avoir, et ne m'en donne absolument pas. Et je
n'y tiens pas parce que son argent, c'est le sien,
et le mien, c'est le mien. Mais j'ai une grande jouissance
à approcher un homme qui a les poches bourrées
et qui l'amène chez moi. Il sait qu'il ne craint
rien. Son argent ne m'intéresse pas, mais j'adore
le compter. J'adore le compter. Si je pouvais faire
des tas! Mais après, je ne sais pas quoi en
faire, et ça ne m'intéresse pas, j'ai
pas envie de rentrer là dedans.
Delphine : Et puis c'est compter
l'argent ; t'aimes pas compter autre chose, ou…
Sidonie : ah non! L'argent, les
petites pièces à entasser, à
rouler dans un papier… ça c'est une jouissance.
Bérénice : Moi,
mon rapport à l'argent, en fait, ça
a été un enjeu très tôt
dans ma vie. C'est assez curieux mais en fait, l'argent
comptait beaucoup dans ma famille, et en particulier
pour ma mère. Et j'avais, petite, une espèce
de don, je crois, à ne pas compter mais à
savoir combien exactement il fallait rendre aux gens.
Mes parents tenaient un commerce et donc quand ils
prenaient des consommations, très vite, je
savais combien je devais rendre aux personnes, sans
décompter. C'était visuel, ça
fait un rapport un peu occulte à l'argent.
Et depuis, mon rapport à l'argent est resté
occulte, mais je ne gère pas. Je ne suis pas
quelqu'un qui gère mon argent. Je ne peux pas
regarder mes comptes. J'aime pas savoir combien il
me reste, ou combien il ne me reste pas. Et je crois
que c'est lié à une promesse que je
me suis faite, justement très jeune, de ne
jamais avoir à me soucier de l'argent. Je crois
que toute ma vie s'est organisée un peu comme
un dispositif autour de ça, pour qu'effectivement
je n'ai pas à me poser la question de savoir
ce que j'ai en caisse et comment…
Delphine : Que tu ne manques
pas, quelque chose comme ça ?
Bérénice : Oui
c'est ça, que je ne manque pas. Et comment
j'utilise l'argent, c'est beaucoup plus problématique.
A la fois parcimonieuse ; par exemple quand j'étais
étudiante, j'avais du mal à imaginer
m'acheter des casseroles qui me manquaient. Ça
ne me venait pas à l'esprit. Donc je restais
avec ce qui me manquait sans imaginer que je pouvais
l'acheter. J'avais pas cette… comment dire…
j'avais pas l'initiative de l'utilisation de l'argent.
Bien que je concevais pouvoir en acheter, mais je
n'arrivais pas à passer à l'acte. C'est
tout ce que je veux dire pour l'instant.
Regane : Ben moi, c'est un peu
ça, en fait. D'abord, avec l'argent, quand
je vais faire ma situation de compte, ce que je fais
moins souvent qu'avant. Avant j'y allais quasiment
tous les deux jours et puis je ne sais pas…
je trouvais que c'était un besoin, et en fait,
ça m'excitait aussi d'y aller. Quand j'ai…
bien, un certain montant qui me convient bien, là,
je suis rassurée. Je ne peux même pas
dire que je suis heureuse ; je suis rassurée.
Mais quand j'approche de zéro, et genre il
me reste deux cents ou trois cents euros, ce qui n'est
quand même pas mal… je n'ai même
pas, je n'ai pas de problème de crédit,
ou d'être dans le rouge ou des choses comme
ça. Mais quand j'approche de deux cents euros,
alors là je commence à avoir peur. Je
me sens angoissée. Et par rapport à
acheter ce qu'il me faut, ouais, pendant un moment
aussi, je ne savais pas… c'est comme s'il me
manquait un prolongement d'action financière.
Je ne pouvais pas acheter. Alors c'est important pour
moi d'avoir de l'argent sur mon compte, mais pas énormément.
Mais je vais avoir une incapacité à
la dépenser. Et c'est justement là le
problème, c'est que je ne sais pas si je suis
radine, ou si je gaspille mon argent. Ça dépend,
je crois, de ce que j'achète. Il y a des trucs
pour lesquels je ne vais pas vouloir mettre le prix
alors que si ça se trouve, c'est bien pour
moi, et des choses comme ça. Ça peut
toucher au luxe, à quelque chose de qualité,
ou bien juste à quelque chose qui me plairait.
Mais alors par contre, les trucs pas trop chers qui
vont juste m'encombrer et m'être d'aucune utilité,
ben comme c'est pas trop cher, je l'ai longtemps fait.
Mais maintenant, je suis contente, ça j'en
ai fini là-dessus. Puis… voilà…
Lise : J'ai grandi jusqu'à
dix-sept ans, dans une famille où il n'y avait
pas d'argent. Le 3 du mois, c'était fini, c'était
déjà les dettes. On payait les dettes
le 3 du mois avec l'argent et c'était fini,
et on partait acheter avec un carnet, surtout cher
l'épicière. Et à dix-sept ans,
j'ai travaillé, et là, je me suis cru
riche. Et pourtant, je payais ma pension… je
gagnais, je vous dis les francs de l'époque
; je gagnais au début dix-huit mille francs,
et je donnais quinze mille francs de pension à
mes parents. C'était impossible qu'on en donne
pas ; toutes mes sœurs et frères qui travaillaient
donnaient une pension. Mais j'arrivais avec ça,
j'allais chez le coiffeur, je faisais plein de choses.
Virginie : Tu parles en ancien
francs ?
Lise : oui, oui. Et on habitait
très loin de mon travail, et j'ai acheté
une bicyclette d'occasion et le marchand a bien voulu
que je la paye en deux fois. Et ensuite, donc j'ai
recommencé ma vie à trente-six ans ;
je suis entrée au Carmel avec le motif entre
autres de la pauvreté. Ça m'emballait
de vivre une vie de pauvreté, comme si je ne
l'avais pas connue ; et donc après, j'ai pu
m'habiller. J'ai ouvert un plan d'épargne logement,
et je l'ai gonflé, gonflé, et je n'ai
jamais pu acheter d'appartement. J'ai demandé
conseil à un financier de la poste où
j'étais, qui m'a dit : "oh! Vous ne pouvez
pas, vous n'auriez que 16 mètre carrés".
Delphine : t'avais peur de quoi
?
Lise : D'acheter, de me lancer,
alors que ma sœur à Paris en était
à son troisième appartement. Donc j'étais
toujours, je suis encore locataire. Et ensuite, d'ailleurs,
dés que j'ai été à la
retraite, c'est à dire il y a trois ans, le
conseiller de la poste a vu que j'avais ce plan d'épargne
logement plus l'indemnité de départ
à la retraite, qui était d'ailleurs
assez minime. Il m'a tout fait placer sur des actions.
Et au jour d'aujourd'hui, j'ai perdu presque la moitié
de ce que j'avais. J'ai toujours eu peur de dépenser,
et j'ai toujours… oui… voilà…
alors j'ai fait une demande de… je suis passée
par "Que choisir", donc peut-être
que je vais récupérer ces douze millions
d'anciens francs qui sont perdus. Pour le reste, je
tiens mes comptes presque au jour le jour, mais je
ne fais jamais l'adition, en bas. Et en début
d'année, je fais vraiment mon budget, tant
pour le loyer, tant pour l'EDF, etc. dons je sais
que je ne dois pas dépenser tant par moi, à
peu près. Et ce qu'il y a, c'est que deux fois
par semaine, je vais au distributeur vérifier
le solde de mon compte. Je dis deux fois, mais c'est
parfois plus. J'ai la trouille de manquer. Et même
si la veille je l'ai fait, si je tire de l'argent
parce que j'en ai besoin, je dis allez, pendant que
j'y suis… et je regarde ce qui me reste. En
fait j'ai toujours thésaurisé, et je
n'ai jamais su quoi faire de l'argent que j'avais.
Par peur de le gaspiller, sans doute. Mais j'ai fait
beaucoup de cadeaux. Et je continue… et dans
la rue, l'autre jour, je me suis engagée à
payer pendant un an pour une association, tous les
mois pendant un an. D'habitude on donne une somme,
bah non, là j'ai réussi à m'engager
pour un an…
Le psychologue : je me permets
juste de faire une petite remarque. Je souhaiterais
vivement qu'on laisse les gens terminer, et qu'après
on leur pose les questions. Mais vraiment, qu'on attende
que les gens aient terminé, pour vraiment ne
pas couper cette parole, et après, poser les
questions.
Virginie : C'est nouveau.
Delphine : C'était pas
comme ça avant…
Le psychologue : Si, si, toujours.
Je pense que c'est plus simple parce que le fait de
poser les questions amène l'autre à
réagir finalement sur la question que vous
lui avez posé et parfois de raccrocher son
discours sur finalement une orientation. Alors que
le fait que la personne termine, et que vous posiez
la question après, là effectivement…
je suis désolé, c'est pas réactionnel,
mais on est bien d'accord là dessus.
Virginie : Moi je voulais juste
rajouter quelque chose, qui me vient à l'esprit
en en parlant. C'est que pour moi, l'idée de
tenir ses comptes, en fait, c'est pas que je ne pourrais
pas les tenir, parce que je m'aperçois que
c'est un exercice. On part de très bas et on
arrive à gérer ça. Parce que
j'y arrive au bureau, je facture mon travail ; j'ai
mis des années, j'ai mis quinze ans à
facturer mon travail. C'est un problème d'estime
de moi, c'est que quand je faisais un truc, comme
j'avais une mauvaise estime de moi, je me disais ça
vaut cinquante, là où ça aurait
pu en valoir cinq cents. Donc là, j'ai appris.
Il m'a fallu quinze ans, c'est très long, je
vous le dis à tous, mais au bout d'un moment,
on y arrive. Donc là, je sais à peu
près que je peux facturer. Mais le problème
de tenir ses comptes, c'est que j'ai l'impression
que ça m'enferme. Si je tenais mes comptes,
ça m'enfermerait dans une espèce de…
c'est comme une perte de liberté, c'est à
dire… je vais donner un exemple qui n'a rien
à voir mais par exemple, je tiens énormément…
j'ai pris un mari ultra libéral, je tiens à
être libre dans le mariage. Alors c'est pas
pour forcément le tromper à l'arrivée.
Mais j'ai besoin de sentir que je peux sortir à
n'importe quelle heure. L'argent, c'est pareil. C'est
qu'en fait, j'ai besoin de savoir que je peux le dépenser.
Et pour moi, tenir les comptes, ça voudrait
dire "ben non, j'en ai plus". Alors le résultat,
c'est que je ne le dépense pas, parce que de
toutes façons, je ne suis pas dépensière.
J'achète des jeans à 10 euros, et puis
je suis contente quand j'ai trouvé à
5. Mais je ne veux pas supposer un seul matin que
je ne peux pas le dépenser. Et pour moi, faire
les comptes, et conclure que le fait est que je ne
peux pas dépenser, vu que je finis toujours
à peu près à moins huit cents
euros tous les mois. C'est toujours la même
somme donc ça va, en fait il me manque juste
huit cents euros. Mais bon, c'est vraiment la notion
de liberté, de savoir qu'on peut dépenser,
qu'on peut faire des folies. Et curieusement, à
l'arrivée, je ne la fais pas, d'ailleurs. Heureusement…
mais j'ai besoin d'avoir cette sensation de ne pas
être dans un cadre. Je ne sais pas pourquoi
je pense au mariage mais du coup, le mariage, c'est
pareil, c'est un cadre, t'as pas le droit de sortir.
Moi, j'ai besoin du non-cadre pour ne pas sortir.
