"Tout sur ma mère"
- atelier du 10 juin
2006
1 : Préambule et fonctionnement d'atelier
2
: Quels rôles et quelles attitudes ont été
ceux ce ma mère durant la période de
l'inceste ?
3 : Dans
le cas du dévoilement et de la reconnaissance
de l'inceste, quel est ou a été l'attitude
de la mère ?
4 : Face à
l'évolution de mon ressenti, quelles sont mes
attentes par rapport à ma mère ?
1 : Préambule et fonctionnement d'atelier
Fonctionnement
de l'atelier le 10 juin 2006
Le psychologue : Comme à chaque
début d'atelier, je vous relis le document
sur la logique du fonctionnement des ateliers.
1. La logique des ateliers
Les ateliers sont une opportunité pour les
acteurs victimes d'inceste et leur entourage impacté
par les pratiques incestueuses de partager une parole
sur leur expérience dans un contexte d'écoute
libéré de toutes contraintes morales.
2. La périodicité des ateliers
Les ateliers sont proposés sur une périodicité
trimestrielle avec une proposition thématique.
La durée de deux heures trente doit permettre
la participation active au niveau de la parole comme
de l'écoute de l'ensemble des acteurs.
3. L'utilité des acteurs
Il s'agit de l'accueil non restrictif de l'ensemble
des paroles des victimes de pratiques d'inceste dans
leur dimension de connaissance psychologique et émotionnelle,
sociale et socioprofessionnelle. La parole ainsi que
les silences sont offerts aux acteurs sur la base
de leur désir avec une régulation du
temps liée au nombre de participants et au
thème de l'atelier.
L'ensemble du discours pendant les ateliers est enregistré
afin d'en permettre une retranscription fidèle
qui permettra la réalisation de synthèses
thématiques.
4. La synthèse de la parole
Dans un premier temps, ces synthèses ont pour
objectif pour chaque membre de l'atelier, de pouvoir,
s'il le souhaite, lui permettre de retrouver sa parole,
de garder sa parole, de trouver, peut-être une
nouvelle manière, par une nouvelle écoute,
la parole de l'autre, de positionner sa parole et
son expérience au sein de la parole des autres.
Dans un deuxième temps, elles ont aussi pour
objectif de permettre une lecture plus large, mais
aussi plus complète des connaissances, expériences
ressenties par l'ensemble des acteurs concernés
par la problématique des conduites incestueuses.
Il s'agit de communiquer l'expertise et sur l'expertise
du discours non programmé des acteurs victimes.
Dans un troisième temps, elles permettront
dans le cadre d'une démarche scientifique au
plus proche de la parole des acteurs, une analyse
du discours sur le vécu des victimes en vue
de publication.
Je tiens à préciser aux gens qui sont
là pour la première fois, que bien évidemment
au moment de la retranscription, toute donnée
personnelle est « anonymisée,
c'est-à-dire qu'on change les noms, les lieux,
les dates de manière qu'on puisse vraiment
retrouver sa parole et, pour les gens qui m'ont contacté,
de ne pas permettre de remettre une personne sur un
discours, chacun restant propriétaire de sa
parole dans le discours commun.
Je suis là, en ce qui me concerne pour réguler
le temps de parole accordé à chaque
sous-thème et éventuellement intervenir
comme médiation dans le cas où la parole
des acteurs aurait trop tendance à s'éloigner
de la thématique choisie.
Dernier élément : il est important qu'on
puisse rebondir sur la parole de l'autre, de s'interpeller
mutuellement. Par contre, je demande aux gens qui
ont envie d'intervenir sur la parole de l'autre acteur
de laisser le premier acteur terminer sa phrase et
sa pensée, puisque le fait de répondre
à un autre acteur amène parfois l'acteur
à ne pas être complètement dans
l'émission de son discours.
Le thème de cet atelier était : « Tout sur ma mère » Les trois sous-thèmes
que nous allons aborder sont : pour le premier: « Quels rôles et quelles attitude pour la mère
pendant la période de l'inceste ?»
; le deuxième : « Dans le cas du dévoilement
et de la reconnaissance de l'inceste, quelle est ou
a été l'attitude de la mère ? » ; et pour le troisième sous-thème
: « Face à l'évolution de mon
ressenti, quelles sont mes attentes face à
ma mère ? ».
Je vous propose qu'on commence par le premier sous-thème
:
2 : Quels
rôles et quelles attitudes ont été
ceux ce ma mère durant la période de
l'inceste ?
Mireille : J'ai envie de dire que
je suis venue à cet atelier, mais j'ai envie
de dire que je n'ai rien à dire, en ce sens
que, en principe ma mère n'en n'a jamais rien
su, je n'en ai jamais parlé, donc cela a été
toujours black-out et finalement, je n'ai jamais pu
en parler. Et après, sur l'échec, j'ai
commencé des démarches personnelles.
A priori, je n'ai rien à dire. Cependant, j'ai
une soeur qui a seize ans de plus que moi, étant
donné que l'inceste, c'était par le
mari de ma soeur qui venait juste de se marier, je
peux transposer par rapport à ma soeur et là
je prends conscience avec ma soeur, c'est un peu un
substitut de mère, donc je transpose sur ma
soeur. Sur ma mère, je me suis interrogée,
comment elle a pu ne se rendre compte de rien, on
doit bien voire que chez une petite fille, il y a
quelque chose qui ne va pas bien, quand même,
et tout ça s'est passé. Je n'ai aucun
souvenir de ça. Et après, c'est ma soeur
qui remplace d'une certaine façon, à
qui je fais jouer ce rôle. Voilà pour
situer... c'est vrai que je regrette beaucoup d'avoir
rien à dire. Je n'ai que des maux.
Nicole : Je voudrais rebondir, je
suis un petit peu dans le même cas que toi,
puisque ma mère est décédée,
mais j'ai quand même pu le lui dire et elle
n'était pas là au moment des faits...
Je les ai dévoilés que vingt ou trente
ans après. J'ai quelques éléments,
mais peu. Ce qui m'intéresse beaucoup dans
ce que tu dis, parce que je me sens beaucoup concernée
là-dedans, c'est le transfert que tu as fait
de ce que tu n'as pas pu dire à ta mère
et le transfert sur ta soeur. Moi, j'ai l'impression,
je suis sûre, moi je fais beaucoup de transferts
dans mon histoire puisque mon violeur est mort, puisque
ma mère est morte et qu'il reste encore un
survivant, mon soi-disant père, sur le lequel
je fais le transfert de la totalité.
Delphine : Quand tu dis..., je peux te poser
une question ?
Mireille : Oui.
Delphine : Quand tu dis que tu n'en avais jamais
parlé, tu ne te souviens pas du tout ? Quand
tu dis, elle a rien, elle aurait dû voir, Tu
te souviens pas, ce qu'elle faisait pendant ce temps-là,
où elle était...
Mireille : Je sais qu'elle était absente
de la maison ce jour-là, je me souviens d'un
jour, mais j'ai occulté beaucoup, des choses
qui me sont revenues par bribes, mais je ne suis pas
capable de reconstituer l'histoire réelle,
ce jour-là, si je pense à la scène
cruciale, je vais dire cela comme ça, elle
n'était pas là, elle s'était
absentée, parce qu'elle faisait des ménages,
elle lavait la lessive, elle était ailleurs,
non elle n'était pas là.
Delphine : C'est tout ce que tu sais ?
Monique : Oui, c'est ça.
Irène : En ce qui me concerne, j'ai
une perception différente du rôle de
ma mère à l'époque, enfin j'ai
eu une perception différente jusqu'au moment
où j'en ai parlé, puisque j'en ai parlé
d'où ça m'a un petit peu... Al'époque,
j'avais l'impression que ma mère était...
Elle n'a jamais rien dit qui laisse entendre qu'elle
était au courant. J'étais persuadée
qu'elle était au courant de façon, je
dirais, confuse, et qu'elle était quand même
au courant de choses précises, qu'elle savait
qu'il se passait quelque chose, en décalé,
je croyais qu'elle était au courant, un peu
après, des relations de mon père avec
moi et un peu après mais pas pendant, en décalé...
Et que petit à petit ce qui se passait chez
nous faisait qu'elle se rendait compte et qu'elle
refusait de le voir. Je pense que j'étais assez
grande pour penser ce genre de choses, car c'est assez
complexe de penser qu'elle était au courant
et qu'elle refusait de le voir. Et j'ai été,
en fait le moment où j'ai fixé une idée
sur ce que ma mère savait, j'avais à
peu près dix-huit ans. Il y a eu une scène
avec mon père, une brouille, et elle m'a dit
à propos de ça : tu ne dois pas raconter
à d'autres des choses qui ne les regardent
pas. Je me suis dit, si elle m'a dit ça, c'est
clairement, d'autres en parlent, sur des faits exacts,
on sait pas mais c'est la même chose et puis,
ce qui m'a encore plus confirmé l'idée
de ce rôle qu'elle avait, de cette place par
rapport à ça, c'est qu'après
elle a enchaîné sur l'idée que
son père l'avait toujours aimé, elle,
mais peut-être trop, mais que il y avait quand
même... Je ne sais pas, quelque chose assez
confus de ce genre, et donc ça a été
clair pour moi, donc elle a vécu sûrement
quelque chose de semblable, c'est pour ça qu'elle
ne peut pas s'en mêler et depuis elle m'a dit
que ce n'est pas du tout ce qu'elle avait voulu me
dire. Elle m'a dit qu'elle n'avait pas voulu me dire
qu'elle était au courant, elle n'a pas voulu
me dire que son père avait abusé d'elle,
elle avait voulu dire qu'il y avait une relation fusionnelle
trop forte et que donc quand elle m'avait parlé
comme ça, elle pensait que c'était ça
que j'avais compris. Donc du coup, je me suis construit
jusqu'à il y a cinq ou six ans, l'idée
qu'elle était au courant et qu'elle avait des
raisons assez claires pour moi pour ne pas s'en mêler
plus que ça parce qu'elle n'était pas
en mesure de rentrer dans ce genre d'histoire. Mais
par contre j'ai des souvenirs très clairs de
sa présence physique dans la maison, pendant
des années, avec la sensation en particulier,
qu'elle ne voulait pas pénétrer dans
certaines pièces dans la maison à certains
moments. Donc ce n'est pas qu'elle était pas
là, elle était au foyer, mais comme
par hasard, elle n'était jamais là...
En particulier dans la chambre à l'étage.
Elle n'était jamais à cet étage
quand mon père y était, pendant la journée
entière, alors que même à l'époque
je la trouvais assez intrusive, en particulier dans
ma chambre, à voir ce qu'on faisait derrière
la porte fermée. Mais par contre il se trouve
que mon père passait des heures dans cette
chambre-là, elle n'est jamais montée,
elle ne l'a jamais appelé, donc je ne sais
pas ce qu'elle faisait. Je me pose toujours la question,
je ne sais pas ce qu'elle faisait pendant tout ce
temps-là. Elle s'occupait de la maison, du
jardin, elle avait toujours quelque chose à
faire mais elle était dans la maison, Pour
moi, il est clair qu'elle ne pouvait pas ne pas être
au courant, la façon dont elle l'accepte ou
non, ça la regarde. Il y a quelque chose qui
se passait à la maison en même temps
qu'elle était là. Puis, voilà,
elle savait !
Marianne : Moi, je ne suis pas très
sûre de ce qui se passe, parce qu'en fait pour
ma mère, comme je n'en ai pas parlé,
que c'est des faits qui se sont passés quand
j'étais vraiment petite autour des deux ans
et demi je sens sa présence, c'est comme si
ma mère ne savait pas quand même, je
sens plutôt qu'elle ne sait pas, mais quand
même elle se doute de quelque chose aujourd'hui.
A l'époque, elle ne pouvait pas faire le lien,
je pense, comme elle a aussi vécu des agressions
par son père qu'elle n'a pas encore conscientisées
aujourd'hui, mais... Mais quand même certaines
choses qui se disent dans la famille, des remarques,
plein de choses m'amènent à croire qu'il
y a un problème dans cette famille, entre ce
père et ses filles, donc mon grand-père
et ses filles et dans ma tête, puisque tout
ça se passe dans ma tête, finalement,
et que j'en ai parlé à personne, je
pense qu'elle ne pouvait pas vraiment croire que ça
arrive quelque part... Voilà, je ne peux pas
dire beaucoup de choses, comme moi-même, j'ai
raconté ça assez récemment aussi.
Mais je pense inconsciemment, elle se doute aujourd'hui
de quelque chose ; à l'époque, je pense
vraiment que non.
Delphine : Est-ce que tu veux dire que tu te
souviens ? Tes souvenirs à toi relatifs à
ce qui s'est passé ?
Nancy : je me dis que j'aurais peut-être
un petit bout avant, un petit bout après, un
souvenir un peu plus global.
Lise : Tout ce que je vais dire du rôle
et de l'attitude de ma mère avant et pendant,
c'est des conclusions que j'ai eues parce que j'ai
fait un travail avec (inaudible). Je dois dire que
ce n'est pas pendant que j'ai pensé à
l'absence ou à la présence de ma mère.
Donc, il faut que je rappelle le contexte familial,
je l'ai déjà dit. On habitait dans un
taudis, on était dix enfants, un père
alcoolique, pas d'argent, la misère et un jardin
parce que ça a compté et un puits au
fond du jardin car il n'y avait pas l'eau courante,
ni l'électricité. Donc le souvenir de
ma mère pendant ce temps-là, c'est une
femme besogneuse, travailleuse, qui n'avait qu'un
souci en tête, faire à manger avec pas
d'argent, aller chercher l'eau du puits, faire des
lessives dehors, dans le jardin, parce qu'il n'y avait
pas non plus d'abri. Hiver comme été,
j'ai le souvenir de ma mère pendant cette période,
c'est une femme qui travaille et qui fait le maximum
pour ses enfants et qui subit un mari qui fait des
scènes violentes avec les enfants et tout.
Donc ma mère n'a pas pu voir et par ailleurs
comme elle venait... Elle est étrangère,
elle a perdu son père à huit ans, tout
ça c'est des conclusions d'un travail. C'est
clair pour moi, elle était aussi très
déprimée, déjà... Elle
était venue pendant la guerre de 14, elle était
venue pour travailler parce que la France demandait
de la main-d'oeuvre étrangère. Donc
il y avait la coupure avec son pays, des questions
familiales déjà chez elle, dans son
pays et en France, la misère. Je crois que
son souci, c'était vraiment les enfants et
à manger.
Nicole : Je voudrais dire sur ce que je viens
d'entendre, il y a la mère avant et la mère
pendant. Sur le pendant, je n'ai rien à dire
puisque je n'étais pas chez mes parents, ce
qui arrivait très très souvent depuis
l'âge de trois ans. J'ai continuellement été
chez les uns et chez les autres, chez mes grands-parents,
je n'ai pratiquement pas de souvenirs. Lorsque je
suis revenue chez mes parents vers cinq ou six ans,
je les avais oubliés, je ne le les connaissais
pas, j'ai même appelé ma mère
Madame. Le pendant, j'avais sept ans, c'était
des vacances, où on m'avait envoyée
chez ma tante, ma mère n'était pas là.
Mais le avant a beaucoup compté puisque j'ai
l'impression que je n'ai fait que payer pour elle
tout le temps, le avant de l'histoire de ma mère
que je connais bien, elle était une jeune fille
difficile, son père ne savait pas quoi en faire.
Il a pu la placer comme bonne chez des bourgeois,
elle est arrivée à s'en échapper
en devenant plus ou moins coiffeuse. Mais Paix à
son âme, elle est morte, elle était malhabile
en tout, elle savait pas plus servir que coiffer,
mais c'était,... qu'on pourrait appeler maintenant
de ces jeunes filles... un peu décalées,
fofolles, qui court les garçons qui ne voient
que ça, qui sont à la recherche de leur
beauté, de leur esthétique donc coiffeuse,
c'était très bien,mais le premier boulot
qu'elle a trouvé, c'était dans un trou
complet et dans ce trou complet, elle a rencontré
mon père. Mais entre temps, elle avait une
soeur qui elle avait réussi, elle était
institutrice, qui s'était mariée et
ma mère était en admiration devant elle
et comme sa mère était morte, elle avait
reporté sur cette soeur et quand le beau-frère
est arrivé, elle a fait fusion avec le beau-frère
comme avec la soeur et à mon avis, je pense
que ça a dû très vite se passer.
