"Dire
et entendre l'inceste" - atelier du 11
juin 2005
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
2)
Comment je parle de l'inceste
en thérapie ; et comment j'en parle, et comment
je suis entendu, par exemple dans le cadre d'associations
?
3) Comment
je reçois ce que d'autres en disent ?
4) qu'est-ce
que je ne dis pas de l'inceste lorsque je peux être
entendu, ou lorsque je suis entendu ?
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
Lecture du préambule.
Le modérateur : En ce
qui concerne…
La logique des ateliers. Les ateliers sont une opportunité
pour les acteurs victimes d'inceste et leur entourage
impacté par les pratiques incestueuses de partager
une parole sur leur expérience dans un contexte
d'écoute libéré de toute contrainte
morale.
La périodicité des ateliers. Les ateliers
sont proposés sur une périodicité
trimestrielle avec une proposition thématique
sur l'année. La durée de deux heures
et demie doit permettre la participation active au
niveau de la parole comme de l'écoute, de l'ensemble
des acteurs.
L'utilité des ateliers. Il s'agit de l'accueil
non restrictif de l'ensemble des paroles des victimes
de pratiques d'inceste dans leur dimension de connaissance
psychologique, émotionnelle, sociale, socioprofessionnelle.
La parole dans les ateliers. La parole ainsi que les
silences sont offerts aux acteurs sur la base de leur
désir avec une régulation du temps liée
au nombre de participants et aux thèmes de
l'atelier.
Le recueil de la parole. L'ensemble du discours pendant
les ateliers est enregistré afin d'en permettre
une retranscription fidèle qui permettra la
réalisation de synthèse thématique.
En ce qui concerne la synthèse de la parole.
Ces synthèses ont pour objectif pour chaque
membre de l'atelier de pouvoir, s'il le souhaite,
retrouver sa parole, garder sa parole, et peut-être
retrouver par une nouvelle manière, par une
nouvelle écoute, la parole de l'autre, de positionner
sa parole et son expérience au sein de la parole
des autres. Dans un deuxième temps, elles ont
pour objectif de permettre une lecture plus large,
mais aussi plus complète, des connaissances,
expériences, ressentis par l'ensemble des acteurs
concernés par la problématique des conduites
incestueuses. Il s'agit de communiquer l'expertise
et sur l'expertise du discours non programmée
des acteurs victimes. Et enfin, dans un troisième
temps, elles permettront dans le cadre d'une démarche
scientifique au plus proche de la parole des acteurs,
une analyse du discours sur le vécu des victimes,
en vue d'une publication.
(…)
Le modérateur : mon rôle dans l'atelier,
est de présenter le thème et le sous
thème abordé, et d'être garant
du temps, et du respect de la parole de chacun.
Delphine : tu veux dire ; si
on se met à s'insulter, et tout ça ?
Le modérateur : le respect
de la parole, ça passe aussi par le fait…
insulter, ce serait un cas extrême ; mais simplement,
par exemple, d'intervenir au moment où on coupe
la parole à quelqu'un. De permettre que la
personne aille jusqu'au fond de ce que la personne
a à dire. Est-ce que par rapport à ça,
vous avez des questions ?
Lise : Comme il y a des nouvelles
personnes, peut-être qu'on pourrait se présenter
et un faire un tour de table en disant son prénom.
Nous, nous nous connaissons, mais sauf une personne,
donc ce serait bien.
Delphine : Sachant qu'on n'est
pas obligé, et qu'on peut dire un pseudo.
Le modérateur : Donc mon
prénom, c'est Frédéric.
Delphine : Je m'appelle Delphine
Régane : Moi, je m'appelle
Régane.
Sidonie : Sidonie
Lise : Lise
Cloé : Cloé
Annabel : Annabel
Stéphanie : Stéphanie
…: [une personne qui passe
son tour, et ne se présente pas]
Le modérateur : Alors
par rapport au thème et au sous thème
qui étaient proposés sur le papier qu'avait
préparé Lise ; on reste parfaitement
là-dedans. La formulation en a été
un tout petit peu plus complétée. Le
thème général sera "dire
et entendre l'inceste", à l'autre, ou
aux autres. Donc le premier sous thème est
: "comment j'en parle en thérapie, et
comment j'en parle, et comment je suis entendu au
sein d'associations d'aides, ou d'autres types d'associations".
Le deuxième sous thème sera "comment
je reçois ce que d'autres disent de l'inceste,
sans pouvoir être moi même entendu à
ce moment-là." Il est fait référence
par exemple, à des articles, à des émissions
de télévision, à des campagnes
d'affichage. Donc comment je reçois ce que
d'autres valident ou disent de l'inceste, sans pouvoir
immédiatement émettre une parole dessus.
Le troisième sous thème, enfin : "qu'est-ce
que je ne dis pas de l'inceste, lorsque je peux, ou
que je suis entendu." C'est-à-dire, quand
je suis en situation de pouvoir être entendu
par l'autre, ou par les autres, qu'est-ce que je ne
dis pas, ou qu'est-ce que je ne veux pas, ou qu'est-ce
que je ne parviens pas à dire de l'inceste.
Juste par rapport à la gestion du temps ; on
accorde à peu près trente-cinq minutes
à quarante minutes par sous thème, de
manière à ce qu'on puisse faire une
pause en milieu d'après-midi. Je préviendrai
cinq minutes avant, au moment où la fin des
sous thème va être atteinte. Il y a des
questions ?
Alors une autre chose,
pour les gens qui ne sont jamais venus : personne,
par respect pour les autres ; personne n'est autorisé
à prendre des notes pendant les ateliers. On
reste sur la parole, qui est enregistrée. Je
vous propose d'aborder le premier sous thème
; c'est :
2)
Comment je parle de l'inceste en
thérapie ; et comment j'en parle, et comment
je suis entendu, par exemple dans le cadre d'associations
?
Delphine : je veux bien commencer…
en psy, j'ai rien de spécial qui me vient,
là, mais… dans le cadre de l'association,
au début, quand on a créé AREVI
; une des premières choses qu'on a faites,
c'est de se dire qu'on allait créer les groupes
de parole. Et puis pour faire les groupes de parole,
c'était de se dire qu'on allait faire un dépliant.
Et puis dans le dépliant, on voulait mettre
qui on était, qu'est-ce qu'on propose, etc…
et puis on s'est dit aussi, il y a ce truc, qu'il
y a sur la dernière page de notre dépliant,
les symptômes éventuels ; les conséquences,
plutôt, on appelle ça. Les conséquences
à court terme et à long terme, de l'inceste.
Et je me souviens que c'était vraiment quelque
chose qui m'était venu dans le cadre de cette
association, celle où on était avant
; parce que on avait de longues discussions là-dessus.
L'idée, c'était qu'il fallait que ça
parle à tout le monde, que les victimes puissent
s'y retrouver. Et moi, dans le cadre de l'association,
j'avais l'impression de n'avoir aucune des conséquences.
Comme si toutes les conséquences qu'on avait
mentionnées sur le dépliant, comme si
je n'en vivais aucune. Comme si j'étais pas
du tout concernée, comme si ça ne me
parlait pas du tout. Alors c'est ça qui est
marrant. Dans le cadre de l'association, c'est presque
là où j'ai le plus minimisé les
difficultés, les conséquences, et en
fait, tout. Tout ce qu'il y a d'horrible et de dur,
et que je vis au quotidien de façon hyper dure,
et bien dans le cadre de l'association, en fait, je
l'ai beaucoup minimisé. C'était donc
le but inverse de ce pourquoi on a fait l'association,
d'ailleurs, qui est un lieu où on peut venir
dire les trucs. Mais peut-être que c'est le
fait d'avoir co-fondé avec d'autres, alors
je me sens vaguement une responsabilité d'accueillir
les autres, de ne pas les effondrer. Je n'en sais
rien, je me suis fait un moulinet dans ma tête,
mais en tout cas, c'était plutôt le lieu
de la minimisation.
Stéphanie : Par rapport
à ce que j'ai entendu, c'est tout le contraire.
Chez mon psy, je peux lui en parler, mais je parle
surtout des problèmes qui m'arrivent actuellement.
Mais quand on parle de l'inceste en lui-même,
je suis très vague. Je ne dis pas les détails.
D'ailleurs, à mon médecin, n'importe
qui, personne ne sait les détails, sauf la
justice, maintenant. Et par rapport justement au dépliant,
qui dit les conséquences à long et court
terme, lors d'une confrontation où j'avais
souligné tout ce qui me concernait - c'est-à-dire
des tonnes - qu'on avait évoqué lors
des différents mercredi [jour des groupes de
paroles, NDLT], il y en avait une tonne, que je voulais
lui faire comprendre, lui lire. Mais la juge n'a pas
voulu et la juge m'a dit :" tu le lis".
Et donc je lui ai lu toutes les conséquences
de ce qu'il m'avait fait, et je pense que c'est très
important qu'il se rende compte que sur ce dépliant
est dit, et que la justice prenne conscience de ce
qu'un inceste peut représenter, et des conséquences
qu'il y a.
Delphine : Juste pour…
mais en fait, c'est moi… j'avais l'impression
que je vivais aucune de ces conséquences, et
mes camarades me regardaient l'air consterné
devant ma dénégation, et puis en me
disant : "mais tu es sure ?" Et puis en
fait, comme toutes, j'en vivais plein. Mais je ne
sais pas pourquoi, en les lisant, en voyant, j'étais
dans l'aveuglement. Et je pense que c'est le fait
de l'association. Parce qu'en psy, c'est tout l'inverse,
je n'ai rien épargné.
Annabel : Je pense que c'est
difficile, parce que je réfléchis à
"comment j'en parle… association…
je me souviens des groupes de parole où j'ai
assisté, hé bien je ne sais pas…
c'est tellement difficile de mettre des mots sur l'indicible,
qu'en fait, j'ai comme une sorte d'amnésie
sur "qu'est-ce que j'ai pu dire dans les groupes
de parole". Je ne sais pas du tout. Par contre,
en thérapie… pour moi, en tous cas, j'étais
en situation d'amnésie complète, qui
s'est peu à peu dissipée, au fur et
à mesure de l'avancée de la thérapie.
C'est vrai que c'est revenu par flash, par images,
très crues et très violentes, et oui…
j'ai pu en parler parce que c'était quelqu'un
qui était là pour ça, et à
qui je ne faisais pas de peine en en parlant. Alors
comment j'en parlais ? En décrivant les images,
et ce que je ressentais en décrivant les images
et en en parlant. Rien que d'en parler, ça
me fait une montée d'angoisse, d'ailleurs.
Sidonie : Je me rends compte,
avec ce que je viens d'entendre, qu'aussi bien en
thérapie qu'en association, j'ai complètement
morcelé ce que j'en dit, au point que je ne
sais plus du tout ce que j'ai pu dire en psy, ce que
j'ai pu dire en association, à quelle association,
à quel psy, et quel morceau j'ai pu dire. Alors
à l'intérieur de moi, je sais, ma parole.
L'existence que ça a pris, puisque j'ai eu
une très longue amnésie, moi aussi,
et que l'amnésie s'est levée au fur
et à mesure de la thérapie. J'ai donc
parlé depuis, et l'existence de cet inceste,
c'est ma parole. Alors avec tout ce que j'en ai dit,
partout et ailleurs - je ne sais pas où - ça
fait un complet. Maintenant, je ne sais jamais ce
que j'ai pu dire à un psy ou dans un groupe.
J'ai changé de psy, aussi, et je ne sais pas
si, ce que j'ai pu dire à un psy, je l'ai dit
à l'autre. Et dans ce que j'ai pu revivre,
à certains moments, je crois même n'en
avoir dit que des morceaux, tellement pour moi, il
était sous-entendu que tout le reste avait
été dit, puisque moi, je l'ai dit. Mais
je suis persuadée que beaucoup de gens ne comprennent
même pas ce que je dis, en partie parce que
je n'en dis qu'un morceau. Etant entendu que tout
le reste, je l'ai déjà dit, mais je
ne sais pas où. C'est trop lourd. Je sais que
c'est trop lourd, je ne pourrai pas… donc pour
être entendue, il faut que je dise des petits
bouts.
