"Si
je pouvais porter plainte, est-ce que je le ferais
?"
- atelier du 14 février 2004
1) Préambule
2) Porter plainte
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
à l'époque de ce thème "porter
plainte", il n' y avait pas encore de psy pour
animer, c'était le premier de nos ateliers,un
des seuls dont nous avons gardé une transcription,
nous les appelions "groupes de réflexion",
pour les différencier des groupes de paroles.
D'abord ils ont eu lieu juste après les GP,
aidant au débriefing d'après groupe,
souvent nécessaires pour nous tous. Puis, le
succès et l'intéret de la formule aidant,
nous avons décidé de les dissocier,
pour en faire une activité à part.
Les échanges, réactions et réponses
étaient possibles et alimentaient la réflexion,
en direct.
la présentation de cette transcrition est donc
un peu différente de celles qui ont suivi,
alors cadrées professionnellement par P...
2) Porter plainte
Delphine : alors je pensais…
soit on fait un tour de table pour voir ce que chacun
a envie de dire, soit, on commence avec les questions
qu'on se posait… on a pensé à
cet intitulé d'atelier pour coller un peu à
l'actualité qui est la loi Perben 2 et l'amendement
139…
(inaudible…) on a pensé
qu'il y a des tas de choses qui sont notre quotidien
et qu'on ne lit jamais dans les travaux sur l'inceste.
Donc on s'est dit qu'on pouvait se poser les questions
entre nous, sur ce qu'est la vie avec l'inceste dans
l'enfance. Une des façons de poser la question
de porter plainte, c'est de se positionner…
c'est d'imaginer qu'on a encore l'âge pour porter
plainte.
Annabel : rappelle-moi l'âge
limite ?
Delphine : actuellement, on a
jusqu'à dix ans après la majorité,
mais le projet de loi viserait à faire passer
le délai à vingt ans après….
Donc, on se disait qu'on ne va pas se demander de
nous mettre dans l'état dans lequel on était
il y a quinze ans, mais on proposait d'imaginer qu'aujourd'hui,
c'est possible pour nous. Aujourd'hui, on pourrait,
c'est notre postulat, et notre agresseur n'est pas
mort, c'est le deuxième postulat.
Virginie : on ne peut pas porter
plainte contre un mort ?
Lise : ce serait intéressant
pour les survivants, dans ce cas ; pas seulement pour
la victime mais pour l'entourage …
Delphine : alors porter plainte
contre un mort, ça pose la question de ce qu'on
attend d'une plainte…
Annabel : parce que le mort ne
sera pas puni…
Virginie : on peut toujours faire
reconnaître la victime.
Annabel : oui mais dans un procès,
le but, c'est de punir les méchants. Par voix
de conséquence, tu reconnais la victime. Mais
la finalité première d'un procès,
'est pas de reconnaître la victime.
Céline : est-ce que porter
plainte amène systématiquement à
un procès, déjà ? et est-ce que
si on porte plainte, on a conscience que ça
va aller à un procès ?
Annabel : bah, il y a une instruction…
Virginie : normalement, les juristes
qui accompagnent te le disent. (inaudible…).
Delphine : on avait aussi pensé
à cette formulation là parce qu'à
cause de l'âge et des délais de prescription,
on prend souvent comme premier argument pour dire
"ah! Bah non, on n'est pas concerné par
la plainte, de toutes façons, il y a prescription".
Presque comme un prétexte. Or, on s'est rendu
compte aux groupes de parole et sur les forums que
même les gens qui sont encore dans les délais
ne portent pas plainte. Ou très peu. Parce
que c'est pas aussi simple…
Milène : parce qu'on a
intégré à la fois le… on
a déjà eu assez de mal, assez longtemps,
à se battre contre cette culpabilité
qu'on endossait à la place des autres, donc
elle existe encore, cette culpabilité de rentrer,
de pousser la porte de la loi, de la juridiction ;
c'est encore plus dur. Et moi je voulais essayer de
formuler cette question un tout petit peu différemment
dans mon cas : si j'ai, non pas porté plainte,
mais au moins signalé, c'est parce qu'il m'est
apparu clair que l'argumentation de la personne que
j'avais au bout du fil, à qui je demandais
conseil, était bonne. Je demandais conseil
à une association : "SOS femmes".
Et elle me disait : "si vous ne le faites pas
pour vous, faites le pour votre descendance et pour
vos petits neveux". Et ça m'a paru évident.
D'autant que plusieurs fois, j'avais douté
que mon agresseur, qui était toujours vivant,
s'investissait et investissait toujours beaucoup dans
son rôle de grand-père. Donc j'aimerais
bien que vous m'aidiez à formuler aussi la
question sous cet angle là. Bon, est-ce que
c'est une question qui… parce que ça
y est, j'y ai répondu en faisant ça…
je relis le… : "si on porte plainte, a-t-on
conscience qu'on va vers un procès ?"
Annabel : oui
Milène : ça, ça
me touche. J'avais pas vraiment conscience que j'allais
vers un procès puisque… je n'en suis
pas sûre… je ne me posais même pas
la question de savoir si ça allait déboucher
sur un procès puisque comme tout ce que je
fais depuis que j'ai rencontré… depuis
que j'ai fait un travail avec ma fille aînée,
les choses m'apparaissent comme allant de soi. Comme
devant être faites. Quel que soir l'état
branlant de la justice, non, non… ça
devait.
Delphine : autour de la table,
est-ce que quelqu'un d'autre a fait un signalement,
a porté plainte ?
Milène : Oui. Moi. Le
22 décembre 2003, jour anniversaire de ce qui
aurait dû être mon trentième année
de mariage.
Céline : moi, j'ai quand
même envie de revenir sur quelque chose d'important
; c'est qu'on porte plainte contre quelque chose que
la société ne reconnaît pas :
l'inceste. L'inceste n'existe pas dans les textes.
Milène : Absolument.
Annabel : on porte plainte pour
violence sexuelle ou viol …
Céline : mais pas pour
inceste.
Annabel : mais peu importe.
Milène : l'inceste n'est
pas interdit par la loi, c'est ce que m'a fait remarquer
ma psy.
Delphine : ce qui est interdit,
ce sont les relations sexuelles avec un mineur ; mais
entre deux adultes consentants dans une famille, c'est
pas interdit.
Milène : la loi ne dit
pas que la maltraitance sexuelle sur enfant au sein
de la famille relève de l'inceste. La loi ne
le dit pas.
Virginie : si j'avais dû
porter plainte, je ne sais pas si j'aurais eu besoin
que ce soit pour inceste. J'aurais dit : "mon
père m'a fait ça, ça, ça
et ça…"
Annabel : je crois que si j'ai
bien compris, le sujet sur lequel tu nous demandes
de parler, c'est qu'on l'appelle "inceste"
ou qu'on l'appelle "doigt dans le cul",
est-ce que t'aurais porté plainte ? c'est ça
la question.
Milène : c'est pour ça
que plutôt que de se dire pourquoi on le fait,
pourquoi on ne le fait pas, je me dis que c'est intéressant
de partir de ce qu'on ferait nous-même. C'est
pour voir nos arguments.
Annabel : je ne comprends pas…
je trouve que Milène a fait un truc qui demande
un courage incroyable et là, je vois qu'on
continue à faire comme si personne autour de
la table avait envisagé la chose.
Delphine : c'est très
important, et on en a parlé, on en reparlera
dans la discussion ; je voulais juste qu'on fasse
un tour de table pour voir ce qu'il en est des autres.
Toi, t'as fait quelque chose ?
Annabel : alors moi, je n'ai
rien fait, donc je peux expliquer pourquoi. Parce
que je n'ai conscientisé la chose, d'une part,
et pu en parlé, d'une autre, que quinze ans
après la mort de mon père, c'est-à-dire
à cinquante ans. J'en ai 57. Evidemment, dans
cette situation là… alors ce que je me
pose comme question, et c'est pour ça que je
suis là aujourd'hui : et si l'amnésie
avait craqué plus tôt ? c'est une question
qui me taraude. Parce que je reste dans la terreur
absolue, la panique totale, mais je rebondis sur ce
qu'a dit Milène : il n'y a pas que moi, il
y a mes filles, mon fils aîné…
Milène : qui attendent
que ça bouge.