Ma mère était une fille libre, on l'appelait
"la rapide" dans le village dès qu'il
devait y avoir un homme quelque part. Elle montait
sur les motos, elle avait une soif de vivre, certainement
et comme sa soeur était très tristounette,
très responsable, bon ben, ça a dû
très vite se passer entre eux, et je pense
qu'elle a dû connaître mon père
à peu près en même temps et je
suis à peu près sûre, que ma mère
n'a jamais su de qui étaient ses enfants. Je
pense que quand mon frère est né, enfin
quand elle s'est retrouvée enceinte de mon
frère, je pense qu'elle n'était pas
capable de savoir si c'était de celui quelle
a épousé ou si c'était de l'autre.
Donc il y en a un qui pouvait l'épouser, pas
l'autre, donc il l'a fait, mais elle a dû continuer
ses relations avec son beau-frère parce que
je trouve que nos naissances, à mon frère
et moi, correspondent, neuf mois après, absolument
à des périodes de vacances. Et comme
il y avait toujours à ce moment-là,
elles avaient une maison, les deux soeurs, donc elles
se retrouvaient dans cette maison qu'elles avaient
héritée de leur mère et tout
était mélangé, au point même
que j'ai retrouvé récemment une photo
de ma mère déguisée dans le costume
de son beau-frère qui était militaire.
J'ai la photo, je savais que ma mère adorait
se déguiser, mais ce costume-là, il
était quand même lourd, car c'est celui
de mon violeur et j'ai retourné la photo, j'ai
vu la date, c'était trois semaines après
ma naissance. Je venais de naître et elle se
déguisait dans le costume de mon violeur dans
leur petite maison de campagne où ils s'étaient...
Mon père n'était pas là. Il y
a eu toute une histoire parallèle qui a continué
dans laquelle mon père est devenu fou furieux
quand il a compris qu'il n'était peut-être
pas mon père du tout, où il était
pris pour un con tout le temps. Donc moi, il ne m'a
jamais adressé la parole et quand mon violeur
m'a violée, il m'a quand même dit : «
tu n'es qu'une petite putain comme ta mère
». Donc j'ai vraiment l'impression d'avoir été
préparée et on m'a confiée à
lui pour me faire traverser la France et m'emmener
dans un trou perdu où il a passé une
nuit avec moi et il a repris le train et il est reparti,
ni vu ni connu. Mais on m'a quand même remis
entre les mains de cet homme qui était le dieu
sacré, le meilleur, le plus beau... J'ai l'impression
que j'ai été préparée
pour ça, mais inconsciemment, quand elle l'a
su, elle a été outrée que j'ai
pu prendre sa place, je crois que c'est à ce
niveau-là, j'ai été préparée,
il y a eu un avant, pour moi.
Irène : Je voudrais rebondir sur l'histoire
de Nicole. Moi aussi, j'ai beaucoup de mal à
distinguer ce que j'ai construit comme explication
et ce que je ressentais à l'époque...
C'est maintenant beaucoup plus clair, parce qu'avant,
c'était beaucoup plus confus, mais j'ai beaucoup
réfléchi sur l'avant, mais je garde
des perceptions. Mais c'est quand même très
flou parce qu'il n'y a pas d'avant, il n'y a pas eu
de viol, il y a eu des attouchements qui ont progressé
vers des relations sexuelles jusqu'à mon adolescence,
mais je suis incapable de me rappeler quand... j''ai
pu qualifier ça d'inceste... C'est en réfléchissant
que j'ai réalisé... Dans mon esprit
pendant longtemps, il y avait eu quelque chose quand
j'avais quinze ans, environ, c'est après que
j'ai réalisé qu'un certain nombre de
gestes étaient ou... Inaudible... Et donc à
cette époque-là l'attitude de ma mère,
seule cette absence, elle est là dans la maison,
mais pas là. A l'époque, je ne me disais
pas : mais qu'est-ce qu'elle fait ? C'était
comme ça. C'était mon père qui
s'occupait régulièrement de ma toilette
intime quand j'étais petite fille et donc là,
je ne sais pas pourquoi, ma mère ne s'en occupait
pas, puisqu'elle était à la maison.
Je sais qu'elle s'occupait de moi pour les soins de
petite fille, de me laver, à certains moments.
Mais quand c'était mon père qui le faisait,
elle n'était pas là. J'avais un petit
frère, elle s'en occupait peut-être aussi.
Toute cette sensation d'absence jusqu'à très
tard. Présente dans la maison, mais absente
près de moi sans que, à l'époque,
je me pose de questions particulières. Il est
évident qu'elle disparaissait. Et sur son attitude
avant ? Il y eu des choses très nettes que
j'ai ressenties. J'ai retrouvé mon journal
intime. J'ai noté très peu de choses
parce que j'arrivais pas à tenir un journal
intime... Ce que j'avais à dire sur la période
juste avant la puberté, j'avais une douzaine
d'années où j'ai senti que ma mère...
J'avais nettement l'impression, à la fois j'avais
l'impression qu'il y avait des problèmes entre
mes parents, des problèmes de couple, en particulier
liés à la sexualité de l'un ou
de l'autre. Maintenant, je sais plus de choses la-dessus,
mais à l'époque mon père faisait
des remarques sur le fait que ma mère n'avait
plus la même..., qu'elle n'était plus
sexy, qu'elle se laissait aller en gros. De la part
de ma mère beaucoup de..., inaudible..., de
colères la-dessus..., inaudible..., et petit
à petit, cela s'est déplacé sur
moi, il est clair que plus je devenais une jeune fille,
plus ma mère était agressive avec moi,
sur ce domaine-là, beaucoup de remarques sur
le fait que je m'asseyais les jambes écartées
sur les fauteuils, quelque chose comme ça et
que..,. ce que je cherchais... Il y avait plein de
remarques comme ça qui me choquaient énormément.,, qui me mettaient très mal à l'aise,
j'avais toujours l'impression que j'étais appelée...,
la barbe ! Des coups de fil à propos de la
pédophilie, que j'étais pas d'une famille
propre et en même temps l'idée que j'avais
une attitude trop sexualisée, alors que...
inaudible... Clairement j'entendais que je ne me réalisais
pas comme une petite fille de mon âge, toujours
j'essayais d'attirer le regard masculin, je ne sais
pas lequel, celui de mon père ? Que petit à
petit, plus j'entrais dans l'adolescence, plus cette
agressivité et cet éloignement se sentaient,
ce qui fait que quand j'avais quatorze quinze ans,
ça me paraissait pas très bizarre qu'elle
ne soit pas là parce que de toute façon
elle était..., on avait de mauvais rapports,
elle était très agressive avec moi,
elle donnait l'impression d'être très
agacée, il y avait plein choses chez moi qui
lui déplaisaient beaucoup. En fait, je prenais
sa place, quoi, mon père avait bien la même
impression. Il mettait clairement en relation le fait
qu'il n'était pas tout à fait satisfait
avec sa femme et que voilà... Il y a eu des
phrases : il disait que je rendais service à
la famille parce que sinon, il aurait pris une maîtresse,
il ne serait plus avec elle.
Delphine : Donc là, il ne la trompait
pas ?
Irène : Ca, je l'ai dit récemment
à ma mère qui a considéré
que là pour moi, c'est la chose qu'il a fait...,
inaudible... Al'époque, je ne me suis même
pas posé la question, « si tu veux prends
une maîtresse !, ça a été
dit comme : à la fois, tu rends service et
tu fais tenir tout le monde, moi le couple et aussi
cette idée que je prenais la place. Et en fait,
je te donne le statut de maîtresse, il y avait
toujours un côté soi-disant, je te donne
quelque chose, un statut de maîtresse..., inaudible...
Il n'y avait pas du tout de sa part l'idée
qu'il me faisait du mal, c'était au contraire,
il fallait que j'accepte ça comme une sorte...
Je n'avais pas le choix. Et là, la place de
ma mère devient dans ma tête très
fantomatique. Je réalise toute une manipulation
psychologique, toute une logique familiale autour
de ça et je réalise que j'avais l'impression
que c'était normal. Quand par contre on était
tous ensemble, quand j'étais avec elle, ça
se passait soit par peu de paroles entre nous, soit
des paroles assez agressives. Au début, l'idée
c'était que..., tu es gentille avec moi, tu
es ma préférée..., inaudible...
J'avais pas pris conscience que c'était passé
dans le domaine sexuel... Je me disais qu'à
quinze ans, j'étais assez grande pour savoir
de quoi il s'agissait. Mais avant, c'était
l'idée que ma mère ne m'aimait pas,
elle préférait mon frère, Il
y avait un garçon et une fille, ma mère
préférait son fils et mon père
préférait sa fille..., C'était
une évidence... J'avais l'âge, j'étais
belle, victime d'agressivité de la part de
mon père, l'objet par rapport au fait que je
devenais une jeune fille, donc quelqu'un qui avait
une vie sexuelle et objet total de cet aspect-là
de ma personne, et de reproches.
Béatrice : Par rapport à ce que
j'ai entendu, l'absence de dialogue avec ta mère
est effectivement très présent. Je suis
la dernière de trois enfants, deux grands frères,
dont mon abuseur, et je suis la surprise, je n'étais
pas trop attendue au niveau de ma naissance. Mon père
est parti très rapidement après que
je sois née, donc elle a assumé beaucoup.
D'un côté, je suis partagée, parce
qu'elle a beaucoup assumé au point de vue confort
matériel, c'est-à-dire qu'elle s'est
débrouillée pour qu'on ait à
manger, des vacances, des vêtements, mais d'un
point de vue affectif, il est évident qu'elle
préférait mes frères et j'étais
souvent la cible d'agressions par rapport à
me rabaisser, à me faire sentir que... Pas
assez féminine, pas assez ci, pas assez ça,
donc ça, je le ressens très fortement,
cette espèce de rejet de la part de ma mère
et donc pas de dialogue entre nous, en tout cas pas
de dialogue sincère, pas grand chose à
se dire, on est très différentes. Pour
l'instant, elle ignore, je ne sais pas ce qu'elle
sait exactement. J'ai le souvenir, que quand j'ai
été réglée à dix-onze
ans, elle a insisté pour que je ne partage
plus la chambre avec mes frères. Elle m'a aménagé
un petit espace dans un bureau pour que j'aie mon
intimité et par la suite m'a même donné
sa chambre. Je ne sais pas du tout ce qu'elle peut
savoir, si elle était au courant. Mon grand
frère a pris la place de mon père, c'est
évident, au sein de ma famille, mais je ne
sais pas comment elle réagira. J'aimerais que
ce soit de sa part, bien sûr, mais jusqu'à
maintenant, je n'ai pas eu le sentiment de l'avoir,
que ce soit dans ma vie sociale, même à
l'école, elle a soutenu mes frères mais
pas moi donc il y a vraiment une distinction entre
mes frères et moi ; d'un point de vue affectif
surtout, et donc une absence complète mutuelle...
Mon frère a pris la place de mon père...
Je ne sais pas du tout ce qu'elle sait et je ne sais
pas du tout comment elle réagira.
Maud : Ben, moi, ma mère le sait depuis
très peu de temps, elle était absente
à ce moment-là puisque c'était
les grandes vacances. Moi, mon abuseur, c'était
mon cousin et j'ai pas l'impression d'avoir eu un
changement, en tout cas, une modification de comportement
claire et nette après les faits. Je devais
avoir dix ans, on jouait souvent au docteur, au papa
et à la maman, j'ai quatre cousins, j'étais
la seule fille. Donc je l'avais complètement
amalgamé avec le reste en disant : c'est des
jeux d'enfants. Donc je pense que ma mère,
elle me l'a dit, elle ne s'en est jamais douté,
ça a fait l'effet d'une bombe et ma tante,
pareil, c'est-à-dire que quand elle l'a su,
elle m'a dit que c'était la dernière
personne à qui elle aurait pensé puisque
avec mon cousin, on n'avait aucune relation, il ne
me parlait pas, ni en journée, ni avant, ni
pendant, ni après. C'était l'indifférence
la plus complète et du coup, cela a étonné
ma tante, elle était quelquefois présente
pendant les vacances, c'est surtout ma grand-mère,
mon grand-père vu que c'était une grande
maison, avec des dizaines et des dizaines d'hectares
autour, donc de toute manière, on était
un peu laissés à nous-mêmes, et
que c'était la liberté. Ma mère
ne s'en est jamais rendu compte. Je n'ai pas remarqué
de modifications de comportement à part à
l'adolescence quand mes parents ont divorcé,
mais comme beaucoup d'enfants, ça a été
un peu difficile et c'est à ce moment-là
que j'ai commencé à avoir un excès
de colère, l'un d'une manière inconsciente
et l'autre vis-à-vis du problème du
divorce de mes parents et qu'il y avait un choix à
faire pour savoir avec qui vivre. C'était un
problème que beaucoup d'enfants ont connu et
donc là, j'ai pu exprimer une colère
qui était latente depuis quelques années
sans avoir conscience, sans faire le rapprochement.
Béatrice : Tu te rappelles pourquoi
tu l'as pas dit à ta mère à ce
moment-là ? Pourquoi tu l'as pas dit à
ta mère ?
Maud : Oui, c'est un peu ce qu'elle m'a dit
: mais pourquoi, tu ne me l'as pas dit. Parce qu'on
a un rapport très fusionnel, elle sait tout,
je lui dis tout. Elle a connu tous mes petits copains
donc... C'était pas la première fois
que je lui cachais des faits qui m'avaient traumatisée,
j'ai reçu une fessée déculottée
devant toute la classe par ma maîtresse, et
j'en ai pas parlé, je lui ai dit vingt ans
plus tard, elle est restée sciée. Comme
après en maternelle, ma maîtresse m'a
jetée contre un radiateu.,r je suis rentrée,
j'ai rien dit, elle s'en est aperçue quand
je prenais le bain, j'avais une marque dans le dos.
Elle s'est dit : mais qu'est-ce que c'est que ça
? C'est-à-dire... J'ai l'impression que tout
de suite la culpabilité arrive. Les actes sont
tellement disproportionnés, ma maîtresse
aurait pu me mettre une claque, ou une fessée
sans forcément me déshabiller pour me
la mettre. C'est moins humiliant. Je me suis dit que
j'ai forcément fait quelque chose de gravissime,
qui fait que si je le dis, eh bien, ma mère
va encore me punir, c'est bon, j'ai donné,
Je pense qu'il y avait déjà eu des actes
comme ça : recevoir un fessée, être
balancée contre un radiateur, ça m'a
déjà pas formatée, mais mis dans
une situation plus ou moins identique qui provoque
la culpabilité automatique et en même
temps je n'avais aucun rapport avec lui. Il m'ignorait.
C'est pas comme si nous étions les meilleurs
amis du monde et que ça dérape. Non,
il m'ignorait. Il avait quatre ans, il était
plus âgé, il faisait ses trucs et ses
machins, c'est vrai que maintenant que j'ai parlé,
ma tante, elle se rend compte que effectivement, il
a un comportement étrange vis-à-vis
de sa soeur et donc là, ça crée
des questionnements pour toute la famille, en tout
cas pas encore toute la famille, mais ceux qui sont
au courant. Voilà, des décisions à
prendre, difficile à déceler. Je voudrais
pouvoir parler ouvertement et le balancer... On verra,
mais...
Noémie : Tout ça, ça me
parle énormément dans le sens où
c'est pareil, moi pendant vingt ans, je n'en ai pas
parlé alors que quand ça s'est passé,
j'avais huit ans et je savais bien que ce que mon
frère me faisait c'était totalement
interdit, pas bien du tout, j'en avais tout de suite
conscience, je n'ai pas ressenti que c'était
un jeu d'enfant. C'est après, je me suis dit : ça passera parce que quand on est plus vieux
on oublie tout, on oublie son passé, on oublie
ce qu'on a vécu quand on est petit, moi, j'étais
persuadée de ça et en fait, je n'ai
jamais rien oublié, j'ai des souvenirs très
réalistes. Et donc, j'en ai parlé il
y a très peu de temps, il y a deux mois à
ma mère, parce que j'étais dans une
situation tellement mauvaise psychiquement, je tombais
dans la dépression... Inaudible... Je suis
tout à fait certaine qu'elle n'était
pas du tout au courant que c'était mon frère
qui avait abusé de moi. Elle ne pouvait pas
s'en douter étant donné que ça
s'est passé dans trois lieux différents,
et à chaque fois, dans ces trois moments-là,
ma mère n'était pas là. Ma mère
ne pouvait pas s'en douter, étant donné
que je... On va dire que j'étais très
fusionnelle avec elle. Je ne lui ai jamais rien caché.