Annabel : Ce que j'entends, ce
que je viens d'entendre ; je pense que c'est très
difficile d'avoir un discours construit sur ce que
nous avons subi et vécu. On ne peut dire que
des parcelles, c'est moins douloureux. Et déjà
ces parcelles, c'est très pénible et
très lourd. Donc c'est vrai que je regarde
"comment j'en parle" qui est donc l'intitulé
; en fait, on en parle de façon atomisée,
en rebondissant sur quelque chose. Mais en tous cas,
en ce qui me concerne, c'est en fait, comment j'en
parle à moi-même, oralement. Parce que
y penser, ça me met beaucoup dans la tête.
Mais il y a des situations où on parle à
quelqu'un, pour que cette personne comprenne ; mais
en fait, dès qu'on prend la parole pour en
parler, moi je sais qu'au fond, je m'en parle à
moi-même. Parce que finalement, le thérapeute,
c'est une espèce de substitut. Les associations…parce
que je parle, par exemple, au groupe de parole, à
qui je m'adresse ?
Sidonie : excusez-moi, je fais
juste un tout petit rebondissement, je viens d'entendre
le mot parcelle. Et alors là, dans ce qu'on
est en train de dire, parcelle : ça y est,
je saute, je suis en ce moment en train de me battre
pour la succession de ma mère, dans laquelle
il y a une parcelle de terrain 3768 qui pose un problème.
Cette succession de ma mère, pour laquelle
je suis en procès contre mon père, est
une manière détournée du procès
que je n'ai pas pu faire, et quand j'entends le mot
"parcelle", en même temps, je me dis
c'est "par celle" par qui tout cela arrive,
et… je suis là. Voilà, je viens
de rebondir sur la parcelle 3768, et me revoilà
dans le circuit ; merci.
Lise : moi je voulais dire que
quand j'ai connu AREVI, déjà en rentrant,
Delphine, sur le forum des associations, c'est comme
ça que j'ai découvert l'existence d'AREVI.
Donc c'était une représentante de l'association,
et c'était une preuve de mon inceste. Et AREVI
m'a permis, m'a fait trouvé des preuves ; des
preuves que je connaissais mais qui n'ont surgit qu'au
fur et à mesure des groupes de paroles. Au
groupe de parole, c'est très rare que je prenne
la parole la première, parce que je récolte
déjà un petit peu ce qui a été
dit, et donc… comment j'en parle aux associations
d'aide ; j'en parle au début, tout au moins,
pendant des semaines et des semaines, c'était
le moyen de trouver des preuves. Et je trouvais des
preuves au fur et à mesure que j'entendais
et que je parlais. Et en quelque sorte - et je l'ai
dit plusieurs fois au groupe de paroles - le groupe
de paroles, c'est comme une répétition
générale de ce que je vais dire en thérapie.
Parfois, je ne dis les choses au groupe de paroles,
qui ne viennent qu'à ce moment là, et
que je n'ai pas dites encore en thérapie. Et
que je peux ensuite, dire.
Stéphanie : ce que je
ressens, par rapport à tout ça, c'est
que depuis que j'ai porté plainte ; en parler
à tout le monde, ça je sais faire, il
n'y a pas de problème. Par contre, à
l'association, je me dis qu'il n'y a que des personnes
qui ont été incestées, et qui
sauront, qui comprendront. Qui seront moins choquées
des mots que je pourrais employer, comparé
au psy. Parce que le psy, je ne dénigre pas
du tout cette profession qui nous est très
utile, mais disons, c'est le côté intellectuel.
Un psy, disons, il saura, par les livres ou même
par les personnes qu'il suit. Mais je ne pourrais
pas lui dire "j'ai eu différents inceste",
et je n'ai pu le dire qu'à des groupes AREVI,
le mercredi, où eux j'arrive à le dire,
et mon psy ne le sait pas. Pour moi, je n'arrive pas
à le dire parce que je me dis, il n'y a que
des personnes qui ont vécu ça qui arriveront
à comprendre. Et je vois, mon psy, on n'est
pas totalement… il y a des trucs, il essaie
de m'expliquer des trucs, et je ne comprends rien,
et il comprend rien de ce que je veux lui dire. Et
il n'y a que des personnes qui ont vécu la
même chose avec qui on est parfaitement en phase.
C'est triste mais c'est bien au moins d'avoir au moins
ça. Parce que la société ne voulant
pas reconnaître, heureusement que nous avons
ces groupes là pour nous réunir. Sinon,
ce serait la cata.
Cloé : moi, c'est la première
fois que je viens dans une association, je ne l'avais
jamais fait auparavant. Donc voilà, avec un
petit peu l'idée qu'effectivement je n'en parle
pas, où que ce soit les gens autour de moi
qui ne veulent pas l'entendre, ou moi qui ne veux
pas leur dire, je ne sais pas. Et puis j'ai l'impression
qu'il n'y a que les gens qui ont vécu la même
chose que moi qui peuvent comprendre. Donc, voilà…
quant au thérapeute, j'ai suivi… en fait,
j'ai été voir un thérapeute pendant
six mois, parce que j'avais oublié, ou en tous
cas, j'avais voulu oublier ce qui m'était arrivé.
Et j'avais voulu voir un thérapeute ; la première
fois que j'ai été le voir, c'était
pour lui dire : "je voudrais que vous m'aidiez
à savoir si c'est vrai ou pas vrai ce que je
pense". Et c'est la seule chose que je lui ai
demandée, et quand je suis arrivée à
la conclusion que il m'était bien arrivé
ce qui m'était arrivé, je voyais plus
l'intérêt de le revoir. Parce qu'il partait
des fois dans des délires qui m'étaient…
il intellectualisait peut-être les choses, en
essayant de comprendre pourquoi la personne avait
fait ça, pourquoi je réagissais comme
ça. Alors qu'en fait, je pense que ce n'est
pas si… donc voilà. Merci.
Régane : Moi, d'abord,
j'en ai parlé à deux reprises dans des
groupes qui n'avaient rien à voir avec l'inceste.
C'était des groupes plus ou moins de thérapie
gentille. Donc, j'en ai parlé avec les mots
qu'elle a utilisés, parce que je ne savais
pas comment appeler ça. Mais déjà,
je trouve ça bien que je l'ai dit. Maintenant,
faut voir comment ça a été fait,
parce que c'est ce qu'on appelle un … c'est
un groupe qui s'appelle le "……..",
et c'est inspiré du psychodrame. Et en fait,
je me suis retrouvée à le dire à
mon père, qui est mort. Donc dans ce cadre
là. Et c'est vrai que ce que je leur ai dit,
si ça n'avait pas été dans des
circonstances pareilles, je ne sais pas. Et la psy
qui animait ce groupe, très bien, a mis le
mot d'"inceste", ok. Et en fait, quand j'en
ai parlé à mon propre psy, ça
m'a énervée, d'ailleurs, parce que j'ai
réussi à lui en parler. Il a dit : "elle
a pris possessions de son corps" heu! "elle
a pris possessions de mon corps", et… en
fait, c'est tout ce qu'il a dit. Et par la suite,
il a passé son temps à me bercer d'histoires
sur des espèces de contes orientaux….
Donc quand je me suis énervée en disant
"c'est pas du tout ce que j'en pense", il
me disait : "mais oui mais j'essaie de vous expliquer
comment elle fonctionne".
Cloé : qui ?
Régane : elle, ma mère,
celle qui m'a incestée. Voilà. Donc
du coup, voilà comment j'en ai parlé
avec lui ; en fait, j'ai surtout craqué. Et
en fait, après ce qu'il me répondait,
je n'en ai plus jamais reparlé avec lui. J'ai
changé de psy. Même s'il avait de bons
côtés, c'est pas possible, ça.
Ensuite, quand j'ai connu les groupes de parole, ben…
il y a eu deux choses. D'abord, j'ai l'impression
que j'ai essayé de sortir de… comme si
il fallait absolument que j'ai l'air malade. Que ici,
c'était pour être malade, donc voilà.
Mais en même temps, dernièrement, j'ai
commencé à me dire que peut-être
ici, je pourrais venir en parler, mais autrement qu'en
étant malade. Dans un groupe de parole ; donc
j'ai un peu commencé. Voilà comment
j'en parle. En thérapie, si je prends des psy
qui sont spécialisés là dedans,
en général, on me prend au sérieux.
Sauf un taré, mais bon… c'est tout.
Le modérateur : quelqu'un
veut ajouter quelque chose ?
Annabel : Ce que je viens d'entendre,
ça me fait penser que qu'est-ce qui fait qu'on
peut en parler, maintenant, que l'amnésie…
parce que l'amnésie, c'est le truc : on le
dit, et on l'oublie. Enfin bon, un jour, j'étais
dans une espèce de certitude abominable, qui
m'a plongée dans un état de dépression
telle que je me suis précipité dans
un hôpital de jour de mon arrondissement. Parce
que j'avais l'impression que j'allais mourir, c'était
une détresse abominable. Et donc, c'est un
infirmier psychiatrique qui vous accueille. Lui, il
a pris au sérieux le côté dépressif
que je manifestais. Mais sur les mots "mon père
était un pédophile" ; je n'ai pas
dit "inceste"; il distançait beaucoup.
Donc il m'a fait recevoir ensuite par une femme psychiatre
que j'ai continué à voir et qui m'a
adressé à une consoeur pour la psychothérapie.
Et je me souviens, au début, elle a ri. Elle
a ri, non pas pour se moquer de moi, mais parce que
ça lui paraissait pas recevable, ce que je
disais ; elle ne me croyait pas. Elle m'a dit ça.
Elle m'a dit : "mais vous savez, beaucoup de
petites filles prêtent des intentions à
leur père". Enfin bon… après,
dans le déroulement du travail et elle était
en relation avec sa consoeur, elle n'a plus jamais
réagit comme ça. Mais je veux dire que
c'est absolument épouvantable d'aller voir
des professionnels pour qu'ils nous aident, et soit
qu'ils ne nous croient pas, soient qu'ils ne comprennent
pas. Il m'a fallu une volonté de fer, je dirais,
et une farouche envie de survivre, pour me dire :
elle n'est peut-être pas plus mauvaise qu'un
autre psy, ou avec un autre, ça sera pareil,
j'en ai rien à foutre qu'elle me croit ou pas.
Il faut que je continue ; pourquoi pas avec elle,
en fait. Mais il y a quand même un sacré
truc à passer, sur la façon dont ces
professionnels… alors comment je l'ai dit ?
évidemment… mais bon…
Delphine : juste une parenthèse.
Je réagis ou je réponds, je ne sais
pas, mais… c'est à cause d'expériences
comme celles dont tu parles, là, qu'on a aussi
eu envie de les faire, ces ateliers, et d'enregistrer
ce qu'on raconte là, et d'en faire une publication
qui leur serve, à ces gens là, après,
à nous écouter autrement que ce que
dis là. Qu'ils ne rient pas.
Annabel : Il me semble, de ce
que j'ai entendu de Stéphanie, de Régane
; j'ai l'impression, de ce que vous dites, que les
psy - certains, en tous cas les vôtres, ces
personnes là - ça leur fait tellement
peur qu'ils se réfugient dans des explications
rationnelles dont on a rien à foutre. Enfin
je ne sais pas, mais moi, qu'on m'explique comment
mon père fonctionnait, je m'en tape totalement.
Ça aurait été bien pour lui,
pour qu'il arrête. Mais moi, j'ai besoin qu'on
s'occupe de moi, et de travailler sur moi, et de savoir
comment ça m'a déglinguée, comment
je peux me reconstruire, comment ça a déglingué
mes enfants, voilà. Mais d'avoir des explications
sur la pédophilie, l'inceste en général,
ou comment lui, ça a pu… je m'en fous,
mais complètement.
Régane : curieusement,
en fait, je suis allée cinq semaines en maison
de repos, et je n'en ai jamais parlé. Alors
que j'avais déjà bien pleuré
là-dessus. Mais en fait, ça a pris qu'une
journée, le moment où j'en ai parlé,
donc au psy. C'est à ce moment là qu'il
a été bien, et par la suite, non. Mais
en maison de repos, pas du tout.