Pour moi, les comptes, c'est entravant : le débit,
le crédit, c'est entravant. C'est un peu ce
qui me vient à l'idée.
Nathan : Mes grands parents avaient
pas du tout d'argent, et mes parents en ont gagné
énormément. Et j'aimerais revenir sur
la petite distinction : comment est-ce que vous utilisez
l'argent en général, et comment est-ce
que vous dépensez votre argent ? il y a une
nuance, et notamment pour moi, dans mon expérience.
Dans la vie associative ou professionnelle, j'ai un
rapport assez calme à l'argent. Il y a de l'argent,
on doit l'utiliser pour x ou y chose, on le fait.
Il n'y en a plus, ben on ne le fait pas. C'est simple,
c'est calme. Et j'ai pas de difficulté à
dire des choses assez brutalement, à dire "ben
non, on n'a pas les moyens de ça, donc…".
Par contre, au niveau personnel, il y a une dimension
affective plus… qui est beaucoup plus complexe.
Et justement, cette confrontation aux conséquences,
parce que je crois que les comptes, c'est ça,
c'est d'essayer de penser aux conséquences
et de se donner une marge de manoeuvre. C'est pas
de repousser, sans se confronter aux conséquences
des actes. Er notamment, dans le cadre familial, l'argent,
d'une certaine manière c'est l'incarnation
du pouvoir. Pouvoir au sens fort, mais aussi au sens
puissance de l'homme. Parce qu'avec de l'argent, on
fait des cadeaux, on paye des études. Du coup,
c'est… oui… repoussé.
Bérénice : moi
il me vient quelque chose… tout à l'heure,
j'ai dit qu'il y avait une espèce d'aspect…
je ne l'ai pas exprimé comme une forme de chance
par rapport à l'argent, mais je crois que d'avoir
vécu dans une famille où le client était
roi, et où on faisait tout pour de l'argent,
m'a amenée à travers cette promesse
d'enfant qui était donc de dire - je le rappelle
- que je n'aurai jamais de problème d'argent,
à aller assez loin là dedans. Il m'est
arrivé plusieurs fois de perdre ma carte bancaire,
et j'ai l'impression à travers ça de
provoquer parfois le monde extérieur pour qu'il
me ramène à cette idée que, effectivement,
oui, j'ai de la chance vis à vis de ça.
Parce que je l'ai récupérée,
ma carte bancaire ; ou bien on me la ramenait, ou
bien il n'y avait pas de conséquences fâcheuses.
Je crois que je suis persuadée que jamais je
n'aurai de souci d'argent, et cette certitude m'interroge.
Je me dis que ça a vraiment… c'est étonnant,
quoi. Je me dis aussi que je pourrais très
facilement faire mes comptes si je le voulais, que
ce n'est pas un handicap, que c'est vraiment une facilité
ou un refus d'être comme eux, mais que ce n'est
pas un handicap de ne pas faire mes comptes.
Regane : Moi ça a aussi
été un moyen d'exister ; j'existe pas,
donc le seul moyen pour moi d'exister, c'est de payer,
d'utiliser mon argent. D'une part, et aussi, c'est
ma liberté. J'ai toujours dit, moi, je peux
partir, il me faut juste ma carte de transport et
ma carte bleue, c'est tout ce que je veux. Et quand
je suis en relation avec quelqu'un, c'est évident
que je ne peux pas… alors ça… c'est
évident, ça ne m'arrivera jamais, ce
n'est pas possible. Financièrement, il n'est
pas question que je dépende de quelqu'un. Je
ne parle pas de la dépendance genre, j'en n'ai
pas et il en a. C'est : j'en ai, mais c'est lui quand
même qui paye tout. Non, je ne peux pas. Là,
vraiment, je ne peux pas, parce que j'aurais l'impression
d'y laisser ma liberté.
Virginie : le "il paie",
pour moi, il n'y a aucun souci. Ça doit être
lié à l'inceste mais si c'est "il",
il paie. On peut tout me payer, je ne suis absolument
pas féministe. Le mec est là pour payer,
je le dis. Mais quand je dis "il paie",
c'est vraiment "ils paieront!" c'est vraiment,
c'est la haine totale. Tout ce que je pourrai extorquer,
je le ferai. Donc si je pouvais… mais je me
suis calmée, maintenant. Ça c'est clair,
je pense que c'est évident que c'est un problème
d'inceste, on va dire. Mais les femmes, non, bien
sûr. Je ne suis pas du tout pingre, je suis
toujours la première à payer au restau.
Mais c'est l'homme… l'homme paie.
Mireille : moi, j'ai l'impression
que je devrai payer toute ma vie, et surtout par rapport
à ma sœur. Parce que moi, mon histoire
d'inceste, c'est lié à mon beau-frère,
donc le mari de ma sœur, et je ne sais pas…
enfin j'en prends conscience maintenant, parce que
j'avais neuf ans, et il est mort maintenant. Et c'est
vrai que ma sœur, j'ai voulu comme quelque part
compenser
(…) maintenant je me dis, "mais t'es folle!
Pourquoi t'as payé ?" et je dois encore
payer. Payer quoi ? je ne sais pas, mais je dois toujours
payer. Et c'est vrai que quand je dois faire mes comptes
; enfin là, mon mari, il est un peu comme moi,
on ne compte pas trop. Bon, alors on se débrouille
parce que ce n'est pas dramatique mais il y a des
moments, je me dis : je m'y mets, je vais le faire.
C'est à moi de prendre les choses en main et
de décider. Mais quand je passe un après-midi
à faire les comptes, je me sens très
très mal et j'ai vraiment l'impression de perdre
mon temps. C'est vraiment une épreuve de faire
les comptes. Et en plus, je vois après coup
que j'y ai passé des heures et que je me suis
trompée. Donc voilà, ce n'est pas très
clair…
Sidonie : Moi, par rapport à
l'inceste, je me rends compte que dans ma tête,
la notion, c'est "j'ai payé pour tout
le monde". J'ai payé pour tous, ils m'ont
fait payer… j'ai eu à payer tout le temps.
Et il y a un moment où j'ai arrêté;
donc pour ça,j'ai bloqué… d'une
certaine manière, une manière de dire,
dés que j'allais voir mes parents, le premier
repas que je prenais avec eux, je ne l'avais même
pas fini que j'allais aux toilettes. Je me vidais.
Parce qu'il fallait que je leur donne tout en liquide.
C'était immédiat. Avec mon second mari,
il me téléphonait le matin, toujours
pour vérifier si j'étais là.
Et au moment de lui dire "je t'embrasse",
je me trompais, je disais "je t'emmerde".
Et en même temps, je me vidais, fallait que
je me précipite aux toilettes. C'était…
j'étais obligée de raccrocher. Et là,
quand j'en ai pris conscience, j'ai tout arrêté,
et c'est là que j'ai commencé de faire
les comptes et où j'ai refusé de payer.
Mais j'ai tout bloqué. Et alors là,
au moment où j'ai tout bloqué, je me
suis fait bloquer mes comptes. Il y a eu une magouille
juridique à la suite d'un problème de
loyer, on m'a bloqué tous mes comptes. Et je
me suis retrouvée à ne même pas
pouvoir payer les huissiers. Mes comptes étaient
bloqués, c'était au mois d'août,
y'avait personne pour me prêter rien. J'ai fait
une dépression nerveuse, alors là! L'humiliation
complète. J'ai vécu l'humiliation que
j'avais pas été capable! J'avais pas
été capable de suffisamment fermer mes
portes. Il avait fallu que la loi en dessus vienne
me choper mes comptes. Alors maintenant, je vis sur
deux comptes. Un ouvert, et un caché. Parce
que bien entendu, dans ma famille, ils continuent
à vouloir me faire payer. Là j'ai mon
frère et mon père ont eu un droit sur
moi, ils ont la loi qui peut leur permettre de récupérer
de l'argent sur mon compte. Ils ne le font pas pare
que je suis prête à leur faire payer
autre chose, je sais pas comment, pas en argent, mais
ce qu'il y a de sûr c'est que j'ai deux comptes.
Je sais bien qu'on n'échappe pas à la
Banque de France, mais… je vais retirer de l'argent
d'un compte en liquide pour aller le placer sur l'autre
parce que je crois qu'il est protégé.
Mais je le crois pas vraiment. Mais ça me rassure,
moi, quand je passe d'un compte sur l'autre. Je me
dis : il y en a un, j'espère, on ne pourra
pas me le toucher. Voilà. Donc c'est totalement
lié au problème d'inceste. Je fais ma
cuisine toute seule. Mais je veux faire payer…
je veux au moins, ne plus payer. Je voudrais faire
payer un peu, mais pas payer en argent. L'argent,
ça ne me semble pas… et je cherche l'autre
valeur à faire payer… mais… moi,
je refuse, je dis non.
Delphine : Je voudrais revenir
sur un truc ; c'est ce que tu dis qui m'y fait penser
: faire payer les hommes… j'éprouve très
vivement… je vis l'expérience inverse.
Il n'est pas question que j'accepte qu'un homme paye
pour moi. Bon, je vis avec une femme donc au plan
de ma vie privée, ça ne se joue pas,
et… dans ma vie professionnelle, je suis fonctionnaire
donc il n'y a pas de rapports d'argents… c'est
pas neutre, d'ailleurs, d'avoir choisi un métier
où il n'y a pas d'enjeu autour de l'argent.
Et il reste ma vie sociale, et je vois bien que c'est
vraiment une épreuve d'accepter qu'un copain
m'invite à déjeuner, par exemple. J'en
ai fait l'expérience très récemment
; mon copain voit bien que ça a l'air difficile
pour moi et donc il me dit "mais c'est pas grave…"
; il m'invite, il voit ma tête et il dit "non
mais tu sais, c'est pas grave!" et pour le coup,
ça c'est tout à fait lié à
l'inceste aussi ; quand on était petit, on
était acheté… je dis "nous",
dans notre famille… mes frères et sœurs
et moi, on était acheté tout le temps.
Ma mère dit souvent, très élégamment…
mon violeur, c'est mon grand-père, le père
de ma mère, et elle dit souvent pour elle,
et aussi elle le dit pour nous ; elle dit qu'elle
avait l'impression qu'elle était la pute de
son père. Et c'est pas mes mots à moi,
je ne le formulerais pas comme ça mais il y
a bien quelque chose de cet ordre là, quoi.
Et donc, plus jamais un homme pairea quelque chose.
Quand je dis payer quelque chose, c'est acheter quelque
chose de moi. Ça je refuse. J'espère
que ça passera d'ailleurs, parce que ce serait
plus simple.
Virginie : moi c'est bizarre
parce qu'en fait, c'est un peu le problème
inverse. C'est qu'en fait, mon père s'est pas
occupé de moi, n'a jamais envoyé la
pension, parce qu'il était divorcé d'avec
ma mère, etc. et en fait, c'est l'inverse,
la seule chose dont il s'est occupé, c'est
effectivement de me tripoter quand je l'ai revu. Et
là pour le coup, c'est l'inverse. Je me dis
: et merde! j'ai rien eu. Il ne m'a pas achetée,
dans le truc. Donc du coup je me dis : voilà!
C'était devenu : si on me tripatouille, si
on me touche, ben il faut qu'on paye. Au minimum,
il faut ça. C'est un miroir.
Lise : En vous écoutant,
en écoutant Virginie en dernier, je me dis
que parfois je dépense, je fais… parfois
un voyage… c'est pas les livres, moi j'ai dépensé,
c'est parfois un voyage. Mais toujours avec le CE,
donc c'est moins cher. Et comme c'est e fonction de
l'avis d'imposition, je suis toujours en zone 3, en
tranche 3, donc je paie 60 % moins cher. Je calcule
toujours comme ça. Alors je fais des…
c'est comme ça que j'ai fait quelques pays.