Je ne lui mentais jamais, en fait, je m'en étais
fait une règle de mentir sur rien d'autre que
sur ce qui m'était arrivé. Pour moi,
c'était : je dois tout lui dire, mais il n'ya
qu'un truc que je lui dirai jamais, que je crèverai
avec, ce sera ce secret-;là. Et en fait, je
me suis rendue compte que cela me bloquait complètement
dans ma vie aussi bien affective que relationnelle
avec les autres, donc que chaque homme me faisait
peur, qu'il soit vieux, jeune, que j'étais
pas du tout à l'aise et que même avec
mon père qui ne m'a rien fait, je n'étais
pas à l'aise non plus donc ça a bousillé
pas mal de relations périphériques.
J'étais contente de sa réaction, c'est
elle qui m'a conduite au groupe de parole, c'est grâce
à elle que j'ai découvert AREVI, je
suis venue donc une fois avec elle. Je ne pense pas
que ma mère reviendra dans le groupe, par contre,
même si elle revenait de temps en temps sur
Paris. Elle m'a dit : « maintenant, ton groupe
de parole, c'est quelque chose qui t'appartient ».
Mais je pense que pour elle, c'est immensément
dur, on est presque deux victimes, elle l'est presque
autant que moi. Mais je pense qu'elle va faire un
travail aussi, de psychothérapie, de son côté
pour aider à aller bien. C'est qu'elle a tout
fait pour mon frère et pour moi, son but dans
sa vie, c'était vraiment ça, d'avoir
deux enfants sains de corps et d'esprit et bon, il
y en a un qui a dérapé qui a fait plein
de conneries. Et le fait qu'il se soit...., que je
n'ai plus de contact depuis treize ans avec lui, parce
qu'il s'est barré de la famille. Je pense que
ça a aidé pour que je parle. Pour moi
cela a aidé à ce que je parle, cela
a été un poids comme une personne qui
est morte et qui revient comme un mauvais fantôme,
un mauvais spectre, quoi ! Je pense qu'il y a une
petite part de moi-même qui était mon
espoir, c'était de me dire : ma mère
me croira plus moi que lui, elle ne peut pas douter
de ma parole, je ne pense pas .Effectivement, elle
n'en a pas douté. Voilà !
Delphine : Merci.
Le psychologue : Merci... Si je peux me permettre
une suggestion... de faire une pause. En général,
on la fait après le deuxième sous-thème,
mais là, le second thème a été
largement abordé. Je vous propose effectivement
qu'on continue, cela fait vraiment un passage à
l'autre sous-thème, juste puisqu'on a l'habitude
de faire une pause. Là, c'est à l'appréciation
de tout le monde. Ou en enchaîne, c'est comme
vous voulez.
« tout Schuss ! » Tout le monde parle
en même temps.
Je vous rappelle le deuxième sous-thème,
c'était dans le cas du dévoilement et
de la reconnaissance de l'inceste, quel est ou a été
l'attitude de la mère ? effectivement c'est
déjà fait.
3 : Dans le cas du dévoilement et de la reconnaissance
de l'inceste, quel est ou a été l'attitude
de la mère ?
Delphine : Pour ceux qui ne l'ont pas encore
dit.
Pause café.
Delphine : Tu sais pourquoi, tu disais, ça
c'est le secret et ça je ne le dis pas ?
Noémie : Pour une question de... honte,
c'est-à- dire que moi, j'ai chialé,
évidemment la première fois, mais je
me disais que c'était la première et
la dernière. Je ne pensais pas qu'il allait
poursuivre deux autres actes en fait, à des
années d'intervalle, et, en fait, j'ai vite
ravalé mes larmes et je me suis dit que c'était
une mauvaise journée à passer, terrible,
je crois que tout de suite, on est dans un mouvement
de... comment dire ?... de repli sur soi, de honte
très grande, une honte qu'on peut avoir, à
n'importe quel âge. Et qui fait qu'on garde
ça, on se dit qu'on peut pas en parler. J'avais
peur aussi, ce qui est complètement incroyable
et paradoxal, c'est que mon frère s'en prenne
encore plein la gueule ; c'est vrai qu'il avait fait
conneries sur conneries depuis qu'il était
petit, c'est qu'il avait pas mal eu affaire, normalement,
à ma mère qui jouait le rôle du
père et de la mère. Etant donné
que c'est plutôt elle qui a fait notre éducation.
Il y a un manque d'autorité paternelle c'est
évident.
Lise : C'est un grand grand frère ?
Noémie : On avait cinq ans de différence
Lise : J'ai entendu dire quand ça s'est
passé, ma mère était absente.
Ça s'est passé une fois, quatre fois
ou plus, toujours en l'absence de la mère.
Pour moi, ça s'est passé sur plusieurs
années, j'ai même daté de sept
à douze ans. Je pense, compte tenu des soins
que j'ai eu aux yeux, c'était même avant
sept ans. C'était la nuit pendant que ma mère
dormait, même si on dormait, j'étais
dans le même lit que mon frère. On dormait
dans la même pièce...
Fin de la première face de la cassette n°1
Jacqueline : Ca a duré des années,
comme j'ai eu très longtemps une amnésie,
je ne sais absolument pas quand ça a commencé,
je suis sûre très petite, avant même
d'avoir la parole, donc la question d'en parler à
ma mère ne s'est pas posée, et je ne
sais pas quand ça s'est arrêté.
Je crois me souvenir que c'était la nuit, donc
elle était là. Nous habitions un très
grand appartement, enfin ma chambre était loin
de la leur. Mais elle était près de
celle de ma grand-mère, qui..., à quel
âge, je me suis rendue compte - avait interdiction
de venir dans la chambre d'amis - et papa qui était
donc un père absolument remarquable et dévoué
puisque il se levait tout le temps, moi, j'étais
un enfant à problème. L'attitude de
ma mère était donc la suivante : c'est-à-dire
que dix jours par mois, parfois plus, elle était
enfermée dans le noir, dans sa chambre, fallait
pas rentrer, fallait pas faire de bruit, fallait rien,
car elle souffrait de migraines ophtalmiques épouvantables...
que j'interprète puisque je suis en cours d'analyse
comme elle a mal de voir ou de pas voir, je pense
qu'elle se savait et que c'est ça qui la tuait
littéralement, puisque elle vivait pas...Lla
moitié du temps, et le reste du temps d'ailleurs,
elle ne faisait pas grand-chose non plus, elle s'occupait
physiquement pour me faire manger, extrêmement
peu de moi C'est surtout ma grand-mère et mon
père sur mon corps, il a bien fallu voir à
un moment donné tant que c'était des
tortures terrifiantes, enfin, terrifiantes pour un
enfant, d'écraser la tête sur son sexe,
ou... Apartir du jour où j'ai été
sodomisée, je me suis dit que ça ce
n'est pas possible que ce ne se soit pas vu et donc
si il n'y avait que lui qui faisait ma toilette, il
était tranquille, et donc voilà l'attitude
de ma mère pendant. Donc je ne peux pas savoir
si elle le savait ou si elle ne le savait pas, je
pense qu'elle le savait au moins inconsciemment c'est
sûr ! Pour avoir cet handicap-là mais
toute mon enfance ma mère était, quand
elle n'était pas sur son lit dans le noir où
il fallait pas parler, elle était hypochondriaque,
c'est-à-dire, complètement centrée
sur elle, sur des maladies. Il fallait toujours prendre
des rendez-vous avec les plus grands professeurs...
et il n'y avait rien.Ttoujours des radios, des examens
et rien. Et donc vlan ! enfermement dans la piaule
et après on repartait sur autre chose. En fait
elle a été complètement, enfin,
moi, j'ai le sentiment qu'elle était mobilisée
par elle et ses problèmes qui l'handicapaient
littéralement, lui rendaient la vie invivable.
Mais par rapport à moi, alors mon père
me traitait comme une pute puisque quand j'ai eu trois,
quatre ans, tous les jours il m'emmenait au monoprix,
prisunic à l'époque, pour que je choisisse
un jouet, sans un mot, rien, et donc j'étais
complètement accro à cet instant où
il fallait acheter un jouet, je ne vivais qu'avec
ce truc-là et ça exaspérait ma
mère. Je me souviens que d'attitude très
agressive parce que je pense qu'il y avait des problèmes
d'ordre sexuel entre eux, alors si elle le savait,
d'une certaine façon, j'étais la petite
femme de papa, si elle ne le savait pas, je ne sais
pas ce qui se passait dans sa tête à
elle mais elle, c'était en tout cas, il y avait
des moments où elle était super-affectueuse,
une vraie maman, et j'attendais ces moments, vraiment
avec impatience, et d'autres moments où je
sentais que je l'exaspérais, comme je me considérais
comme un enfant pas normal qui avait quelque chose
de dégoûtant qu'il fallait cacher et
je ne savais pas quoi et par rapport à : «
faut l'cacher, Faut pas l'dire, j'avais tout
le temps ça dans la tête mais je ne savais
pas quoi. Compte tenu de ce que je décris de
l'attitude de maman, j'étais dans l'amnésie.
Je vivais dans une telle détresse, je me rendais
bien compte que les autres enfants n'étaient
pas comme ça, je pense aux cours de récré,
on voit bien la différence, on voit bien qu'on
est pas normal, qu'on a cette tristesse permanente,
cet accablement, cette incapacité physique
pour courir des fois, pas savoir comment on marche,
comment on met un pied devant l'autre, ça je
lui en ai parlé et elle soupirait, c'était
un souci de plus pour elle.
Mireille : Tu disais je suis triste et des fois,
j'arrive pas à mettre un pied devant l'autre
dans la cour de récré.
Jacqueline : Non je ne crois pas que j'exprimais
les choses de cette façon aussi claire que
je vous le dis là, mais... Tout était
dans le déni, par exemple, je me souviens quand
elle parlait avec des amies à elle, elle disait
que j'étais une enfant très tonique,
une force de la nature, des mots qu'elle employait
pour mon père, d'ailleurs. Donc ce n'était
pas du tout ça et je m'en suis rendue compte
quand vers six, sept ans, elle m'envoyait dans un
home d'enfant en Suisse que les puéricultrices
portaient sur moi m'ont absolument suffoquées, parce qu'elle m'ont trouvée limite «
rachdingue, vraiment pas bien. Là j'ai
tout de suite compris que ça tournait pas rond,
la façon dont ma mère me voyait.
Delphine : Je voudrais dire la façon
dont ça ma fait rebondir de façon inattendue
pour moi, parce que moi, je voudrais parler de ma
grand-mère. J'ai une soeur jumelle, je me demande
tout à coup si le fait qu'on... je ne sais
pas, j'ai déjà entendu dire cela, ce
doit être courant quand on a des jumeaux dans
une famille, on les appelle « les jumeaux,
on ne les distingue pas l'un de l'autre. ce n'est
pas un scoop. Mais je me demande si.. .dans ma famille,
on faisait ça aussi, on nous appelait «
les jumelles, mes parents, mes grands-parents,
les adultes de l'entourage et ma grand-mère
aussi. Et je suis en train de penser que c'est comme
si on n'avait pas une relation interindividuelle avec
ma grand-mère, sauf si on était malade
? Mais, sinon, à ma soeur et à moi,
elle nous parlait à nous deux et je me dis
que le fait qu'on soit deux et que pour elles, ma
mère, ma grand-mère, le fait qu'on parle
à nous deux que ça vaille pour une seule
personne ça permettait peut-être... Je
me suis toujours demandé pourquoi : bon, ben,
ma grand-mère était là quand
j'étais violée par mon grand-père,
elle était dans sa chambre pas loin. Quand
c'était en Dordogne, nos chambres étaient
côte à côte, donc c'était
tout près, quand c'était à Paris,
c'était un peu plus loin, mais ça faisait
tellement de bruit, après, dans la salle de
bain quand on faisait les opérations de nettoyage,
que... Elle prenait des sédatifs, beaucoup
de médocs. Je suis sûr qu'elle a entendu.
Je n'ai pas tellement de doute la-dessus. La question
que je me pose souvent, c'est comment ça se
fait qu'on n'ait pas vu les traces physiques sur moi
et je me dis, un film peut-être, une projection...
Comme on était deux, on voyait le corps de
ma soeur qui était indemne lui, donc cela faisait
une seule image et elle n'avait pas de traces donc
on parle à moi, on regarde elle... donc quelque
chose comme ça. Mon grand-père, il faisait
une différence terrible, il traitait très
mal ma soeur, il l'humiliait, il l'insultait. Moi,
il ne m'insultait pas, il disait que j'étais
intelligente, mais il me violait, il me torturait,
la nuit, le jour aussi. Mais ma grand-mère...
Je me souviens à peine, cela a dû arriver,
je ne me souviens même pas qu'elle ait dit mon
prénom, La relation avec les deux a été
personnalisée. Comme si nous n'étions
qu'une seule personne. Voilà, c'est tout ce
que j'avais envie de dire !
Mireille : Vous étiez si différentes
comme jumelles ?
Delphine : Oui, on était hyperdifférentes,
surtout enfant, oui, j'étais plutôt brune,
elle était blonde, j'avais quatre centimètres
de plus, ni la même morphologie, ni rien.
Lise : J'ai eu des voisines qui étaient
jumelles, on disait toujours : les jujus.
Mireille : Moi, je suis grand-mère de
jumeaux, de vrais jumeaux, vraiment semblables. C'est
dans leur comportement, ils sont différents.
Mais dans la famille, je lutte. On demande «
comment vont les jumeaux ? ». Ce doit être
assez difficile à vivre mais bon, chacun a
sa vie ! J'ai envie de parler par rapport au dévoilement
de l'inceste, c'est vis-à vis de ma soeur.
En fait, comme j'ai transposé « ma mère,
ma soeur, je suis un peu dans la confusion...
dans la mesure où j'en parle par rapport à
ma naissance. Quand je suis née, ma mère
avait quarante ans passés, donc elle se sentait
très vielle, c'était pas la joie de
se retrouver enceinte. C'est ma soeur qui avait seize
ans, qui s'est beaucoup occupée de moi donc
c'est pour ça aussi qu'il y a eu cette confusion
« mère-soeur » « soeur-mère
» et puis « mère grand-mère
» parce qu'à la limite, il y avait aussi,
ma mère qui était âgée,
enfin, maintenant on ne dirait plus ça mais
moi, j'ai toujours vécu avec ma mère
que je trouvais très âgée donc
ça me gênait aussi. Et voilà il
y a aussi, cette espèce de confusion. En fait,
j'en ai parlé à ma soeur... Quand certaines
d'entre vous ont parlé d'agressivité,
de comportement agressif de leur mère, disons
que je l'ai ressenti de la part de ma soeur. Ma soeur
est super-chiante à vivre, elle est jamais
contente, ça va très mal, elle a eu
aussi plein de maladies, d'ailleurs elle en a une
maintenant, malheureusement, elle a un cancer, cependant
elle en a déjà eu un, elle avait trente-sept
ans dont elle s'est... ça s'est arrangé.
Quoi ! Enfin bref, elle a eu un tas de choses, ça
va jamais, jamais, jamais. Et quand le jour où
j'ai fini... parce que... en même temps, et
comment dire ? en même temps, très jalouse
de moi, moi, parce qu'apparemment, moi j'ai réussi,
moi, j'ai eu toutes les chances, quand un jour, je
lui ai,...comme elle se plaignait tout le temps...
je ne suis pas trop claire. Comme elle se plaignait
tout le temps, je lui disais : « ben ! essaie
de te faire aider, essaie d'aller en parler. Alors
un jour, je lui ai dit, ben moi, je me fais aider.
Oh ben toi avec la vie que tu as eue, je ne croyais
pas que tu avais des problèmes etc.. ; et puis
à un moment aussi, elle avait refusé
d'aller à une fête de famille en disant
: oui ! il y en qui me prennent de haut, e fin bref...
et puis après plusieurs mois, plus de nouvelles.