Delphine : Mais c'est quoi, une
maison de repos ? Comment on fait pour y aller ? Je
veux dire, tu vas chez ton médecin et il te
prescrit…
Régane : je ne sais pas
comment on fait, mais je peux te dire comment j'ai
fait…
Delphine : Je veux dire, c'est
un endroit où tu aurais pu en parler ?
Régane : Ah oui! Oui,
c'est un lieu où tu es hébergée.
On te dit "vous y allez pendant un mois…",
tu es nourrie logée, et tu as des rencontres
hebdomadaires avec un psychiatre, et, à ta
propre initiative, tu vois une psychologue. Et la
psychologue qui était très bien, d'ailleurs,
à elle, je ne lui en ai jamais parlé.
Donc oui, j'avais l'occasion d'en parler, et je n'en
ai pas parlé.
Delphine : C'est pas comme un
club, donc, tu aurais eu l'occasion…
Régane : tu ne sais pas
ce que c'est une maison de repos ?
Delphine : non.
Annabel : tu fais exprès.
Régane : ça ressemble
à une hospitalisation, en fait. C'est pour
les gens malades, en fait.
Delphine : Oui, mais je voyais
les maisons de convalescence, mais tu n'as pas forcément
de consultations de psy. Ou bien les cures de sommeil,
t'as personne qui t'écoute. On te file des
médocs pour que tu dormes, puis voilà.
Donc c'est pour ça, je me demandais.
Régane : alors peut-être
qu'il faut que je précise ; oui, je crois qu'elle
était… il y a des spécialisations
en matière de maisons de repos, et celle-là
était psy.
Delphine : donc oui, c'était
un endroit propice au fait que tu en parles, et tu
n'en as pas parlé, c'est ça.
Régane : Voilà.
C'est ça. Mais en même temps, je voulais
ajouter que moi, je n'ai pas l'impression de bien
en parler. Alors là, ça pose un autre
problème ; comment en parler est une chose,
mais si on ne sait même pas comment en parler.
C'est vrai que ça touche tellement de thèmes,
que la première fois, c'est vrai que j'en ai
parlé en utilisant ses mots à elle.
Et après, c'est difficile, parce qu'il faut
apprendre à utiliser ses propres mots. Il y
a un changement. Avant, je disais qu'elle m'a écarté
"les jambes" ; et là, maintenant,
je commence à dire "les cuisses".
Sidonie : moi, j'ai appris à
dire que… j'ai appris à parler, à
dire les mots, petit à petit. De psy ou de
groupe, j'ai appris à dire. J'ai pas appris
à dire "jambes" ou "cuisses",
mais si : à passer de "fesses", à
"anus", quand même. Mais ces mots
; voilà ce que j'ai à dire, ces mots,
c'est pour les autres. C'est pour se faire comprendre
des autres. Des psys, en particulier. Donc il faut
en passer par les mots. Des mots qui nous véhiculent,
qui ne veulent rien dire pour moi. De l'expérience
que j'ai eue de petite fille de sept ans, tous les
mots par lesquels je dois passer pour dire "viol",
"inceste", "anus", mais je n'y
comprends rien, à tout ça. Rien de rien.
Je parle, parce qu'on parle. Mais donc, ce n'est pas
mon mode d'expression. Je ne peux même pas dire
ça. Je peins, maintenant, j'ai l'impression
qu'il n'y a que là-dedans qu'il y a quelque
chose qui lie, qui se prolonge, qui vit sa vie de
cette histoire-là. Mais il n'y a pas de mots.
Alors là, j'ai l'impression d'évoluer,
parce que dans la langue, dans les mots qu'on a, c'est
très limité, c'est très étroit.
J'ai l'impression d'avoir plus d'ouverture dans le
monde des signes ; et encore, je ne sais pas ce que
je dis, et je ne sais pas ce que les autres entendent.
Mais je crois qu'ils entendent quand même quelque
chose de cet ordre-là. Mais ces mots sont insuffisants.
Régane : j'ai vu un nouveau
psy il n'y a pas longtemps, et je lui ai dit : "ma
mère faisait des sales trucs, quand j'étais
petite". Alors évidemment, il m'a demandé
des précisions, mais j'utilise aussi les gestes,
pour lui expliquer. Je suis dans mon bain, elle met
sa main ici. Après, je laisse… je fais
comprendre, c'est vrai, mais je ne dis pas. Parce
q'en fait, les deux premières fois que j'en
ai parlé, je me suis sentie sale, alors j'ai
pas du tout voulu le redire, quoi…
Cloé : moi, je me rappelle
; parce qu'en fait c'est des flashs, qui revenaient.
Donc quand j'ai été voir mon psy, il
me disait qu'il essayait - parce que comme c'était
la nuit, les cauchemars qui revenaient - donc chaque
fois que j'allais le voir, il me disait "racontez-moi
un cauchemar". Et j'étais incapable de
lui raconter mon cauchemar. Parce que lui raconter
: "il est venu sur moi, il… " et lui,
en fait il cherchait toujours des mots. Et c'est normal,
parce que moi je l'avais dans la tête, il voulait
que je le formalise, et en fait, c'est impossible,
de lui dire la douleur, de lui dire tout ça.
Et c'est vrai que c'est ce que j'ai trouvé
le plus dur, c'est pour ça qu'après,
je n'en parlais plus. Je n'arrive pas à en
parler parce que je n'arrive pas à parler de
quelque chose. Et en plus, à l'époque,
à ce moment là, je n'avais pas le droit
de parler, parce qu'il… il m'étouffait,
donc… il n'y a pas de mots. Donc je comprends
quand vous dites… on ne parle pas le même
langage. Donc la première fois où j'en
ai parlé, j'en ai parlé de façon
très cru ; je disais : j'ai été
violée. Alors qu'en fait, maintenant, j'ai
beaucoup de mal à le dire, parce que justement,
je me sentais très sale quand je le racontais.
Parce que le raconter, c'est aussi dire : " à
un moment, il venait sur moi" mais dans ma tête,
ça va plus loin, c'est aussi me dire "mais
pourquoi je n'ai pas bougé, pourquoi j'ai rien
dit, pourquoi j'ai pas… " et en fait, tout
ça, c'est difficile de parler, parce que ça
ne se raconte pas, ça ne se parle pas.
Stéphanie : Je pense aussi
que parler, c'est tellement dur, parce qu'il y a réellement
des mots assez forts pour faire comprendre ce qu'on
ressent. Je crois que dans la langue, il n'y a pas
assez de mots pour faire comprendre le mal qu'on ressent,
la douleur, la souffrance, la violence qu'il y a en
nous. Il n'y a pas de mots pour exprimer ça.
Donc on ne dit rien. Là, je sais que j'ai un
médecin qui a été interrogé
sur mon affaire. La police lui a dit : "mais
comment elle vous en a parlé ?" Moi j'ai
été bluffée quand il m'a répondu
; il paraît que je ne lui en ai pas parlé.
Je ne lui ai pas dit le mot exact. J'ai tourné
autour du pot. Je ne sais plus de quoi je lui ai parlé,
et c'est au bout de quelques semaines qu'il a dû
comprendre que j'avais été violée.
Après, par qui j'avais été violée.
Mais d'entrée, apparemment, je ne lui ai pas
dit. Mais il a eu la patience, quand même, d'aller
plus loin, de vouloir essayer de comprendre. Tandis
qu'un psy, ce qui est difficile aussi, c'est que déjà,
ça dure une demi heure ; donc déjà,
il faut tout de suite se mettre dans le bain. On arrive,
bah monsieur est là en face, et bah voilà…
donc ça aussi, je trouve ça assez dur
de pouvoir parler, d'avoir le temps ; on ne nous en
donne pas assez, de temps. Puis on ne sait pas mettre
des mots, on n'a pas su, et a peur, aussi, de la réaction
des gens. On a peur du jugement. Parce que j'ai une
personne qui m'a dit : mais pourquoi tu t'es laissé
faire ? Et ça, c'est une de ses sœurs
à lui, une femme, une mère de famille,
qui m'a dit : "pourquoi tu t'es laissé
faire ?" j'arrive pas à comprendre. Comment
une femme, une mère de famille. Et quand j'en
ai parlé à mon psy, il n'a pas eu l'air
spécialement… il a pas essayé
de m'expliquer tout ça. Il va beaucoup sur
des images. Puis des fois, les images…
Le modérateur : est-ce
que quelqu'un à quelque chose à dire,
ou veut, effectivement, poursuivre sur un élément
du discours qui demande à être discuté.
Annabel : De ce que Stéphanie
a dit sur "quel effet ça fait aux autres",
et comment ça nous bloque les réactions.
Moi, j'ai une très bonne amie, qui est vraiment
pleine de gentillesse. Une amie d'enfance qui a très
bien connu ma famille, qui connaît toute notre
histoire, maintenant. Et elle m'a dit : "mais
comment t'as pu laisser faire ça sur tes enfants
? Comment t'as pu ?" Elle m'a dit "mais
moi, j'aurais pris un couteau, ou…" ; "comment
t'as pu laisser ton fils battre par ton mari ? ta
fille violée par ton père ?" Qu'est-ce
que vous lui répondez ? Je suis une merde ?
De toutes façons, j'étais déjà
une merde quand j'étais petite. Il me chiait
dessus, il m'envoyait son sperme dans la figure. Voilà!
C'est ça en parler! C'est ça en parler.
Mais comment vous voulez ? Les autres, ils ne peuvent
pas recevoir ça. Et je vous assure ; cette
fille qui me disait ça, elle ne voulait pas
me faire de mal. C'était juste trop pour elle.
En tant que mère, elle ne comprenait pas. C'est
pour ça, je crois, qu'on n'en parle pas. C'est
indicible. Mais le retour de l'autre : s'entendre
dire : "mais pourquoi t'as laissé faire
ça ? Pourquoi tu l'as pas dit ?" Donc
on est encore plus dégueulasse…
Régane : Je voudrais juste
dire une chose ; c'est pas les actes, que je voudrais
raconter, c'est plus, comment je me suis sentie, et
comment je me sens encore aujourd'hui. Parce que les
actes, j'estime que les autres, bah, ça va
rien signifier.
Delphine : ben ça, moi,
je peux à peine l'aborder, comment je me sens
maintenant. Je pense que c'est encore plus incompréhensible
pour les autres, comment je me sens maintenant, que
leur dire… ce qui s'est passé, ils ne
peuvent pas l'entendre non plus, mais… à
mon avis, ils peuvent encore moins imaginer les dégâts
que ça cause. Et pour moi, c'est encore plus
insupportable que les autres, ils aient même
aucune… ils ne sont même pas un petit
peu proche de comprendre ce que je ressens, ce que
c'est que le quotidien. Encore que le quotidien va
mieux ; mais disons, ce que ça a été
longtemps. Ça, c'est encore un truc difficile.
Enfin je ne sais pas si toi, tu arrives à…
enfin, des fois que tu aurais envie de le dire, je
ne sais pas si tu arrives à te faire comprendre
des autres, sur ce que tu ressens, sur ce que t'as
éprouvé ou ce que tu éprouves
maintenant. Mais moi, à part les proches, qui
voient à peu près ce que je veux dire
quand je dis que ça ne va pas… il n'y
a pas d'échelle de la douleur, mais les autres…
ça c'est un truc dur.
Régane : moi, ça
me parle plus. Je ne peux pas te répondre sur
comment ils le prennent, mais moi, ça me parle
plus.
Stéphanie : j'ai plus
l'impression que quand j'en parle crûment. Quand
je dis, il était sur la table, il mettait deux
chaises comme ça, avec la serviette ; et cette
table là, que mon frère a récupérée,
où il bouffe avec sa petite gamine en ce moment
; moi, j'hallucine. J'ai l'impression que d'en parler
avec des mots crus, ça rentre un peu plus dans
la tête. Pour moi, c'est ma perception ; j'ai
l'impression qu'il n'y a que comme ça qu'ils
peuvent comprendre. Et ma sœur, je lui ai dit,
l'autre jour. Elle dit, en parlant de cette table
là, qui est une énigme pour moi, elle
me dit "oh bah tu sais, c'est qu'une table".