Annabel : voilà ; qui
attendent que ça bouge. Il est possible, vraiment,
que en pensant à mes enfants et aux autres
enfants, d'une part, et avec un soutien d'association
d'autre part, il est possible que j'ai au moins été
voir un avocat. C'est-à-dire, j'en suis pas
à dire : j'aurais porté plainte, mais
je pense que j'aurais amorcé la démarche.
Virginie : comment ça
va se passer, tout ça…
Annabel : avec l'idée
que potentiellement, si je ne le fais pas pour moi,
je le fais pour les autres.
Milène : mais personnellement,
moi, ça m'apporte aussi beaucoup de l'avoir
fait.
Annabel : parce que toi tu es
dans une démarche de passer à l'acte.
Moi, rien qu'en en parlant, j'ai la chair de poule
de pouvoir envisager ça tellement j'ai peur
de lui. Il est mort depuis quinze ans… là,
actuellement, c'est comme s'il était là…
Milène : j'ai également
peur de mon frère. Il m'a menacée à
plusieurs reprises. J'ai cette peur là mais
je la mets à distance parce qu'il y a des choses
supérieures à cette force là.
Je le dis, et je le redis ; cette force, ce groupe,
votre association, c'est quelque chose qui m'a beaucoup
aidée et sans quoi je n'aurais certainement
pas fait ce que j'ai fait.
Lise : alors moi, j'ai été
en accord parfait avec Annabel… là aussi,
j'ai la trouille au fur et à mesure qu'Annabel
parlait, c'était moi, quoi… alors…
je dirais que maintenant, je suis trop vieille, que
mon frère est trop vieux. Il y a surtout une
première reconnaissance que j'attends. Avant
celle de la justice, c'est celle de ma famille. Je
n'ai jamais eu une seule fois un bon contact avec
mes sœurs pour en parler, et encore, c'est difficile.
Donc moi, j'ai tout un travail… lundi, j'ai
rencontré, j'ai passé quelques jours
avec une de mes sœurs et je pense… j'aurais
la trouille par rapport. Je ne le ferais pas. En tous
cas pas maintenant. Mais je suis d'accord qu'en le
faisant, on soutient les autres victimes qui, à
leur tour…
Milène : c'est surtout
que l'agresseur en question, qui a continué
d'avoir un parcours d'agression, bien au chaud dans
l'anonymat du cocon familial et du couple, puisqu'il
a continué à être agressif à
l'égard de sa femme, so épouse ; à
la battre. C'est pas une faible femme, c'est pas une
petite nature, et qu'il y a aussi des conséquences
au niveau d'un de ses enfants. Et voilà. Et
sans qu'il y ait besoin de preuves tangibles, visibles,
sans aucun besoin d'être prouvées parce
que je les reconnais, et bien, m'ont décidée.
La question : peut-on porter plainte contre un mort
me paraît une question très intéressante…
on sait d'avance la réponse mais…
Delphine : je vais dire les autres
questions qu'on se pose, et puis on les réaborde
après ?!
Lise : (inaudible…) il
se trouve que mon agresseur est aussi très
âgé et malade, et il est dans un pays
lointain. Je ne sais pas son état, même.
Il a vécu des choses très dures…
et je suis incapable de porter plainte contre lui.
Ce que je voudrais, c'est qu'il m'écrive en
disant : "oui, c'est vrai, j'ai fait ça".
C'est tout. Qu'il reconnaisse, et que la famille dise
"oui, on était là ; on a dû
voir, on a vu, et puis…" donc je ne porterais
pas plainte mais je soutiendrais des gens qui le font.
Céline : Bien moi, je
ne porterai pas plainte dans la mesure où je
ne suis pas la personne directement concernée
dans la famille. Et surtout, ça n'a jamais
été parlé au sein de la famille
du temps du vivant de l'agresseur ; la victime n'en
a jamais parlé. Donc on porte plainte contre
quelque chose qui n'existe pas, c'est difficile. C'est
un peu dans ce sens là que je disais tout à
l'heure que l'inceste n'est pas reconnu. Comment on
porte plainte contre quelque chose que la société,
et même des fois les premiers intéressés
n'ont pas conscience que ça existe, que c'est
là ?
Delphine : oui c'est pas toi
qui est concernée, c'est pas toi qu'on agresse
mais on aurait pu imaginer que tu fasses un signalement
disant : "je sais qu'il se passe ça".
Tu vois ?
Céline : c'est vrai que
quand ça s'est passé, j'étais
enfant, et c'était impensable.
Delphine : oui mais maintenant,
si c'était possible…
Céline : je pense que
oui mais bon… quand on n'est pas dans la situation.
Mais c'est vrai qu'il y a un truc qui me met très
en colère, c'est que j'aurais besoin, en dehors
du fait de porter plainte, c'est de dire : "oui
il y a un truc qui s'est passé dans notre famille".
Et qu'on arrête de se mentir dans la famille.
Bérénice : ben
moi, j'exclus pas de faire un signalement. Il y a
quelques années, j'avais rencontré un
psychiatre qui avait dit "vous pouvez faire un
signalement en disant que vous pensez qu'il peut être
dangereux". Et, je fais bien la différence
entre quelque chose qui est la part de mon cousin,
et quelque chose qui est de mon frère (inaudible…).
Déjà, mon cousin est quelqu'un de pervers.
Donc pour cette raison, je ne m'y risque pas mais
j'avoue que c'est extrêmement difficile. Je
commence à envisager de le faire. Mais le passage
à l'acte, c'est pas encore pour demain. Je
l'ai rencontré, j'en ai parlé ; j'en
ai parlé à mes parents. Il m'a parlé
de ses filles, il m'a parlé de sa femme, il
m'a parlé de sa mère et j'avoue que
moi, je sais que j'ai grandi avec un tas de conséquences…
mais j'ai pas envie de porter sur la conscience de
l'accuser à tort. Accusé à tort
dans le sens que peut-être il n'a pas reproduit
avec d'autres (inaudible)
Annabel : tu ne porterais pas
un signalement sur ce qui s'est passé avec
toi mais sur ce que tu pressens qu'il s'est passé
avec ses gosses.
Bérénice : non,
sur ce qui s'est passé avec moi.
Annabel : bah alors ?! il n'y
a rien de faux.
Bérénice : non,
mais il y a une enquête qui est menée,
voilà, quoi…
Delphine : tu ne veux pas qu'il
d'ennuis, en fait…
Annabel : tu ne voudrais pas
qu'il assume la conséquence de tes actes. Donc
toi, depuis toutes ces années…
Delphine : Annabel…
Bérénice : oui,
il y a de ça, et j'ai la mémoire de…
c'est un homme que j'ai côtoyé... Un
jour, il m'a invitée chez lui pour me faire
visiter sa maison et je me souviens de m'être
tenue à cinq mètres de distance, alors
que je n'avais pas conscience de ce que j'avais vécu
avec lui à ce moment là. Mais je me
souviens que mon corps se tenait à distance.
Et j'ai encore ça, là. Je sais que j'ai
encore ça. Mais c'est pas insurmontable, c'est
émotionnel. Bêtement émotionnel.
Milène : moi, j'ai mis
du temps à réussir à formuler
à mon frère ce que je voulais lui dire.
J'ai procédé par approche successive.
De plus en plus déterminée, chaque fois,
car de plus en plus je le voyais d'un peu plus loin,
un peu plus haut. Mais je le voyais chaque fois s'échapper
un peu plus, par des moments d'isolement. La dernière
fois qu'on s'est vu en Bretagne, je lui ai dit que
je voulais le voir seule pour discuter avec lui et
que je voulais qu'il vienne avec moi sur la plage,
et il a tout fait pour éviter ça. Donc
j'y suis allée par petites touches successives.
Delphine : oui, mais tu as quel
âge ?
Milène : j'ai 54 ans.