Mais l'argent que j'ai économisé, après,
je le donne, sous une forme ou une autre. Et quand
j'ai beaucoup dépensé, même quand
j'ai fait des cadeaux, ou que j'ai donné à
des œuvres, ça m'arrive. Et bien à
ce moment là, c'est là où ce
que j'ai entendu me fait revenir ; j'économise,
j'essaie en tous cas d'économiser, de récupérer,
à hauteur de ce que j'ai dépensé,
par rapport à la nourriture. Je dis : non,
aujourd'hui, je n'achète pas ça…
je dis j'ai assez, je peux manger avec ça…
et petit à petit, je me dis "j'ai au moins
récupéré la moitié de
ce que j'ai versé". Il y a quelque chose
de la récupération, quelque part. je
dois dire que je le fais beaucoup plus depuis que
je suis à la retraite. Mais quand même,
c'est un réflexe. Je fonctionne…
Nathan : alors par rapport à
l'argent… toute l'histoire incestueuse est ressortie
très très tard, et a duré assez
longtemps, avec mes parents qui verrouillaient tout
avec de l'argent comme ciment. Et du coup, je vois
que les enfants, nous, on a une sorte de joie à
faire dépenser mes parents. Mais c'est pas
de l'argent, en fait. C'était important qu'ils
gagnent de l'argent, qu'ils mettent de l'argent de
côté, à un moment où ils
auraient pu faire attention à d'autres choses,
prendre du temps pour d'autres choses ; être
attentifs, être présents, être
responsables. Mais ils ont choisi de prendre ce temps
là pour gagner de l'argent. Et du coup, le
fruit de leur travail, dont ils ont l'usage aujourd'hui,
c'est comme le fruit de l'inattention. A un certain
moment, il y a presqu'une joie à le faire dilapider.
Mais c'est presque plus de l'argent, quoi. C'est du
temps, de l'attention… comme s'il y avait différentes
saveurs d'argent. Gaspiller… quand je vois des
gens gaspiller de l'argent, au sens bête, pas
au sens maladroit ; au sens où ça blesse
des personnes… ça me met hors de moi,
mais j'ai presqu'une joie à faire gaspiller
mes parents.
Le psychologue : On va s'arrêter
là parce que le temps qu'on s'était
donné pour le premier sous-thème est
terminé. On peut faire la pause maintenant,
et les deux sous-thèmes à la suite,
ou bien on fera la pause après le prochain
sous-thème.
(discussion pour voir si
on s'arrête tout de suite ou à la fin
du prochain sous-thème, et pause…)
3) Quel rapport financier avec un
psy, et pourquoi payer ma thérapie ?
Le
psychologue : je vous propose de passer au deuxième
sous-thème, qui est intitulé de la manière
suivante : quel rapport financier avec un psy ? et
pourquoi payer ma thérapie ?
Virginie : moi je commence, mais
je m'arrête après. Je suis entièrement
contre. Je suis désolée, je suis contre.
On a le droit d'avoir en France, et dans le monde,
un rein malade et c'est remboursé par la sécu
; on ne paye pas d'être malade. Alors je suis
désolée, quand on a un truc qui débloque
dans la tête, c'est vachement plus compliqué
qu'un rein, je ne vois pas pourquoi ça ne débloquerait
pas. Que ce soit lié à un psycho-traumatisme
incestueux ou à je sais pas quoi, on est malade.
On est malade de la tête. C'est pas pour autant
qu'on est fou à lier, la preuve. Donc hors
de question de payer. Hors de question. Ou alors,
on paye les reins malades. Alors l'histoire de Freud,
machin, il faut payer pour être motivé,
etc. ben dans ces cas là, c'est pareil. Les
cancéreux, on sait qu'il y a une grande part
psychologique dans leur guérison qui joue,
alors dans ces cas là, pourquoi on les ferait
pas payer aussi pour qu'ils soient motivés
pour guérir ? Il n'y a rien qui tienne la route
dans cette logique, je ne vois pas ; il n'y a pas
à payer. En plus, quand on s'est fait violer,
c'est pas de notre faute, je ne vois pas en plus pourquoi
on paierait. Même sans viol… être
malade de la tête, il n'y a pas à payer.
Point barre. Rien que d'y penser ça m'énerve.
Le psy, c'est un médecin, il est là
pour nous aider, on paye nos cotisations à
la sécu, ça doit être remboursé.
Et sinon, moi, je le vois comme une pute, le psy.
S'il se fait payer… pourquoi pas lui faire une
pipe, c'est n'importe quoi, je ne suis pas d'accord.
D'ailleurs l'argent, pour moi, est relativement sexuel,
effectivement. Moi, quand je paie mon psy, je me sens
mal. Lui filer ces billets… en plus, quand il
veut du black… ça fait vraiment je lui
laisse l'argent sur la table de nuit! Non!
Delphine : et alors, tu le payes
pas ?
Virginie : je lui fais des chèques.
Déjà, ça va mieux. Je lui fais
des chèques. Je suis contre parece que c'est
un psy qui est intéressé par le pognon,
comme beaucoup, et qui fait du black. Le chèque
passe mieux que l'argent en liquide. Mais je veux
une feuille de maladie.
Nathan : moi, ça me fait
penser… quand même il y a une première
disctinction ; j'ai vu une psychologue, et justement,
ça me faisait un peu bizarre de devoir payer.
Et du coup, je me suis un peu renseigné puis
il y a psychologue / psychiatre, et que psychiatre
est médecin alors que psychologue ne l'est
pas, et du coup, cette année, c'est psychiatre.
Et du coup, c'est remboursé. Mais au delà
du remboursement ou pas, moi je vois simplement le
fait d'avancer… parce qu'il faut quand même
payer pour se faire rembourser, c'est pas le tiers
payant, etc… moi, c'est assez paradoxal, j'ai
à la fois très envie de faire payer
; c'est à dire que mes parents reconnaissent
une responsabilité et assument l'accompagnement
des conséquences. Et en même temps, je
suis très attaché à une autonomie,
de dire : de toutes façons, maintenant, c'est
ma vie. Et donc même si ça va me coûter,
c'est à moi que ça coûte parce
que c'est moi que ça regarde. Et couper le
lien, couper d'eux. Mais ça peut changer de
semaine en semaine. Une fois j'ai envie qu'on paye,
et une fois j'ai surtout pas envie qu'on paye pour
moi parce que c'est ma vie.
Delphine : parce que c'est pas
toi qui paye, c'est ça ?
Nathan : non, mais simplement
le fait d'avancer de l'argent, par exemple. Qui est
une démarche à laquelle j'ai parfois
envie que mes parents soient associés, en avançant
de l'argent, etc. et parfois j'ai envie que ça
ne les concerne pas du tout.
Delphine : moi je voudrais dire
que je ne suis pas malade, et l'inceste, être
violée pendant des années, c'est pas
une maladie, et ma psy n'est pas médecin, et
d'ailleurs si elle l'était, je n'irais pas.
Je ne vais pas voir une psychiatre mais une psychanalyste.
Et voilà… et je trouve ça normal
de la payer. De payer pour moi, investir quelque chose.
C'est ma part active dans ma vie, de payer pour aller
mieux. Je ne suis pas malade mais c'est sûr
que ça n'allait pas, et que maintenant ça
va mieux. Mais c'est pas une maladie. Do,c je trouve
ça normal de payer. Pour un coup, alors je
fais la distinction dans les sous thèmes :
ça me va de payer cette psychanalyste là,
pour cette relation là, ce travail que je fais
avec cette femme depuis maintenant des années.
Avant, quand j'étais adolescente, puis après…
quand j'avais dix-huit ans, j'en ai vu deux. J'ai
vu une… j'allais dire une connasse… une
psycho je sais pas ce qu'elle était celle-là
; quand j'avais treize ans, quatorze ans. Alors elle,
franchement ça m'arrachait de payer, mais pourtant
j'avais conscience que c'était ma vie, mon
affaire. Donc je faisais le ménage chez nous,
et des baby-sitting, pour me payer une fois par semaine,
c'était cent balles, à l'époque.
Mais vraiment… alors je voulais bien payer pour
ce travail mais lui donner à elle que je trouvais
pathétiquement nulle, alors que vraiment, il
n'y avait aucune relation qui s'établissait,
j'aimais pas ça. Après, j'ai cessé
avec elle, ça a duré deux ans. Après
j'ai vu un homme, un psychanalyste aussi, j'avais
dix-huit ans. Donc lui, pareil, je travaillais et
je le payais. J'ai payé pendant un an et demi,
j'ai jamais dit un seul mot… donc je ne…
j'avais du mal à payer ça, parce que
justement il y avait rien. Mais payer la psychanalyste
avec laquelle je fais une analyse depuis des années,
et qui me sauve la vie, complètement…
ma vie est complètement différente de
ce qu'elle était. Je me sens vraiment tellement
mieux, c'est incommensurable, en fait. Donc là,
là, je trouve ça normal, je trouve qu'elle
mérite plus, en fait. A chaque fois que j'ai
une augmentation, je suis pas loin de lui demander
si elle veut qu'on augmente parce que je trouve que
c'est normal. Cette bonne femme elle m'a sauvé
la vie ; peut-être la vie d'autres gens aussi
mais alors moi, ça me paraît super normal
de la payer. Et je suis bien contente qu'elle ne soit
pas médecin. Parce que justement, ces connards
de médecins qui ont rien vu, rien fait…
et puis je suis pas malade. Voilà…
Bérénice : moi,
j'avais du mal à mesurer l'importance de l'argent
dans mon rapport à la thérapie. Et pour
ce qui est de mesurer l'aspect financier avec un thérapeute
en particulier, tout ce dont je me souviens, c'est
que j'ai toujours peur d'oublier de payer. Et que
ça m'est arrivé de ne pas avoir sur
moi l'argent… parce que elle aussi, elle se
faisait payer en liquide - ce qui me dérangeait,
dans le principe - mais bon, ceci dit, c'était
pas un problème pour moi de le faire, de la
payer en liquide. Et au bout de deux fois, quand j'oubliais,
il m'arrivait de lui rappeler que je lui devais de
l'argent. Mais j'aimais pas ça, en fait. Mais
je me rends compte que j'ai horreur d'être redevable,
et que payer, pour moi, payer un thérapeute,
ça veut dire qu'il y a un échange qui
se met en place, et que ce que je reçois, c'est
normal que je le restitue. C'est comme ça que
je perçois mon rapport financier au thérapeute.
Mais comme pour n'importe quel autre service, c'est
pas spécifique, en fait, à la relation
thérapeutique.
Mireille : ce que je voudrais
partager par rapport à ça… c'est
vrai que c'est pas juste d'avoir à payer dans
la mesure où on a souffert, et finalement,
faut payer toute sa vie pour essayer de s'en sortir
; d'un autre côté, j'ai été
voir des psy assez tardivement, parce que finalement,
c'est quand j'ai pu améliorer mon salaire.