Moi, je n'en pouvais plus de ça et donc je
lui ai écrit en disant : « écoute
tu dis que tu as tous les problèmes, mais je
voudrais quand même que tu saches que ton ami,
J'ai été victime de ton mari quand j'avais
neuf ans et alors ;... ben !» Bon, moi, je tremblais
parce que je pensais qu'elle allait me dire : «
qu'est-ce que tu racontes là, t'es complètement
folle, c'est pas vrai » et finalement, il y
a un côté qui m'a rassurée, cela
apporte quelque chose quand même elle m'a dit
je m'en doutais. C'est pour ça quand ma mère
dit... je dis qu'elle ne sait rien. Qu'elle savait
rien, alors moi, je lui dis : mais tu crois que maman
le savait, elle me dit non ! Alors bon, je n'ai que
sa parole à travers, et... Mais cependant,
on a essayé d'en parler un petit peu plus et
maintenant, elle est à nouveau très
fermée. Et alors aussi, j'ai des doutes par
rapport...parce qu'elle a eu quatre enfants dont une
fille et quand sa fille est née... j'avais
moi-même treize ans et là je me suis
dit : « quel malheur, une fille arrive dans
la famille ». Tout le monde était content,
il y avait une fille qui arrivait, enfin mes parents,
mais moi, j'étais...tout de suite ma première
pensée, c'était « quel malheur
une fille arrive dans la famille, c'était
vraiment un drame, enfin que j'ai ressenti. Alors
ceci dit, j'ai jamais pu beaucoup parler. On est une
famille assez séparée, on parle peu,
on ne s'est jamais parlé et je pense que ma
nièce a été victime... etc...et
puis bon, la famille ne va pas très très
bien. Et maintenant à nouveau, je parle de
ma soeur, c'est quelqu'un qui se débrouille
pour être malade et comme elle est tout le temps
malade, il ne faut pas qu'on l'embête, faut
qu'on soit à son service. Donc, j'ai passé
ma vie à essayer de payer pour elle, de lui
faire, de toujours essayer d'apporter quelque chose,
même d'essayer de vivre parfois des moments
communs, partir un peu, faire un week-end, faire quelque
chose, elle a toujours tout refusé, elle refuse,
maintenant on n'en parle plus. Donc je l'ai dévoilé,
c'est important, elle n'a pas nié, parce que
j'avais peur qu'elle le nie, cependant je ne sais
pas si ça a fait avancer beaucoup ? Si, un
petit peu quand même, mais, c'est pas clair.
Je pense que c'était quelqu'un qui était
besogneuse,... Tu parlais de ta maman... Je pense
que c'était quelqu'un comme ça, la lessive,
les enfants, les gamins, ils vivaient dans deux pièces,
lui, il buvait, il ne ramenait pas toujours l'argent,
enfin etc. Son souci, c'est la maison propre, le linge
propre et le reste, on ferme les yeux. Je crois que
là et en fait, si en ce moment, elle est très
mal, je pense qu'elle se sent très coupable
et qu'elle a rien fait, moi, je lui en veux de ne
pas m'avoir protégée. Elle aurait pu
me protéger... s'en doutant... A un moment,
elle avait failli divorcer, ça ne s'est pas
fait et moi, j'étais vachement déçue,
j'aurais tellement voulu qu'elle divorce, elle a pas
été capable, même si elle s'en
doutait, justement de dire : stop. Ca je lui en veux,
je ne sais pas si je lui pardonnerai un jour, même
si elle meurt. Elle mourra, mais, enfin, je ne suis
pas bien par rapport à cette histoire, fallait-il
dévoiler ? pas dévoiler ? Je ne sais
pas du tout si c'était la solution. D'un côté,
je ne regrette pas, mais en même temps... inaudible...
Voilà je ne sais pas trop quoi... Et je repensais
aussi par rapport à ma mère... Quand
tu parlais... Ma mère n'a rien dit, mais par
contre, elle ne supportait pas mon état féminin
et je sais que quand je me mettais du vernis à
ongles qui était rouge... transparent, ça
allait, mais quand c'était rouge, elle me traitait
de cocotte : « tu fais la cocotte, elle
me disait ça même quand j'étais
mariée, que j'étais plus âgée
« Arrête de faire la cocotte comme ça
! ». C'était un peu incongru, et puis
quand j'avais quinze ans : « tu vas pas aller
courir les garçons, tu vas rester à la maison ». Il y avait des
petits signes comme ça indirects. Peut-être
qu'elle avait peur pour moi, ou elle voulait pas que
je recommence. Moi, je me suis toujours dit que si
elle s'en est douté, elle a pensé que
c'était de ma faute, moi qui n'avais qu'à
pas être séductrice, à tourner
autour des adultes. Voilà !
Lise : Moi, je me rappelle mes soeurs, on était
quatre filles dans la famille, donc elles se sont
mariées entre vingt et vingt-cinq ans, elles
avaient comme distraction, c'était le bal,...
Moi, j'avais dix-sept ans, je ne sortais pas, j'étais
toujours dans mes bouquins. Un jour ma mère
m'a dit : « tu vas jamais au bal » et
donc, elle s'interrogeait, cela voulait dire : «
t'es donc toute seule » et comme elle était...
elle parlait peu... j'ai laissé tomber... Je
me demande, enfin je pense qu'elle n'avait jamais
rien vu, mais elle sentait que j'avais une différence
avec mes soeurs, je m'isolais.
Nicole : Je voudrais parler du jour où
je l'ai dit à ma mère. Ce n'était
pas mon intention ce jour-là. J'avais une quarantaine
d'années, j'avais compris depuis peu, parce
que j'ai fait une amnésie x années et
j'avais compris par un travail de psy que j'avais
été violée par mon oncle, et
comme j'avais pris conscience qu'il était peut-être
mon père, j'avais commencé par le premier
rôle c'est-à-dire, arriver à mettre
au clair de qui étais-je la fille ? Puisque
celui qui m'avait élevée ne m'avait
jamais regardée, jamais adressé la parole
et que je n'étais... Le peu d'existence que
j'avais, c'était le jour où il était
de bonne humeur et qu'il me jetait un regard...et
je devais me mettre à genoux pour lui mettre
ses pantoufles. C'était l'honneur suprême.
Donc un jour j'ai lancé les opérations
de recherche en paternité, donc ils ont reçu
tous les deux des papiers comme quoi, il fallait faire
des prises de sang, la totale, ce qui a été
fait. Il y avait une distance Paris-Lyon donc ils
l'ont fait, enfin, j'ai senti... il n'y avait pas
beaucoup de mots d'échangés à
l'époque. Seulement, j'ai compris que les résultats,
on ne me les donnerait pas, j'ai compris qu'on me
les donnerait si j'avais fait une action en justice
contre eux. J'avais dépassé la date
limite, et il aurait peut-être fallu, à
ce moment-là que j'aie une accord de ma mère.
Si ma mère m'avait soutenue, on aurait peut-être
pu faire une action en justice pour retrouver qui
était l'auteur... Je crois que j'avais bien
compris, puisqu'il me l'avait pratiquement dit en
me violant... et que c'était tellement évident,
dans le contexte familial, tout ce qu'on devait cacher, les photos, par hasard, on lui ressemblait, mon
père ne devait pas être au courant...
Enfin, bon, c'était gros comme une maison,
donc j'ai arrêté, j'ai dit je ne peux
pas faire une procédure toute seule. Il s'est
trouvé... donc je suis allée voir mes
parents...en vacances, en passage, je ne passais qu'une
nuit avec mes enfants. Et là, ma mère
est venue me voir : « mais tu te rends compte
de ce que tu fais... de toutes façons, ils
vont se tromper, ils se trompent toujours ».
Je me suis dit, j'ai déjà là
un début de réponse qui correspondait
à ce que je supposais et à un moment,
j'étais en train de laver ma voiture, mon père
est venu vers moi, et très heureux, il m'a
dit, « ça va te coûter cher tout
ça ! » Il m'a glissé une liasse
de billets dans la main, et il m'a dit,« c'est
pour t'aider » et comme à ce moment-là,
j'avais déjà un truc de ma mère,
j'estimais que là il en disait aussi suffisamment,
et que comme je ne serais pas allée plus loin,
je lui ai rendu sa poignée de billets en lui
disant que je ne pourrais pas aller plus loin, que
je m'arrêtais là. Que je n'irai pas plus
loin et généreusement, il m'a dit :«
bon, c'est pour tout ce que tu as payé jusqu'à
maintenant ». J'ai gardé les billets,
l'affaire pouvant s'arrêter là. Et quand
même, le soir avant de partir, pour moi, c'était
suffisant ils ses sont, ils s'étaient positionnés,
mais quand même, ma mère, je trouvais
que là, c'était vraiment un peu «
just, et le soir j'en ai parlé à
ma mère. Je lui ai dit : « au fait, il
y a une chose que je ne t'ai jamais dit, c'est que
ton beau-frère, mon oncle m'a violée
quand j'avais sept ans. » Le premier cri ça
a été : « Comment veux-tu qu'un
homme s'intéresse à une gamine de sept
ans, quel intérêt, il y avait
cette supériorité de la femme !, «
qu'est-ce que tu viens raconter comme bêtise
». Quand elle a su aussi où ça
s'était passé, elle a compris que là,
il y avait une réalité et elle m'a tout
de suite demandé des trucs techniques : «
est-ce que t'avais senti du chaud dans ton ventre
?... On entre dans une... c'est une fouineuse ! Et
je ne suis pas allée plus loin. Le lendemain
matin, je suis partie en voiture et elle est venue
vers moi avec une petite marguerite qu'elle avait
cueillie le long du sentier et elle me l'a donnée.
Je crois que c'est par là qu'elle a manifesté...
Et depuis, alors elle lancé une opération
familiale du tonnerre pour renouer avec cet homme
qu'elle n'avait plus vue depuis x années pour
ensuite pendant les années où moi, je
ne voulais pas le rencontrer obligatoirement faire
des réunions familiales . Elle me demandait
d'être présente et de demander pardon
à cet homme de ne pas vouloir me regarder.
Je fuyais. J'allais me baigner à l'heure de
la messe du quinze août pour ne pas avoir à
le rencontrer. Et le jour où il est mort, je
suis la seule personne de la famille que l'on n'a
pas averti, bien sûr. Parce qu'on a eu trop
peur que j'aille faire du scandale dans la réunion
familiale. Elle est morte, je sais qu'elle m'en veut,
qu'elle m'en voulait à mort de lui avoir pris
sa place et ça, j'ai été consciente,
pas à sept ans, pas jusqu'à dix-douze
ans. Je n'ai plus existé à ce moment-là,
je n'avais plus d'existence, j'étais transparente.
Je n'existais plus... Au début de l'adolescence,
quand j'ai commencé à grandir, je la
voyais vraiment jalouse de moi, me dire que j'avais
de vilaines jambes, j'ai compris que nous étions
rivales, je ne savais pas pourquoi je sentais profondément
que j'étais gagnante parce que c'était
elle la perdante. Je me suis toujours considérée
comme... Moi, j'étais à part, j'étais
non-reconnue, on ne me parlait pas mais moi, j'existais.
Ce viol m'a donné une existence, je n'en avais
eu aucune dans cette famille. Ça m'a donné
un petit peu d'existence et c'est presque le point
sur lequel je peux m'appuyer pour exister pour moi,
et pour ma famille. Et je m'en « barde »
un petit peu de la famille. Mais pour moi, c'est un
axe, la seule fois de ma vie où j'ai existé.
C'est tout. Et elle me poursuit encore huit ans après
sa mort, elle se venge encore de moi par l'intermédiaire
de mon frère, elle a laissé des trucs
pour me laisser des choses et pour se venger. Tous
les papiers que j'ai trouvés après sa
mort qui m'étaient adressés, je savais
que c'était tout de la haine, j'ai tout brûlé,
mais elle est quand même encore arrivée
l'année dernière à faire passer
un livre auquel je tenais beaucoup, à le faire
parvenir au fils de mon violeur pour que ce ne soit
pas moi qui l'ai. Et qu'il soit bien entendu que moi,
je n'aurai rien..... Silence... Je ne lui en veux
pas. Elle n'était pas très intelligente
et puis elle n'avait pas d'amour pour moi. Il y a
des femmes comme ça, je suis tombée
sur celle-là et puis, c'est tout !
Nancy : Inaudible... Je me pose encore beaucoup
de questions sur le fonctionnement de ma mère,
sur son rôle. La situation que j'ai vécue,
puisque ça a duré presque huit ans,
les relations avec mon père. Je lui ai dit,
en fait je lui ai dit très tôt, je lui
ai dit plein de fois... Je ne me souviens plus, mais
elle ne m'a pas entendu puisque ça a duré
encore jusqu'à ce que j'ai douze ans et demie,
treize ans. Après je lui ai dit à nouveau
quand j'étais adolescente, donc elle a réagi,
sûrement comme beaucoup de mère, en disant
qu'elle avait rien vu, qu'elle savait pas... Voilà
!... Je ne comprends pas qu'elle ait pu dire ça,
puisque je lui avais dit et puis aussi à certain
moment, elle m'encourageait. Je pense qu'elle savait
que j'avais une relation privilégiée
avec mon père, par rapport à ma grande
soeur, elle encourageait cette relation. Elle me disait
: « va rejoindre ton père, il t'attend
» donc après quand elle s'est déresponsabilisée,
elle a dit : « je savais rien, j'ai rien vu...
». J'ai un peu de ma, quand même ! Aujourd'hui
je pense même qu'elle est un peu nostalgique
de cette période, je sais pas. Ils avaient
de problèmes tous les deux, elle a dû
être... inaudible... Depuis là, je lui
dis encore : « c'est possible parce qu'il se
trouve, je rêvais ». J'ai entamé
une procédure de justice contre mon père
et donc là, à nouveau, je parle avec
elle de ça et elle est toujours aussi... inaudible...
Elle se place dans une position de victime, elle aussi, j'ai l'impression qu'elle... Je me pose la question...
comme si elle avait jamais fait l'expérience
de la vérité sur cette histoire....
Elle est complètement déconnectée...
Elle est malade, elle aussi, elle se plaint toujours...
quand je lui demande pourquoi... Parce que moi aussi,
j'aurais voulu qu'elle divorce, je le lui ai demandé
très souvent. Elle dit : « je ne pouvais
pas partir, j'avais pas d'argent » et quand
je lui dis : « mais toi, tu n'as rien fait,
elle dit : « mais qu'est-ce que j'aurais pu
faire ? porter une plainte ?...partir ?.. mais moi,
j'avais pas été agressée. »
J'ai l'impression qu'elle n'a pas accès à
l'expérience de ce que ça a pu être.
Delphine : Je parle pour elle : pour se protéger
de sa culpabilité
Nancy : Ma mère dans sa famille bourgeoise
de province. C'est la deuxième d'une fratrie
de huit. Et elle est un peu considérée
comme la simple d'esprit par rapport à ses
soeurs : toutes ses soeurs ont des professions assez
valorisées. Ma mère, c'était...,
elle n'a jamais travaillé, c'est elle qui s'occupait
de son foyer, des ses enfants, qui faisait à
manger..., qui n'a pas été capable de
venir dans la cour de récréation, je
ne sais pas, pour engueuler la camarade de classe
qui m'avait foutu un coup de pied, ça elle
l'a fait, mais protéger sa fille de...
Jacqueline : Sur l'histoire de parents divorcés,
après quand j'étais plus grande, adolescente,
elle se plaignait tout le temps, derrière son
dos. Elle était peut-être très
malheureuse en ménage, mais elle ne divorce
pas, ne travaillant pas, c'était absolument
inenvisageable... pour l'argent et aussi par rapport
à l'opprobre sociale que représenterait
.. bon... surtout, tout ce que j'ai entendu... Et
là, j'ai une montée de colère,
qui monte en en parlant « je suis restée
à cause de toi » donc remercie-moi, je
me suis sacrifiée pour toi. Je me souviens,
petite, j'essayais toujours d'espérer qu'elle
aille mieux, qu'elle se sentirait mieux, qu'elle allait
m'aimer, comme dans le moments qu'elle me câlinait.
Mais adolescente, je me souviens que je la détestais.
J'avais noirci des pages sur mon journal intime en
me disant des trucs du genre que c'était une
larve, j'étais très en colère
contre elle. Toujours dans l'amnésie dans son
comportement, et un jour, elle l'a trouvé.
Elle fouillait parce que j'étais en pension
et donc, elle m'a fait une scène quand je suis
revenue de la pension sur la trahison, en me disant,
d'ailleurs, au lieu de me dire toi, elle disait :
« les gens, on croit qu'ils vous aiment, et
voilà ils vous trahissent, elle disait
: les gens, j'étais morte ? Elle devenait très
menaçante et immédiatement, je me suis
dit, il faut absolument, que je trouve... ; inaudible...
Elle va me mener une vie infernale donc récupérer
le coup, je ne sais pas ce qui m'avait traversé
la tête donc je me suis...J'ai eu honte de moi,
de pas lui dire, « mais attends, regarde ce
que tu provoques à ton enfant ! » tout
se suite, j'ai compris que c'était mal, que
c'était vraiment dégueulasse, moi «
gens, je lui ai répondu : « tu
es une victime, en plus de rester pour sa fille avec
un type épouvantable, et voilà, ce que
sa fille écrit dans son journal ! »
Irène : Je veux dire, il y a quelques années,
je crois que ça fait cinq ou six ans, j'ai
parlé à mes parents, on en a parlé.