Delphine : oui, donc c'est pareil,
il a fallu du temps, quoi… donc moi, j'ai pas
porté plainte contre mon grand-père
parce que j'étais trop petite. Mais de toutes
façons, c'est pareil, je m'en suis souvenue
très récemment, autant des agressions
que des tortures que j'ai subies. Donc pour rester
dans l'idée de l'exercice, même s'il
était pas mort, est-ce que je porterais plainte
contre lui ? Alors… il y a quelques mois évidemment…
c'est-à-dire que s'il était toujours
en vie, je pense que je ne serais pas là, ou
bien qu'on serait tous encore plus déglingués
que maintenant. Ça a fait du bien qu'il meurt.
Ben oui… ça aurait été
différent, de toutes manières. Mais
s'il était toujours vivant et que j'étais
comme aujourd'hui, j'aurais porté plainte.
Enfin, je porterais plainte…
Virginie : mais t'as fait un
signalement, quand même…
Delphine : ah! Mais ça
c'est pour mon père.
(changement de face)
Delphine : c'est pas pareil de…
la question, là, c'est si on a l'initiative
de la plainte. Une autre question, c'est si quelqu'un
d'autre de la famille porte plainte, comment on se
positionne. C'est pas la même chose. Donc là,
moi, je porterais plainte, c'est sûr. Mais en
fait, je ne sais pas, c'est des mots en l'air, tout
ça… je suis allée assister à
un procès, jeudi ; sachant un peu comment ça
se passe, ayant un peu connaissance des procédures,
de ce qu'il faut pour qu'il se passe quelque chose
juridiquement, je ne sais pas. Si c'est pour me faire
traîner dans la boue, e ne sais pas. Mais je
pense que je le ferais. Et pour mon père, c'est
pareil.
Suzanne : mais tu n'as pas vingt
ans après la majorité ?
Marianne : c'est une loi organique
et les loi organiques ne sont pas rétroactives.
Elles prennent effet à leur promulgation mais
valent pour à partir de ce moment là.
Virginie : au départ "si
j'avais l'âge pour porter plainte…"
je me suis dit, que ça ne m'évoquait
rien et puis maintenant, je suis contente que tu me
la poses parce que je ne me la suis jamais posée.
Au départ, je me suis dit : non, parce que
c'est pas assez hard ce qui m'est arrivé. Et
puis finalement.
Delphine : ah bon!?
Virginie : ben non. Pas de torture,
pas d'étranglement. Et aussi, parce que j'ai
été séparée de mon père.
Mais quand même, tout à l'heure, en fumant
là haut, je me suis dit… oui, parce que
mes parents étaient divorcés. Mais je
me suis dit, si on avait vécu plus longtemps
ensemble, ça aurait duré, et là,
j'aurais porté plainte. Mais là…
Annabel : c'est pas bien méchant
?! (sarcastique-incrédule)
Virginie : Voilà, c'est
pas bien méchant.
Delphine : c'est possible de
ne pas faire de commentaires ??!!
Virginie : mais quand même,
il y a aussi le fait que je me suis rendu compte,
il y a dix ans, qu'il y avait un rapport de cause
à effet entre mon instabilité psychologique,
affective et professionnelle et ce qu'il m'avait fait.
Qui n'était pas si grave, mais qui était
grave dans l'ambivalence. Tout à l'heure, quand
Céline disait "l'inceste n'est pas reconnu",
je dirais, ce qui est encore moins reconnu, c'est
la difficulté… déjà, l'inceste
avec grosse tarte dans la gueule, c'est pas reconnu.
Mais ce qui l'est encore moins, c'est toute la violence
que ça peut avoir quand un père aimé
et aimant vient doucement masturber, ou se faire masturber.
Et ça, c'est difficilement reconnu par les
autorités parce qu'ils se disent : il n'y a
pas mort d'homme.
Marianne : excuse-moi, mais tu
te trompes complètement.
Milène : n'interviens
pas ?!
Virginie : non mais bon, moi,
il me semble que tant que je ne suis pas violée
grave avec coups et blessures, c'est… je me
suis posée la question. Il y a le fait aussi
que ça fait que dix ans que je me suis rendu
compte que j'étais chtarbe. Si je m'en étais
rendu compte plus tôt, alors à ce moment
là, ça aurait changé la donne.
Parce que comme j'ai une belle-sœur… demi-sœur,
demi-frère, parce qu'entre temps mon père
a refait sa vie, il a eu d'autres enfants ; si aujourd'hui
je devais porter plainte, ce serait pour protéger
ses enfants, ça serait pour protéger
une fille que je n'ai jamais connue. Mais maintenant,
je me dis, c'est un peu tard, parce que la fille est
grande, il n'y a plus à la protéger.
Mais aujourd'hui, s'il y avait une petite fille sous
sa coupe à protéger, certainement je
ferais un signalement. Plutôt, par rapport à
ce que j'ai entendu, ce serait pour protéger
d'autres enfants. Mais cette petite fille, je ne la
connais pas, elle est anonyme, c'est un peu la petite
fille que j'étais.
Delphine : mais eux, ils ont
peut-être des enfants. Qu'est-ce qui fait qu'on
bloque et qu'on ne le fait pas ?
Virginie : souvent, l'idée
m'est venue d'essayer de savoir, si par le biais de
cette jeune fille, s'il s'est passé quelque
chose pour elle. Je me dis que de toutes façons,
si il s'est passé quelque chose pour elle,
ça a été pire, parce qu'elle
l'avait à plein temps. Moi j'ai eu la chance
que ma mère divorce. Mais le signalement…
il y a encore une dernière chose qu'il faut
reconnaître, c'est que j'ai encore tendance
à le protéger. C'est vrai que la dernière
fois que je l'ai vu, c'était il y a quelques
années, je devais avoir trente ans, je venais
de me marier, et je l'ai vu arriver à l'aéroport
avec son air de chien battu. Et voilà…
je me suis dit… c'est vrai que devant les faits,
j'aurais peut-être encore tendance à
le protéger… ça, malheureusement…
comme il avait déjà son air de chien
battu à l'époque, genre : ma femme est
pas là, et moi je me disais faut que je la
remplace… alors un signalement. En plus, plus
tard, il m'a dit qu'il lui était arrivé
la même chose…
Delphine : et toi, tu aurais porté plainte
?
Marianne : ben moi, c'est très
simple. S'il était pas mort, de toutes façons,
il est mort il y a pas très longtemps, donc
ça fait longtemps que j'aurais pu porter plainte,
et je ne l'ai pas fait, c'est non. De toutes façons,
il faut des preuves, ça, je le sais. Sans preuve,
tu ne portes pas plainte, tu ne fais rien de tout
ça. Si t'es pas blindée, si t'as pas
des preuves blindées, c'est même pas
la peine de s'y pointer parce que c'est toi qui va
être laminée par le procès. Ça
se retourne contre toi. Moi, si par exemple à
dix-huit ans je savais tout ce que je sais maintenant,
je ne serais pas partie de chez moi, je serais allée
chez le médecin qui m'a soignée quand
j'étais petite, j'aurais été
chercher toutes les preuves. J'aurais fait témoigner
les gens de l'école, les instits qui ont convoqué
mon père, souvent. Moi je ne savais pas pourquoi
mais c'était écrit sur un papier, il
était tout le temps convoqué. Je me
ferais tout un faisceau de preuves et je porterais
plainte. Mais c'est si j'avais dix-huit ans. Mais
étant donné que j'en ai cinquante, que
mon père est mort l'an dernier et que de toutes
façons, moi je me suis barrée à
dix-huit ans… j'ai même pas pensé
à ça à dix-huit ans. J'ai pensé
qu'à me barrer ; j'étais niaise, franchement.
Delphine : et maintenant ?
Marianne : Maintenant, ce que
j'ai l'intention de faire ; pas tout de suite, là,
mais… depuis un mois j'ai ça en tête.
Je me suis dit ; après tout, je suis conne.
Pas pour moi, mais pour la société.
Parce que je rends compte que quand on est victime
d'inceste et qu'on n'a pas de procès, qu'on
n'a pas un acte juridique qui le prouve, on est hystérique,
on ne nous croit pas. On n'a pas de point d'appui
social. Pas pour moi, parce que psychiquement, je
ne crois pas que j'en ai besoin, enfin consciemment.