A un moment, je me suis sentie autonome. Au départ
j'étais… enfin, je suis toujours mariée,
et j'ai toujours des enfants mais au départ
j'aurais eu l'impression de prendre l'argent de la
famille. Parce que quand j'étais jeune, c'était
hors de question. Puis aller voir des endroits où
c'était gratuit, j'aurais eu l'impression de
faire une sorte de mendicité. Donc pas payer,
c'était pas mieux que payer. Donc maintenant
je paie, après j'ai payé, donc…
pas mal, à force, c'est vrai que ça
fait cher… si je réfléchis, j'aurais
peut-être pu faire des voyages ou autre chose…
peut-être m'acheter encore plus de livres. Mais
je paie aussi, avec de l'argent, ça me gêne
effectivement un petit peu. Mais par rapport au travail
que je fais, bien je paye, et puis voilà. Et
je suis bien contente de l'avoir fait, de toute façons,
et de continuer à le faire. Parce que ça
m'aide à vivre également. Donc je paie,
et c'est vrai que je trouve que ça fait beaucoup,
ça fait pas mal d'argent qui va ailleurs à
cause d'une souffrance qu'on n'a pas souhaitée.
C'est pas très juste, ça, mais je le
fais quand même : je paye. Et j'aurais eu un
peu honte d'aller dans des centres… il y a bien
des centres où c'est gratuit ; mais non, je
ne suis pas allée là… comme si
je dois quand même payer, malgré tout.
Faut toujours payer. Et si c'est pas ma sœur,
c'est mon psy. Faut que je paye. J'aurais pu aller
dans des endroits où c'était gratuit
mais non, je suis allée là où
il faut payer.
Sidonie : par rapport au premier
thème, ça me fait l'impression à
la fin, qu'il y avait plusieurs sortes d'argent. Parce
que pour moi, payer, ou faire payer, c'est pas forcément
de l'argent, mais au moins, l'argent a l'air d'avoir
plusieurs qualités : il y a l'argent de luxe,
il y a l'argent des pauvres, et puis l'argent du quotidien.
Alors pour moi, la psychanalyse, l'argent du travail,
pour moi ça a été de l'argent
de luxe, vraiment. C'est du luxe de pouvoir se payer
ça. Alors je ne suis plus dans le luxe maintenant,
donc je ne paye plus. Mais il y a eu une époque
de ma vie où j'étais dans une forme
de luxe, c'est à dire après mon premier
divorce, mon premier mari a eu à payer une
pension alimentaire pour moi, qui était assez
conséquente. Immédiatement, bien entendu,
ma famille s'est rappliquée pour me dire que
je n'y avais pas droit. Que c'était pas possible,
que les autres femmes faisaient sans rien, pourquoi
est-ce que moi, j'aurais droit à quelque chose
? donc je devais redonner cet argent à ma mère,
qui elle, la pauvre, n'avait rien etc. Bon, je ne
l'ai pas fait, je ne suis pas maso… n'empêche
que j'ai été très… peut-être
pas coupable, par rapport à cet argent, mais
quand même, je l'ai entièrement redonné
en psychanalyse. Donc j'ai payé ma psychanalyste
pendant des années avec l'argent que je devais
à ma mère, ou que ma mère me
devait. Et le jour où j'ai divorcé de
mon second… le jour où je me suis remariée,
j'avais plus cet argent, j'ai arrêté
mon travail d'analyse, et là, je l'ai repris
à mon compte. Et le reprendre à mon
compte, ça ne pouvait pas aller parce que c'était
trop cher, alors j'ai changé de formule, sous
forme de thérapie, jusqu'à trouver celle
qui me convenait, c'est à dire payée
par ma mutuelle, et ma mutuelle, c'était encore
une fois quelque part lié à ma mère.
Donc j'avais l'impression cette fois ci qu' c'était
gratos, mais que quand même, c'était
sous couvert de ma mère que c'était
payé. Et il n'y a pas si longtemps que ça,
quelques années, où j'ai arrêté,
et où je suis retourné voir cette thérapeute
qui me convenait bien, et où j'ai accepté
de payer de mes petits sous à moi, en liquide.
Et je l'ai fait un ou deux ans, en raclant bien les
fonds les tiroirs, et puis maintenant, j'ai arrêté.
J'ai arrêté, mais j'ai encore une manière
de m'en sortir gratos, c'est à dire que je
téléphone à SOS amitié.
Alors là, j'ai l'impression que j'ai un psy,
pendant une demi heure, une heure, anonyme, que je
ne connais pas, etc. et avec qui je peux faire le
tour de la question et qui me dépanne. Et puis
vous…
Lise : j'ai deux psy qui ont
compté dans ma vie, qui ont compté et
qui m'ont fait compter aussi. Donc la première,
c'est l'analyste, pendant huit ans, à raison
de trois fois par semaine. Moi, je me sentais malade,
et j'étais malade. L'inceste n'est peut-être
pas une maladie, mais m'avait rendue malade. Et j'étais
dans un état tel que je cherchais à
guérir. Je disais, je viens pour guérir…
donc, par suite de recherches, j'ai atterri chez une
analyste qui était neurologue-psychanalyste,
donc qui pouvait faire des feuilles de soin pour le
remboursement. Donc elle le faisait, ma mutuelle remboursait
le complément, ça ne me coûtait
rien au niveau argent. Ça me coûtait
beaucoup de faire ce travail mais… alors je
lui dois à cette analyste de m'avoir fait sauter
l'amnésie de l'inceste, et c'est au bout de
deux semaines avec elle que tout m'est retombé
dessus. Je lui dois ça. Elle me faisait payer
et un jour, je lui ai avoué parce que j'étais
mal avec ça, que la mutuelle me remboursant,
je ne dépensais rien. Elle a dit "si!
Il faut que vous payez" donc, elle m'a dit, vous
allez payer une séance sur deux. Donc j'ai
accepté, mais j'étais complètement…
je la déteste encore à cause de ce calcul
qu'elle m'a fait faire et qu'elle s'est permis de
faire pour elle. Là, j'ai trouvé ça
honteux : si ça coûte pas, on ne vient
pas. J'étais régulière, tout
le temps, mais ça, je la détes…
je la hais encore à cause de ça. Donc
une fois, j'étais malade, ça m'arivait,
des fois j'étais malade, j'avais des maux de
tête, je vomissais. ça commençait
à six heures du matin, et jusqu'au lendemain
matin, c'était toutes les cinq minutes je vomissais.
Je lui ai téléphoné pour lui
dire que je ne pouvais pas venir, que je ne pouvais
pas me déplacer, même le téléphone,
ça me faisait venir… et elle m'a fait
payer cette séance. Elle m'a dit : comme vous
n'étiez pas là, celle-ci, je vous fais
pas de feuille de soin. Et je ne lui ai pas payée
tout de suite, ça a traîné pendant
un mois, et elle ne réclamait pas, mais c'était
une telle pression mentale que j'ai fini par lui payer.
Mais vraiment, avec… quand je lui ai donné
l'argent, c'était un paquet de merde que je
lui donnais. C'était une haine… donc
j'ai arrêté au bout de huit ans. Entre
temps, j'ai vu un psychiatre qui me donnait des médicaments,
donc j'étais vraiment malade… et à
la retraite, j'ai dit, je veux recommencer à
voir une thérapeute. Et à l'aide de
ce psychiatre, j'ai rencontré la thérapeute
actuelle, que j'ai depuis deux ans et demi. Pour moi,
c'est la perfection. Je ne suis pas remboursée
parce qu'elle n'est pas médecin, donc je paye.
Elle m'a fait un prix, c'est pas moi qui lui ai demandé,
mais elle sait que je… que j'ai l'équivalent
du SMIG, à peu près, à la retraite.
Et une fois, je lui ai dit : "mais il faudrait
peut-être que vous augmentiez, c'est pas assez,
vous ne demandez pas assez". Et elle m'a dit
"ce n'est pas votre affaire! C'est la mienne".
Mais elle l'a dit d'un ton péremptoire, et
depuis, je paye en partant, je mets 38 euros, je les
dépose sur son bureau. Je suis un peu gênée
de ne donner que ça, compte tenu de la qualité
de ce qui se passe pour moi. Mais je l'ai tenue au
courant de l'histoire de la poste, là, que
je m'étais fait avoir avec le conseiller, et
j'ai tout à fait l'intention de lui dire, si
je récupère l'argent perdu, de lui dire
: "voilà, j'ai récupéré,
et maintenant, je pourrai vous payer plus raisonnablement".
Voilà, deux relations de psy, et deux relations
avec l'argent. Je trouve encore honteux la façon
dont l'analyste, la médecin, m'a traitée.
Delphine : je peux poser une
question ? c'est donc bien dans le rapport à
l'un et à l'autre des thérapeutes que
ça s'est joué la question de l'argent.
Pas par rapport au travail mais par rapport à
ce qui s'est mis en place avec l'un et avec l'autre
?
Lise : Oui.
Delphine : Oui mais parce que
du coup, là tu payes plus que ce que tu payais
avec l'autre…
Lise : ah non, je paye moins.
En huit ans, elle ne m'a augmentée qu'une fois,
et le jour où… c'est vrai qu'elle ne
me prenait pas beaucoup non plus mais… c'était
à l'époque, c'était encore en
francs, c'était 250 francs. Et elle m'augmente
une seule fois.
Delphine : oui, donc tu paies
pareil. Ce que je vois, c'est que tu paies pareil,
sauf que là tu la trouves formidable et donc
ça ne te gêne pas de ne pas être
remboursée, et l'autre, tu dis "je la
détestais pour ça" donc c'est vraiment
dans la relation que…
Lise : oui, je pense, je pense
que sur les huit ans… que j'aurais dû
arrêter au bout de quatre ans. Donc mon rapport
à l'argent… mais il y avait surtout cette
histoire de faire payer. Et ça, c'est lié
à Freud : il faut que ça coûte.
Et moi, ça m'a toujours coûtée.
Enfin, c'est le contraire de ce que je disais l'autre
jour… ça coûte forcément,
quand on paye.
Delphine : mais qu'est ce qui
fait que ça ne te dérange pas de payer
avec elle ?
Lise : ben d'abord, parce qu'elle
était pleine d'attention en ne me demandant
au départ que… en acceptant de me prendre
en charge avec cette somme. Parce qu'apparemment,
les tarifs sont… et puis je suis bien avec elle,
il y a des choses qui se passent avec elle.
Virginie : je voulais préciser,
par rapport à ça, c'est que l'histoire
du psy, je ne le vois pas comme une espèce
de rapport interrelationnel : elle m'aide, elle m'a
sauvé la vie, etc. je vois… le problème,
c'est l'inceste en général. J'en veux
tellement à la société toute
entière de ne pas prévenir ces conséquences
là, de ne pas soigner les gens, de ne pas afficher
partout sur les murs qu'il y a une gamine sur dix
qui se fait violer, de ne pas prendre en charge ce
syndrome là : je considère que la société
est coupable. Si la société est coupable,
parce que c'est des actes, et les conséquences
sont pas loin de la maladie, pour certains cas ; il
y a des gens qui deviennent tarés, qu'on soigne
avec des molécules. Donc pour moi, la société
étant coupable, c'est la sécu qui doit
payer. Je ne remets pas en cause… donc la sécu…
qui dit sécu dit médecin… c'est
sûr, on peut tomber sur des psychologues qui
vont être plus efficaces que des psychiatres,
malheureusement. Et bon, les psychologues, peut être
que si on imagine une société où
les psychologues qui aident les gens seraient dans
une espèce de système de sécu.
Je ne sais pas : trouver un système pour que
de toutes façons, dans la société,
il y ait cette notion que la société
a produit les victimes, ces victimes là doivent
être prises en charge. Comme quand il y a un
tremblement de terre et qu'il y a une cellule psychologique
gratuite, et tout le monde trouve ça normal.
Alors que là, on ne trouve pas ça normal.