Je lui dis : "oui mais ils mangent quand même
tous les jours sur la table où sa sœur
s'est fait violer. Et la gamine de trois ans, elle
y mange quand même dessus." Je pense que
c'est vraiment deux mondes différents. Il y
a un gouffre entre leurs mots, leur manière
de vivre, et nous. Et nous, on est dans notre monde,
et impossible de leur faire comprendre quoi que ce
soit.
Le modérateur : Quelqu'un
veut ajouter quelque chose ? On est au bout du temps
qu'on avait prévu de consacrer à ce
thème…il y a une possibilité ;
soit on fait une pause maintenant, de courte durée,
ou bien on prend le deuxième thème et
on fait une pause après. En sachant que c'est
toujours très délicat de faire une pause
en plein milieu des thèmes, parce qu'on a ensuite
du mal à retrouver la qualité de la
parole qu'on a eue. Donc vous me dites…
Tout le monde s'accorde pour
continuer.
Le modérateur :
donc le deuxième thème, je vous le rappelle
:
3) Comment
je reçois ce que d'autres en disent, sans être
en situation moi-même d'être entendu.
Comment je reçois d'autres paroles de l'inceste,
ça peut être dans une émission
de radio, à la télévision, ou
dans un journal, une interview de victime, ou une
interview de psy ou du monde judiciaire ou policier,
ou médical. Finalement, comment je reçois
ces discours quand je n'ai pas la possibilité
d'être entendu ?
Stéphanie : je ne sais
pas si je vais être dans le cadre, mais moi,
il y a deux trucs qui m'apparaissent inadmissibles
; c'est une pub qui passait il y a quelques années,
il y a moins de quatre ans, parce que j'étais
encore dans mon ancien emploi. C'était pour
parler de l'inceste, et c'était : "se
taire, c'est laisser faire". Alors si on se met
du côté de monsieur et madame Tout le
monde, des voisins, de tout le monde : je suis d'accord.
Mais ils ne se sont jamais mis… ils se sont
pas posé la question ; toutes ces victimes
d'inceste qui écoutent ce slogan à la
télé : "se taire c'est laisser
faire!" Moi, la première chose qui m'est
venue à l'idée : "je me suis tue,
donc je me suis laissée faire".
[changement de face]
Alors j'ai téléphoné,
je ne sais plus où j'ai téléphoné
; et on m'a dit : "oh mais vous savez, vous êtes
la première à vous être plainte".
Bon, donc je ne sais pas ce que les autres en pensent
par rapport à ça "Se taire, c'est
laisser faire!" ; par rapport au voisin qui ne
fait rien, d'accord. Mais là, je ne suis pas
d'accord, ils auraient dû voir ça autrement.
Ils auraient dû préciser, ou tourner
la phrase autrement. Et il y en a un deuxième,
c'est ; j'aime pas ce mot, je trouve que c'est banaliser
cette horreur là, c'est quand on parle de tournante.
A la télé, dans les médias, je
ne sais pas ce que vous en pensez, mais quand on parle
de tournantes, on a l'impression qu'on va au tourniquet,
ou je sais pas quoi, que c'est un jeu. Alors qu'on
ne se rend même pas compte que derrière
ce mot "tournante", c'est des viols, des
viols collectifs qui se passent. Et alors ce mot là,
je le trouve complètement inadmissible.
Le modérateur : Juste
par rapport à la question que vous posiez :
c'est parfaitement dans le thème. C'est tout
à fait ça. Est-ce que quelqu'un veut
prendre la parole, ou bien éventuellement,
puisque Stéphanie - par rapport à cette
campagne - aimerait savoir ce que vous en pensez.
En sachant que vous pouvez prendre la parole, et revenir
après, sur cet exemple donné par Stéphanie.
Lise : Moi, je suis complètement
d'accord avec Stéphanie ; "se taire, c'est
laisser faire", ça reprend… je suis
d'accord avec le désaccord de Stéphanie
par rapport à ce slogan, qui sans doute, voulait
susciter des réactions, et qui au contraire,
enfonce un peu plus dans la culpabilité. Ça
me rappelle ma sœur, la première à
qui j'ai pu en parler - à partir du moment
où j'ai pu parler de cet inceste - qui m'a
dit : "pourquoi t'en as pas parlé à
maman ?!" Et c'est après, ma psy, qui
m'a dit : "mais si elle ne vous croit pas à
votre âge, maintenant, comment vous aurait-elle
cru à sept ans ?" C'est la seule chose
qui m'a mis un peu de baume ; sinon, j'ai une réaction
vraiment semblable à Stéphanie. Sinon,
moi, c'était par rapport aux médias,
il y a parfois des émissions, entre autre,
une de Delarue et une sur Arte, qui m'ont vraiment
aidée. Et moi, ce que je me dis, dans ce cas-là
; je me dis : "je voudrais que ma sœur,
je voudrais que mon frère voient ça".
Voilà ce que je dis. Et là, alors que
je suis complètement éjectée
de la famille, loin de la famille, on ne me parle
plus du tout, complètement isolée ;
je me dis, est-ce que, en voyant ça, en entendant
ça, on pense à moi ? Voilà ce
que ça peut susciter ; un peu de considération
pour moi, ou alors, comme je l'ai entendu tout à
l'heure, quelqu'un qui n'en vaut vraiment pas la peine.
J'espère que ça peut… j'espère
toujours… c'est pas sûr du tout, mais
j'espère toujours qu'on va dire, en ce qui
me concerne : "pauvre Lise". Où alors,
je pense à quelqu'un du groupe, parfois, dans
telle situation. Et qu'est-ce que j'en pense dans
un livre, notamment le livre de Coutanceau, où
il règle… le titre du livre est "vivre
après l'inceste", et il règle en
deux lignes l'inceste frère-sœur : "c'est
autre chose". Donc ça fait soixante ans
que je vis avec un inceste, et lui, il règle
ça en deux lignes. Voilà ma réaction.
Le modérateur : merci.
Delphine : c'est réglé
en deux lignes, comment ça ?
Lise : Oui, c'est tout ce qu'il
met. Il évince… je suis encore évincée,
quelque part. Si en deux coups de cuiller à
pot, en deux lignes exactement à la page je
sais plus combien. Pour lui, l'inceste que j'ai vécu,
les violences que j'ai vécues de sept à
douze ans, c'est réglé. Il n'y a pas
d'après-inceste, quelque part. Mais c'est très
subjectif… Mais je trouve que pour quelqu'un
qui dit qu'il montre comment on vit après l'inceste,
il ne m'a rien montré.
Régane : Oui, bien c'est
ça, en fait, je trouve. C'est vraiment insatisfaisant.
Des fois, on va vers ce genre de trucs, on va essayer,
on va là où il faut parce qu'on en entend
parler ; vers des gens qui apparemment ont un peu
étudié le problème, et ça
m'est arrivé, effectivement, de rester sur
ma fin. Ça ne répond pas.
Lise : Je voulais juste rajouter
un mot ; finalement, c'est par rapport aux émissions
comme Delarue, ou bien une fois, c'était sur
Arte ; parce qu'on donne la parole à des victimes,
que je réagis le plus par rapport à
moi-même. Parce qu'en fait, ce sont des victimes
qui s'expriment et qui peuvent peut-être toucher
d'autres.
Sidonie : Par rapport au ressenti
par rapport aux médias, à tout ce qui
peut se dire, se lire ; moi qui trimballe ça
aussi depuis bientôt une soixantaine d'années
; il n'y a que depuis très peu de temps que
l'on en parle, qu'il y a des livres, qu'on voit des
émissions à la télévision,
tout ça. Avant, je n'ai jamais rien entendu,
et ça m'a beaucoup beaucoup aidée ;
c'est à travers des émissions, des livres,
que j'ai commencé à faire le lien entre
ce qui était raconté et moi, et mon
histoire. C'est grâce aussi à une émission
de télévision que je suis ici, parce
que sinon, je n'aurais jamais su qu'il y a avait des
associations, et que j'ai téléphoné,
j'ai recherché en me disant : il y a des groupes
de parole ; il y a des gens comme moi. J'ai cherché.
Sans la télévision, je ne l'aurais pas
su, c'est récent. Je suis très intéressée
; toutes les fois qu'on en parle ; j'ai envie de dire,
presque n'importe comment, je suis à l'affût
d'une émission de télé. Ça
m'intéresse toujours quand d'autres en parlent.
J'ai même quelques fois un peu la sensation
- et ça c'est autre chose dont je voudrais
parler par rapport à cet inceste - d'avoir
un petit côté, pas voyeur, mais un petit
quelque chose… un intérêt. Un grand
intérêt. Et maintenant, il y a quelque
chose aussi que j'ai vécu dernièrement,
il y a à peu près six mois, dans une
situation où d'autres parlaient d'inceste devant
moi. Il s'agissait quand même de gens de ma
famille, du fils de mon violeur, qui était
là avec sa femme et avec une amie, et moi à
côté. Et à propos de toutes ces
émissions de télé, de livres,
ils étaient en train de parler de tout ça,
mondains, mondains, de toutes ces histoires abominables,
de familles, de ces gens qui étalaient sur
la place publique ce qui devait rester en privé,
etc. etc… et moi, j'étais là,
j'entendais les paroles qui passaient au dessus de
ma tête. Je me disais : là, c'est le
fils de mon violeur, tranquille, chrétien,
catholique, tout va bien ; "oh! Ces pauvres gens
qui ont souffert et qui osent en parler! Oh! C'est
sale". Ils étaient là, et je me
disais ; voilà, je suis dedans. Ils sont là,
en train d'en parler, au-dessus de moi, je ne dirai
rien. Ça, alors là, ça a été
clair pour moi. Ils ne sont pas en mesure d'entendre
ce que je pourrais avoir à leur balancer comme
pavé, là. Mais simplement, moi, je m'exclus
de ça. J'ai même pas eu à dire
qu'ils m'excluaient ; de moi-même, je me suis
exclue avec un petit sourire, en me disant : "là,
on n'attaque pas. On n'attaque pas ce mur". Et
il y avait une colère à l'intérieur
de moi ; une colère que j'ai dû enfouir,
mettre ailleurs ; voilà.
Cloé : moi, il y a un
mot que je ne supporte pas, c'est "inceste".
Je trouve qu'il ne veut rien dire, on a mis ça
mais on ne sait pas ce qu'il y a dedans ; et donc,
on ne parle pas de viol, on ne parle pas d'attouchements,
on ne dit pas les choses ; on dit "inceste".
Donc moi, je devrais dire : j'ai vécu un inceste.
Mais ça ne veut rien dire ; il n'y a pas de
violence dans l'inceste. Enfin pour moi, il n'y en
a pas. Donc à chaque fois que j'entends ça,
ça me hérisse. J'ai l'impression que
c'est comme si on n'en parlait pas. Comme dans ma
propre famille, on n'en parle pas. On sait qu'il m'est
arrivé quelque chose, je l'ai dit à
un moment, mais ça y est, c'est dit, c'est
bon, on n'en parle plus, on continue à faire
comme avant, et puis ce n'est pas le problème.
Et le mot, dans le cadre de ma famille, il va très
bien : "oh! Elle a vécu l'inceste"
; c'est pas grave. C'est pas un viol… ça
veut dire autre chose, c'est pas des attouchements
; c'est juste un inceste. Donc dès que j'entends
ce mot là, ça me hérisse, j'ai
l'impression qu'on banalise quelque chose avec ce
mot-là. Et quand je vois des émissions,
ce qui m'énerve un petit peu, c'est vrai qu'au
début c'était bien, mais maintenant,
c'est récupéré. Et ce qu'on montre,
souvent, c'est des gens qui ont beaucoup de mal à
s'en sortir, donc on a l'impression que parce qu'on
a vécu ça, il faut qu'on soit drogué,
il faut qu'on soit prostituée. Et en fait,
on n'est pas tous comme ça. Et on vit peut-être
d'autres choses qui sont… je ne sais pas ce
qui est plus dur ou moins dur. Et je vois les gens
autour de moi, bien comme je ne suis pas droguée,
j'ai l'air d'avoir une vie tout à fait normal
; parce que moi, j'ai vécu pendant vingt-huit
ans sans me rendre compte de ce qui m'était
arrivé, donc d'un seul coup, je me le prends.