Mais d'un point de vue social. J'irais revoir tous
les gens et les voisins de mon enfance, je réunirais
tout ce que je peux. Evidemment, l'idéal c'est
d'avoir des lettres d'aveu comme Eva Thomas a eues.
Mais bon…
Virginie : ta mère ?
Marianne : quoi, ma mère
? ah ?! ma mère… oui, effectivement,
j'aurais pu… c'est que je ne la considère
même plus comme… pour moi, elle est morte.
Mais c'est vrai que je suis comme toutes, j'ai pas
envie d'aller… mais bon, quand même, c'est
pas elle l'agresseur…
Lise : non, mais pour ton faisceau
de preuves…
Marianne : alors ça va
la tuer.
Delphine : et ton frère
?
Marianne : oui, mon frère…
mais non, je ne suis pas là dedans, je suis
plutôt dans des preuves matérielles que
je peux trouver. Si tu veux, mon frère, et
ma mère… mon frère il sait, c'est
sûr. A moins qu'il ait oublié, comme
les victimes... Mais ma mère, soit elle sait,
soit elle sait pas. Et c'est vrai que là, actuellement…
je ne sais pas si elle sait, je ne penche pas…
enfin bon… il faudrait que je lui pose la question…
mais en même temps, si elle ne sait pas et que
je lui pose la question et que je lui dis ça,
et que ça la tue. Je ne veux pas tuer quelqu'un,
moi. Quand j'étais petite, elle pleurait tout
le temps. Donc, j'en sais rien.
Delphine : mais t'envisages de
le faire ??
Marianne : oui, j'envisage, mais
pas maintenant. Après il faut décider
de le faire, après il faut faire le voyage,
rechercher où sont les gens, etc…
Delphine : mais tu ne te dis
pas que ta mère entendrait parler de ça,
si tu entamais ces démarches ?
Marianne : mais même si
elle en entendrait parler, je m'en fous. Si elle me
pose la question, alors là, oui. Mais moi,
aller lui poser la question, non. Mais moi, je pense
plutôt aux preuves tangibles. Parce que c'est
pas des preuves, ma mère. A moins qu'elle dise
"oui, oui c'est vrai, je te fais une lettre pour
la justice". Mais j'y crois pas une seconde à
ça. Moi, je crois aux preuves tangibles. Des
témoignages directs, à l'école,
ou le toubib.
Delphine : et qu'est-ce que tu
en attendrais, de ça ?
Marianne : alors ça existe.
Il y a les flics, à Marseille ; la brigade
des mineurs de Marseille qui est prête à
entendre des adultes qui ne peuvent plus porter plainte.
Et ils sont prêts à faire une enquête
même si on ne peut plus porter plainte. Alors
je sais… et à la suite de ça,
pour l'instant, en outil juridique, il n'y a rien
qui dit que ça a été fait. Il
y a juste un papier qui dit que telle enquête
a été faire, qu'on a ces preuves là,
et puis c'est tout. Il n'y a pas de jugement. Mais
si la loi, la journée de SOS inceste à
Grenoble le 27 mars, on pourrait peut être demander
des outils pour changer de droit. A partir de là,
on ne serait plus hystérique, faux souvenirs
ou je ne sais pas quoi…
Delphine : donc t'en attendrais
une reconnaissance…
Marianne : oui, que au moins,
quand tu es dans une assos, qu'on te dit : vous avez
vécu l'inceste, bien qu'on le prouve".
Et voilà, je vous le prouve. Regarde, les journaleux
merdeux, ils s'adressent à qui ? aux victimes
qui ont des procès! Ils s'adressent pas à
des victimes qui… qui… qui ont eu des
flash, ou qui… voilà. Ils veulent pas
faire d'émission de télé, ils
ne leur donnent pas la parole à ces gens là.
Donc ; parce que eux, ils veulent une garantie, quoi!
Une garantie; et c'est uniquement pour ça que
moi je pense comme ça, c'est pour ça.
Céline : moi j'avais envie
de rajouter une chose sur "pourquoi on porte
pas plainte", c'est une idée qui m'est
venue en entendant un témoignage, c'est aussi
que la particularité de l'inceste, c'est que
ça touche toute la cellule familiale, et qu'il
y a aussi la peur des conséquences sur la famille,
la peur de l'éclatement de la famille. Et c'est
vrai que ça, je me l'imaginais pas, moi.
Delphine : t'aurais eu la trouille
que ça fasse péter ta famille ? tes
frères et sœurs ?
Céline : en imaginant,
ma mère qui ne travaillait pas, et mon père
qui était le seul à travailler et en
imaginant qu'il ne serait plus à la maison,
qu'est-ce qui se passerait ? Comment on vivrait ?
De quoi on vivrait ? et sur le plan affectif, comment
ça se passerait, et pour ma mère, et
pour mes frères, et pour mes sœurs ? Il
y avait toutes ces questions là, qui font que…
dans la particularité de l'inceste, il y a
quand même un certain nombre de choses…
il y a un affect. Tu ne touches pas un abuseur anonyme,
quoi.
Marianne : je rajoute juste un
truc : dans l'idée de parler à ma mère
ou pas : moi, ma mère, c'est plus ma mère.
J'en ai rien à foutre. C'est une femme dans
un endroit, un être humain. Donc je ne vois
pas pourquoi j'irais… mais par contre si quelqu'un
y allait, pourquoi pas ? il n'y a aucun problème.
mais moi, je ne veux pas en plus avoir sa mort sur
la conscience., on ne sait jamais. En tant que mère,
j'en n'ai rien à foutre. En tant qu'être
humain, un peu plus, peut-être.
Lise : il y a quand même
nécessité, ma nécessité
de me reconstruire - je sens que je ne suis pas encore
reconstruite - et avant d'attaquer, j'ai besoin d'être
plus solide. Et je sais que la reconstruction, elle
passe aussi par la réconciliation. Je dis pas
qu'avec l'abuseur, mais aussi avec sa mère.
Et la démarche que je fais en priorité,
avant tout, c'est de retrouver la famille, me présenter
devant elle et pouvoir être reconnue. Pouvoir
presque justifier que si j'ai été comme
ça, c'est à cause de ce que j'ai vécu.
Les accusations de la part de mes sœurs, qui
étaient tellement fausses. Parce que j'étais
dans mon coin et que je ne disais pas un mot ; et
c'est d'abord de ça dont je voudrais me délivrer,
en me reconstruisant. Et si je me reconstruis, ce
sera pas dans (inaudible).
Virginie : ça renvoie
à la question du signalement à la famille
parce que est-ce qu'on peut porter plainte sans avoir
au préalable tenté au moins… parce
que le signalement à la famille, c'est presqu'une
petite répétition, déjà,
tu vois comment ils réagissent. T'imagines,
si ça fait un flope dans la famille…
Delphine : ben non, c'est pas
pareil ; ta famille, c'est une famille incestueuse.
Virginie : ben je ne sais pas
s'il faut plus ou moins de force que d'attaquer la
société, parce qu'effectivement, tu
ne sais pas comment ça va se passer, mais en
même temps, c'est plus facile, il suffit d'avoir
la parole. Je sais pas, aujourd"hui, il y a le
sujet de la plainte, mais il y a au moins autant le
sujet du signalement. Pas si on "peut" signaler,
parce qu'on peut toujours signaler, sauf si le persécuteur
est mort. Mais on peut toujours aller le voir et dire
: "voilà, t'as fait ça, ça
et ça!" Pour ce qui est du signalement,
ça, par contre, je l'ai fait. J'ai fait un
mailing à la famille.
Delphine : pas à la DDASS…
Virginie : c'est déjà…
j'aurais pas envisagé de porter plainte et
que toute ma famille tombe des nues de ne pas lui
en avoir parlé. C'est à dire que demain,
si je porte plainte parce que je m'apercevrais que
cette fille a subi des choses, et que je doive appuyer
son témoignage, ou autre chose ; effectivement,
et ben tout le monde ne tombera pas des nues parce
qu'aujourd'hui, tout le monde est au courant. J'ai
écrit à tout le monde. Je pense que
ça fait partie de notre trajectoire. Déjà,
le temps de faire le rapport que t'es disjonctée
à cause de ça ; ensuite, il y a l'agresseur
: on lui en touche un mot ou pas ; ensuite il y a
la famille… enfin, j'ai l'impression que la
plainte, c'est vraiment la fin d'un espèce
de processus où on a essayé toutes les
situations, et où on en est ressorti assez
(inaudible…)
Delphine : mais qu'est-ce que
t'en attendrais ? d'un procès ?