On nous fout dans un rapport interrelationnel avec
Freud qui était complètement à
la masse, qui à l'époque soignait des
névrosés, qu'avait pas vu qu'il y avait
un problème d'inceste dans sa société
et puis on était dans une société
où la famille était forte. Il a mis
en place ce système pour des névroses,
effectivement, je le conçois. Dans les conséquences
du psycho-traumatisme, on est très loin de
la névrose, on est dans d'autres domaines où
le truc de Freud ne marche plus. Je ne suis pas d'accord
qu'on ait à payer ça. Je sais pas, c'est
un truc politique. Encore que dans l'interrelationnel,
mais si, c'est vrai que ils doivent bien gagner leur
vie. Effectivement, je le conçois, moi je fais
des prestations, je me fais payer. Mais cet interrelationnel
là est un interrelationnel d'aide. C'est comme
si j'avais une amie qui me donnait… ça
m'est arrivé parfois d'avoir des amis qui me
donnent des conseils nettement plus avisés
que mon psy, et c'est comme si ils me donnaient un
paiement après. C'est normal d'aider. Moi,
je trouve que c'est normal d'aider. Ce qui ne va pas,
c'est le statut de psychologue qui est obligé
de gagner sa vie sur le dos et la souffrance de…
enfin, quelque chose que j'arrive pas à exprimer
mais ça me paraît anormal. A partir du
moment où on aide quelqu'un, on peut soutenir
quelqu'un pendant des années parce qu'il va
mal, on va pas le faire payer. C'est ce métier
qui est bizarre. C'est un métier d'aide. Dans
tous les métiers d'aide, il y a des bénévoles
; pas des bénévoles mais des gens qui
sont payés pour aider, bah ils sont payés
par l'Etat. Ce truc de psy est très particulier.
On a l'air de considérer qu'on est dans un
espèce de rapport… je ne sais pas comment
l'exprimer ; c'est daté, il y a tout à
revoir là-dessus. On n'a pas à payer.
On a été cassé, fracassé,
abusé, violé ; au même titre que
des gens qui ont reçu un toit sur la gueule
parce qu'il y a eu un tremblement de terre, non! Il
devrait y avoir un système d'assurance, quelque
chose.
Bérénice : Au Québec,
l'inceste est considéré comme un crime
contre la société, et pas contre la
personne. La personne est témoin du crime qu'elle
a subi.
Delphine : Tu veux dire pas victime
?
Bérénice : Oui.
Virginie : et payer son psy,
c'est continuer à être victime toute
sa vie. Alors qu'ils doivent gagner leur vie, je le
conçois, je veux dire… mais c'est pas
contre nous qu'il faut se tourner. Les psychologues,
les psychiatres et tout ça devraient faire
des manifs et se tourner contre l'Etat et dire : "voilà,
nous, on aide les gens, on leur sauve la vie, il devrait
y avoir un système ; on fait qu'on vous fait
économiser de l'argent parce qu'entre ceux
qui se tuent, ceux qui se droguent, ceux qui se font
du mal, ceux qui font du mal aux autres, etc. on économise
de l'argent. Il y a un calcul à faire."
Donc cet argent, il va être économisé
pour éviter que derrière, il y ait les
conséquences qu'on connaît. C'est tout.
Sidonie : J'ai une réaction,
mais qu'est complètement… dés
qu'on me parle d'Etat, et que ça pourrait quelque
part être l'Etat qui pourrait avoir à
gérer mon amélioration ; pour moi, immédiatement,
je suis en abus de pouvoir et l'Etat pour moi est
un violeur. L'Etat, pour moi, c'est un homme, il a
le pouvoir sur moi, c'est un violeur, je n'en veux
pas. Donc c'est immédiat. Toute personne qui
a un quelconque pouvoir sur moi, y compris me passer
une petite cuiller, d'une certaine manière,
je considère ça - à toute petite
dose mais - comme un abus de pouvoir. Et confier à
quelqu'un qui a plus de pouvoir que moi mon bien-être,
mais alors là, c'est terminé. Plus jamais,
jamais! Jamais! Jamais! Plutôt crever que d'avoir
quelqu'un qui… ha non! Ça!
Nathan : Par rapport à payer le soin, en général,
ou le soin psychologique ; en médecine chinoise,
on paie régulièrement quelqu'un qui…
une sorte de consultant santé, et on ne le
paie pas quand on est malade, parce qu'il a échoué.
C'est assez particulier de payer quelqu'un quand on
ne va pas bien ; ça veut dire qu'il y a échec.
On voit bien dans le monde professionnel ou ailleurs
que quand il y a échec, on réclame,
on ne paie pas, on fait des procès, etc. au-delà
de l'aspect psychologique, je trouverais normal de
payer… c'est un peu extrême comme analogie
peut-être mais je trouverais normal de payer
l'entretien de son véhicule mais on râle
quand l'entretien n'a pas été bien fait
et que c'est tombé en panne. Notamment par
rapport à la santé psychique, il y a
quelque chose qui frappe, c'est que c'est dans les
pratiques courantes d'aller tous les trois, six mois,
un an, chez le dentiste pour vérifier que tout
va bien, que les choses sont à peu près
saines, et par rapport à la santé psychique,
c'est attendre que ça craque pour faire quelque
chose. Et par exemple, par rapport à la prévention
; chez les enfants, on prend pas en compte la santé
psychique d'un enfant tant qu'il n'y a pas quelque
chose qui craque, qui visiblement ne va pas bien.
Et du coup on fait payer quand ça ne va pas.
Alors que si on payait pour voir si dans le développement
psychique, c'est relativement équilibré,
c'est pas trop mal, à ce moment là,
on peut légitimement dire à la personne
qui suit : il y a échec ou pas.
Regane : Moi, je me suis présentée
devant mon premier psy, payer ne me faisait ni chaud
ni froid. De toutes façons, c'était
la période où je payais même les
aditions quand on était à plusieurs,
des choses comme ça. Alors ce qu'a dit Freud
comme quoi si on ne paie pas, c'est pas efficace,
ça ne servait à rien du tout. C'était
complètement inutile. Ça n'existait
pas du tout comme principe dans ma tête. Après
je me suis rattrapée : j'ai vu une psychologue,
je crois que c'était dans un truc comme un
dispensaire, et ça, je n'ai pas payé.
Et puis bon, ça va, ça a plutôt
assez bien marché. Maintenant, de payer, je
l'inclus dans mes dépenses. Ça ne me
pose as de…pour la personne que je vois en ce
moment, ça va. Mais au début j'ai eu
du mal. Je me sentais lésée, je ne sais
pas pourquoi, d'ailleurs. Peut-être parce que
là j'ai un bon retour, j'ai des choses comme
ça en échange ; peut-être aussi
que… j'en sais rien du tout en fait, pourquoi,
mais là, ça ne me dérange pas
du tout. Par contre, je ne pense pas que je le laisserais
me mettre plusieurs rendez-vous, plus que ce que je
veux, ou quoi que ce soit ; voilà.
Lise :C'est peut être un
peu plus une généralité mais
il y a quelque chose toujours qui me frustre, c'est
que certains psy prennent… il n'y a pas de tarifs.
Il n'y a pas première, deuxième, troisième,
comme chez les …. Je ne sais pas comment ça
s'appelle. Les psy demandent en fonction de ce qu'ils
s'estiment eux-mêmes. Ils peuvent demander mille
balles, c'est l'équivalent de cent cinquante
euros. Et ça, je trouve ça inadmissible,
c'est comme ci en payant plus, ils soignent mieux
? ou bien est-ce que c'est à cause de leur
notoriété seulement qu'ils demandent
cent cinquante ou même deux cents euros. Et
ça je trouve, c'est estimer la personne qui
demande du soin… je ne sais pas ; il y a quelque
chose que je ne tolère pas.
Virginie : je voulais rajouter
que par rapport aux psy, eux-mêmes, qui estiment
combien le patient peut payer, ça part d'un
bon sentiment, certes, pourquoi pas…. Et encore
c'est parce qu'il y a quelque chose qui ne va pas
dans notre société mais j'arrête
là… et aussi, c'est une espèce
de toute puissance. De quel droit ? Quand on estime,
quand on doit payer nos impôts, on nous demande
tout un relevé détaillé, des
preuves, quoi. Là, je ne sais pas : vous êtes
étudiant, vous êtes ci, vous êtes
ça, j'estime que… le pire des cas que
j'ai connu, c'est un patient ; un mec que j'ai envoyé
chez un psy, le mien, d'ailleurs… alors lui,
il estimait que ce mec était dans la drogue
jusqu'au cou, et donc payait des doses phénoménales
de cocaïne tous les jours, et donc lui a estimé
qu'il pouvait se les payer. Et donc lui, il voulait
se faire payer… c'est ce que j'ai compris. Il
était en train de se foutre en l'air avec le
la coke, et l'autre a estimé que donc pour
le coup, il avait de l'argent et… il y a quelque
chose que je n'arrive pas à comprendre. Quand
quelqu'un est prêt à payer de telles
sommes pour se foutre en l'air, et ben l'autre estimait…
il est mort d'une overdose, depuis ; et lui avait
carrément demandé par séance
le prix d'une dose. Il lui avait demandé combien
coûte le gramme, et il lui échangeait.
C'est pas le seul cas que je connais. J'ai connu un
autre cas d'addiction où le psy s'estime devoir
considérer que le prix de la souffrance fait
que on peut payer le prix de encore plus de souffrance.
C'est pas de la faute du psy, faut bien qu'ils vivent,
je le redis encore. Mais il y a quelque chose qui
ne va pas.
Lise : on peut penser aussi que
le psy, c'est lui qui estime, et c'est pas de sa faute
mais c'est quand même lui qui a décidé.
Là, c'est la toute puissance du psy. Déjà,
il a une certaine puissance parce que quand on est
malade et qu'on se présente à lui, on
peut très bien être bien soigné
mais on peut très bien aussi être sous
son influence et tout… donc… je trouve
que… quels sont ses critères pour dire
: je demande tant.
Regane : moi je veux payer le
prix affiché : ni plus, ni moins. Plus, j'ai
l'impression qu'on veut m'arnaquer, et c'est pas possible,
je ne supporte pas. Et d'ailleurs quand j'ai repris
contact avec les psy pour essayer de savoir, j'ai
osé par téléphone demander le
prix de la séance à chaque fois, pour
essayer de trouver un nouveau psy. La dernière
fois que je l'ai fait, j'ai demandé le prix
par téléphone. J'étais pas à
l'aise mais je me suis quand même posé
la règle. Juste après, je disais : vous
voulez en liquide ou en chèque, histoire de
faire genre de cacher la question précédente.
Mais je l'ai demandé, parce qu'il n'était
pas question que j'arrive et qu'il fasse en fonction
de son jugement. Et voilà.
Delphine : ce que j'entends là
à propos des psy et de leur toute puissance
à évaluer combien ils vont demander
et tout ça ; moi je le vis de façon
extrêmement brutale avec les spécialistes
en médecine. Je suis allée voir - pas
deux fois, d'ailleurs - une fois une dentiste pour
faire un détartrage. Je suis tombée
sur une espèce de bonne femme qui me dit :
"oh! Faut tout refaire toutes vos dents, ouh
la! La!, faut au moins caler ça sur dix rendez-vous.
J'étais sciée, j'étais là
juste pour mon détartrage. Je suis allée
voir un autre dentiste qui a dit : "ben non,
tout va bien". Et une autre expérience
qui m'a vraiment fâchée, contrariée,
c'est quand je suis allée voir une neurologue.