Et entre temps, j'avais fait ma vie. Et donc pour
les gens, ce qui m'est arrivé, ce n'est pas
bien grave puisque je suis là, et je vis normalement
comme tout le monde. Et puis j'ai de la chance parce
que par rapport à d'autres personnes qui vivent
d'autres situations, j'ai rien vécu jeune.
A un moment, j'ai partagé ma vie avec quelqu'un,
qui ne comprenait absolument ce problème d'inceste
et compagnie ; et puis de toute façon, c'est
dans la famille donc on n'en parle pas. Et qui m'avait
dit un jour : "mais toi, tu ne sais pas ce que
c'est qu'être malheureuse, t'as jamais rien
vécu de malheureux, parce que toi, tu as eu
à manger tous les jours". Et là,
je me suis dit, c'est pas possible. Oui, effectivement,
j'ai eu à manger tous les jours ; moi, c'était
mon grand-père, donc j'ai mes parents qui sont
là, qui m'ont aimée ; même lui,
il m'aimait, ce n'est pas le problème. Mais
c'est vrai que comme je n'ai pas connu… c'était
qu'un inceste, c'était que mon grand-père
qui venait me retrouver la nuit. C'est pas grave.
Et des fois, quand je vois certaines émissions,
ça catalogue tellement les gens qu'en fait,
si on ne rentre pas dans une catégorie…
c'est un peu comme si je m'en sortais mieux que les
autres, alors qu'au fond de moi, je m'en sors pas
mieux. C'est juste que à un moment, la vie
a fait que j'ai pris un chemin ; et des fois, je trouve
que c'est un peu dangereux, ces émissions,
les médias. Ou pareil, ça m'énervait,
quand il y avait eu le procès d'Outreau, et
c'était l'époque où mes souvenirs
me revenaient, donc j'étais en pleine crise.
Et d'entendre à un moment "ces enfants
ont menti", et à aucun moment, je n'ai
entendu les journalistes dire "ces pauvres enfants"!
Ils ont menti, soit ; mais ce qui leur est arrivé,
leur est bien arrivé. Et les médias
n'ont pensé qu'à une chose, c'est à
ces pauvres personnes qui ont été accusées
à tort. Mais très rarement j'ai entendu
parler de ces enfants qui ont été bousillé
à vie.
Annabel : Sur le fait d'être
bousillé à vie ; par rapport à
ce qu'on entend dans la presse, dans les journaux,
à la télévision, c'est tout à
fait vrai que… évidemment, je lis aussi
tout ça. Et j'ai une douleur, j'ai un chagrin
pour les victimes. Parce que je comprends parfaitement
qu'on n'accuse pas les gens à tort, qu'il y
ait des procès équitables, qu'il y ait
des instructions. Et que ce soit affreux qu'on ait
accusé des personnes… mais je rejoins
tout à fait ma voisine de droite ; ça
m'a fait un chagrin horrible de ne pas avoir lu autant
d'articles sur ces pauvres enfants foutus, bousillés,
que sur ces personnes qui, elles, bien sûr ont
subi un préjudice épouvantable. Quand
on lit comme ça des procès, ou des choses
comme ça ; déjà, c'est bien que
ça aille jusque là. Mais je suis toujours
partagée entre "c'est bien que ça
aille jusque là", c'est bien que la chose
soit reconnue ; mais je trouve qu'il y a peu de compassion,
peu d'empathie. Sur le rôle de la presse…
alors c'est vrai qu'ils sont maladroits, qu'ils font
comme ils peuvent. Je sais en tous cas que ce qui
a déclenché vraiment la levée
de l'amnésie, c'était un article dans
Libération. Pas sur l'inceste, mais sur un
instituteur qui avait été arrêté
pour pédophilie, donc il y a de ça une
dizaine d'années. Et là où ça
m'a vraiment explosé dans la tête, c'est
un article, une interview d'un commissaire de police,
qui voulait mettre en garde les parents sur le profil
du pédophile, qui est généralement
une personne respectable et très appréciée
des familles. Et dans le descriptif, je me suis dit
: il parle de papa. Donc si je n'avais pas vu cet
article, je me dis, peut-être que…d'ailleurs
je crois que je me serais suicidée, parce que
je ne pouvais plus continuer à souffrir comme
ça. Et je serais morte sans savoir pourquoi.
Et j'aurais… c'est terrible, quand même,
de dire "je serais morte". Donc ça,
c'est bien. Et je le reçois positivement. Sur
le mot même "inceste". Il me semble
que c'est assez peu écrit. On parle de viol,
de procès pédophile, mais j'ai pas le
souvenir d'avoir lu beaucoup le mot inceste. A part,
comme tu dis, une campagne, je m'en souviens. Sur
le mot "inceste", je n'arrive pas à
le dire, ça me dégoutte profondément.
Et dans ma tête, avant ; pour moi, l'inceste,
c'était une histoire d'amour entre un frère
et une sœur, ou entre un père et sa fille.
Et je n'arrivais pas à mettre ce mot là
sur notre histoire, dans notre famille, avec mon père
; et c'est ma psy, qui remettait tout le temps ça
sur le tapis. Et je lui disais : "mais non! Non!
Vous parlez de ça mais ça n'a rien à
voir". Donc c'est pire, pour moi. De toutes façons,
être violé par un enfant, c'est absolument
atroce. Mais par la personne dont on attend sécurité,
protection, affection, la maman, le papa, le grand-père
; outre que ça vous dégrade complètement,
ça bousille totalement tous les repères.
Voire pire, quand on l'aime, on devient un complice
passif. Donc se taire… "se taire, c'est
laisser faire"… moi, vraiment, j'ai revu
le film de ma vie à tous les âges, jusqu'à
il y a dix ans, et la tête sur le billot, j'aurais
nié ; j'aurais juré que non, pour le
protéger, parce que je l'aimais. Alors si on
n'en parle pas aux autres qui ne l'ont pas vécu,
pour que eux essaient de faire quelque chose, bah
des fois, c'est pas nous, les victimes, qui allons.
On se tait, pour protéger. Faut qu'on nous
protège malgré nous.
Stéphanie : Justement,
la phrase que tu as dite tout à l'heure, je
l'ai lue dans un livre. Je ne sais plus si c'est le
titre "inceste", ou "vivre, et ne plus
survivre". Effectivement, il y avait la phrase
qui en gros, voulait dire : comment un si beau mot
peut cacher autant de souffrances ? Inceste, elle
avait l'air de dire que c'était un beau mot,
mais qui cachait tant de laideur, beaucoup de souffrances.
Donc voilà… et j'ai oublié ce
que je voulais dire…
Sidonie : je veux bien parler
du mot inceste, aussi. Je ne l'ai pas découvert.
C'est en psy qu'un jour, j'ai compris que le mot inceste,
c'est "viol +". Et là, d'ailleurs,
quand j'ai compris ça, j'ai dit : j'arrête
tout. Parce que moi, "viol +", j'assume
plus. Donc j'ai tout arrêté, l'analyse
et tout. J'ai dit là, j'assure pas, j'oublie,
je me refais le coup de l'amnésie. Je ne veux
pas en entendre parler. Viol, encore, je peux, mais
inceste+… et ce mot que j'ai compris à
ce moment là, était masculin. Alors
que jusqu'à maintenant, ce mot là était
pour moi féminin. Parce que ma mère,
quand j'étais enfant, m'en a beaucoup parlé.
Avec mon frère, elle nous faisait une éducation,
pour le père Noël, et pour l'inceste.
Les deux étaient "il ne faut pas croire
au père Noël ; maintenant vous êtes
trop grands, vous ne pouvez plus croire au père
Noël, les cadeaux, c'est fini, le père
Noël, c'est fini." Et il y a une deuxième
chose dans la vie, très importante : "on
n'épouse pas son cousin germain ; parce que
ça, c'est l'inceste. Parce que si on épouse
son cousin germain, c'est le même sang, dans
la même famille" - ça je l'ai très
bien intégré - "et ça fait
des enfants dégénérés,
avec des plaques blanches, des plaques rouges, voilà.
Donc il ne faut jamais épouser son cousin germain."
C'est la loi que j'ai comprise de la vie. Et en avançant
dans mon histoire, j'ai donc compris qu'en effet,
mon cousin germain étant peut-être mon
demi-frère, puisque j'étais peut-être
la fille de mon oncle ; en effet, il valait peut-être
mieux pas que j'avance dans ce terrain là.
Et pour l'instant, ça rebondissait sur le problème
de l'inceste, puisque cet oncle qui était aussi,
peut-être, mon père, m'a aussi violée.
Donc tout ce mot inceste, ça recouvre…
mais c'était une loi de la vie, et pour moi,
c'est l'équivalent du père Noël.
Ça m'a été amené en même
temps. Donc c'était un mot maternel, et par
les psy, c'est devenu un mot paternel. Mais il n'est
toujours pas intégré.
Stéphanie : je me suis
rendu compte de ce qui m'arrivait, en lisant un livre
qui appartenait à ma sœur, et qui traînait
comme par hasard : le livre de Nathalie Schweighoffer
"j'avais douze ans". C'est pour moi un livre
d'une violence inouïe ; malgré tous les
livres sur l'inceste que j'ai lus, c'est bien le seul
qui rapporte vraiment la violence qu'on peut ressentir.
Les autres, je les trouve… pas plats…
mais là, on ressent vraiment toute la violence
de ce qui est ressenti. Et là, je me suis dit
: ah! Bah voilà ce qui t'est arrivé.
Et là, enfin, j'ai pu comprendre. Et je me
suis dit, ah bah voilà, toi aussi, ça
s'est passé comme ça. Et c'est bizarre
que ma sœur aînée l'ait lu, toute
ma famille l'a lu, puisqu'ils se le sont tous passés,
et c'est bizarre, il n'y a que moi qui ai été
incestée. C'est bizarre… ils avouent
des attouchements, maintenant, auprès de la
justice, mais bien sûr, pas de viol. Et j'ai
l'impression que c'est moi qu'on envoie pour dénoncer
le paternel, on va dire…Par contre, j'aimerais
rebondir, quand on parle de professionnel, sur la
justice. Je peux ?
Le modérateur : Absolument!
Stéphanie : Comment la
justice, le jour du procès il ne faut pas se
leurrer - même si je n'y suis pas passée
encore, ce sera dans quelques mois - ils vont me reconnaître
moi, en tant que victime. Ça c'est quasiment
fait ; ils ont reconnu déjà que c'était
"viol sur mineure". Mais pendant le procès,
son travail, à l'avocate adverse, va être
de lui trouver des circonstances atténuantes.
Mais à nous, victimes, qu'est-ce qu'on va nous
trouver comme circonstances atténuantes ? On
va dire que voilà ci, voilà ça…
et donc déjà, je trouve ça dégueulasse.
Et quand on voit que nous, c'est notre vie qui est
bousillée, qu'importe que nombre d'années
où on a vécu ça, c'est notre
vie qui est bousillée. Et lui, on lui dire
: "ben tiens, tu vas en prison pendant…"
déjà, les années de prison, je
rigole un peu, c'est quatre, cinq six, sept ans, mais
ça va très rarement au-delà.
Et après, il a payé sa dette à
la société. Et quand on parle de dommages
et intérêts, ils sont rarement solvables,
donc qui est-ce qui paie pour ça, c'est monsieur
et madame tout le monde. Moi, c'est mon avocat qui
me l'a expliqué, et encore une fois, qui est-ce
qui paie pour tous ces salopards, ces monstres là,
c'est encore nous. Et je crois que au niveau de la
justice - effectivement, tout à l'heure, j'entendais,
on parle beaucoup des procès - mais à
propos de la souffrance des victimes : pas un mot.
Il n'y a pas un mot de dit. Je pense qu'il faudrait
carrément tout revoir le système. Je
pense que t'as violé un enfant, déjà,
il y a trop de monde dans les prisons, moi je pense
que allez hop! Chaise électrique! Enfin non,
il vaut mieux les couper petit bout par petit bout,
comme ça la souffrance sera un peu plus là.