Virginie : ben ce qu'on en disait
tout à l'heure, les petits enfants… ben
c'est vrai ; il est bien conservé, mon père,
je pense qu'il peut vivre longtemps, et s'il a des
petits enfants. Oui, et puis le pauvre, il a vécu
la même chose mais je pense que ça lui
fera du bien. Je pense à lui, aussi. On dit
toujours que les condamnés ont le droit de
savoir où est la loi, faut leur remettre les
points sur les "i" ; peut-être qu'il
souffre de ce qui s'est passé. Moi je lui ai
envoyé un courrier où je lui rapporte
ce qu'il a fait…
Delphine : il t'a répondu
?
Virginie : il m'a répondu
que… (inaudible…)
Milène : c'est ce que
dit Bush, aussi, George Bush.
Virginie : donc pour lui aussi.
Je crois qu'il faut penser à l'agresseur.dans
cette histoire de porter plainte. Parce que ça
leur fait du bien de savoir ; il y en a qui recherchent
ça. On dit ça aussi, souvent, pour les
serial killers ; il y en a qui laissent des traces
pour se faire arrêter. Je pense que l'agresseur
- je ne suis pas psy - mais il peut avoir une volonté
inconsciente qu'on lui dise :"ben ça,
ce que t'as fait, c'était pas bien". Et
qu'il paye, ne serait-ce que symboliquement. Et je
pense que même si l'agresseur est mort, la famille,
ça lui fait du bien parce que… dans mon
cas, c'est pas très grave parce que…
Toutes : arrête ça!
(moultes réactions énervées)
Virginie : oui, mais la famille
qui dit : "ouiii, hooooff…" c'est
pas si grave etc… et bien je pense que ça
peut faire du bien à l'agresseur, mais aussi
aux autres membres de la famille. Parce que ça
recasse tout le monde. Et puis on disait tout à
l'heure, c'était Lise, je crois ; ben on se
dirait : "je comprends pourquoi elle a été
alcoolo, etc… elle avait peut-être une
raison. Parce que jusuq'ici, c'était toujours
moi qui étais le canard boiteux, la fille qui
se vautrait dans la luxure, les je ne sais quoi quelles
drogues artificielles, ben comme ça, ils sauront
et se diront que j'avais peut-être une raison
d'être mal. Je pense que ça fait du bien
à toute la structure familiale, même
si le considéré a rendu l'âme.
Bérénice : de toutes
façons, elle existe pas la structure familiale
dans un truc comme ça.
Virginie : ben justement, elle
pourrait ré-exister après un truc comme
ça ; certains vont d'emblée disparaître,
vont s'éteindre d'eux-mêmes, et d'autres
qui vont se reconstruire autour. Moi je pense qu'il
y a une vraie structure qui peut renaître.
Bérénice : oui,
mais qu'est-ce que tu veux dire avec "structure
familiale" ? les relations qui sont en place,
les enjeux qui sont en place au début avec
l'inceste sont pas les enjeux qui permettent à
une famille d'exister. De subsister, au sens…
Milène : absolument…
Bérénice : c'est
une illusion de famille.
Milène : d'ailleurs j'ai
brisé ma famille, je n'ai pas été
capable de la soutenir. D'ailleurs c'est vraiment
un truc horrible que j'ai vécu à nouveau
mais au moins, je me remettais d'accord avec moi-même.
Donc, ce qui a été dit par Marianne,
par Virginie, j'étais très d'accord.
Et moi, j'ai le mot "réhabilité",
redonner sa dignité à la personne, et
à sa descendance.
Marianne : excuse-moi, c'est
pas tout à fait ça que j'ai voulu dire.
Parce que justement, sur la dignité, j'ai un…
là dessus, je suis droite comme un "i".
Moi, je suis née, j'ai jamais demandé
à naître, et ma dignité, je l'ai
toujours eue, on me l'a pas enlevée. Et ceux
qui sont indignes, c'est pas moi, c'est ceux qui m'ont
faite. Alors moi, je ne pourrai jamais dire, comme
toi : "qu'on me rende ma dignité"
parce que je l'ai jamais perdue. Et ça c'est
dans ma tête depuis toujours. Alors des moments,
je flanche, mais toujours dans ma tête, quoique
je fasse comme action politique, j'ai ma dignité,
je ne l'ai jamais perdue. C'est évident. Et
ceux qui l'ont perdue, c'est les criminels, c'est
pas moi.
(changement de face)
Milène : je veux juste
terminer en disant que ce que j'ai fait, c'est juste
la première étape du signalement. Ce
signalement, je l'ai fait par le moyen d'une lettre
au procureur. J'aurais pu le faire par le biais d'une
lettre à la DDASS, Je ne le savais pas, on
m'a conseillée d'écrire une lettre au
procureur de la ville où habite mon agresseur.
Suite à quoi un mois après, j'ai reçu
une convocation au bureau de police. Mais cette convocation
au bureau de police n'est pas une étape supplémentaire,
elle est simplement la suite logique de la lettre.
Et si on veut, c'est presqu'un peu le retour à
la case départ. En fait, la lettre au procureur,
c'est quand on n'ose pas aller tout de suite au bureau
de police déposer. Donc je n'ai pas franchi…
c'est eux qui vont décider s'ils me font franchir
une étape supplémentaire. C'est le procureur.qui
va décider si oui ou non il juge qu'il veut
m'entendre ou pas. Donc dans le fond, c'est case départ,
j'ai rien fait de plus que ce que Virginie a fait
en écrivant à sa famille.
Delphine : c'est pas peril, écrire
au procureur et à sa famille…
Milène : écrire
à ma famille, je l'ai fait aussi. Toutes les
étapes que Virginie a dites, je l'ai ai toutes
passées. On m'a bien dit aussi, à la
police et à SOS viol, qu'il fallait que je
me prépare à l'éventualité
que ça continue. Je m'y prépare. Je
m'y prépare d'autant plus… sereinement…
non… je ne peux pas dire ça. Mais ma
peur est mise à distance et c'est presqu'avec
calme. En tous cas, avec détermination, parce
que j'ai eu ujn divorce de dix ans qui a été
comme une espèce de… comment on va dire…
qui n'aurait jamais dû se passer en tant que
tel, qui a été une répétition.
J'ai déplacé ce que je m'attends à
faire maintenant pour la bonne raison et pour la bonne
personne.
Virginie : il y a un truc aussi,
que je voulais dire, c'est que dans les cas où
on est pas comme Marianne - "je me casse à
dix-huit ans" - dans les cas où on est
sous influence. Il y a des cas où l'agresseur
cherche tout le temps, comme ça, et ça
peut durer des années. Je trouve que ce qui
est important, c'est le jour où on dit "non"
à ça, en fait. Ça peut être
le jour, comme j'ai fait, où on envoie une
lettre en disant "ça m'a fait mal, je
ne suis pas d'accord ; ce n'est pas dut tout ce que
tu crois, ce n'est pas rien"… enfin porter
plainte, je ne sais pas comment expliquer ; il me
semble que porter plainte, c'est presque moins important
après, sauf s'il y a des gens à défendre.
Mais il me semble que c'est moins difficile que de
se défaire de l'emprise psychologique que l'agresseur
exerce à un moment donné sur nous, et
qui fait qu'un jour on dit : "stop! Ce n'est
pas rien, non. Ça ne me convient pas, ça
ne m'a jamais convenu". Se rebeller contre ça
me semble nécessiter beaucoup plus de force
et de courage. Porter plainte, c'est vrai qu'on a
vu souvent que (inaudible)
Delphine : ouais, mais est-ce
que c'est pas se sortir de l'emprise, aussi, que de
se dire : ma sœur est en danger, donc je fais
ça. Parce que nous, là, personne…
de nous… nos agresseurs sont bien… ou
alors faut vraiment se faire de la gym pour se dire
qu'ils n'ont pas été en contact avec
d'autres enfants depuis nous. Ils ont été,
certains, parents…
Milène : vous voulez que
je vous lise ce que mon père dit de ses petits-enfants
?