Je n'ai pas fait ça toute seule, c'est mon
mari - on était en pleine crise tous les deux
- il m'a plus ou moins lancé la-dessus. Je
ne sais même plus qui a parlé, ça
s'est passé par téléphone...
Ce qui arrivait à nous, était forcément
lié à ce qui s'était passé
pour moi, et que donc, il fallait qu'ils le sachent
et du coup, à ma mère, je lui ai parlé
et à mon père, je lui ai écrit.
Je pense à la seule lettre que j'ai reçue
de mon père... Je refusais de le voir et qu'il
voit mes enfants, et donc dans la lettre, il m'a très
tôt parlé de lui par rapport à
ça, dans la lettre, mais par contre, il y avait
tout un truc qu'il fallait que je pense à ma
mère, quelle allait beaucoup souffrir de tout
ça et qu'il fallait bien prendre conscience
qu'elle avait besoin de lui, qu'il prévenait
qu'elle était restée avec nous... inaudible...
quelle avait besoin de lui et pas seulement, matériellement,...
elle était femme au foyer et qu'elle n'avait
aucun moyen de partir. Moi, je ne me suis jamais posée
la question de savoir si mes parents aillaient divorcer
ou pas, parce que c'était une évidence
que... par ma mère et par sa mère, ma
grand-mère qui était souvent chez nous,
elle avait beaucoup de chances d'avoir trouvé
un mari qui s'occupe d'elle, qui les fasse tous vivre,
donc déjà, jusqu'à cette époque-là,
l'idée qu'ils puissent divorcer ne me venait
même pas à l'esprit. Par contre, quand
je lui ai parlé, il y a quelques années,
j'attendais qu'il se passe quelque chose de plus violent
entre eux que d'en parler... une séparation.
C'est tout de suite la première chose, ils
restaient ensemble parce elle ne pouvait pas vivre
sans un mari, sans son mari, ce n'est plus possible,
matériellement et sans doute psychologiquement.
Ma mère est assez solitaire et elle a consacré
toute sa vie à son mari et ses enfants. Donc
il n'était pas question que...elle ait une
existence propre. Je pense qu'il y a très clairement...
Ca s'est manifesté à ce moment-là
quand je lui en ai parlé, par une réflexion,
sur avant, on n'en parle pas. On ne peut pas en parler
et même si on en parle, on prend plein de précautions...
inaudible... à l'idée c'est nous qui
protégeons le couple, la famille, la mère,
c'est-à-dire que c'est pour ça qu'on
n'en parle pas puisqu'on sait que ça va tout
faire exploser... inaudible... Comment me défaire
de ce qu'a dit mon père, quand je parle de
ça, c'est la famille qui supporte, sa famille
à lui, c'était ça, si j'étais
pas là, comme pilier à la fois pour
résoudre les problèmes de couple...
inaudible... Et puis si après, je lui avais
fait défaut en disant quelque chose parce qu'il
y a l'idée que tout peut s'effondrer, de toute
façon, tant que moi, je n'ai pas pris le droit
de m'enfuir... inaudible... C'est vrai que je ne pouvais
pas parler, tout en espérant que les choses
... ne faire mal à personne, ne pas mettre
en danger, j'était tellement pudique que je
savais que si je parlais, j'allais tout casser, quoi,
leur vie à eux en tout cas. Il m'a parlé
de ma mère dans cette lettre, ensuite, j'ai
un oncle et une tante qu, très indirectement,
passaient souvent par mon mari, puisque c'était
plus facile de lui faire porter le chapeau. C'est
lui qui s'occupait de ma famille... C'est tellement
bénéfique, car je crois bien en plus
que la cousine, on m'en a coupée. Ça
a été dit que... inaudible... et aussi
à mon frère qui vit tout ça très
mal, donc lui ne veut pas rompre avec ses parents,
il considère que ma mère ne savait rien...
inaudible... plutôt pour la protéger...
En tout cas, la révélation, elle a été...
Je me suis aperçue après coup que c'était
pas une bonne idée, au sens de la prise de
conscience, le fait que moi, je parle, que je puisse
me permettre de donner un conseil, même si,
ma mère continue à dire qu'elle ne savait
rien. Le choc, c'était que je le dise, c'est
pas que... Je pense qu'elle étai,... c'est
très flou... En effet, quelque chose qu'on
sait sans vouloir le savoir, qu'on n'a jamais formulé,
je ne sais pas comment ça s'appelle exactement,
mais... Il est clair qu'il y a quelque chose qu'elle
savait, et que par contre, que je le dise, ça
a été... inaudible... L'attente par
rapport à ça, on parlait de baguette
magique, c'est vrai qu'il a des.... Inaudible....
C'est vrai qu'il y a eu les deux, sur le moment, c'était
très... Finalement pour moi, un soulagement,
et l'impression d'un bond en avant d'avoir pu faire
ça, d'avoir été quasiment obligée
de le faire, parce que je ne l'ai pas fait de moi-même,
que mon mari m'a lancée là-dedans un
peu comme un ultimatum... inaudible... pour pas que
je continue à faire porter sur nous... tout
ce que j'ai récolté de toute cette situation.
Un soulagement de se dire que ça y est, quelque
chose a bougé. Tant mieux, mon père
m'a quand même envoyé cette lettre...
elle m'a parlé. Mon oncle et ma tante m'ont
appelée. Petit à petit, tout le monde
a écouté. Résultat, c'est que
là je sais que ma mère fait tout pour
m'avoir chez elle, plus souvent, quand son mari, mon
père... mon frère qui désespérément
a essayé de partir très loin... Il m'a
dit qu'elle souffrait pour son anniversaire, parce
que mon père, ils ont entre soixante-dix et
quatre-vingts... Je réalise, le seul à
qui je n'en veux pas dans l'affaire, c'est mon frère,
c'est une victime. Je lui en veux en ce sens que j'ai
envie de lui dire, secoue-toi, de ne pas accepter
ça... inaudible... Mais bon, mon oncle et ma
tante ont filé aussi dans le Sud, comme mon
frère. C'est normal. On va tous se réunir,
donc avec mes cousins, on va tous se voir, et ma mère
a beau dire que depuis cette révélation,
elle a souffert, elle sait sincèrement... Les
deux cohabitent, elle est à la fois sincère
et à la fois dans un déni absolu de
la responsabilité qu'elle peut avoir, de la
culpabilité qu'elle peut avoir par rapport
à moi, par rapport à mon frère,
mais elle est sincère quand elle s'est mise
à pleurer en disant que c'est terrible de penser
que j'avais souffert toutes ces années, par
exemple, sans m'en parler . En même temps elle
ne se rend pas compte qu'elle m'avait interdit de
lui en parler, en disant, très clairement,
toutes ces choses-là, en disant que en gros,
c'est moi qui aguichais mon père. Même
si elle l'a jamais dit, moi, je l'entendais, mais
elle a dit... Enfin à ce moment-là,
lors de la révélation, elle n'a pas
dit grand-chose, tout ça s'est glissé
dans le conflit avec mon mari, c'était, en
gros, il te soutient parce que ça va mal chez
toi et puis ma pauvre, ton mari, il est horrible,
il veut tout casser, te priver de nous, et puis, petit
à petit, de plus en plus, ça a été,
il veut porter, il y a un côté social,
un jugement honteux sur nous, il veut nous faire passer
pour des sales gens pas corrects... Elle a dit des
choses sur mon mari que je n'ai pas pu dire si violemment.
Juste quelques mois après la révélation,
il est arrivé au téléphone et
ça allait encore toujours très mal entre
nous, on parlait de se séparer, il a entendu
des rires au téléphone... Lors d'une
réunion familiale, il leur a dit... je veux
vous parler : « faites vos cochonneries ensemble,
en hurlant » et il a cassé le téléphone
portable après, en le balançant, et
après ma mère m'a demandé s'il
s'excuserait à propos de ça, mon frère
a dit que tout ça, ça n'était
pas pardonnable d'avoir parlé comme ça,...
Mon mari m'a dit qu'il était prêt à
s'excuser de les avoir traités tous de salauds...
Inaudible... Il ne retire rien de la colère...
Fin de la cassette
Irène : Enfin c'est à moi de
me protéger pour que ça ne me revienne
pas dessus, parce que finalement ma mère a
tout le temps été malade aussi. Elle
a des problème de santé, il ne fallait
pas trop la secouer, mais, c'est clair qu'elle continue
à se protéger... Elle n'a pas d'autres
méthodes que ça... J'ai l'impression
qu'elle a continué à se protéger...
dès le début, même bien avant.
Quand j'en ai parlé, elle s'est protégée.
Elle dit une chose, un jour, puis elle en retient
d'autres, elle dit qu'elle aurait dû faire attention,
qu'elle aurait dû vérifier que quelque
chose la mettait mal à l'aise, mais qu'elle
aurait pu vérifier, mais elle n'admet pas qu'elle
puisse être responsable, de façon plus
profonde, inaudible... Elle s'est reprochée
par contre d'avoir... J'ai appris que donc elle avait
attendu un troisième enfant après moi
et mon frère, et que mon mari... ? mon père
ne voulait pas de troisième enfant, il l'avait
dit clairement depuis longtemps, mais il ne voulait
pas prendre aucune précaution, par rapport
à ça,... inaudible... C'était
: méthode température, tout ça,
alors j'entendais mon père et ma mère
parler de'ça... Ma mère était
très remontée par rapport à la
méthode des température, elle était
très féministe sur l'avortement, tout
ça, je ne comprenais pas pourquoi, donc je
le sais... Donc elle a donc dit à mon frère
qu'elle avait avorté en Suisse, c'était
pas encore légal à ce moment-là.
Donc je me rappelle être allée en Suisse
avec mes parents... enfin que mes parents soient allés
en Suisse, nous on était en colonie de vacances...
Et que donc finalement, ils se sont reprochés
que après cet avortement, elle n'a plus voulu
avoir des relations sexuelles, pour ne plus prendre
ce risque... Inaudible...Mmon père ne sait
pas prendre de précautions... et que donc elle
se sentait coupable finalement, là où
elle se sentait une responsabilité, c'est-à-dire
d'avoir frustré mon père...et donc de
l'avoir laissé... sa fille.... Mais ça,
elle ne l'a pas dit à moi. Peut-être,
c'est trop dur à dire, c'est finalement s'approcher
plus près de sa responsabilité.. .d'avoir
refusé sexuellement son corps à mon
père, d'avoir à mon avis, plus ou moins
consciemment admis que c'était bien pratique...
Il ne venait plus la chercher, elle. Quoi ! mais donc
ça elle ne l'a pas dit et par contre depuis,
elle est dans son attitude qui va du déni «
soft, c'est-à-dire qui veut dire :
ça y est, j'ai parlé, on ne peut pas
me dire que j'ai menti... inaudible... C'était
peu de temps, c'était pas grand-chose, c'était
des jeux - ce qu'elle dénie, c'est la gravité
de la chose. Au moment de la révélation,
j'ai senti ça. Ça c'est même refermé,
il y a eu un effet de choc qui a fait que sur le moment,
elle a pu accepter que c'était très
grave, ce que je venais de dire que petit à
petit, en n'en parlant plu, tout ça on arrive
à finalement mettre ça dans des secrets
de famille pas très beaux,... puis on passe
par-dessus... parce que sinon, on ne pourrait pas
vivre... inaudible... que c'est important pour les
autres, mon frère, sa famille.
Mireille : Toi, tu les vois toujours ?
Irène : Je vois ma mère, je vois
mon frère, très peu, on a beaucoup de
mal à se voir... Je vois ma mère, bien
sûr, ça c'est une décision que
je ne cesse de prendre. Je ne trouve pas la force
de supporter, de lui infliger la punition de ne pas
la voir et de supporter tout ce qu'elle va me renvoyer
comme chagrin, je préfère encore, en
effet, prendre sur moi... C'est une très grande
angoisse quand j'organise sa venue. Du coup, je la
vois comme je ne veux pas aller chez mes parents.
Elle vient deux fois par an, pour l'anniversaire de
chacun de mes enfants... Et on va la voir une fois
en été. On loue quelque chose. Petit
à petit, j'affine les choses c'est-à-dire
qu'elle veut pas s'occuper, par exemple, là
elle ne s'occupe pas de la location, donc... Après
je sais qu'elle va venir, pour pleurnicher parce qu'elle
nous voit pas, donc, je m'en occupe en même
temps aussi, je préfère que ce soit
moi qui choisisse et que ça devienne de vraies
vacances pour moi, mes enfants, et que je l'invite
chez moi, et je veux qu'elle paie sa part... Je veux
que ce soit clairement entre adultes, voilà.
Je ne me sens pas la force d'affronter mes enfants
qui vont me demander pourquoi, ils ne peuvent plus
voir leur grand-mère, Donc, je la vois.
Intervention Inaudible
Lise : Florence, il y a quelque chose que je voulais
te demander, depuis que tu as parlé ou ton
mari a parlé, est-ce quelque chose a changé
dans ton couple, et la relation avec tes enfants,
est-ce que tu as remarqué quelque chose par
rapport à tes enfants, par exemple ?
Irène : Mes enfants ont grandi et m'ont
demandé pourquoi ils ne voyaient plus leur
grand-père. J'avais continué après
la naissance de mes enfants, malgré l'horreur
que c'était pour moi, de penser que j'avais
une fille, que j'étais tellement heureuse d'avoir
une fille et tellement malheureuse, tellement inquiète,
angoissée, d'avoir une fille alors que, le
père était encore là et que j'allais
le voir, donc depuis que j'ai rompu les ponts, les
enfants ont grandi et ont posé des questions,
donc, j'étais amenée à leur dire
pourquoi je ne le voyais plus. D'une façon
différente pour les deux, ma fille me l'a...
dit qu'elle l'avait compris, elle avait huit ans,
elle venait de voir un film, Peau d'Ane, elle m'a
demandé si c'était la même chose,
si c'était pour ça que je ne voyais
plus mon père. Je lui ai juste dit que mon
père m'avait fait beaucoup de mal. Et que j'avais
décidé, en effet, un peu tardivement,
de ne plus le voir, je pensais que c'était
quelqu'un de mauvais pour moi et aussi pour eux, de
ne pas penser qu'un aussi mauvais père, soit
un bon grand-père. J'avais conscience que ça
leur faisait de la peine, mais je considérais
que c'était une décision que je prenais
comme mère... Et du coup ma fille m'a dit :
est-ce qu'il était comme le père de
Peau d'Ane ? Il a voulu....pas se marier avec toi,
mais faire l'amour avec toi ?... J'ai dit oui. Il
s'agissait de ça. Par contre mon fils qui est
plus petit, m'a demandé en pleurant plusieurs
fois pourquoi je ne voyais pas mon père, et
aussi peu sa grand-mère, donc, sa soeur lui
a dit qu'elle le savait, mais, qu'elle n'en parlerait
pas. Ça l'a mis dans un état de jalousie.
Tu lui as parlé et pas à moi. A mon
avis, je lui ai dit que je pensais qu'il n'avait pas
envie d'en entendre parler. Il m'a dit : est-ce que
ton père, il t'a fait mal ? Il m'a dit un truc
très drôle : est-ce qu'il t'a obligée
à faire le ménage ? Ce n'est pas tout
à fait ça, donc je lui dis, que c'était
en rapport avec la...... Parce qu'à ce moment-là
il posait une question sur la sexualité...
Ca a rapport à la sexualité. Il m'a
dit : dans ce cas-là, je préfère
que tu ne m'en parles pas. Je pense lui en parler
plus tard, il posera des questions... J'en parlerai
quand ça se poserait... et depuis il en parle
très peu, il y a toujours tout un cérémonial,
ils sont tristes quand ma mère s'en va, ils
demandent pourquoi, on ne la voit pas plus ? Ca complique
les choses et en même temps, on continue à
la voir.
Jacqueline : On parlait de révélation,
je ne l'ai pas fait, mes parents sont
morts et tant mieux, depuis fort longtemps, mais,
je me rends compte que c'est qu'est-ce elle en aurait
fait ? Ce ne sont que des hypothèses, j'ai
pas dit... puisque je l'ai dit... Le dire à
sa mère, c'est quand même pour que quelque
part la mère reconnaisse déjà,
les actes criminels qui ont été commis
sur l'enfant, elle n'a pas protégé,
au moins reconnaître. J'entends là que
le truc, il est mais réduit, réduit,
réduit, à tel point que finalement,
la victime qui est fracassée pour la vie fait
finalement... comment on appelle ça ? crée
un foyer de mésentente, crée une dissension
familiale et que donc, le dialogue se fait sur la
dissension mais ne se fait pas sur la réalité
de ce qui a été vécu qui est
quand même une tragédie. Et j'ai entendu
beaucoup de mères qui étaient hypochondriaques,
toujours malades - ou soeur- à la place de
mère - et finalement qui en occupant farouchement
cette place de victime, qui d'ailleurs arrange, dans
mon cas, arrangeait absolument, j'ai l'impression,
mon père et le reste de la famille, la vraie
victime, elle ne peut pas être reconnue. C'est
mon sentiment. Elle ne peut pas être reconnue
comme telle. Et donc, elle prend encore des risques,
Enfin moi, j'ai l'impression que j'aurais été
encore reviolée ; par le déni que m'aurait
apporté ma mère, par exemple et l'entourage
proche auquel, elle n'aurait pas manqué à
mon avis, d'en parler et ça m'aurait retourné
encore le truc de mauvaise enfant.. voilà ce
que je crois qu'aurait été... de le
dire à ma mère.