Annabel : Je me souviens quand
j'étais petite, une ou deux fois, de déjeuners
à table, où ma mère ou ma grand-mère
avaient fait référence à une
histoire comme ça, de personne ayant battu,
ou fait mal à des enfants. Et papa s'était
lancé dans des diatribes sur le fait qu'il
se chargeait lui-même de les tuer à petit
feu, avec descriptif terrifiant et abject des tortures.
Et donc, je me disais, "ah! Mon papa! Vraiment!
Ça le révolte!"
Stéphanie : D'après
ce que j'entends, c'est faites ce que je dis, mais
ne faites pas ce que je fais.
Annabel : Oui, ou c'est un tel
déni. Je pense plutôt maintenant, avec
le recul, que - ça favorise aussi probablement
l'amnésie pour les victimes - ça n'existe
pas. Ça n'a pas lieu. Parce que c'est pas supportable,
pour des personnes à peu près sensées,
de regarder sa petite fille, ou sa propre fille petite,
en pensant aux horreurs, aux tortures qu'il a fait
subir ; donc ça n'existe pas. Et donc ça
n'existe pas pour lui, et donc, c'est quelque chose
de très très mal. Et si d'autres, s'il
est prouvé que d'autres le font, pour montrer
à quel point, lui, ça ne lui viendrait
tellement pas à l'idée de faire ça,
je crois qu'il cautionne son déni comme ça.
Je pense que c'est plus du déni complet. Ça
nous avance pas mais…
Sidonie : Si! Ça nous
avance beaucoup. La grosse question, c'est pourquoi
l'amnésie ? Pourquoi à sept ans, j'ai
trouvé ce truc là ? D’où
ça me vient ? Je crois que là, je viens
d'entendre la réponse : ça n'existe
pas. Personne ne donne… donc moi, j'ai fait
comme je voyais faire autour de moi : ça n'existe
pas. Donc c'est ça qui devient de l'amnésie.
Annabel : et puis on n'a rien
à se rappeler, puisque ça n'a pas lieu.
Sidonie : Oui, pas de lieu, pas
d'heure, pas d'acte. Rien! Ça n'existe pas,
ça n'a jamais été nommé.
Donc amnésie. Et maintenant, je crois que l'amnésie
est quelque chose que j'ai intégré.
C'est un truc que je peux comprendre facilement, et
qui pourrait en arriver à du déni, des
fois. Moi aussi, quand ça m'arrange, quand
c'est trop insupportable, je me dis : ça, je
sais faire, je mets de côté. J'oublie.
Je suis devenue une grande spécialiste de ça.
Delphine : Pour revenir…
quand j'entends parler dans des émissions ou
dans les journaux, d'inceste. Je rejoins un peu ce
que tu disais, Lise ; quand il y a des victimes qui
parlent, je trouve que grosso modo, c'est toujours
ça de pris pour les spectateurs, c'est toujours
ça dont ils entendent parler vaguement. Bon.
Par contre, là, où… la campagne
dont tu parles ne me dit rien, mais je suis d'accord
avec toi. C'est comme les campagnes qui consistent
à dire aux enfants "apprenez à
dire non!" ou bien "ton corps t'appartient".
Le truc hyper culpabilisant ; je trouve ça
très difficile aussi. Et sinon, c'est plutôt
la parole des professionnels, les psy, ou les professionnels
de… comment on appelle ça ? de la protection
de l'enfance… qui parlent, qui sont en général
invités pour donner leur avis. Alors pour le
procès d'Outreau ou d'Angers, mais aussi à
propos de la récente campagne qu'avait fait
AIVI avec ses visuels. Vous l'aviez vue ? Toutes les
associations de la protection de l'enfance étaient
amenées à donner leur avis, et là,
ça m'avait absolument révoltée
- migraine, nausée, une bonne totale - ces
discours qui étaient à peu près
consensuels pour dire que "non! Non! Ces visuels,
c'est dégueulasse!" Fallait pas parler,
fallait pas montrer l'inceste comme ça, fallait
pas parler de ces choses là comme ça,
et que l'inceste, ça doit se traiter - je transforme,
ce n'était pas dit comme ça - mais l'inceste,
ça doit se traiter en catimini. Ça se
règle sous la table. Et aussi, ça aussi
ça m'avait rendu dingue : "imaginez n'importe
quel père de famille qui entend ça,
c'est très culpabilisant!" Tu sais, un
père qui entend parler d'inceste. De toute
façon, l'inceste, quand c'est évoqué
par des professionnels, c'est toujours père-fille,
ou beau-père fille. L'inceste frère-sœur,
ça n'existe pas, les grands-parents, les mères,
jamais, c'est toujours… et donc là, le
discours, c'était "pour un père
qui est fragile, il peut lire ça, et puis…
" tu avais l'impression qu'il pouvait lire ça,
et puis tout à coup, déraper, ça
pourrait lui donner des idées. Je trouvais
que c'était à la fois accablant de connerie,
puis de… faut vraiment avoir rien compris, ou
n'avoir jamais croisé de victimes. Et pourtant,
ces gens, ils en croisent, faut vraiment avoir tout
entendu de travers… Et en général,
ces paroles synthétisées, ou ces paroles-types,
ou ces espèces de discours génériques
qui sont fondés sur tu sais pas quoi, ils me
mettent très en colère.
Le modérateur : est-ce
que quelqu'un veut ajouter quelque chose ?
Lise : Juste un petit mot par
rapport au mot inceste, qui, grâce au Ministre
Perben, va être nommé dans le code pénal.
Donc ça, c'est le mot lui-même. Et il
prend juridiquement tout son sens.
Delphine : C'est grâce
à Perben, mais c'est grâce aussi et surtout
à la bagarre menée par les associations
de Grenoble, de SOS-Inceste, qui se bagarrent pour
ça.
Lise : Oui, mais il l'a annoncé
à Lyon, dans un colloque, récemment.
Et quand même, c'est très important.
Stéphanie : Oui, c'est
effectivement très important, et pendant ma
procédure, je vois que sur aucun des papiers
juridiques que je reçois, en aucun cas il y
a écrit "inceste". Il y a écrit
: "viol aggravé". Maintenant, a été
reconnu "viol sur mineure de moins de quinze
ans", mais, le mot inceste n'existe pas. Comme
disait Lise, faut bien séparer le viol de l'inceste.
Parce que le viol, ça a plutôt une connotation…
quelqu'un qui dit qu'il a été violé,
on pourrait supposer qu'elle a été violée
une fois. Tandis qu'un inceste, c'est déjà,
premièrement, par quelqu'un de la famille,
ou, de très proche, et surtout, ça a
surtout une connotation de durée. Mais il faut
que le mot inceste soit compris par tout le monde.
Le modérateur : Je vous
propose de faire une pause maintenant, et je vous
propose de redonner ensuite la parole à Stéphanie,
sur le troisième thème, parce que là,
ce que vous venez de terminer, permettait vraiment
l'ouverture sur le troisième sous thème
abordé.
[pause]
Le modérateur : Donc
nous allons aborder le troisième sous thème
:
"qu'est-ce que je ne dis pas
de l'inceste lorsque je peux être entendu, ou
lorsque je suis entendu" ?
Delphine : Moi qui ai pondu ce
sous thème, je vais vous répondre parce
qu'en l'imaginant, je pensais précisément
à ce que tu as dit, Régane, tout à
l'heure. Du fait que… je ne sais pas comment
le dire…que les faits, tu ne veux pas les dire
parce que tu trouves que…
Régane : Je disais que
les mots me parlent moins que le ressenti.
Delphine : Ah oui! C'est ça,
mais ce que j'allais dire, en fait, tu ne l'as pas
dit ; parce que ça salit, que c'est dégradant,
ou tout ça.
Régane : J'ai dit que
les deux premières fois que je l'ai dit, je
me suis sentie sale.
Delphine : Oui, c'est ça.
Tout à coup, je me suis dit ; je suis en train
d'inventer. Donc en fait, je crois qu'il y a deux
choses. Je crois que je peux dire que mon grand-père
m'a violée ; c'est un peu mon maximum. Je peux
à peine dire qu'une ou deux fois, mon père
a participé, c'est vraiment exceptionnel que
je le mentionne. Parce que le dire, ça fait
que c'est un petit peu réel, et puis je ne
peux pas m'y faire, alors en ne le disant pas, ça
existe moins. Et de dire un peu plus long que simplement
cette phrase là, "mon grand-père
m'a violée", ça non plus je ne
le peux pas. Parce que là aussi, ça
rend réel, et je trouve ça dégoûtant.
Les faits eux-mêmes sont tellement dégueulasses
et vraiment répugnants, que rien que de le
dire… que l'autre, je ne sais pas si l'autre
se fait une représentation… Mais entendre
ça, c'est comme si ça me resalissait
un petit peu. Je crois que je préfère…que
l'autre… dans le fond, dire les mots - ce que
tu disais - crûment, clairement : ça
il a fait ça ; je me sens comme si j'étais
resalie une fois de plus. Donc je ne le dis pas. Et
ce que je ne dis pas non plus, même là,
dans l'association - ce que j'ai dit en psy - donc
ce que je ne dis à personne, en gros, c'est
tout ce qui est la douleur physique des viols. Tout
le "après", la dégueulasserie
physique, tout ça, je ne peux pas le dire.
Tout ce que j'ai appelé, quand ça m'est
venu en psy, les opérations de nettoyage. Parce
que c'est trop dégueulasse. Donc finalement,
le mot viol, il est connoté violence. Donc
dire à quelqu'un "mon grand-père
m'a violée", déjà, ça
parle, le viol, pour les autres. Mais je ne sais pas
ce que les gens qui n'ont pas été violés
en ont comme représentation, mais de toutes
façons, pas celle qui est la réalité.
Ce que vous disiez toute, d'ailleurs. Pas la représentation
de ce que j'ai vraiment vécu, quoi. Et puis
qu'est-ce que je ne dis pas ? Bien je ne dis pas la
durée. "Il m'a violée", tu
dis ça, l'autre il croit que ce n'est arrivé
qu'une fois. Tu dis jamais, "c'était de
bébé à sept ans", donc ça
dure sept ans. Tout ça, la durée, la
douleur, tu ne le dis pas.
Stéphanie : moi, ce que
j'ai du mal à dire, c'est que… c'est
que je le suivais. Et tout ce que ça en découle.
Et tout ce que ça en découle, parce
que j'étais coupable, c'est qu'inconsciemment,
je le suivais. Donc l'expert psychologique qui a réussi
à me le faire cracher, ce mot-là, et
bien je le suivais. Je le suivais, il ne me disait
rien, et pourtant, je le suivais. Et ça, j'ai
beaucoup de mal à le dire, parce que ça
sous-entend une certaine… un certain consentement,
qui n'était pas là, qui était
là physiquement, mais pas moralement. Physiquement,
évidemment, je le suivais, mais moralement,
dans ma tête, non. Et les détails. Je
choisis à qui les dire. La justice, je n'ai
pas pu faire autrement que… en plus, ils vous
demandent de les dessiner, de dessiner les pièces.
Carrément, tout ce que vous n'avez jamais dit,
en une seule fois ils vous demandent tout ça.
C'est très très dur. C'est les détails.
De dire les détails, ça rendrait la
chose réelle. Et j'ai pas envie de ressentir
à nouveau ce que je ressentais à ces
moments-là. C'est de les rendre concrets. Alors
quand je dis "j'ai été violée"…
tandis que si je dis des actes, des mots : "j'étais
sur la table, avec les chaises, et tout…"
ça rend la chose plus concrète. Et…
bien non.
Sidonie : Ce que j'entends, c'est
que je suis entièrement ce qui ne se dit pas.