Virginie : vas-y…
Milène : (lit la lettre)
Delphine : oui mais justement,
on ne voit pas spécialement qu'il est agresseur,
dans cette lettre. On voit un bon grand-père,
un papi.
Milène : oui, c'est vrai,
on ne voit pas;
Delphine : ce que je voulais
dire, c'est que justement, ils sont en contact avec
d'autres enfants. Alors que là, nous, depuis
une heure, on fait comme s'ils n'étaient pas
en contact avec des enfants.
Annabel : on sent qu'on a déjà
toutes faits des efforts énormes pour parler
(inaudible). Deuxième chose, par rapport à
l'éventualité d'une plainte, c'est vrai
que, ça fait peur aussi que (inaudible…
monter un dossier ? chercher des preuves…) et
si en plus on ne trouve pas de preuves, que les témoignages
ne servent pas du tout ; moi, j'ai tellement pensé
à ça et je me suis dit : je serais violée
une deuxième fois. Je vais être définitivement
classée, non seulement dingo, mais salope.
Et ça, c'est un risque terrible. Parce que
regardez ce qu'on se trimbale pour arriver à
avancer. Et comme tu le disais, quand même dans
la dignité ; est-ce qu'on peut supporter l'éventualité
- parce que c'est pas forcé - réenfoncée
au déni.
Milène : et à la
poursuite en diffamation.
Annabel : alors ça, c'est
une question que je pose. Ce qui contrebalance ça,
parce que c'est toujours un effet de balancier, c'est
que quand je vois ma fille fracassée, la souffrance
atroce que j'ai laissé reproduire sur ma fille,
ça me pousserait à porter plainte. Plus
la société aura entendu parler…
peut-être on se sera cassé les dents
en croyant que ça va marcher… mais on
va peut-être commencé à faire
poser le pied sur le frein et sur le passage à
l'acte de tous ces agresseurs, qui, peut-être
sont des victimes. Mais moi, comme tu le disais, pour
que je me reconstruise, ça passera peut-être
par un pardon au sens chrétien du terme mais
en tous cas, moi je ne suis pas là pour l'excuser.
Je ne suis pas sa mère en plus. Je parle pour
mon cas personnel, mais il faut qu'on endigue le flot.
Virginie : tu veux dire qu'il
faut le faire même d'un point de vue militant
? que si nous on ne le fait pas, personne ne le fera
? ça, je suis d'accord.
Annabel : oui, et si je pouvais,
si je me décidais, si je pouvais porter plainte,
je le ferais. Pas du tout en étant sûre
que ça va marcher mais pour qu'on soit nombreux.
Parce que plus on le fera, plus il y aura des mômes
qui ne vivront pas ce qu'on a vécu.
Milène : bien dit.
Virginie : en tous cas, moi,
je voudrais dire que je préférerais
un petit signalement dans un coin. Mais alors m'imagine
me retrouver en face à face, tout ça…
non mais bon. Faut pas oublier que t'as quand même
la pétoche parce que c'est ton frère,
ton père, ton grand-père…
Annabel : au moment où
tu parles, moi, je me vois en chemise de nuit. Tu
vois ? je voudrais être en chemise de nuit dans
le prétoire. Hein! J'peux te dire que…
là, on n'aurait pas pitié de ce pauv'vieux.
Virginie : au moins, là,
ça rigolerait pas.
Delphine : tant mieux si tu vois
les choses comme ça. Jeudi, le procès
auquel j'ai assisté, c'était un grand-père
contre qui sa petite fille portait plainte. C'était
un notable. Les avocats de la défense, donc
du mec, ils faisaient passer la petite fille pour…
elle était là…
Annabel : mais c'est le jeu,
c'est de bonne guerre. Ils font leur boulot. C'est
pour ça qu'elle a insisté sur les preuves
et elle a raison. De toutes façons, même
avec des preuves béton, c'est la vie du procès.
Prenons le cas de Marianne : on retrouve un dossier,
on retrouve des fiches, allez, allons jusqu'à
ta pauvre maman qui dit "oui, oui, j'ai fermé
les yeux, je le savais", vraiment, tout. Et bien
il faut s'attendre à ce que le père,
vivant, prenne un avocat et qu'il fasse son boulot
et dise "regardez…". Bien sûr.
On est quand même adulte et on sait aussi à
quoi on s'engage quand on lance la machine judiciaire.
Ceci dit, et c'est là où je rejoins
(inaudible).
Delphine : moi, je voudrais dire
que vis-à-vis de mon père ; parce que
mon père, c'est pas si vieux, il est pas mort,
je pourrais presqu'encore porter plainte, et bien
je ne le fais pas. Et pourquoi je ne le fais pas,
parce que je me dis qu'il va aller en taule. Mais
toi, t'as porté plainte, pourquoi tu le dis
pas ?
Annabel : j'en ai pris plein
la gueule. Tous mes amis d'enfance… et c'était
pas contre mon père, c'était contre
mon époux.
Delphine : c'était pas
là-dessus ?
Annabel : c'était complètement
là-dessus. Danielle était dans un état
de dépression, de somatisation, parce qu'il
la tripotait. Et l'autre, sa sœur, à qui
il écrivait des lettres (inaudible). Moi ce
que je voulais, c'était qu'il soit déchu
de ses droits paternels. Je n'en pouvais plus que
quand ils prenaient ses enfants en week-end, ils reviennent
tous les trois dégommés. C'était
une horreur. Je me disais, qu'il soit déchu
de ses droits paternels, comme ça il fera plus
chier.
Virginie : c'était ton
mari ?
Annabel : oui, parce que si tu
veux, j'ai été violée ; j'ai
épousé sans le savoir à dix-sept
ans et demi, un homme violent. J'ai eu un premier
enfant, aussi sec, battu. J'ai eu les filles, violées.
Et moi, je ne voyais rien, je ne comprenais pas pourquoi,
je me disais "il ne se passe rien mais je ne
comprends pas pourquoi j'ai peur". J'ai divorcé
quand les filles avaient huit ans et l'aîné
douze ans. Je me suis remariée quelques années
après, j'ai eu d'autres enfants. Donc l'adolescence,
c'était absolument apocalyptique. Donc j'ai
fini par porter plainte. Ça a été
tellement long! Alors, il y a eu une enquête
auprès des gendarmes, et le parquet a décidé…
comment j'ai pu oublier ça… le parquet
a décidé de co-porter plainte avec moi.
Ça veut dire que des preuves, on en avait,
quand même.
Marianne : mais la qualification
de la plainte, c'était quoi ?
Annabel : je demandais qu'il
soit déchu de ses droits paternels aprce que,
avec les lettres qu'il envoyait à mes filles,
il les rendaient dingues.
Marianne : ah mais donc, vous
le saviez…
Annabel : ah oui. Parce qu'elles
se sont effondrées, on est allé voir
le docteur J., le médecin. Puis on a porté
plainte. Ça a mis deux ou trois ans, et quand
ça a été être jugé,
elles venaient juste d'être majeures, et le
jugement, pour moi, ça a été
abominable, parce que c'était marqué
que tout était absolument reconnu mais que
puisqu'ils étaient majeurs, s'ils voulaient
vraiment faire un procès à papa, et
bien il fallait qu'ils le fassent eux-mêmes.
Et moi, déboutée.
Delphine : oui, mais parce que
ta demande, c'était qu'il soit déchu
de ses droits paternels. Et avec la majorité…
Annabel : alors c'est très
ambigu parce que le jugement reconnaît tout,
mais on ne jugera pas. Mais ce qui a été
très dur, c'est la réaction de mes amis
d'enfance, de ma belle sœur, à l'époque,
et même de mon avocat, qui était un ami
d'enfance. Ça a été épouvantable
de passer pour une de ces femmes aigries qui inlassablement
refont vivre le divorce à leur mari, ou pour
quelqu'un qui… d'ailleurs, mes enfants eux-mêmes,
à l'époque, étaient totalement
opposés. Pauvre papa, salope de maman…
c'était ça.