Mireille : Je trouve que « fracassé
pour la vie, je trouve que c'est un....
Florence : Il y a de l'espoir !
Echange Inaudible
Béatrice : C'est vrai que je pensais,
effectivement, le silence. Il y a une partie qu'on
m'a imposé surtout pendant l'acte, il y beaucoup
de culpabilité, de peur d'abîmer sa famille....
C'est vrai que la victime se met à protéger
et même, je sais que j'en ai pas encore parlé,
mais ça ne saurait tarder, mais je sais que
ça me travaille à chaque fois que j'ai
l'occasion d'assister aux réunions, malheureusement,
je travaille le soir, donc c'est pas toujours évident...
Je viens boire un verre, ce qu'on appelle les afters...
mais j'ai pas l'occasion, souvent, de venir aux réunions
actuellement, ben, à chaque fois que j'y vais,
je n'ai qu'une envie, c'est de prendre le téléphone
et d'en parler, mais, pour l'instant, c'est pas encore
fait, ça ne saurait tarder. En tout cas, effectivement,
il y a le fait... inaudible... C'est la sensation
que j'ai par honte, pour protéger sa famille
mais également, je crois, d'une certaine manière,
on m'a retiré le droit de parole. J'ai vécu
également le fameux journal intime, je venais
juste de le commencer au moment où j'ai quitté
la chambre de mes frères, et j'étais
installée dans ce petit bureau, c'était
vraiment assez petit, du coup, on avait été
obligé d'enlever la porte, pour pouvoir mettre
un matelas par terre et j'avais juste un bureau et
un peu de moquette, et ma mère a trouvé
le journal donc j'avais pas parlé de mon frère
encore, c'était vraiment mes premières
pages, et je parlais d'elle, par contre, qu'elle avait
refusé que je me maquille, et de cette sensation
de gouffre qui nous séparait toutes les deux,
je me suis pris une paire de baffes magistrales, et
cette nuit-là, j'ai dormi sous le bureau...
silence... J'avais pas le droit d'utiliser le lit...
Nicole : Tu n'avais pas le droit de ?
Béatrice : D'utiliser le lit, je ne
me suis pas autorisée à dormir dans...
ce matelas.
Maud : C'est-à-dire : tu t'es auto-punie
après avoir été punie.
Béatrice : Oui.
Le psychologue : Il faut faire très attention,
par rapport à ce que je disais, tout à
l'heure,, c'est-à-dire qu'on est très
vigilant, à ne pas interpréter ce que
disent les autres.
Delphine : En même temps si on sent...
C'est vrai que ça veut dire ; groupe de parole,
on peut, c'est « hyper-inhibant, on
sent que... moi, j'ai envie de poser des questions
et tout, c'est hyper-inhibant le fait... mais c'est
normal d'attendre... mais du coup, il n'y a aucune
interaction, je trouve. Ce n'est plus du tout sous
forme d'atelier, pour moi, c'est sous forme de...
On est d'accord sur le fait de ne pas interpréter...
Echange
inaudible : plusieurs personnes parlent en même
temps
Maud : Moi, je posais la question, c'était
sous forme de question, c'était pas du tout
une affirmation, c'était juste pour avoir une
information. Pour être sûre que c'était
bien ça qu'elle voulait exprimer. Il y avait
un doute entre le fait que ta mère qui voulait
que tu dormes...
Béatrice : C'était vraiment une
démarche... On nous retire le droit... Il y
avait du chantage affectif, parce que, d'un côté,
je sais que ma mère quand on n'arrivait pas
à avoir, parce que j'ai toujours été
quelqu'un d'assez sauvage, comme elle n'arrivait pas
à avoir le dessus sur moi, quand elle sentait
que ce qu'elle me disait, ça ne m'atteignait
plus, elle utilisait ma grand-mère, parce qu'elle
sait, par contre que j'ai une relation privilégiée
avec elle, et la menace, c'était : je vais
le dire à ta grand-mère, tu vas voir,
ta grand-mère, elle n'apprécie pas du
tout ce genre d'attitude ! C'était vraiment
pour moi le chantage affectif qui... était
lourd à porter. Les choses se sont arrangées
un petit peu maintenant, mais jusqu'à dix-sept
ans et demi, je ne peux pas dire que j'ai eu une relation
avec ma mère. Après je me suis mise
à travailler le week-end et bizarrement à
partir du moment où j'ai ramené de l'argent
à la maison, je n' étais plus à
sa charge, je commençais, j'avais ma chambre
à cette époque-là, je l'ai transformée
en mini-appartement, j'ai payé ma nourriture
et j'ai mangé dans ma chambre. J'avais cessé
totalement d'être à sa charge, je payais
une partie du loyer et mes premières payes,
c'est elle qui les a encaissées à ma
place. A partir du moment où je ne dépendais
pas financièrement d'une certaine manière,
le conflit a cessé, mais notre vie... - On
n'était plus en conflit -... est restée
une absence de dialogue réel. En tout cas,
là actuellement ce que je lui reprocherais,
c'est cette manière qu'elle a eu de m'obliger
à me taire. Il y a une partie de moi, de par
mon caractère, de par le fait que j'ai toujours
eu la sensation d'être une pièce rapportée,
je suis née avec une malformation au pied et
prématurée, j'étais quatre mois
en chambre chaude, couveuse, à l'écart
de ma famille, et par la suite, j'ai subi plusieurs
opérations sur Paris. J'étais séparée
de ma famille assez régulièrement, et
donc, quand je suis revenue au sein de ma famille,
j'ai vraiment fait sensation de devoir justifier de
ma présence, en gros, quoi ! Et, son comportement
ne m'a pas aidée, j'ai souvent l'impression
qu'elle me demandait de justifier de ma présence,
par des... par son comportement vis-à-vis de
moi, par la façon dont elle a privilégié
mes frères, dans son affection, dans sa présence
auprès d'eux, et son absence auprès
de moi. Sur ce sujet, on a eu une discussion qui a
duré trois phrases, et à un moment,
elle m'a dit : « avec ton caractère,
c'était pas facile, j'ai préféré
te laisser faire ta vie un petit peu toute seule.
» Aujourd'hui, lui parler, ça va être
difficile, surtout que, il n'y a pas très longtemps,
mon grand frère qui est marié qui a
deux enfants, deux petites filles, a eu des problèmes
avec sa femme, ils ont failli se séparer, et
ma mère a immédiatement pris la défense
de son fils en rappelant à ma belle-soeur à
quel point mon frère était un homme
serviable, aimable, travailleur et qui s'occupait
bien de ses deux filles. Qui d'ailleurs avait changé
de travail pour être en mesure d'élever
ses filles la journée, et ça c'est un
truc, je me pose la question, il est toute la journée
avec elles, et lui travaille la nuit et sa femme prend
le relais. Voilà, pour l'instant, j'en suis
là, c'est tout.
Maud : Quel âge elles ont ?
Béatrice : Dix ans et sept ans.
Delphine : Pourquoi, ça lui vient maintenant
de vouloir être auprès d'elles ?
Béatrice : Ca fait maintenant trois
quatre ans qu'il travaille de cette manière,...
inaudible... C'est vrai que ce n'est pas un métier
qui concilie facilement la famille, je sais qu'il
a toujours voulu avoir des enfants, il connaît
sa femme depuis l'âge de quinze ans, donc il
a trente cinq ans aujourd'hui... inaudible... Ca ne
m'étonne pas en soi, qu'il veuille s'occuper
de ses enfants, mais c'est vrai, que... ayant pris
conscience... Je ne me souviens pas de tout, j'en
suis consciente aussi. Là, il faut que j'en
parle.
Delphine : Toi, tu avais quel âge ? Ce dont
tu te souviens ?
Béatrice : Je dois avoir entre cinq
et dix ans. Jusqu'au moment où je quitte cette
chambre, puisque après, je me souviens que
ça se passait, le matin, très tôt
le matin, les week-ends, parce ma mère élevait
ses trois enfants toute seule et le matin, ma mère...
Ma mère qui élevait ses enfants toute
seule, était très organisée,
le matin à sept heures et quart, tout le monde
debout, habillé, prêt à partir
à l'école. Et puis il y avait S.,. mon
frère qui a trois ans de plus que moi, qui
dormait sur le lit au-dessus, donc je ne sais pas
lui, par contre... s'il a pu remarquer quelque chose
je sais qu'il a été aussi un peu perturbé.
Toujours le problème du non-dit, cela se reporte
mine de rien, sur l'ensemble des relations qu'on peut
avoir par la suite, que ce soit avec mon frère,
mes grands-parents, et puis même les amis ?
Voilà, je pense que si j'arrive à en
parler à ma famille, je croise les doigts !
Le psychologue : Je propose, pour une question
de temps qu'on passe au troisième sous-thème
: quitte à revenir, comme le temps qu'on s'accorde
dans un atelier, pour le temps des interventions,
qui était donc :
4 : Face à
l'évolution de mon ressenti, quelles sont mes
attentes par rapport à ma mère ?
Pause
Questions de diverses personnes demandant des précisions
sur la signification du sous-thème.
Le psychologue : C'est l'évolution de
mon ressenti, c'est les attentes au sens large, qu'effectivement,
que la mère soit encore présente ou
qu'elle ait disparu d'une manière ou d'une
autre, d'ailleurs, mais ça peut être
des attentes, je veux dire de pardon, je veux dire
de compréhension, j'irai même jusqu'à
dire que ça a été, effectivement,
dans une des remarques qui a été faite,
à propos de vies brisées, reprises par
certains en disant, parlons d'espoir, il y aussi cette
logique d'attente, qui peut être guidée
par le discours, quelque chose, éventuellement
de plus symbolique ou projetée sur une autre
génération.
Irène : J'aurais voulu rebondir sur
ce que tu disais. Une fois qu'on a parlé, qu'est-ce
que ça aurait donné, on serait violé
une seconde fois par le déni, sauf que quand
ça, pour la plupart d'entre nous, j'ai l'impression
que ça arrive et on est adulte. Par contre
la différence, c'est qu'on est capable de se
défendre, c'est vrai que c'est très
violent, le déni, tout le reste... Inaudible...
C'est pas facile non plus ; en attendant, d'abord
réagir comme un enfant face à ses parents...
Inaudible... Je ne me suis pas défendue, mais
je me défends petit à petit. Et donc
toute cette nouvelle violence qui est différente,
qu'il s'agisse du chantage affectif, de la demande
d'oublier ou de mettre de côté, peut-être
que là, on peut apprendre... avec un regard
d'adulte et du coup... pour les attentes, c'est vrai
que j'ai beaucoup attendu, il y a longtemps, une protection
qui n'est pas venue, un intervention qui n'est pas
venue, ça quand j'étais vraiment jeune.
Après... une période où je n'y
ai plus pensé, donc, j'attendais rien de spécial.
Et puis quand j'en ai parlé, j'ai attendu une
réaction sans savoir laquelle, d'ailleurs,
comme une sorte de baume qui arrive et qui va faire
du bien... une parole, un geste, : dire : ce salaud
! Je le quitte après ce qu'il t'a fait, j'imagine
qu'en gros, c'est quand même ça... l'idée
à laquelle j'ai jamais cru réellement,
par contre comme scénario... Inaudible... Et
puis ces attentes-là se recentrent beaucoup
sur... un rapport, comment maintenant moi, je peux
vivre une relation avec ma mère qui soit le
plus possible décidée par moi, de mon
point de vue, que ce soit moi qui prenne l'initiative,
y compris ce problème que j'ai de continuer
à la voir, dans quelles circonstances, comment
j'organise ça, que ce soit quand même
moi qui le décide, en fonction de mes intérêts
de ceux des enfants, de mon mari... Quelles que soient
les raisons, j'ai décidé, et du coup,
j'attends plus rien d'elle sauf que finalement d'accepter
ça... C'est qu'il y a des moments, je ressens
beaucoup de colères, dans le passé et
par contre sur le présent assez peu, parce
que j'attends moins, mais, la colère... Elle
veut pas accepter les choses, c'est essayer de repartir...
Par exemple, si elle essaie de me reculpabiliser par
rapport à mes enfants, si elle me dit : ils
ont de la peine parce qu'ils ne me voient pas beaucoup
! elle le dit jamais comme ça, c'est jamais
aussi clair, juste : « Ah ! c'est triste...
». Par les enfants des autres.... Qui voient
leurs grands-parents, ça par contre, j'ai une
attente, une demande de l'ordre : qu'elle reste à
sa place, qu'elle a bien voulu prendre, une victime
responsable, ça s'est son intérêt
à elle, mais de moins en moins, qu'elle vienne
pas essayer de me déstabiliser moi lorsque
j'essaie de faire... et dans ces conditions-là,
on pourra éventuellement continuer par une
relation, sinon, affectueuse, je ne sais pas du tout
où j'en suis... de mes émotions. Je
suis incapable de dire si j'aime ma mère ou
si je ne l'aime pas. A la limite, c'est plus clair
pour mon père, je sais où j'en suis
à peu près, ma mère, c'est complètement... Inaudible... Je ne sais pas du tout ce que j'éprouve.
Je sais ce que je veux faire et ne veux pas faire.
Il y a une autre chose sur les mères, à
propos de parler. J'ai... je sais pas du tout comment
ça peut finir tout ça. Il y a quelque
temps, deux ans après en avoir parlé
à ma mère, j'ai réalisé
que ça pouvait au moins servir à ce
que je n'aie plus peur de parler en général. Et du coup, j'ai appelé des voisins de mes
parents au téléphone, parce que j'ai
réalisé qu'ils avaient des petites filles,
qu'elles étaient tout le temps fourré
chez mes parents, et que... je ne pensais pas que
mon père ferait quelque chose avec ces petites
filles, parce que je pense que par moi, il aurait
beaucoup trop peur du public, pour aller vers d'autres
familles. C'est juste de l'ordre du voyeurisme, alors
ça par contre, si ! Je l'ai vu avec elles comme
avec des copines et de leur dire : ben non, tu peux
te baigner toute nue dans la piscine !... Donc j'ai
appelé la mère pour lui dire d'abord
pourquoi je ne venais plus, car je sais qu'elle soutenait
ma mère qui n'avait rien dit. Je voulais le
lui dire, car je voulais qu'elle soit vigilante avec
ses filles, qu'elle ne les laisse aller chez mon père...
Je voulais qu'elle refuse que ses filles soient seules
avec mon père. Qu'elle soit toujours, soit
là, soit qu'elle leur en parle, qu'elle fasse
comme elle veut. Alors, elle m'a répondu...
inaudible... elle m'a dit qu'elle comprenait que c'était
très dur, qu'elle comprenait maintenant que
je sois partie... Qu'à présent, elle
espérait que ça irait mieux pour moi,
et elle m'a dit que elle, elle avait une relation
très particulière avec mes parents,
ils sont voisins et ils sont un peu comme leurs parents,
car effectivement, elle n'a pas eu de problème
avec les grands-parents de ses enfants, mais que ce
genre de situation, elle en avait souvent parlé
avec ses enfants, c'était quelque chose qui
était pour elle très clair, que la protection
des enfants... et qu'elle avait remarqué que
mon père avait un regard pas toujours très
sain sur les filles, les petites filles et que donc,
elle en tenait compte déjà et qu'elle
en tiendrait compte encore plus. Elle m'a remercié
de l'avoir dit. Pour autant, elle continuera à
voir ma mère et mon père... Le fait
d'avoir pu parler, là, j'apprends rien par
rapport à ma mère, mais moi, j'ai pris
une liberté, comme quoi, je peux aller parler,
y compris à des gens autour d'elle.
Le psychologue : Merci.
Béatrice : Alors, moi les ressentis
surtout, c'est le doute, j'aimerais que ma mère
me soutienne vis-à-vis de mon frère
du fait qu'elle a toujours eu une préférence
pour mes deux frangins. Donc, je ne sais pas du tout
qu'elle va être sa réaction. Je sais
que ces dernières années, elle a pas
mal évolué, elle a repris sa vie de
femme, un petit peu, qu'elle avait totalement abandonnée.