Ce qui ne se dit pas, je ne l'ai jamais dit. Pour
une bonne cause : j'ai une amnésie. Je me suis
bien protégée, en ayant coupé
ces choses-là en morceaux. J'ai tout ce qui
s'est passé avant, la protection, la douceur…
et ce qui s'est passé juste au moment, c'est-à-dire
les mots, ce qui a été dit, donc ce
que je peux travailler en analyse, en voir les répercussions
sur moi. Après, les actes… clac! Oubli
complet! Le noir! La nuit! Donc je ne peux rien en
dire. Et puis après, il y a le réveil,
le matin. Avec tout ce que j'ai vu : le lit, les murs,
les draps, y compris mon corps. Mais pas mon corps
à moi, mon corps tel qu'il a été
pris en charge par une voisine. Avec sa petite fille.
Et j'ai souvenir de cette voisine me soignant, de
sa petite fille me regardant les fesses, etc. Mais
moi, je suis absente. Mais j'ai tout ça. Donc
je me débrouille bien, là. Je peux tout
dire. Et la seule partie, celle qui est sale, celle
qui est horrible, celle qui est souffrante, je ne
l'ai plus. Je pourrais dire : je n'ai gardé
que le meilleur... oui, mais je ne sais pas encore
comment je me débrouille. Je me construits
sur la partie positive. Le tableau qu'il y a avait
au dessus du lit. Je suis entièrement sur ce
tableau, qu'il y avait au dessus du lit, et moi, je
me place entièrement là-dedans. Je projette
tout. Donc je ne peux pas dire un mot, puisque je
ne l'ai plus.
Cloé : Moi ce que je ne
dis pas, c'est à peu près tout, puisque
je ne dis rien. En fait, à l'époque
où j'ai pu en parler, il n'y a qu'une personne
à qui j'en ai parlé, c'est la personne
qui était à l'époque mon compagnon,
et qui vivait les cauchemars avec moi. Je ne lui en
parlais pas, mais du fait qu'il était à
côté de moi, et que j'ai eu la chance
que cette personne là était un policier…
et je sais pas, c'était un bon policier. Il
m'a accompagné pour que les souvenirs reviennent.
Mais c'est vrai que je me rappelle - par exemple -
qu'il était à côté de moi
quand les crises arrivaient. Quand je revivais une
scène de viol. Je ne lui parlais pas, mais
je me rappelle qu'à un moment, je lui ai dit
"je voudrais avoir de l'eau, j'ai besoin de boire
et de manger quelque chose". Et j'ai pas dû
lui dire à ce moment là, parce que j'avais
le goût du sperme dans la bouche. Et c'est la
seule personne avec qui j'en ai vraiment… même
pas parlé, en fait. Depuis, mon travail a été
d'en parler avec les gens qui sont autour de moi,
et à chaque fois, la seule chose que je sais
dire, c'est : "j'ai été violée".
J'ai jamais expliqué ce qui s'était
passé. Bon, je suis aussi dans le cas où
de toutes façons, je n'ai pas toute ma mémoire
; j'ai fait ramené seulement une partie de
ma mémoire ; le reste, je ne veux pas le ramener.
Donc je ne sais pas de quel âge à quel
âge. Je sais à certains endroits, je
ne sais pas à d'autres. Donc tout ça,
je ne sais pas l'expliquer. Donc la seule chose que
je dis, c'est "j'ai été violée",
puis ça s'arrête là. Mes amis,
je n'ose pas leur en parler, parce qu'elles ont des
enfants. Et puis un jour, je voudrais avoir des enfants
et je ne voudrais pas qu'ils imaginent l'inimaginable.
Mes parents, j'arrive pas à le dire parce que
j'ai peur qu'ils… en fait, je n'en parle même
pas, parce que j'ai peur que ça fasse mal aux
gens. J'ai peur que les gens souffrent, ce qui est
complètement… parce qu'après tout,
c'est à moi qu'on a fait mal, et pas aux autres.
Et après, dans ma vie plus personnelle avec
un compagnon, je n'en parle pas parce que comme j'ai
été violée, après, il
n'ai plus d'envie pour moi. Je me dis que c'est difficile
de parler à un homme en lui expliquant qu'on
a été violée de telle ou telle
manière, donc voilà. Il y a plein d'autres
choses. Par contre, je ne parle pas du viol, mais
je ne parle pas non plus de ce que je ressens. Je
ne parle pas des vingt ans de ma vie où je
me suis construit un monde, où j'ai fait comme
j'ai pu, et je ne parle pas non plus de ma vie maintenant,
où j'ai des angoisses le soir quand je vais
me coucher parce que la nuit est devenue horrible.
Et je ne parle pas de tout ça, et à
la limite, c'est peut-être de ça dont
j'aurais le plus besoin de parler avec les gens qui
sont autour. Parce qu'à la limite, dire "j'ai
été violée", les gens s'arrêtent
là. Et après, il y a tout ce qui vient
derrière.
Le modérateur : merci…
Lise : ce que je n'arrive pas
à dire, ou que j'ébauche vraiment infinitésimalement,
c'est cadre dans lequel s'est passé mon enfance.
Je dis "c'était la pauvreté",
mais en fait, c'était la grande misère,
le taudis, la pièce unique, le lit partagé
à plusieurs. Et quelque part, je ne le dis
pas, et je n'arrive pas à m'en débarrasser,
c'est… bon, je dormais avec ce frère,
on dormait côte à côte, serrés,
il n'y avait pas de place. Quelque part, je l'innocente
un peu. Et ça, je m'en veux, mais je n'arrive
pas à avoir de la colère contre lui.
Je dis que c'est de la faute à mon père
qui était alcoolique, qui nous faisait mener
une vie dans une famille nombreuse, une vie impossible.
C'était vraiment… je me demande…
même parfois… heureusement qu'on est encore
neuf vivants dans la famille qui pourraient témoigner
que c'est vrai, sinon, parfois, je me dis mais ce
n'est pas possible qu'on ait grandit dans ce cadre.
Et ça, je minimise ce que mon frère
m'a fait, à cause de ça. Je le minimise.
Je l'innocente un peu. Il n'a pas tous les torts,
c'est à cause de ce père qu'on a vécu
tant de misère. Et si je parle, dans le cadre
d'AREVI, j'en parle ; mais il y a inceste et misère,
les deux sont presque liés. J'en veux plus
à mon père qu'à mon frère.
Et ça c'est difficile, j'ai de la peine à
faire de la clarté là-dessus ; pourquoi
le père plus que le frère ? J'en parle
en thérapie, de ça, plus peut-être
qu'ici. Je ne dis pas que je n'en parle pas, mais
à peine. J'ai l'impression que l'atmosphère
dans laquelle nous avons vécu, grandi, est
plus lourde encore que l'inceste que j'ai subi pendant
plusieurs années. Merci.
Le modérateur : merci…
Stéphanie : ce que j'ai
du mal à dire, ce que j'ai du mal à
m'avouer, c'est le rôle de la mère. Quel
rôle elle a joué dedans ? je ne supporte
pas l'idée que ma mère ait pu être
au courant et ne rien dire. Bien sûr, des faits
me disent qu'elle était obligatoirement au
courant, et qu'elle a laissé faire pour ne
pas l'avoir sur le dos. Que quand, à dix-sept
ans, j'ai essayé de lui faire comprendre et
qu'en rigolant, elle me dit "qu'est-ce qu'il
y a, Stéphanie, ton père te viole ?"
; je me dis, elle n'a pas pu prononcer ces mots-là
par hasard. Quand, une fois, ça se passait
dans la salle à manger, qu'elle s'est levée
; elle a bien vu que son mari n'était pas là.
Elle a bien vu qu'il ne regardait pas la télé
; elle ne s'est pas posée la question d'où
il était ? Et les serviettes qu'il utilisait,
elle les lavait ?! Et c'est vrai que j'ai beaucoup
de mal à dire que ma mère a été
aussi complice, aussi perverse que lui. C'est bien
la première fois que j'utilise le mot perverse
vis-à-vis de ma mère. Je me dis…
j'ai pris ça en pleine gueule en pleine thérapie…
que je pense que comme lui il n'avait pas une vie
satisfaisante, il s'est tourné vers ma sœur
aînée ; ma sœur aînée,
pour protéger sa mère, elle subissait.
Ma mère, trop contente de ne pas subir, laissait
ma sœur aller à l'abattoir. Et ça,
j'ai beaucoup de mal…j'ai du mal à le
dire, j'ai du mal à y croire, parce que je
n'ai pas envie de croire que ma mère, ma propre
mère, ait été en quelque sorte
sa complice, tout ça parce qu'elle ne voulait
pas remplir son rôle. Qu'il ait des maîtresses,
et tout, ça, à la rigueur, on s'en fout.
Qu'elle l'accepte, je le comprends. Mais vis-à-vis
de ses propres enfants, ça, je ne comprends
pas. J'ai pas envie de me dire que ma mère
a été complice. C'est pour ça
que quand j'ai porté plainte, les exemples
que je viens de vous donner, je ne les ai pas dit
à la justice, parce que j'ai pas envie que…
je sais que ma mère peut prendre cinq ans de
prison, et j'ai pas envie. Je la protège, je
n'ai pas envie qu'elle aille en prison. Sciemment,
je ne l'ai pas dit.
Régane : Je ne sais pas
exactement ce que je ne dis pas quand je parle d'inceste,
mais je pense que je suis capable de dire pourquoi…
à quel moment je ne le dis pas ; c'est quand
j'ai peur de ne pas être comprise. Et quand
j'ai peur de faire mal à la personne qui m'entend,
et qu'aussi, je me fais taire en minimisant ce qui
m'est arrivé. En disant : "c'est rien,
c'est pas si grave".
Delphine : Je dis comme toi,
je suis d'accord. C'est vrai que tout à l'heure,
je disais ce que je ne dis pas, mais c'est bien évidemment
que c'est aussi en fonction de l'interlocuteur. Mais
à part ici, où c'est le maximum de ce
que je peux dire, sinon à l'extérieur,
je ne vois pas qui d'autre pourrait entendre, ou m'écouter.
A part ma famille proche, aussi. J'aurais peur qu'on
ne me croit pas, où qu'on me dise que je suis
dingue, ce qui n'est pas supportable en plus. Et sinon,
ce que je ne dis pas - tu m'as fait penser à
ça tout à l’heure - c'est le plaisir
que j'ai ressenti quand mon grand-père me torturait,
il me faisait des tortures nazies et me violait, sauvagement.
Je ne le dis pas, mais pas tellement pas culpabilité.
Bérénice, ma compagne, a été
violée par son frère pendant des années,
et elle… elle a du mal à affronter le
fait que de temps en temps, c'est effectivement elle
qui y allait, ou qu'elle le suivait. Elle ne le voulait
pas, mais elle y allait quand même. Elle se
souvient aussi que des fois, elle était "sur"
lui, et donc, ça la fait hyper culpabiliser
parce qu'elle se dit ; si je suis sur lui, c'est qu'il
ne me force pas par une prise de judo. Et ça,
ça la ravage de culpabilité, parce qu'en
même temps, c'était du viol, et elle
ne voulait pas, et tout ça. Et moi, ce que
je ne dis pas, c'est le plaisir que j'ai ressenti,
et dont je ne me sens pas vraiment coupable parce
que… j'avais aucune… tout se passait indépendamment
de ma volonté, de mon bon vouloir. Moi, je
n'y suis jamais allée de mon plein gré,
je pense que ça m'aide à ne pas culpabiliser
de ces sensations de plaisir physique que j'ai ressenties.
Mais je n'avais pas le choix.
Cloé : je ne parle pas
non plus de la haine que je peux avoir pour les gens
qui m'ont entourée, et qui n'ont rien vu, rien
voulu voir, rien pu faire. Je me pose la même
question : ma grand-mère. On est deux dans
l'histoire, et elle n'a rien vu, elle ne sait rien.
Et maintenant, on m'accuse de dire "mais si tu
l'avais dit, on aurait fait quelque chose". Donc
c'est moi qui suis la méchante. Mais c'est
vrai que des fois, je me dis, mais comment ça
se fait qu'à dix ans, personne s'est préoccupé
de savoir pourquoi je restais toute la journée
dans la chambre, pourquoi je ne voulais pas sortir
du lit. Pourquoi à seize ans, personne s'est
préoccupé parce que je voulais devenir
bonne sœur et que je supportais pas qu'un homme
me touche. Plein de choses comme ça qui sans
doute, pour moi, maintenant, sont faciles à
dire parce qu'avec le retour, il y a tout ça.