Avant, j'étais un peu allée voir un
neurologue à la Pitié-Salpétrière
pour les migraines. Parce que maintenant c'est les
neurologues qui ont des médicaments pour soulager
la migraine, et j'en avais pris un petit peu, puis
après plus. Et puis il y a tellement monde
qu'a la migraine qu'à Lariboisière,
ils ont fermé la consultation ; à la
Pitié aussi. Il y avait d'abord six mois d'attente
pour les rdv, et puis après, ils ont carrément
fermé la consultation. Résultat, ils
renvoyaient sur le privé. Je suis allée
voir sur leurs conseils une neurologue spécialiste,
pas super loin de chez moi ; et alors là, c'est
le pouvoir total. La bonne femme… c'était
90 euros la consultation, pour me prescrire le médicament
et pour me poser même pas trois questions et
me dire "oui, je pense que vous avez la migraine".
Mais quel abus! De tout! 90 euros remboursés
que dalle, parce que c'est aussi plafonné à
des trucs de remboursement de spécialistes.
Et là j'ai trouvé que le rapport entre
ce que je gagnais et ce que je lui donnais était
tout à fait en ma défaveur, ce que je
n'ai jamais éprouvé avec la psychanalyste
avec laquelle je fais ce travail. J'ai trouvé
que sur le coup, les professionnels de la santé
ne se gênent pas non plus pour établir
les barèmes qu'ils veulent, les prix de consultation
qu'ils veulent. Et encore elle a dit : c'est 90 euros,
c'est une simple consultation. Je ne sais pas ce que
c'est quand elle fait autre chose.
Sidonie : oui, moi je ressens
un grand soulagement en ce moment ; il me semble que
ça arépondu à une de mes questions,
si on va voir quelqu'un et qu'on se fait arnaquer
parce que c'était la première fois,
parce qu'on t'annonce le prix ; et bien : tu vas voir
ailleurs. Que ce soit un psy, un dentiste… sauf
si tu as eu un accrochage psychologique, et alors
là, ben on est près à payer.
Quand on est amoureux… on y met le prix si on
veut que ça dure. Et puis c'est tout. Et puis
le jour où tu peux plus payer, ben t'arrêtes.
Lise : je voudrais rajouter ;
avec l'analyste, au bout de quelque temps, j'aurais
voulu arrêter avec elle, parce que sa façon
de me faire payer tout ; et je me suis crue obligée
de continuer. C'est peut être ambigu ce que
je raconte, mais j'arrivais pas à dire non.
Mais mes hésitations, c'était dû
aussi à cette façon de me faire payer.
Virginie : le fait est que ce
que disait à l'instant Delphine, c'est que
effectivement, quand on voit que visiblement un spécialiste
nous arnaque, en général on réagit
assez vite. Le truc vicieux avec la psychanalyse,
c'est que de toutes façons on part coupable.
Elle a raison, on a beaucoup de mal à partir
; on est pris dans une relation, ils arrivent à
nous foutre dans la tête que c'est comme ça
que ça doit se passer, entre Freud l'a dit
et machin. Et en général, on sent, on
débarrasse beaucoup plus difficilement, alors
ça crêve les yeux que quand un garagiste
ou un neurologue nous arnaque, on se tire en général.
Là, il y a quelque chose qui est difficile
parce qu'on considère qu'on doit payer pour
la souffrance.
Bérénice : moi,
il y a quelque chose qui me dépasse là-dedans,
c'est que j'arrive pas à ce raisonnement pour
moi mais j'imagine toutes les personnes qui n'ont
pas les moyens de se payer une psy et qui sont obligées
d'aller en CMP, et là, je trouve qu'il y a
un problème. Je trouve que c'est grave que
ce système ne permette de soigner que des gens
qui en ont les moyens.
Lise : j'ai travaillé
en CMP, et il y avait aussi de bons psy en CMP. Il
y en avait des moins bons, mais ça, c'est un
problème de société aussi. Je
réagis parce que j'ai vu aussi des gens très
bien.
Regane : je voudrais rajouter
que si je paie en dessous du prix affiché,
ben je vais me setir menacée. Je m'attendrais
à ce qu'il y ait un revers quelque part, ou
quoi que ce soit, et puis ça va déclencher
un besoin chez moi de combler cet écart, c'est
bizarre, tout ça. Moins cher, j'ai l'impression
qu'on va me piéger. Plus cher, ben on me piège
aussi.
Le psychologue : merci. Est-ce
que quelqu'un veut ajouter quelque chose ? Alors nous
faisons une pause de dix minutes.
(…) Pendant la
pause, Lise raconte sa première rencontre avec
sa première psy, qui lui a dit au bout d'un
quart d'heure : "faites plutôt du yoga,
je ne peux pas vous prendre". Et puis Lise s'est
mise à pleurer, parce que c'est insupportable.
Et au moment de se lever, elle lui dit "écoutez,
je vous redonne un rendez-vous", et Lise est
revenue. Delphine demande si elle l'a détestée
tout de suite, et Lise répond que oui, le fait
qu'elle dise "je ne peux pas vous prendre".
Sidonie fait remarquer que la psy l'a jetée
et qu'elle y est retournée. Chacun y va de
son commentaire, faisant remarquer qu'on fait en général
en fonction de ce qu'on peut faire, et que si on est
soumis, si ça fait mal, on fait ce qu'on peut.
Et il y a aussi la question de la présentation…
si on présente bien, si on n'a pas l'air de
souffrir, alors les psy se demandent ce qu'on vient
faire chez eux. Mireille fait remarquer qu'on ne sait
pas trop ce que ça veut dire, être malade,
ou avoir l'air malade, et que là, ce qui compte,
c'est ce que Lise y mettait. Tout le monde s'accorde
que c'est bizarre, et puis que les psy ne sont pas
tous bons.
4) Ce que me coute la demande de
rétribution de mon travail
Le psychologue : je vous propose
d'attaquer le troisième sous-thème,
intitulé "ce que me coûte la demande
de rétribution de mon travail". Ça
concerne donc aussi bien les logiques de demande d'augmentation,
que pour les gens qui sont indépendants, d'évaluer
et de se faire rétribuer le travail qui est
le leur. Ou même, dans des logiques, quand on
est à la recherche d'un emploi ou qu'on va
se présenter pour un emploi, où on vous
demande d'évaluer le salaire qui est le plus
en adéquation avec le travail qu'on va
vous demander et les compétences qui sont les
vôtres.
Bérénice : c'est
dur. Je me rends compte qu'il faut vraiment que je
sois dans un bon jour pour aborder le sujet avec mon
employeur. Déjà, demander une augmentation,
je peux avoir le sentiment que c'est juste, mais je
me rends compte qu'il faut que j'ai précédemment,
que les jours précédents, j'ai fourni
une quantité de travail qui ait justifié
le fait de demander quelque chose. C'est vraiment
pas facile à négocier. Je préfère
vraiment partir si ça va pas, ou si j'estime
que je vais essuyer un non ; je préfère
partir par anticipation, plutôt que d'avoir
à demander quelque chose et négocier
un prix plus fort ailleurs. Dans une situation neuve,
c'est possible, mais dans une situation existante,
où il va y avoir prise en compte d'éléments,
d'interactions, je préfère négocier…
Mireille : il n'y a pas de souci
puisque je suis dans l'éducation nationale,
je suis payée, donc, j'ai été
augmentée par les concours, par l'ancienneté,
ça s'est fait tout seul. De temps en temps
faut faire un dossier et puis on attend, et parfois
c'est oui, parfois c'est non, mais si c'est non, c'est
l'année d'après. Enfin ça s'est
bien passé par rapport à ça.
Je voudrais donner un autre exemple que je vis ; parce
que je suis dans l'enseignement privé sous
contrat, il y a des comités d'entreprise. Donc
je suis au comité d'entreprise depuis…
enfin, j'y suis, j'y suis pas, mais enfin, on a le
droit d'être rétribuée…
il y a des heures de délégations payées
par l'employeur. Hé bien, et là, c'est
du bénévolat. Enfin, je l'ai fait en
bénévolat alors que je peux être
payée si je le demande. Mais c'est vrai que
si je ne demande rien, on ne me paie pas. Alors qu'en
fait, l'employeur, s'il applique la loi, il doit payer.
C'est prévu comme ça. Donc j'ai mis
pas mal d'années, j'ai une collègue
avant moi qui avait fini par obtenir ce paiement.
Moi, j'avais fini par me décider ; j'ai fait
souvent des lettres de demande, et puis je les gardais
pour moi, et puis un jour, j'ai fini par le faire.
Donc au départ, cet employeur, il joue un peu
à cache-cache. Donc j'avais pas de réponse,
et puis finalement, la réponse, je l'ai eue
quand j'ai mis une copie à l'inspection du
travail. Donc là j'ai pu être payée
un petit peu. Mais disons que pour toutes les années
où j'ai fait ce travail bénévolement,
je demande presque rien. Donc là je me dis,
est-ce que… il y a cinq ans ; j'ai le droit
de demander une rétro-action pour les cinq
ans ; je ne l'ai pas fait encore. Il faudrait que
je le fasse, je pourrais le faire. Mais à chaque
fois, c'est très très difficile. Comme
si j'allais… oui, une fois, j'ai demandé,
un jour où justement il y avait l'étude
des colles de l'établissement, où justement
je ne comprends pas grand chose par rapport à
l'argent, mais ça ne fait rien, ça a
le mérite d'être présenté
et puis je ne suis pas seule, et donc il avait pris
ça en disant : "oui, ça va être
trop cher". Il avait dit : "oui, de toutes
façons, vous les aurez, mais si l'établissement
est en difficulté, ce sera de votre faute et
je le ferai savoir". Bon, et ça s'est
stoppé là et après j'ai écrit
à l'inspection du travail et ça a été
payé, et maintenant il ne dit plus rien. Mais
faut à chaque fois que je demande. Et je dois
demander, et c'est difficile pour moi.
Delphine : pourquoi ?
Mireille : pourquoi ? si je savais
répondre. C'est pas une œuvre de bienfaisance
que je fais. C'est pas… je ne sais pas. Comme
si quelque part… pourtant j'y passe du temps
à cette histoire. C'est du travail, c'est du
boulot… mais pourquoi, pourquoi… c'est
une difficulté de demander en général.
Pas seulement de l'argent, en fait… Là,
je demande de l'argent, mais c'est le fait de demander.
Faut jamais demander, faut jamais rien… c'est
ça qui reste du passé. Ne rien dire,
ne pas poser de questions, de quoi tu te mêles
; en quoi ça te regardes… donc heureusement
que j'ai un travail qui n'a pas nécessité…
enfin, c'est peut-être pas par hasard que je
me suis retrouvée là. Pour mon boulot,
c'est un certain confort parce que j'ai rien à
demander, en fait. L'avancée se fait. Donc
c'est cette sécurité là que j'apprécie.
Et heureusement que j'ai pas fait un autre boulot,
j'aurais peut-être pas été capable
d'en faire un autre. Enfin bon, on en sait rien.
Lise : oui, moi, je veux dire
aussi que j'ai choisi la même option, c'est
à dire de ne jamais avoir à demander
parce que lorsque j'ai commencé ma vie professionnelle,
je faisais du dessin, comme j'habitais Lyon, le mieux,
c'était d'aller faire pour des grands soyeux
lyonnais, de faire des tissus, de faire des models.
Et très rapidement, je me suis rendue compte
que quand je m'amenais avec mon grand carton à
dessin, j'avais le droit à la main au cul etc.
et que je ne pouvais faire mes dessins que si j'y
passais toujours dans le rapport de pouvoir. J'ai
tout de suite compris que ça, je ne pourrais
pas, donc j'ai tout de suite laissé tomber
et je me suis dirigée vers l'enseignement pour
être sûre que je n'aurais jamais à
monnayer pour être payer parce que j'aurais
à être payée d'une autre manière.