Elle est devenue mère et elle ne s'est consacrée
qu'à faire le ménage, élever
ses enfants, aller travailler. Elle sortait plus beaucoup
et là, elle ressort, donc elle a de nouveau
une vie de femme, donc, je la sens un peu mieux dans
sa peau donc je me dis que c'est peut-être le
moment de lui en parler, elle sera plus à même
d'encaisser le choc. Après si elle n'accepte
pas, je suis arrivée à l'idée
que c'est son problème, plus le mien, là
aussi, il y a une espèce de distance par rapport
à ma famille, et cesser de vouloir les protéger,
surtout en l'occurrence, c'était les protéger
de moi, alors que j'ai jamais voulu leur faire du
mal, donc, c'est plutôt l'inverse qui s'est
produit. Mon ressenti, c'est le doute. Je ne sais
du tout comment elle va réagir, bien sûr
les attentes c'est son soutien, soutien inconditionnel,
ça serait bien !... J'apprécierais énormément.
Je ne sais pas si c'est possible. En tout cas, c'est
ce que j'espère. Et puis également,
une communication, une relation moins subie, et plus
équitable, plus équilibrée...
qu'elle puisse accepter, pas mon opinion, parce que
mon opinion, j'ai jamais eu de problème à
lui dire sur certains sujets ce que je pensais, même
si j'étais en désaccord avec elle, mais
par contre sur le plan émotionnel, affection,
sentimental et tout... plus équilibré,
c'est-à-dire une affection de sa part. Je lui
rendrai...j'espère être en mesure de
lui rendre, par exemple, je me souviens dans un café
le jour où elle m'a prise dans ses bras. Cela
m'a choquée, cela m'a marquée, ce qui
n'est pas normal entre guillemets. Je devrais prendre
ce geste naturellement, mais je les pas pris naturellement
et en plus, j'ai eu l'impression que c'était
plus une démonstration vis-à-vis d'une
tierce personne qui était présente,
qui elle par contre avait une famille très
unie, très soudée, et j'ai eu le sentiment
que ma mère donnait une représentation
plus qu'un véritable geste d'affection, alors
j'espère une relation plus équilibrée,
plus honnête, en fait... l'honnêteté,
même si des fois, c'est difficile. J'aimerais
mieux que les mensonges disparaissent, un petit peu,
les non-dits, quitte à ce que ça fasse
mal, je crois que je préfèrerais, car
finalement, le silence, le non-dit fait beaucoup plus
de mal qu'autre chose.
Maud : Moi, je me souviens que j'allais... J'ai
passé plusieurs mois... J'ai rejoint le groupe
l'année dernière et je l'ai enfin dit
en septembre. J'ai fait les choses assez rapidement...
Je m'en rends compte avec le recul et j'avais passé
une bonne partie de l'été avec ma mère
et j'avais trouvé systématiquement des
excuses pour ne pas lui dire. J'étais partie,
fin juillet en me disant : bon, cet été,
je le dis à ma mère, et il y avait toujours
quelque chose qui faisait que je me disais, ce n'est
pas possible. Là on est en vacances, il y avait
du monde, alors, du coup, elle va être mal à
l'aise, secret de famille..., les machins, les amis...
donc... et puis après, je suis rentrée,
elle a déposé le bilan. Je me suis dit,
elle a déjà ça, ensuite, c'était
son anniversaire, je vais lui dire à la période
de son anniversaire, enfin... bonjour le cadeau. J'ai
trouvé des millions d'excuses jusqu'au moment
où, j'ai de gros problèmes dans la famille
du côté de mon père, avec mon
oncle... C'était une période très,
très, très tendue, je suis arrivée
chez ma mère, un soir en larmes, j'ai fondu
en larmes, je n'en pouvais plus, j'avais tout ça
qui pesait sur mes épaules et du coup je me
souviens, ma tante était là, mon beau-père
était là, et ma mère a senti
qu'il devait y avoir un truc assez ennuyeux, puisque
j'étais dans un tel état, elle m'a dit
: tu veux qu'on aille à côté,
qu'on aille en parler, je me suis dit, je vais pouvoir
parler ? Donc après avoir tout déballé,
je lui ai dit, j'ai un truc à te dire : c'est...
je lui dis... je suis vraiment désolée...
Elle me dit : mais désolée de quoi ?...(
rires de la narratrice...) Je lui ai expliqué
que j'avais mis du temps à pouvoir lui parler
et à lui dire. Et bon, c'était un peu
surréaliste... Elle m'a dit que pas du tout,
que je n'avais pas à être désolée,
que c'était moi, la victime, et que c'est pas
grave, c'était une bombe, mais voilà,
elle en tout cas pouvait le surmonter, c'est une adulte
donc, même si moi, je suis adulte, elle a une
expérience de vie, qui fait que... Elle a eu
des coups durs, donc ça, elle avait tout à
fait, les épaules pour le porter, et... Elle
m'a complètement soutenue, bien sûr,
et... En fait maintenant, les attentes, je ne sais
pas parce qu'on n'en parle pas beaucoup. Je lui dis
quand je viens au groupe et elle me dit, je ne suis
pas prête encore à venir, je lui ai dit
que c'était pas grave. Ça c'est une
attente que j'ai, c'est que, un jour, elle ait le
courage de venir, un dernier mercredi du mois pour
qu'elle prenne l'ampleur... C'est très étrange,
j'ai envie qu'elle vienne, parce que... le peu de
fois où en a parlé, la première
fois, elle avait des idées très arrêtées,
et tout ce que moi, je vivais dans le groupe était
complètement à l'opposé de ce
qu'elle pouvait s'imaginer. Et donc, j'aimerais qu'elle
comprenne que c'est pas du tout comme elle s'imagine,
que ça a une répercussion dans notre
vie, que y'a des foyers, des sites, des familles où
ça se produit, ça se reproduit, de génération
en génération. D'ailleurs, je ne suis
pas la seule, seulement dans ma famille, puisqu'on
est quand même très très nombreux
et donc, ça elle a du mal à l'accepter,
je voudrais que ça lui ouvre un peu plus l'esprit,
même si elle est très ouverte d'esprit,
là-dessus, elle est très arrêtée
tout en prenant conscience que c'est grave.
Delphine : C'est quoi... Ce qu'elle voit...Quand
tu avais dit c'est très opposé.
Maud : Elle m'avait dit que... qu'on était
formé à ça, c'est-à-dire,
que... il ne pouvait pas exister... moi, je suppose
que mon cousin, était dans une famille qui
fait qu'on ne pouvait arriver qu'à ça...Lles
enfants dorment avec leur mère. Même
si je n'y étais pas. Mon ex-tante virait mon
oncle après s'être fait engrossée,
après avoir accouché, et elle dormait
avec ses gamins et mon oncle dormait sur le canapé
donc il y en a un qui a échappé à
ça, et l'autre, comme il s'est remarié,
le dernier y dormait dans la chambre et il entendait
sa mère niquer avec son nouveau mari. Forcément,
même s'il n'a pas été lui-même
abusé, il s'est retrouvé dans un climat,
qui fait que c'est anormal, on ne dort pas avec sa
mère tous les soirs... Et ma mère disait
: « ce n'est pas impossible, ça voudrait
dire qu'on est formaté, et on a un libre-arbitre
». On est enfant, on n'a pas de libre-arbitre
selon le climat familial. Voilà ! Moi, mon
grand-oncle, il mettait la main dans la culotte de
sa fille à table et personne ne disait rien.
Résultat, ça s'est reproduit sur un
autre enfant. Un enfant abusé, un des ses cousins....
Ca fait une bombe, ils ont porté plainte, du
coup ils sont rejetés.
Delphine : Dans toute la famille paternelle,
aussi, eux aussi, ils sont...
Maud : Ils sont... ma grand-mère, ils
sont cinq, donc il y a des frères et soeurs
et chacun a fait quatre enfants, donc on se retrouve
une centaine, on parle par branche, donc moi, il y
a ma branche, c'est moi, en sachant que mon abuseur
abuse sa propre soeur depuis des années. Depuis
toujours, je pense,... je me dis si, dans l'autre
branche où là on en a parlé ouvertement,
il y a d'autres branches, peut-être qu'un jour
ça sortira... Je me dis déjà
deux sur quatre, parce que j'ai un grand-oncle qui
n'a pas fait d'enfants. Deux sur quatre je trouve
ça déjà bien. Et c'est là,
je me dis, j'aimerais qu'elle comprenne qu'il y a
des climats qui font qu'il y a une possibilité
que ça se reproduise, tant qu'on n'en parle
pas.
Delphine : Tu as dit à un moment, ma mère,
elle m'a soutenue, bien sûr ! Comme si c'était
une évidence... sauf que si elle venait au
groupe.
Maud : Oui, sauf, si elle venait au groupe,
elle comprendrait mieux, parce que là, j'ai
un soutien inconditionnel, mais j'ai l'impression
sans une réelle compréhension, alors
qu'elle-même a été témoin,
elle se souvient très bien de son grand-oncle
qui mettait la main dans la culotte de sa fille. Tout
le monde le savait. Personne ne disait rien, il tabassait
son autre enfant, et on suppose que ses deux filles
y sont passées. Résultat... Inaudible...
Regarde là, c'est flagrant, je dis pas que
mon ex-tante a abusé de son propre fils, je
dis juste que le fait de dormir avec son gamin, ça
crée un climat et qu'il s'est retrouvé
à onze ans... Il a pris la place du père
pour les trois enfants, la quatrième puis la
cinquième qui est née. Donc il s'est
retrouvé en position de force, il n'avait que
onze ans, mais ma mère elle voit que ça,
« c'est déroutant, c'est perturbant,
voilà ».
C'est pas parce qu'on est en charge de ses frères
et soeurs qu'on abuse quoi ! C'est pas suffisant comme...
pour...
Delphine : En fait tu veux dire qu'elle veut
pas entendre qu'il y a de l'inceste dans votre famille,
c'est ça ?
Maud : C'est la transmission qu'elle ne comprend
pas.
Delphine : Elle n'est pas automatique, elle
n'est pas systématique, on est d'accord sur
ça.
Maud : Non elle n'est pas systématique,
pour elle ça voudrait dire qu'on est formaté
et donc on va reproduire systématiquement...
Je lui dis : « tant que le schéma est
mis en place et tant qu'on n'en parle pas... »
c'est le cas, et elle... J'essaie de temps en temps
de remontrer... J'aimerais qu'elle vienne, puis sinon...
C'est de la part de ma tante que j'ai été
plutôt très étonnée, parce
qu'elle, elle était prête à aller
parler à mon cousin, et à le fracasser,
verbalement, de... parce qu'elle a été
témoin de rapports étranges entre lui
et sa soeur. Toujours sur ses genoux, à douze
ans, en train de se frotter, toujours collée
à son frère. Elle trouvait ça
complètement anormal, elle disait : c'était
malsain ! Elle m'avait dit : « ben si tu veux,
moi quand je le vois, on habite à huit cents
kilomètres, donc on ne se voit jamais, sauf
pendant les vacances quand on se croise, elle me dit
: « si je le vois, si tu veux je vais lui parler
». Je lui dis : « écoute, non c'est
mon truc, c'est quand, je sentirai le besoin de lui
parler, je lui parlerai, elle m'a dit : « si
tu viens pendant les vacances, je serai là,
je serai pas très loin et voilà. Elle
voulait organiser complètement le truc pour
lui balancer... Là j'ai été,
vraiment... heureuse, c'est pas le mot, mais j'ai
senti un soutien inconditionnel de sa part.
Béatrice : Je voudrais juste réagir,
parce ça me fait écho, je me rends compte
que même de la part de quelqu'un... Car, je
connais Nathalie qui est très ouverte, très
gentille et tout, même de sa part... La première
réaction, c'est de comprendre le cheminement,
voire même la souffrance de l'abuseur, et faire
que d'occulter la souffrance de la victime... nous
invite... De la part de la victime d'accepter, mais
la victime est une enfant, donc c'est vrai, on n'a
peut-être pas réagi, en tout cas les
adultes ont encore, cette première réaction
d'essayer de comprendre le coupable, enfin l'abuseur
et finalement, d'occulter quelque part, de ne pas
parler de la souffrance de la victime.... C'est peut-être
pour ça que tu voudrais qu'elle soit présente.
Pour mieux comprendre ce que toi, tu as vécu.
Au travers d'écouter ce que disent les gens...
Maud : Je sais pas.
Béatrice : C'est vrai que c'est pas
facile d'exprimer sa souffrance, vis-à-vis
des gens qu'on aime, parce qu'ils ont...
Cassette retournée.
Béatrice : Même si on parle beaucoup,
de tout, de rien... Je lui dis que je vais mal. Rentrer
dans les détails, pourquoi ? comment ? C'est-à-dire,
je le fais avec personne, encore moins avec ma mère.
Delphine : Il n'y a qu'ici, il faut qu'elle
se déplace...
Béatrice : Ici, il y a un espace de
liberté pour pouvoir le faire... Avec personne,
même avec les ami(e)s les plus proches.
Noémie : Moi, j'essayais de lui faire
comprendre, je crois qu'à plusieurs reprises,
j'ai essayé de faire comprendre que c'est pas
parce que je travaillais bien à l'école,
que j'ai suivi une scolarité tout à
fait normale, que j'ai fait toutes les activités
que j'avais voulues, et qu'elle me les a données
que forcément dans ma tête, ça
allait bien tout le temps, que j'étais tout
le temps zen et heureuse de vivre, parce que moi,
je cachais tout... En fait, c'était la nuit,
le soir que je chialais dans mon lit, c'est-à-dire
que je ne montrais rien qui laissait penser que je
pouvais ne pas être heureuse... Des fois, j'ai
essayé de lui faire comprendre ça, mais
c'est vrai, quand sa mère a ses propres problèmes,
c'est très difficile, de se dire je vais lui
en rajouter un autre, et... Moi, j'avais peur d'être
abandonnée, c'est vrai que malgré tout...
J'étais toujours très proche de ma mère,
mais je me suis dit si je lui dis ça, je ne
sais pas pourquoi, mais j'avais peur d'être
abandonnée, et c'est vrai que cette idée
m'était totalement insoutenable. Et.. ça
m'a tellement aidée de savoir que c'est ma
mère qui m'a proposé le groupe de parole,
je pense qu'elle voulait aussi contrôler que
ce groupe n'était pas une secte, je pense que
c'était quand même l'ultime protection,
de savoir, si j'allais pas encore retomber dans un
truc... Et finalement, ce premier jour d'AREVI, moi,
j'ai pas trop parlé, c'est ma mère qui
a craqué, qui a pleuré énormément
et alors que elle ne faisait jamais ça avant,
alors que devant moi, c'était toujours je vais
m'enfermer dans la salle de bain, je savais qu'elle
pleurait à cause de mon père, à
cause de soucis, comme chacun, mais elle ne montrait
jamais ses sentiments, et là le fait qu'elle
sorte ça enfin, je me suis dit : c'est très
bien, ça nous fait du bien à nous deux.
Je pense pareil qu'elle se rendait pas compte non
plus de toutes les facettes qui existent au niveau
de l'inceste, et moi, c'est pareil, j'étais
persuadée que l'inceste, c'était uniquement
« père-fille » « père-fils
»et que ça ne pouvait pas exister entre
frères et soeurs, ça j'en étais
persuadée. Que j'étais le cas unique,
et c'est ça qui m'a fait sombrer dans la dépression,
d'une façon terrible, effroyable, et en venant
là et en découvrant que il pouvait y
avoir un cousin, un frère, même pas très
âgé, pas une grosse différence
d'âge, ça m'a fait un bien...incroyable.
Voilà !... silence... Ma mère, c'était
pareil, je pense qu'elle ne se doutait pas que l'inceste
« frère-soeur, ça pouvait être
aussi courant. Et c'est vrai que c'est en venant là,
qu'elle a pris conscience que tiens ! il pouvait y
avoir autant de garçons que de filles et que...
Delphine : Il y avait des garçons violés.
Noémie : Aussi, même entre frères.
Delphine : Et tes attentes ?