Mais… pour ma grand-mère… je n'arrive
même pas à lui en vouloir pour moi, parce
qu'en fait, il y a quelqu'un après moi. Et
en fait, je lui en veux, si elle l'a su pour moi -
parce que je ne vois pas comment elle pouvait ne pas
savoir - je la protège aussi, donc je me dis,
elle l'a su pour moi mais elle ne pouvait rien dire.
Elle devait sans doute subir elle aussi… mais
comment elle a pu laisser derrière, ma cousine
toute seule avec lui ? ça, par contre, je n'arrive
absolument pas à en parler. J'en parle avec
des gens extérieurs à ma famille, je
ne remets jamais en cause ma grand-mère. Je
dis que j'ai été violée par mon
grand-père mais ça s'arrête là.
D'un point de vue de ma famille, je suis à
peu près persuadée que ma mère,
et peut-être ma tante, ont subi la même
chose, parce qu'elles ont des comportements assez…
et en fait, personne ne le sait. Je ne veux pas qu'à
un moment, des gens puissent critiquer ma mère
ou ma grand-mère. Donc lui, c'est l'agresseur,
mais tout le reste - qui est tout aussi important
- parce que pendant des années, moi j'avais
oublié et les gens ont fait comme si rien ne
s'était passé.
Sidonie : Je voulais dire aussi
qu'il y a un endroit où je ne le dis pas, c'est
auprès de mes fils, et plus précisément,
auprès de mon fils aîné. J'ai
failli le lui dire, mais comme je savais que j'avais
à dire quelque chose de très lourd,
de très fort, et qu'il s'agit de mon fils,
j'ai donc pris toutes les précautions d'usage,
il doit y avoir à peu près six mois
de ça. Il était très à
l'écoute, selon moi, c'est un homme qui est
en mesure d'entendre. J'avais… pas vraiment
envie… mais ça fait partie de l'histoire
de la famille que je désirerais lui léguer,
pour qu'il comprenne tous les aboutissants, tout ce
qui se passe dans la procédure avec mon père.
Bon, ils en comprennent des parties, mais ça
s'arrête à un certain endroit, qui serait
presque l'histoire pécuniaire, alors qu'il
ne s'agit absolument pas de ça. Que si je veux
aller un peu plus loin, il y a des petites bribes
qu'ils peuvent supposer, mais bon, c'est le fantasme
de la mère, on n'y touche pas. Et j'aurais
voulu, à l'occasion de mon entrée ici
au groupe AREVI. J'ai saisi un peu cette occasion-là
à un moment, pour lui dire que j'étais
heureuse de faire partie d'un groupe de paroles, de
femmes, qui avaient les mêmes problèmes
que moi, et où je pouvais parler, et que c'était
très important pour moi. Et tout de suite,
il a dit : "oh! C'est bien…" alors
j'ai donné les initiales, et puis j'ai dit
"mais tu sais, c'est des choses peut-être
un petit peu lourdes" et j'ai quand même,
là, pris des précautions, pour dire
que ce n'était peut-être pas facile à
aborder mais que j'étais prête à
en parler, etc… et alors là, il m'a dit
très clairement : "je préfère
que tu ne m'en parles pas", très clairement
; il a dit "c'est bien", et depuis, de temps
en temps, il me demande si je vais toujours à
mon groupe, et je lui dis que oui, et… et je
ne sens pas une fermeture dure ; je sens qu'il me
dit :"je ne suis pas en mesure d'aborder plus
de problèmes que les miens". Et ça,
je l'entends tellement autour de moi, même des
gens les plus proches, que j'entends bien qu'ils ont
déjà bien assez de leurs problèmes
et que moi, la mère, si en plus de ça…
je suis quelque part leur pilier, à mes deux
fils. Faut pas que… je ne peux pas me permettre
pour l'instant de toucher à cette statue-là.
Mais un jour, peut-être, ils pourront. Ils savent
qu'il y a des choses à dire, au moins un des
deux le sait.
Régane : Moi, ça
vient de me faire penser, en fait, qu'il y a deux
choses que je ne dis jamais, mais que j'entends souvent.
C'est que un, il y avait ma sœur avec moi dans
la baignoire. Et j'ai absolument aucun souvenir du
moment où ma mère était sur elle.
Et l'autre chose, il ne me serait jamais venu à
l'esprit de m'en prendre à mon père.
Sauf une fois où je suis sortie d'une séance
d' EMDR et je l'ai traité de connard, parce
qu'il n'était même pas là. Voilà.
Annabel : moi, pendant très
longtemps, je n'ai pas du tout parlé de ma
mère. Et quand j'ai commencé à
en parler - alors en psy, évidemment - j'ai
compris que je n'en parlais pas parce qu'en en parlant,
je parlais de moi. C'est-à-dire qu'en posant
les questions que j'ai entendues ici : "mais
c'est pas possible qu'elle ne le savait pas…"
"comment a-t-elle pu laisser faire ?" c'est
exactement les questions que mes enfants pouvaient
se poser vis-à-vis de moi. Donc je me suis
trouvée dans une… je ne sais pas comment
dire… dans un espèce d'étau. Avec
une prise de décision : est-ce que je n'en
parle pas parce que je ne peux pas, et puis je laisse
ça. Ou bien est-ce que j'en parle quand même,
et jusqu'où je vais supporter de me mettre
en danger ? Et donc j'ai fini par en parler beaucoup,
ne sachant jamais en fait si je parlais d'elle ou
de moi. C'est une ambiguïté très
très pénible, en terme d'identité
dans la mémoire, dans mon histoire. Je ne sais
jamais de qui je parle, si je parle de moi, si c'est
de mes enfants que je parle en parlant de moi, ou
si c'est de maman, en tant que mère ; c'est
hyper pénible. Moi, en tous cas, d'où
j'en suis arrivé ; elle, je ne sais pas parce
qu'après tout, je n'étais pas dans sa
peau. C'est que d'une part, l'amnésie, donc
le déni complet, familial ; j'ai grandi là-dedans
: ça n'existe pas, ça ne peut pas arriver,
donc re-belotte, jusqu'au bout ; quand les enfants
étaient petits. Ça, c'est une chose.
Une autre chose, c'est que j'ai toujours eu très
très peur de lui, je sentais des trucs menaçants
sur lesquels je ne pouvais pas mettre de mots. Et
j'essayais de limiter, quand ils étaient en
âge de parler, les fois où ils allaient
dormir - mes enfants, chez leurs grands-parents -
et eux, voulaient tout le temps y aller, parce qu'ils
étaient très gâtés, enfin
pour plein d'autres raisons. Donc en fait, il fallait
que je me dispute avec eux pour essayer de les empêcher,
mais je ne savais même pas de quoi. Sur des
maux physiques, des dégâts physiques
sur ma fille, évidemment qu'il y en a eu, puisqu'il
y en avait pour moi, donc évidemment il y en
a eu. Il y en a eu sur mon autre fille, en tous cas,
puisque justement, ça nous est revenu assez
récemment, où mon autre fille a eu des
douleurs dans les bras. Elle a travaillé dessus
en psy, et elle s'est rappelé que mon père
la tirait pour qu'elle voit bien ce qu'il faisait
à sa sœur ; donc des bleus, des coups,
des blessures, il y en a eu. Et bien il n'y a pas
pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, donc
toujours probablement attribués à d'autres
bagarres entre enfants, je n'en sais rien. Et les
années passent, dans l'aveuglement, en tous
cas, inconscient. Ça c'est ce que je peux dire.
Pour ma mère, en tous cas, je ne peux pas parler
à sa place, c'est sûr. Par contre, toute
mon enfance, jusqu'à d'ailleurs… quand
mes parents sont morts, j'avais une trentaine d'années,
donc disons pendant trente ans, elle a été
littéralement empêché de vivre
par des migraines abominables qui la tenaient dans
le noir. On ne pouvait pas la toucher, pas l'approcher,
pas lui parler ; elle ne mangeait pas, enfin elle
se coupait littéralement du monde. Elle était
enfermée dans la douleur, ça lui durait
plusieurs jours par mois, toute sa vie, récurrentes
; les médecins n'ont jamais rien trouvé.
Donc je ne pense pas qu'elle vivait ça, consciemment
ou inconsciemment, dans la sérénité,
vu l'état horrible de dépression. Sur
: que c'est impossible de ne pas voir : c'est évident.
Parce que les serviettes, dont j'ai entendu parler…
les draps, les vomis, les coliques, la merde, toutes
ces horreurs… en plus, chez mes parents, il
y avait une blanchisseuse, il n'y avait pas de machine
à laver, donc je ne peux même pas dire
qu'il faisait tourner une machine pendant la nuit,
ce n'est pas possible. Donc tout ça devait
être en vrac quelque part. Matériellement,
c'est pas possible que ça n'ait pas été
vu. Et bien : rien vu. Rien signalé. Rien dit.
Donc c'est pour ça que pendant longtemps, je
n'ai pas parlé de maman, parce qu'en parlant
d'elle, je parlais de moi. Mais j'ai fini quand même
par en parler.
Le modérateur : merci…
Stéphanie : je parle très
rarement de ce qui s'est passé avec mes frères.
J'avais moins de dix ans… parce que je ne sais
pas si… pour moi, il y avait une notion de chantage.
Et ça, je ne l'accepte pas. Je n'accepte pas
que…est-ce que je me dis que je n'ai pas ressenti
ce qu'ils me faisaient comme des viols, pour me mieux
l'accepter ? parce qu'en fait, c'était pour
des… ça peut paraître stupide,
mais on vivait assez pauvrement, et c'était
sous des prétextes de "je te donne un
livre à écrire", ou "je te
donne des règles, un stylo"… ça
j'ai énormément de mal, donc du coup,
je ne sais toujours pas où me situer par rapport
à ça. C'est comme… j'ai dit à
la justice que je ne savais pas le premier viol, et
en fait, je me rappelle très bien. Ils m'avait
fait un chantage pour me refaire percer les oreilles
qui étaient bouchées, parce qu'on les
avait déjà refaites ; et en fait, c'était
là-dessus. Est-ce que j'ai pris conscience,
à l'époque, de ce que ça impliquait,
je ne sais pas. Il y a aussi eu le vélo ; il
y a aussi eu les patins à roulettes. Et ça,
je ne le dis pas, parce que c'est comme si que j'avais
accepté tout ça. C'est comme je dis
: quand ça se passait, j'étais un mur,
une pierre, incapable de ressentir quelque chose…
parce que j'avais pas envie de dire réellement
ce que je ressentais. Comme quand il venait me chercher
; pour clarifier, je parlais de momie. Je me momifiais
avant qu'il vienne. Par rapport à mes frères…
je dis : j'aime mes frères, j'ai été
violée "que" par le mari de ma mère.
C'est comme cet ami, donc en fait, le quatrième…qu'est-ce
qui s'est passé avec lui, j'en ai quasiment
jamais parlé, parce que ce jour là,
je ne sais même pas. Pour lui, maintenant adulte,
je sais ce qui s'est passé. Sa femme était
enceinte, elle ne devait plus pouvoir, et donc…
mais j'avais quatorze quinze ans, et j'étais
une… c'est comme si mon esprit était
hors de mon corps. Je me vois le suivre. Ou, est-ce
que c'est une manière de dire que c'est pas
arrivé à moi, c'est pas moi ; comme
pour mes frères, ce n'est pas un viol, ce n'est
pas arrivé à moi ; je ne sais pas.
Le modérateur : Il est
dix-sept heures. Est-ce que quelqu'un a envie de rajouter
quelque chose, de dire quelque chose ?
Delphine : Sortez-moi de là,
j'en peux plus ; on va prendre un verre ?…
Lise : moi, c'est bon, ça
va…
Le modérateur : Je pense
qu'on va arrêter l'atelier là ; et je
pense que tout le monde est reconnaissant de la qualité
des paroles qui ont été émises
au cours de cet atelier.
[fin de l'enregistrement]
|