Je crois pas que je me sois retrouvée dans
n'importe quelle situation de ma vie avec des hommes
qui avaient le pouvoir sur moi sans qu'ils demandent
la main au cul. Qu'ils soient avocats, c'est terrible,
il n'y avait pas moyen. Donc, j'y ai échappé,
et j'ai fait ma carrière comme ça, tranquille,
à l'avancement. Ça y est, je suis à
la retraite, j'ai ma sécurité, j'ai
ma base, qui ne revient qu'à moi. C'est de
l'argent qui n'est pas de l'argent pauvre comme mes
parents, comme de la misère, comme de la prostitution,
c'est de l'argent moyen. Pour moi, c'est une idée
du moyen. Maintenant, c'est vrai que j'ai un petit
désir qui serait d'avoir de l'argent de luxe.
Alors l'argent de luxe, maintenant, pour moi, je fais
de la peinture et mon luxe, c'est de vendre mes tableaux.
Et ça, la vente de mes tableaux, ça
c'est mon argent de luxe. Alors comment s'estimer
? me revoilà à la case départ…
c'est à dire est-ce que je vends mes tableaux
au prix… à quel prix je m'estime pour
les vendre ? quelles sont les références,
etc… je crois que j'arrive à m'y retrouver
maintenant. Je ne suis pas dans la référence
de luxe, je ne suis pas dans la référence
de pauvre, je veux un argent de luxe, moyen. Et puis
si je ne l'ai pas, tant pis, puisque j'ai ma base.
C'est simplement un luxe. Ça, c'est situé
par rapport à moi. Moi, où je me situe,
je n'ai pas peur, je ne solde pas, je ne vais pas
taper dans le luxe parce que c'est pas la peine je
veux m'estimer à ce prix là. Mais j'estime
que c'est correct qu'il y ait tel prix en dessous
de tel tableau, par rapport aux références
que j'ai. Maintenant il y a un prix auquel j'ai du
mal à me faire estimer, et là dessus
je me bas avec un budget juridique, c'est à
dire ma valeur de fille dans la famille. Ma mère
est décédée il y a sept ou huit
ans, je n'ai pas eu ma part de succession, parce que
mon père a préféré toujours
prendre ses intérêts dessus et se garder
sous le coude en le mettant à son nom. J'ai
fait une procédure, je suis toujours en procédure
depuis sept ans contre cet homme qui a maintenant
94 ans. C'est dur de faire une procédure à
un homme de 94 ans qui commence à mal aller
et qui en est en ce moment à me demander de
l'aide. Et moi, je dis, tant qu'il ne m'a pas donné
ma place de fille avec la succession de ma mère
et qu'il se reconnaît mon père en me
donnant ma place de fille : je dis "non!".
Cet argent, je m'en fous, même si je l'ai jamais.
Mais cet argent me revient, il n'est pas à
lui. Il n'a pas à mettre le coude dessus, même
si d'une certaine manière légale, il
continue. C'est ma place, c'est mon prix ; on ne peut
pas… sans que je gueule et que je hurle, on
ne peut pas me le squizzer sans que je dise rien.
Et je vous assure que c'est pas facile, parce que
moi, je suis une bonne fille. Moi, tous les vieux,
je veux bien les aider. Mais là, ça
m'est très dur et je dis non.
Nathan : je voudrais revenir
sur la question du bénévolat, de la
vie associative et du travail bénévole
et du travail professionnel. Moi je débute
tout juste dans la vie active, et par rapport à
(…) mais il est absent. Il a passé son
temps à gagner de l'argent et c'était
son rôle, quitte à le renforcer pour
compenser le fait qu'il n'avait pas les autres rôles
de père. Du coup c'est le rôle attitré,
et du coup, je me suis énormément investi
dans les mouvements associatifs, à faire beaucoup
de chose, à mettre beaucoup d'énergie,
mais comme si j'avais pas le droit, en fait, d'être
payé pour ça. Parce que c'est pas mon
rôle. Et du coup, c'est extrêmement difficile
de dire : "ce que je fais, ça vaut tant
et il faut me le donner". Et c'est assez drôle
parce que dans le concret, j'ai assez de mal à
le voir, à le faire, à le dire. J'ai
l'impression, quand je vais au bureau et que je fais
des choses, que je ne fais rien. Que ce que je fais
ne sert pas à grand chose. Et c'est seulement
en fin de projet, quand je vois les budgets et ce
que ça a rapporté à la boite,
ma part dedans, je me dis… c'est gonflé,
et ça repose quand même beaucoup sur
ce que j'ai fait et… il y a de l'argent qui
va là et pas dans ma poche…et il y a
un problème, quoi. Mais oui, je trouve que
c'est très lié à des questions
de rôles familiaux, des questions de légitimité
de gagner de l'argent par le travail. D'une certaine
manière, ça enlève la protection
de mon père. Si il n'a plus ce rôle là,
il se retrouve face à ses responsabilités,
ses autres responsabilités. Et du coup, j'aurais
touché au bastion… le responsable économique.
Virginie : ben moi j'ai démarré…
dans mon métier… là, je suis graphiste
mais c'est pas un métier, j'ai pas fait d'étude,
je suis tombée dedans un peu au départ
par hasard, parce que j'ai découvert le Mac.
J'ai commencé à bricoler des petits
trucs, et quand je dis bricoler, ça a duré
des années parce qu'en fait, j'avais fondamentalement
l'impression de bricoler et de m'occuper… et
surtout, d'avoir réussi à trouver une
niche parce que j'étais complètement
désinsérée socialement et je
n'aurais pas pu travailler dans un bureau, etc. et
donc j'ai vu mes premières années de
travail, plus de dix ans, comme un espèce d'atelier
protégé qui me servait à…
je sais pas quoi… il n'y avait aucune notion
de travail payant. J'arrivais pas à facturer
ce que je faisais. Au bout d'un moment, j'ai fini
par apprendre. Oui, j'ai appris. Mais j'avais vraiment
l'impression tout le temps d'être un imposteur.
Alors si, mon associé m'obligeait à
facturer, et c'était atroce, ça me foutait
des migraines. Je faisais les factures, je savais
pas quel prix mettre. Je me disais… et quand
j'envoyais la facture, j'avais toujours cette notion
où je me disais : ils vont s'en rendre compte
que je suis… que c'est une imposture. Pour moi,
c'est relié au statut social. Parce que comme
je n'avais pas fait d'études, dans ce sens,
c'était illogique de demander de l'argent pour
ça. Je sais pas pourquoi. Et ça c'est
débloqué connement, c'est qu'un jour,
ils ont eu besoin d'un graphiste dans une agence,
et c'est un copain qui m'a dit : "vas-y!"
faut y aller demain matin, ils sont dans l'urgence,
etc. donc je suis arrivée la peur au ventre
en me disant, je ne sais pas comment… et j'ai
pris un café le matin avant d'arriver là-bas,
j'ai dégueulé dans les chiottes, je
me suis dit : ils vont s'apercevoir que c'est une
imposture totale. Le truc délirant. Evidemment,
il y avait zéro imposture, j'ai fait le boulot
plusieurs fois, je l'ai fait, et à l'époque,
ils ont effectivement trouvé ça normal
de me payer trois mille francs de la journée.
Il a fallu qu'ils me paient une fois, deux fois, que
je revienne, que je me dise "ben non, ils m'ont
payée", et donc c'est trentré dans
ma tête que ça valait tant. Et qu'apparemment,
ils ne s'en faisaient aucun problème. Et ça
m'a… ça a commencé à me
débloquer. Et ensuite j'ai bossé là-bas,
en tant que salariée, pendant quelques mois,
juste le temps de me rendre compte que j'étais
pas adaptable dans le monde du travail parce que je
me suis tirée après. Mais pour le coup,
ça m'a débloquée après,
j'ai acquis un statut. Il y avait marqué :
graphiste ; il y avait marqué : ça coûtait
tant. Et voilà. Je crois que chez moi, c'est
parce que j'ai pas fait les études qui amenaient
là. Ils fallait que ça vienne d'en haut.
Pas l'Etat mais… Quelque chose d'en haut qui
dise : voilà, elle est ça, donc elle
a droit à ça. Mais ça ne pouvait
pas venir de moi. Il fallait que ça vienne
d'une espèce d'autorité. En plus je
suis dans un métier chiant par rapport à
ça à l'idée de me faire payée,
parce que je suis obligée d'évaluer.
Un coup ça peut coûter tant, comme ça
peut coûter tant. Donc j'ai fini par régler
le truc en étant hyper pointilleuse sur le
travail que je rends. Et là, quand on me dit
qu'on est content de mon travail, je peux, ça
me va. J'aurais jamais pu travailler pour des sociétés
d'aide, puisque vous l'aurez compris, l'aide ne se
paie pas. Mais comme c'est pour des sociétés
qui engrangent de l'argent et que je suis dans la
pub et que ça les aide à rentrer de
l'argent, je considère que j'ai ma part.
Lise : bravo! Si!
Delphine : moi je ne suis pas
capable. J'ai jamais été capable de
discuter d'argent, ça me dégoûte.
Je ne peux pas en parler dans les rapports professionnels.
Je ne suis pas non plus fonctionnaire par hasard ;
c'est pas la raison qui m'a incitée à
passer des concours mais je trouve ça très
rassurant de ne jamais avoir à parler d'argent.
Concours, dossier, ok, mais jamais on n'a à
aborder ces choses là. Même les choses
que j'ai fait à côté, ou e plus,
une charge de cours, ou quelque chose comme ça,
ça rentre toujours dans des cases, on n'a pas
à discuter d'argent. Je ne peux pas avoir de
négociation d'argent, d'aucune sorte. C'est
comme les blagues scatologiques ou les réflexions
comme ça. Ben l'argent, c'est comme le caca,
je trouve ça aussi inapproprié d'en
parler. Alors c'est bien, fonctionnaire.
Bérénice : je trouve
que c'est facile de dire : un café, ça
coûte tant, un coka cola, un orangina, tout
ça… mais qu'est-ce que je vaux, moi ?
ce qui me vient, c'est le doute. C'est plutôt
que je me dis : comment l'autre apprécie ce
que je fais ? j'ai du mal à me positionner
moi, de façon objective. Mon travail. C'est
une sorte de vide à ce niveau là, qui
est… et alors c'est très difficile de
demander aux autres combien ils gagnent, aussi, pour
pouvoir aussi se positionner à peu près
justement dans un marché. Il m'est arrivé
quelques fois de donner des cours, en plus d'être
salarié. Etre salariée, en fait, c'est
pas très compliqué. Quand même,
ça peut s'évaluer et se relativiser
assez facilement mais donner des cours, et donner
un prix, c'est pas évident. Je crois que je
n'ai pas envie de savoir comment faire. Il y a aussi
quelque chose de l'ordre du refus d'aborder ces choses
là. C'est pas du dégoût, c'est
une absence, plutôt.
Virginie : je voudrais rajouter
aussi que par rapport à ça, en fait,
l'idée, c'est que quand on travaille, on produit
quelque chose de l'ordre des neurones, de la cogitation,
le résultat d'études, etc. et on est
fondamentalement positionné comme sujet capable
de raisonner et de produire. Mais en tous cas, ça
reste au niveau de la tête. Mais par contre,
autant j'ai eu du mal à me dire que je pouvais
produire quelque chose en réfléchissant,
et être payée pour ça, et j'ai
mis quinze ans à essayer. Autant, je me suis
fait payer les rapports sexuels à l'époque
quand j'avais pas de sous, il y a une vingtaine d'années.