Delphine : ce que tu décris
là, je le vivais en permanence ; j'étais
tout le temps malade quand je rentrais de chez mon
père, mais je l'adorais. En plus il souffrait
tout le temps, il pleurait tout le temps, c'était
vraiment mon pauvre petit papa.
Virginie : est-ce qu'on n'est
pas dans un truc… parce que quand on prend un
enfant pour faire ses jeux sexuels, est-ce que c'est
pas en faire un adulte malgré lui, et du coup
l'adulte, enfin l'enfant, se met en charge de son
agresseur. Moi je sais que quand mon père m'a
dit "tu comprends, je suis désolé
mais ma femme n'est pas là", c'est vrai
que quelque part, je me suis dit : "bon ben faut
que je prenne sa place, alors". Et donc, t'es
pris dans un rôle d'adulte, finalement. Parce
que l'adulte protège ses enfants. Est-ce que
c'est pas l'agression qui te plonge dans cette espèce
de sur-protection excessive ?
Bérénice : mais
qu'est-ce qu'on protège ? on protège
les gens ou on protège la projection de notre
propre souffrance chez eux ?
Virginie : non, on les protège
eux d'ennuies qu'ils pourraient avoir. Ça,
on l'entend souvent chez les enfants. Ils protègent
leurs parents quand bien même ils souffrent.
Delphine : oui, mais moi, mon
père; en même temps j'ai envie qu'on
le force à se faire soigner, et en même
temps j'ai pas envie qu'il aille en taule. Je trouve
ça super dur. Et là, je porte pas plainte
parce que… bon, il irait pas en prison parce
que ce serait au civil, donc c'est pas ça qui
peut se jouer. Mais aussi, tout simplement, j'ai pas
de preuve, en fait. Je peux même pas aller chercher
des preuves, parce que ça ne se voyait pas
tant que ça, que ça n'allait pas. J'étais
pas caractérielle, j'étais très
bonne élève ; bon, je dégueulais
tout le temps mais bon…
Marianne : mais lisez le sang
des mots! Sur tous ces trucs, quand on est adulte
et comment on vit, ça compte beaucoup pour
le procès. Tout compte. Bon, la meilleure des
preuves, c'est l'aveu écrit. Mais même
avec des preuves écrites, je connais des victimes
qui ne portent pas plainte. Je les connais à
travers un site qu'on connaît bien. C'est à
cause des familles. Tu ne le fais pas à cause
de la famille. Virginie a dit tout à l'heure
quelque chose qui m'a fait tiquer et j'aimerais juste
revenir dessus. Virginie a dit : le jour où
on dit "non". Mais il n'y a pas de jour
où on dit "non". On dit "non"
tout le temps. Mais quand on a intégré
ça et qu'on est enfant, c'est juste que un
enfant, il va pas dire… dans sa tête,
il dit "non" tout le temps. Et une autre
chose que tu as dite , ce que tu dis tout le temps,
d'ailleurs de dire "ce que tu as vécu,
patin, couffin…" mais non! Et puis de toutes
façons, ça compte aussi. Quand tu dis
"moi, c'était pas si grave…"
mais c'est une qualification aussi, tu dois pas dire
ça.
Annabel : donc si on récapitule…
on comprend pourquoi on ne porte pas plainte ; mais
on a quand même des raisons de le faire…
Delphine : et : est-ce que c'est
quelque chose qui nous occupe la tête ? la plainte,
pas l'inceste…
Lise : tout le temps. Dans les
actualités, quand il y a des petites filles
qui sont tuées, parfois par leurs parents mais
parfois, pas par leurs parents, chaque fois je me
sens partie prenante de la justice, pour le jugement,
et chaque fois j'espère que ça va aboutir.
Mais par rapport à moi, non, je ne suis pas
concernée. J'arrive pas à me concerner.
Je suis pas encore… mais pour les autres, oui.
Céline : non, moi, je
le situerais… c'est pas que je me sens pas concernée,
mais comment dire… pour moi, c'est pas tant
la justice que ce soit reconnu socialement, quoi.
Et qu'il y ait des actions par rapport à ça
et justement, pour moi, ça ne passe pas forcément
par la justice. Ce qui me bloque, c'est que ça
ne passe que par la justice. Pour moi, ça se
situe ailleurs, il faudrait trouver une autre solution.
Mais j'en ai pas de toute faite.
Delphine : que ce soit sur la
place publique, quoi.
Annabel : moi, ce que je veux
dire, c'est que la violence, la transgression, le
mal que véhiculent ces agresseurs est tel que
je ne vois pas comment on peut se passer de la justice.
La fonction de la justice, c'est bien un régulateur
social. Pas que ça, mais bon… je pense
que la conscience sociale évoluera et se mettra
en place parce qu'il y aura eu des phénomènes
marquants qui seront passés par la justice.
C'est pour ça que je suis dans la démarche.
Bérénice : moi,
j'y pense de temps en temps, mais c'est pas quelque
chose. Si, il y a eu le fameux week-end juridique
où il y a eu les trois affaires qui ont éclaté,
et ça avait fait écho. Mais sinon, je
réalise qu'il faut être sacrément
armé pour ça, et que moi, je…
une des premières choses que j'ai remarquées,
c'est que les gens font l'objet de suspicion quand
ils racontent leur histoire. Et moi, j'ai une telle
difficulté avec le fait de dire, que déjà
rien que ça, ça me plombe. Enfin, c'est
de plus en plus précis, pour mon cousin…
Marianne : en général,
dans la journée, c'est pas un truc auquel je
pense beaucoup. Parce que comme Céline, je
pense que… alors je parle pas pour les victimes
en général, mais comme nous on fait
partie d'une association, on rencontre des victimes,
et des cas particuliers, des personnes particulières.
Et c'est vrai qu'on va plus penser, si les personnes
sont très très mal, à leur dire
d'aller voir un psy ou de venir au groupe de parole,
que de leur dire d'aller porter plainte. Ça
c'est un truc. Dans ma tête, c'est comme ça.
Mais ce que j'ai toujours dans la tête quand
même, c'est que j'aimerais que les choses changent,
mais le processus ne peut se mettre en place que si
tu as le statut de victime. Si tu n'as pas le statut
de victime, rien ne se mettra en place pour toi, sauf
le système D, c'est à dire les associations
qui vont te trouver des trucs. Mais officiellement,
être reconnue comme handicapée parce
que tu ne peux pas travailler, et donc, soit on va
te reconnaître comme dépressive et on
va chercher à reconnaître pourquoi ;
mais si tu n'es pas dépressive mais que tu
ne peux pas travailler parce que t'as la phobie de
la hiérarchie ou je sais pas… ben ça
ce sera pas reconnu si tu as pas un procès.
Milène : quand j'ai pris
un congé maladie longue durée, j'ai
dit à l'académie que c'était
pour ça ; et je l'ai mis sur le formulaire
de la sécu. La secrétaire m'a dit que
je n'aurais jamais dû faire ça, et je
lui ai dit que si, que j'étais très
bien de le dire.
Delphine : on n'a plus beaucoup
de temps mais on avait encore deux questions. La première,
on y a un peu répondu, c'est : si quelqu'un
d'autre de ma famille portait plainte, je suivrais
? et le dernier truc que je voudrais poser, à
nous qui sommes à Arévi, c'est : si
quelqu'un nous demande conseil, est-ce qu'on l'encourage
aller dans cette voie là ou pas ? qu'est-ce
qu'on dit ?
Bérénice : sans
hésiter pour mon cousin, si quelqu'un porte
plainte contre lui. Plus facilement sans hésiter.
Et pour la demande à Arévi, d'abord
j'amènerais la personne à faire un état
des lieux, pour voir la situation et pour que la personne
puisse se décider elle-même en connaissance
de la situation. Il n'y a pas de conseil donner, je
trouve.
Céline : alors moi, c'est
sûr que si ma sœur portait plainte, je
la soutiendrais complètement. Là, si
je m'empêche, c'est que c'est vraiment la personne
concernée et qu'elle ne veut pas en parler
donc j'aurais l'impression d'usurper sa place et c'est
hors de question pour moi. Par rapport à aider
ou à donner conseil à quelqu'un, je
ne me sens aucune compétence pour dire quoi
que ce soit, mais j'irais plutôt dans le sens
de Bérénice, d'amener quelqu'un à
parler en connaissance de cause.