Et là, j'avais aucun problème à
évaluer du tout. Je l'ai fait très peu
de temps, et là, du coup, ça touchait
le physique. Alors je ne sais pas si c'est effectivement
lié à l'inceste, c'est à dire
que je suppose avoir eu beaucoup de mal à me
considérer comme sujet. Par contre comme objet,
je veux dire, j'avais vingt ans, j'avais aucun problème
à l'époque à me situer dans des
milieux d'Arabes qui avaient du pognon et qui pouvaient
en sortir. Donc c'était pas le trottoir pur
et dur mais là, je savais très vite,
très jeune, j'ai pu donner un prix. J'ai considéré
que j'étais blonde, baisable, et que ça
valait tant, et que c'était tant la nuit, etc.
et là, ça a été immédiat.
Alors… curieusement, je pense que ça
reste encore immédiat parce que bon, j'ai arrêté,
évidemment, mais si demain on devait me dire
: "tiens, combien tu vaux ?" ben je ferais
une décôte de l'âge, parce que
j'ai quarante ans, mais j'aurais aucun problème.
Sur moi en tant qu'objet, j'ai aucun problème.
Je vais dire, elle fait pas de sport, voilà…
j'arriverais à me situer. C'est curieux, ça
me fait penser aussi à quand j'ai bossé
dans cette agence, ces métiers où…
on embauchait des mannequins, et c'est pareil, c'était
de la marchandise ; donc il y avait le tarif A, le
tarif B, le tarif C, celle là elle côte
tant… mais c'était basé sur le
physique. Et là, j'ai jamais eu de mal. Et
là, je pense qu'il doit y avoir un lien dans
le sens où j'ai utilisée purement comme
objet, et pas comme un sujet capable d'engranger quelque
chose de valable, de côtable.
Delphine : ça me donne
envie de réagir, ça me fait penser que…
je pense que j'ai choisi ce métier, pas uniquement
parce qu'on ne parle pas d'argent, mais c'est que
je fais un métier où je ne produis rien,
je ne sers à rien. C'est absolument pas utilisable.
Chercheur, ça sert à rien! J'aurais
pu être poète, qui serait d'ailleurs
encore moins bien payé, mais c'est mon maximum
de ce que je peux produire d'utile. C'est à
dire, rien. Et je pense que ça c'est complètement
lié aussi à l'inceste, ou aux questions
de sous dans ma famille, où mon père
a bien fermé les yeux et m'a laissée
là-bas parce que mon grand-père payait
le loyer, les vacances, etc. mon grand-père
payait des choses matérielles, concrètes,
et donc tout ce qui est mon travail rétribuable
à moi, ça ne peut pas être quelque
chose de concret.
Virginie : mais ça sert!
Delphine : bof. On produit du
savoir.
Mireille : ça rebondit
un peu en moi, parce que moi au départ, j'aurais
aussi voulu faire de la recherche ; j'ai commencé
des études supérieures mais bon, au
début de ma vie, vers mes vingt ans, j'étais
en échec, donc j'ai pas pu faire de la recherche.
Mais sinon, j'aurais eu envie aussi de faire ça.
Bon, dans différents domaines, notamment en
génétique. Puis je repense aussi à
autre chose qui me vient en tête. J'aime bien
aussi la géologie, et je trouvais ça
très marrant d'aller trouver des fossiles ;
ce qui me vient, ça s'appelle des numulites,
ça n'a aucune importance, et même en
génétique, compter des drosophiles,
et des drosophiles, ça sert à rien,
mais je trouvais ça super. Je rejoins ce que
tu dis. Mais malheureusement, à ce moment là,
j'ai pas pu le faire, et donc plus tard, j'ai fait
du… mais au départ, c'était vraiment
ce que je voulais faire : quelque chose qui ne sert
à rien, ça me tentait beaucoup. Pourquoi
toujours vouloir faire quelque chose qui sert à
quelque chose, je ressens ça aussi.
Lise : il y a quelque chose que
j'ai vécu, dans ma vie, au niveau de l'estimation
de soi ; une positive, une négative. Quand
ma mère est décédée, elle
est partie en maison de retraite, elle était
en HLM, et quand ma mère est décédée,
donc on est une famille de neuf enfants encore vivants,
je suis dedans. Mes frères et sœurs se
sont rassemblés - je n'étais pas au
courant ; mon frère violeur, lui, il est dans
son pays étranger - et se sont partagés,
j'allais dire, le butin. Je n'étais pas informée.
Et donc j'ai appris deux ans après, que le
partage des biens avait été fait chez
une de mes sœurs où j'ai vu un buffet.
Et je lui ai dit : ce buffet là, il me dit
quelque chose. Et elle me dit : "mais tu sais,
il était chez maman ; tu sais, on s'est partagé
ce qui restait, il n'y avait pas grand chose, donc
moi j'ai eu le buffet, unetelle a eu…"
et j'ai dit "ha bon!" et je n'ai rien dit
d'autre. Et je n'ai encore jamais parlé à
la famille, comme pour l'inceste, je n'ai jamais parlé
de ça. Donc j'ai été squizzée
complètement de l'héritage, assez léger
mais quand même. Et il y a eu d'autres occasions
comme ça dans ma vie, où je… je
vais dire la deuxième, c'est le positif. Actuellement,
j'ai été demandée - par une amie
avec qui je fais l'alphabétisation dont la
mère a 96 ans - pour faire la lecture. C'est
une femme qui ne voit plus clair et qui lisait beaucoup
donc ça lui manque. Elle est en maison de retraite,
je vais la voir. Et sa fille avait estimé de
me payer, je crois, 8 euros de l'heure, ou 7 euros
de l'heure. Donc j'étais deux heures avec cette
dame, elle est à Paris, et le travail consiste
à faire un peu de lecture mais elle est âgée,
au bout d'un quart d'heure elle s'endort, alors je
la promène, on va au jardin, et tout…
je me disais, c'est quand même pas cher payé
pour ce que je donne, surtout qu'une personne âgée
demande beaucoup d'attention. J'étais d'une
présence… et j'ai réussi à
dire au bout de… Françoise m'a appelée
en me demandant des nouvelles, commentça se
passait, et j'ai réussi à lui dire :
tu sais, je passe deux heures… j'ai peiné,
j'ai peiné à lui dire, mais j'ai fini
par lui dire : "c'est quand même pas beaucoup
payé". J'ai pas dit "pour la qualité
de mon travail…", j'ai pas dit ça
quand même… et elle m'a augmenté.
ça fait un an. Et cette dame dit… elle
m'aime beaucoup, et j'estime que quand même,
je vaux bien les 25 euros qu'elle me donne pour les
deux heures que je passe avec sa maman.
Delphine : tu lui as demandé
sur ce ton là ?? avec cette petite voix ?
Lise : j'avais la trouille! Et
en même temps, intérieurement, je tenais
à y arriver. Donc elle a dû le sentir.
Et puis elle est plutôt…c'est un peu sec
quand elle parle, mais sa maman est tellement contente,
en même temps, c'est… pour cette dame,
c'est comme une après-midi de présence.
Delphine : mais quand tu dis
que tu avais du mal, tu pensais qu'elle te dirait
non ?
Lise : j'étais gênée
de demander, parce que c'est une personne âgée.
Ce sont des gens qui ont de l'argent, je veux dire.
Peut-être que je l'aurais fait gratuitement
pour des gens pauvres. Mais c'est des gens friqués,
là. Au départ, elle m'a demandé,
elle trouvait que j'étais bien pour sa mère.
Mireille : comment ça
se fait que tu n'étais pas là au partage
des affaires de ta mère , tu étais où,
toi ?
Lise : c'était à
Tour, chez une de mes sœurs qui a plusieurs maisons.
Elle a été prévenue.
Virginie : je ne sais pas si
c'est une digression mais les histoires d'héritage
de l'abuseur. Est-ce qu'on estime devoir hériter…
Le psychologue : on peut l'envisager
pour un futur atelier (…)… il reste cinq
minutes, est-ce que quelqu'un a le désir de
rajouter quelque chose par rapport à ça
?
Bérénice : oui,
moi je viens de faire le lien entre une histoire familiale
et un comportement professionnel qui ramène
à l'argent. C'est que je me rends compte, je
m'explique pourquoi je refuse les CDI ; on m'a proposé
plusieurs fois des CDI et c'est en général
à ce moment là que je claque la porte.
C'est que je ne veux pas, en fait… ce que je
ne veux pas, c'est avoir le sentiment de devoir quelque
chose. Et j'anticipe d'une situation où l'employeur
pourrait ne plus avoir besoin de moi (changement de
face de cassette)…
J'ai appris qu'il fallait qu'ils signent une clause
de non reconnaissance dette pour que l'argent puisse
être donné. Et je me souviens avoir réagi
en disant : "mais je m'en fous d'avoir cet argent
ou pas, c'est pas ça l'important, mais je ne
veux pas avoir de dettes ; je ne veux pas devoir quelque
chose". C'est la même chose dans le travail,
je ne veux pas… comment dire : imposer ma présence
à l'employeur qui n'aurait plus de travail.
C'est bien dans le rapport à l'argent que ça
se situe aussi. Et la sécurité.
Sidonie : avec ce qu'on vient
de dire là, je voudrais dire que je suis très
intéressée par un prochain atelier par
rapport à l'argent et à l'abuseur. Parce
que je me rends très bien compte que ma partie
luxe actuel de peinture est tout à fait liée
au viol. Que cet homme avait beaucoup d'argent, et
que ma seule manière à moi de le récupérer,
c'était un gros lard, un gros cochon…
et c'était ni du lard, ni du cochon, et que
moi je fais de l'art, et que je veux que ce soit payé
à un prix luxueux mais je n'attends pas qu'on
me le donne ; je veux le conquérir. Je veux
récupérer sur le gros lard et le gros
cochon. C'est important parce que c'est la deuxième
partie, c'est le luxe.
Regane : Moi, juste… c'est
pas une rétribution financière mais
c'est vrai que j'ai arrêté de donner
sans rétribution, sans rien en retour. Donc
tous les actes, toutes les aides que je pouvais apporter
et pour lesquelles j'attendais pas de rétribution
parce que c'était un service et des choses
comme ça, bah je les fais plus. Parce que j'attends
bien une rétribution. Enfin, je trouve ça
mieux.
Delphine : tu veux dire, tu ne
veux plus rendre de service, par exemple ?
Regane : ouais. Ou alors, faudrait
être sûre qu'il y ait quelque chose en
retour. Parce que j'ai toujours donné, sans
rien en retour, et donc là, non. Je veux qu'il
y ait un retour. Et en fait, il y a des choses que
je pourrais faire, et avoir de l'argent, mais je sais
bien que… je ne peux pas accepter d'avoir cet
argent là, donc je ne le fais pas.
Delphine : comme quoi ?
Regane : c'est des choses que
je sais faire, pour lesquelles je pourrais être
payée, mais que je ne veux pas faire.
Delphine : tu veux dire, comme
un boulot ?
Regane : oui, c'est ça.
Mais ça rejoint ce que quelqu'un disait tout
à l'heure. L'aide, ça ne se paye pas.
Moi il y a des choses que je ne peux pas faire payer.
Seulement, en même temps, je veux pas les faire
sans être payée, donc je ne les fais
plus. Je résous le problème comme ça.
Le psychologue : merci beaucoup.
Il est 17h, nous avons respecté nos trois sous-thèmes.
Merci à tous pour la qualité de la parole
et les questionnements que ça a fait naître,
et qui feront certainement l'objet d'une réflexion
pour la prochaine thématique de l'atelier.
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