Lise : bah c'est facile, si quelqu'un
de ma famille porte plainte, je le soutiens. Et puis
si quelqu'un me demande conseil, je crois que…
déjà, il y a Arévi ; je crois
que je convoquerais Arévi, déjà.
Parce que c'est lourd à porter. Bon, je soutiendrais
moralement la personne, mais je crois que je ne prendrais
pas de décision seule.
Annabel : alors je soutiens ma
fille qui porte plainte, évidemment. Mon autre
fille qui porte plainte, évidemment. Par rapport
à une personne qui viendrait demander conseil
; en écoutant les trois personnes précédentes,
je me dis que c'est la voix de la sagesse. Et en même
temps, est-ce que quelque part, on ne se défile
pas en allant voir les personnes compétentes
de l'association. Parce qu'en même temps, c'est
à moi qu'on vient demander conseil. C'est sûr
que je ne donnerais pas un "conseil". Je
donnerais un avis en disant : "voilà mon
avis, à moi, et c'est mon avis d'Annabel et
je ne suis ni médecin, ni psy." Mais il
certain que je l'écouterais, et que je donnerais
un conseil par rapport aux propos qu'elle dit. Par
exemple si j'ai en face de moi un mythomane ou un
dingue complet, tu vois, je n'en sais rien. Mais a
priori sur cette personne là à qui je
fais confiance, je lui dis : si moi, à sa place
je porterais plainte, et bien je lui dis : "moi,
à ta place, je porterais plainte pour ces raisons".
Si, par contre, je ne comprends pas pourquoi elle
veut porter plainte parce que je ne comprends pas
son truc, et bien je lui dis : "je ne te réponds
pas". Je crois que je m'engagerais, personnellement,
hein, pas en tant qu'expert, le statut de victime
ne donne pas de droit non plus ; mais moi en tant
qu'adulte, ayant quand même vécu ça,
je prendrais une position individuelle.
Delphine : mais si quelqu'un
vient nous voir à Arévi et ne pense
pas spécialement à ça, est-ce
qu'on le met sur la voie de la plainte ?
Annabel : Aahhh! Mais c'est autre
chose.
Bérénice : c'est
pas notre rôle.
Annabel : tu rigoles ?! on vient
de se faire deux heures de machin pour dire "ouais,
faut penser aux autres…" et les gars ils
viendraient, et… "non, on parle pas de
plainte". Non, les enfants, là, je…
Milène : vous n'êtes
pas si opposées. Simplement, il y a des étapes
à franchir qu'on ne peut pas brûler,
et la personne doit les passer à son rythme.
Et une fois qu'elle…
Céline : il y a des gens,
quand même, qui se sont suicidés. On
le sait. Donc c'est une question sur laquelle faut
être prudent.
Delphine : et Marianne, si quelqu'un
d'autre de ta famille portait plainte, est-ce que
tu le soutiendrais ?
Marianne : ben comme je crois
pas que ça arrive, je sais pas…
Delphine : ton frère,
par exemple, s'il portait plainte contre ton père
?
Marianne : ben, tu vois, il irait
porter plainte, j'irais pas le soutenir, lui. Il irait
porter plainte, je parlerais que pour moi. Lui, je
m'en fous. Je parlerais que pour moi.
Virginie : tu associerais ta
plainte à la sienne.
Marianne : oui, si c'est pour
que ça fasse plus de trucs. Il peut y avoir
plusieurs plaintes. Mais ce serait pas pour l'appuyer
lui, personnellement. Mais c'est tellement impensable…
Delphine : et une cousine, t'as
pas une cousine ?
Milène : moi j'ai une
cousine, je peux parler ?
Marianne : j'ai une cousine,
mais je les connais plus.
Céline : et pour le conseil
?
Marianne : ah ben moi, c'est
pas compliqué, c'est toujours la même
réponse : pour aller en justice, il faut être
blindé. Preuves, blindage. Mais pas forcément
des grosses preuves, mais un faisceau de preuves.
On peut faire la liste avec lui. Et moi, je sais assez
faire la différence entre bonnes preuves et
mauvaises preuves. J'ai assez vu de trucs, chez moi,
et il y a eu assez de procès de victimes avec
des grosses preuves, où elles ont gagné,
avec des preuves comme-ci, comme ça, mais on
peut faire la liste. On peut déjà faire
des listes des preuves.
Delphine : mais c'est une bonne
idée, là ; on pourrait faire ça
: un répertoire de preuves.
Milène : et mon enfant
mort, est-ce que c'est une preuve ?
Marianne : c'est une preuve si
au moment des faits, il y a des traces, des dossiers,
des archives. Si on peut retracer les conséquences.
On croit qu'il y a rien, des fois, mais en fait, on
peut souvent aller chercher. Donc je dirais à
la personne : "voilà, si t'es pas blindée
au niveau des preuves, voilà, au moment des
faits, avec des conséquences de vie, tout ça,
etc… c'est même pas la peine que tu y
ailles, c'est toi qui va être laminée".
Delphine : Virginie, si ta demi-sœur…
Virginie : ben moi, je suis assez
bourge… je me dirais : "putain, elle a
eu les couilles de le faire, je le fais aussi".
C'est pas que je la suivrais, c'est que ça
m'inciterait presque à le faire. J'ai pas la
pêche de le faire. Pour l'autre question, moi,
je suis un peu "faites ce que je dis et faites
pas ce que je fais" je lui dirais : "moi,
j'ai pas eu les couilles de le faire mais surtout
fais pas ça. Evidemment, faut que tu prennes
des conseils parce qu'il y a ça, et ça,
et ça, mais fais pas comme moi ; c'est à
dire, cherche pas inconsciemment à protéger…".
Je crois que je lui ferais part de mon expérience
: voilà, moi, j'ai fait ça ; je me suis
retrouvée un jour en psychothérapie,
j'ai fait le lien avec ce que j'avais vécu
; mon mari me le dit tout le temps. Voilà,
réfléchis bien à tout ça
; bon moi, je suis trop vieille mais toi, essaie vraiment
de te projeter dans cette expérience là,
mais si tu peux faire mieux que moi, dans l'absolu,
je crois que c'est toujours mieux. C'est presqu'une
idée… c'est une espèce d'affirmation.
Maintenant, la justice, la société,
font que ça va pas être facile, etc…
mais si toi tu pouvais y arriver, ce serait super
pour toi. Mais ne tombe pas dans le piège dans
lequel je suis tombée, dans l'espoir…"
mais c'est un peu idyllique ce truc, c'est mon rêve
de petite fille. Mais je me dirais que si j'ai réussi
à en convaincre plusieurs, et qu'en plus elles
ont trouvé de bons conseils, et qu'en plus
elles ont réuni de bonnes preuves, je serais
vachement contente d'avoir réussi à
déclencher, à partir d'une expérience
de ce que moi je considère comme une expérience
négative, une étincelle positive chez
elles.
Milène : je voulais parler
de la cousine, tout à l'heure. Elle ne portera
pas plainte, elle ne veut pas porter plainte, mais
elle va mieux depuis qu'elle a pu en parler. C'est
sûr.
Delphine : violées par
le même agresseur ?
Milène : le même
? non. Ils sont trois frères. Donc mon père,
le dernier, et puis c'est les deux autres… c'est
très sympa.
Delphine : comment tu sais ?
Milène : elle me l'a dit.
Parce qu'elle me l'a dit. Si tôt après
la mort de son père, on est allé louer
une maison huit jours ensemble et elle m'a parlé.
Delphine : tu veux dire un dernier
mot ?
Marianne : oui, on n'a pas abordé
la reconstruction par le juridique. Ici, on n'a pas
fait de procès, effectivement, mais on aurait
pu l'aborder.
Milène : Annabel l'a abordé.
Annabel : c'était plutôt
la destruction… je m'en suis pris plein dans
la gueule.
Milène : c'était
un peu les deux, apparemment.
Delphine : oui, (inaudible et
fin de la cassette).
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