Noémie : J'espère que ça
continue, parce que je sais qu'elle a pas mal de force
de caractère, et c'est quand même, elle
se plaint aussi de ses problèmes, moi, ça
ne me poussait pas trop à lui en parler. J'espère
qu'elle va pas... que j'aie eu une dépression
trop forte par rapport à l'acte, à ce
qui s'est passé, et que... Mais bon elle est
tout à fait prête, elle me pousse à
écrire à mon frère, des lettres
ou des... simplement pour savoir que mes parents sont
au courant, moi j'ai envie que ça vienne de
moi et dans l'immédiat, c'est pas à
l'ordre du jour. Moi, je veux une confrontation directe,
qui aura lieu plus tard quand je serai vraiment prête
à encaisser, même s'il nie tout, s'il
me traite de folle, que je puisse encaisser sans me
faire replonger, encore plus.
Martine : Ca me fait rebondir, dans les attentes,
c'est de ne pas aller trop vite, parce que moi, j'ai
vraiment envie de tout, d'aller voir mon père,
lui parler, de parler à ma mère ensuite,
de parler à ma soeur et je me rends compte
que vraiment il faut que je sois très prudente,
que je sois protégée,.... En parlant
au groupe de parole, le mercredi soir, je me rends
compte quelle déception ça peut être
s'il y a un refus en face si ça se passe mal,
il faut quand même être assez préparée...
J'y vais vraiment doucement, j'ai envie de me donner
une vraie place avant que je reconnaisse déjà,
intérieurement ce qui s'est passé, parce
qu'il y toujours cette amnésie, qui est là
par rapport à mon père, l'image est
très claire, mais par rapport au copain de
ma grand-mère, j'ai juste eu un sentiment et
quelques images qui viennent après les migraines,
avec migraines, quoi ! Mais faut vraiment que je fasse
un travail d'accepter tout ça, déjà
à l'intérieur de moi et ensuite, après
parler et faire des démarches. Bien sûr
les attentes, ce sera le soutien de ma mère
et de ma soeur. Ce sera vraiment important, je crois
que je m'écroulerais si... Donc vraiment, il
faut que je sois prête à tout, je pense
que je les connais suffisamment pour savoir qu'elles
me croiront, après comment elles vont le gérer,
ça je ne le sais pas, mais... J'ai un gros...
Inaudible... C'est par rapport à mon père,
j'ai envie de... quand même commencer à
faire des petites allusions, cet été,
en le sensibilisant, sur le fait que j'ai pas envie
d'avoir d'enfant, parce que j'ai eu certaines difficultés,
mais peut-être pas... parler de rien, mais préparer
doucement, mais là je sais pas. L'attente ce
sera... Je crois que tout devra venir de moi, évidemment,
l'attente, c'est plutôt de moi, d'avoir le courage
d'aller suffisamment loin et de confronter mon père,
même si c'est pas cette année, même
par écrit, plus tard.
Mireille : Ils sont encore ensemble tes parents
?
Martine : Non, ils sont séparés
depuis l'année dernière, d'où
aussi cette envie de parler d'abord à mon père,
parce que si je parle à ma mère ça
va être mélangé avec la séparation,
elle va... comme elle est... elle culpabilise beaucoup
parce que mon père la culpabilise énormément,
parce qu'il doit lui payer des indemnités,
parce qu'elle a pas de métier, elle fait des
choses, mais elle peut pas gagner sa vie entièrement,
et donc le fait que je lui dise une raison qui pourrait
la mettre en colère contre lui, je ne voudrais
pas que ce soit moi. Je veux qu'ils règlent
leur truc... Il faut que je commence par mon père...
C'est pour moi, le plus important...
Lise : Mais ta mère... Comment tu l'aimes
ta mère ?... Inaudible...
Plusieurs personnes parlent en même temps.
Lise : Moi, je réagis par rapport à
moi. Tu te sens bien avec ta mère ? C'est ça
que je veux dire ou tu te sens mal ?
Martine : Je me sens très écrasée
par elle. Je suis très dans la fusion, elle
m'a toujours protégée, énormément,
et mangée, je n'existais pas, en fait, elle
m'a habillée comme une petite poupée,
c'était... En fait, elle m'a jamais vraiment
reconnue en tant que vraie personne, parce que...
elle pouvait passer des heures à parler d'autres
gens, de leurs problèmes.. ; de ses problèmes,
elle ne se rendait pas compte que je parlais pas et
j'étais pas heureuse... Notre rapport est pas
très... c'est comme si j'étais quelque...
chose, presque, à laquelle elle pouvait s'accrocher,
quelqu'un de rassurant : « toi, t'es sage, toi...
t'es bien ma fille, tu restes... Moi je prends conscience
de plus en plus que ça m'étouffe...
Une relation très étouffante, mais on
fait du chemin ensemble en ce moment. Ça commence
à aller un peu mieux.
Lise : . Elle est pareille avec ta soeur ?
Martine : Ben, ma soeur a un caractère
assez fort, donc elles se sont chamaillées
pendant des années... Ma soeur elle est pas
bien, elle a des complexes par rapport à son
physique, elle a des symptômes très forts
et par moment, elle ne sentait plus ses jambes. Quand
tu disais, mettre un pied devant l'autre souvent elle
se demandait : « comment je fais pour mettre
un pied, comment ça fonctionne mes jambes ?
», elle avait beaucoup de crises comme ça.
Enfin il y a beaucoup de choses qui vont pas bien.
Elles sont beaucoup en conflit, plutôt, mais
ma soeur est très, très dépendante
de ma mère. Et en même temps, il y a
une haine et un amour, c'est très lié,
très fort. C'est compliqué. En plus
mon père qui n'était jamais présent,
dans l'éducation, ça fait qu'on s'est
vraiment accrochées à trois, les trois
femmes ensemble et ma mère est presque comme
une petite fille par moment avec nous. C'est très
compliqué...
Lise : Je suis contente d'avoir posé
la question.
Martine : Ca fait du bien de le dire.
Mireille : Vos mères, elles sont en
psy ?
Maud : Bonne question !
Rires. Inaudible. . Plusieurs paroles ensemble...
Irène : Ma mère a essayé.
C'est mon frère qui lui a dit d'y aller, plus
pour elle, car elle déprimait, après
que j'ai parlé, donc, il lui a dit d'y aller.
Elle m'en a parlé récemment. Pour, évidemment,
dire qu'elle ne pouvait pas supporter ça. Que
ça lui faisait un peu du bien de parler, mais
qu,e par contre, le psy voulait lui faire les choses
d'une façon qu'elle ne pouvait pas accepter.
C'était honnête... Inaudible... Elle
voulait juste dire à quel point, elle était
chagrinée, et horrifiée de ce qui s'était
passée et qu'elle en souffrait, ce qui était
vrai. Et par contre, il voulait aussi lui faire dire...
Il voulait lui faire voir les choses autrement, et
ça elle ne pouvait pas l'accepter, car il se
trompait.
Jacqueline : C'est pas parce que c'était
intolérable ?
Résumé d'un dialogue : Lui il se trompe.
C'est intolérable pour elle, car il va la forcer,
à chaque fois... Elle a senti qu'il a posé
deux ou trois petites questions : Ouh la la ! Il voulait
l'amener à quelque chose, elle m'a dit que
ça c'est pas possible ! J'ai entendu, je ne
peux pas y arriver. Mais en même temps, c'est
pas possible de me vouloir ça. Voilà,
ça s'est arrêté là ! Et
puis elle m'a dit qu'elle s'était soignée
en... Pour elle ça n'a vraiment pas marché.....
Elle s'est soignée à coup de jardin.
Et par contre pas de psy.
Irène : Même si moi, je pourrais
arrêter d'en parler, elle me demande si je vois
un psy... Inaudible... La première chose que
j'attends... quand elle vient... Je dis : «
j'ai rendez-vous chez mon psy » ; elle me dit
: « mais tu le vois encore ? tu es obligée
de le voir autant que ça. ? » Je dis
: « je ne suis pas obligée, je le veux
».
Jacqueline : Si j'avais pu lui dire, comme...
mais j'ai pu rien dire : il m'a tellement torturée,
papa, il m'a tellement fait souffrir que c'est très
long.
Irène : Je dis juste : j'en ai besoin.
Plusieurs personnes parlent en même temps.
Jacqueline :. Dire... Je n'y vais pas par plaisir,
j'y vais par obligation, Je pense que la durée...
du truc est à la hauteur du marasme et donc
de dire : tu le vois encore, moi, ça m'a tout
de suite fait réagir par rapport à l'ampleur
de tout ce que tu as subi.
Irène : Comme on dit, c'est très
mélangé, sincèrement, ça
l'inquiète... Si tu y vas, c'est que ça
va pas bien, donc ça veut dire : est-ce que
tu ne pourrais pas arriver à t'en sortir maintenant,
à aller mieux, mais en même temps, il
y a un petit côté, qu'est-ce que ça
m'arrangerait si tu allais mieux... Cette histoire
de psy, ça la travaille. Mon frère a
voulu aller voir un psy, je ne sais pas s'il va en
voir un maintenan,... Elle a parlé de mon frère,
elle m'a pas dit, j'imagine qu'il a des problèmes,
mais en gros, quelque chose comme ça, qu'il
devrait aller voir quelqu'un, alors qu'en fait...
C'est parce qu'en ce moment, il ne trouve pas de femme.
Il ne se marie pas. Pourquoi, il parle d'avoir une
famille et qu'il n'y arrive pas. Voilà....
Après dans les discours que j'entends chez
des tas de gens, qui sont faciles après...
Inaudible... Tout le monde maintenant, au moindre
petit bobo va chez son psy, pour aller se faire dorloter...
Alors que je vais chez mon psy pour travailler.
Jacqueline : En vous entendant, voilà,
les attentes que j'aurai... Mais petite description
d'une scène de ce que papa faisait... Inaudible....Ecoute
ça maman, parce que c'est tellement facile
de dire qu'au moindre cor au pied, toute l'énergie
qui est mise pour réduire le machin, donc...
Irène : Toutes les mères souffrantes
empêchent... C'est vrai que je trouve jamais
le moment d'aller dire ça. Parce que, ça
va tomber à un moment où elle sera soit
pas bien, soit mieux, soit... C'est pas agréable
de re-raconter.
Jacqueline : Non, mais de c'est dire : tu vois
toujours un psy... Pour rien... Attention je te rappelle
quand même... pour lui faire du mal, parce que
le mal qu'on va lui faire va pas nous ôter le
nôtre. Ce n'est pas du tout l'objectif, mais
c'est de remettre les choses.
Maud : Moi, je l'ai dit à ma mère,
ce qui s'était passé, pour pas qu'elle
se fasse de film, et puis que c'était pas non
plus dans des proportions... Comme j'ai déjà
pu l'entendre dans le groupe, donc, elle fantasme
pas et elle aggrave pas les non-sens...
Noémie : Excuse-moi, je t'ai coupée...
Moi, ça me fait réagir. J'en ai parlé
à ma grand-mère, également, j'en
ai parlé à ma grand-mère maternelle,
donc la mère de ma mère, mon père
l'a su quelque temps après et, parce que moi,
je voulais que ce soit tout dit en très peu
de temps pour s'en débarrasser... Et en fait,
la personne de ma famille qui est la plus aimante
qui est, quand même, ma mère, n'a pas
cherché à trop savoir de détails,
techniques, on va dire, alors que ma grand-mère,
si ! Mais, c'est marrant, comme quoi, le respect de
l'autre et l'amour, je crois que ça commence
là, ça commence au fait de ne pas poser
des questions, de pas dire : perte de virginité...
machin... Ca s'est marrant, c'est la question qui
a tout de suite travaillé ma grand-mère,
alors que ma mère pas du tout, elle a d'ailleurs
répondu assez vivement à ma grand-mère
pour une fois, on va dire, en lui disant : Noémie,
elle va très mal et elle n'en est pas là...
On n'en est pas là. On en est à : est-ce
qu'elle s'en sort ? ; est-ce qu'elle va s'en sortir
? ; est-ce qu'elle va aller bien ? ; est-ce qu'elle
a une chance d'aller bien dans le futur ? Voilà,
c'était ça les questions qu'elle se
posait....
Béatrice : Quoi ? Comment ?
Noémie : Même si elle m'a posé
des questions quand même, elle trouvait ça
hallucinant.
Nicole : ... Soutien maternel... Parce que
ça fait mal...
Maud : Ma mère, je sais qu'elle pense
que l'introspection est suffisante et qu'il y a pas
besoin d'aller voir un psy. Voilà, elle se
regarde, si elle s'en sort... En même temps,
c'est clair que... Je ne sais pas si elle s'en sort
comme ça, mais...
Béatrice : Une des attentes vis-à-vis
de ma mère serait qu'elle reprenne sa place
de mère et du coup me permettre de reprendre
ma place d'enfant, parce que c'est vrai, je me rends
compte que j'ai souvent pris des responsabilités
qui n'étaient pas les miennes, notamment au
niveau des finances, parce qu'elle savait pas du tout
gérer les finances, alors que je suis assez
douée dans ce domaine-là. Et donc de
pouvoir reprendre ma place à moi, quand on
se voit, on a des discussions assez superficielles,
voire, on est bonnes copines, alors qu'on n'est pas
bonnes copines, c'est ma mère, j'aimerais bien
qu'elle reprenne cette place-là. Parce que
j'en ai besoin, aussi, que moi, je puisse redevenir
la petite, pas la petite fille, j'ai pas envie de
régresser à trente ans - je suis très
contente - mais vis-à-vis d'elle. Que je redevienne
son enfant et qu'elle... Dernièrement, j'ai
eu un accident de scooter, j'ai eu beaucoup de chances.
Quand je l'ai appelée au téléphone,
je l'ai sentie très soulagée quand je
lui ai dit que ce n'était pas nécessaire
qu'elle vienne, que j'allais voire le médecin.
Là je l'ai sentie super-soulagée, ça
m'a un peu... là, quand même... Merde
! J'avais peut-être
besoin que ma maman me console un chouia au lieu de
me dire : bon, ben, ça, t'es costaud, tu vas
te remettre. Ouais !
Nicole : Je rebondis sur ta place, je trouve
que c'est très important d'avoir sa place de
fille, de récupérer sa place, parce
que dans nos histoires, enfin dans la mienne, comme
dans la vôtre, je n'ai pas été
à ma place.
Mireille : Les « postes » sont
intervertis.
Nicole : Là, je ne veux pas te couper,
une de mes attentes, moi, c'est d'occuper ma place,
d'être la fille, puisque j'ai été
tout le temps la mère de ma mère, et
que en plus, je me suis retrouvée quelque part
rivale, soeur, à égalité, de
ne plus savoir où j'en étais. Et que
c'est cette place de fille qui m'est contestée,
puisque même après le décès
de ma mère, je n'ai pas eu droit à ma
place de fille dans sa succession, que mon père
a mis la main dessus et que je lui ai dit, si il voulait
faire semblant au moins d'être mon père,
il fallait qu'il me reconnaisse, ma place de fille
et qu'en tant que fille, j'avais droit à la
succession de ma mère. Et nous en sommes toujours
là, et je bute, toujours pour cette place d'être
la fille de ma mère et que je sois reconnue
comme étant la fille de ma mère. Ça,
c'est quelque chose qui paraît impossible et
je crois qu'une de mes attente, sur laquelle, je ne
veux pas dire que j'ai des doutes, mais quand même
des craintes, c'est que mes fils, ne me sautent pas
aussi, ne me déplacent pas, c'est-à
dire que je reste bien à ma place, que je sois
leur mère et qu'en tant que leur mère,
je suis aussi, fille de ma mère, parce qu'il
y a... que ce sont des hommes, et puis que tout se
règle entre hommes. Comme ma place n'existe
pas, je crains qu'il y ait des alliances entre mon
frère, mon père et mes fils, pour qu'on
me saute, et que c'est un jeu... intergénérationnel.
Dans lequel je suis la seule fille, et je compte pour
du beurre, comme on dit dans les jeux d'enfants et
moi, je suis là en disant : j'existe par rapport
à mes fils, c'est très dur, j'aimerais
qu'ils me soutiennent. Ils sont au courant, aussi,
j'aimerais qu'ils me soutiennent, mais ce sont des
hommes et cette image-là de leur mère,
ils n'en veulent pas ! Cela les dérange, ils
avaient une image idyllique. Qu'est-ce que c'est que
ces histoires-là ?... Ca les dérange,
ils l'ont entendue d'une oreille, ils l'ont entendue,
mais il ne faut surtout pas leur en reparler, et si
on leur sert un autre discours, ça peut aussi
bien les arranger, et si ce discours est monnayé
par de l'argent, ça peut aussi bien les arranger,
surtout les belles-filles, et pour les petits-enfants
qu'il y a derrière et quelque part. Je vois
tout ça et en même temps je vieillis,
et c'est vrai qu'il y a une petite part de moi qui
me dit : maintenant que mes fils m'ont entendue, je
voudrais bien qu'ils me défendent, que peut-être
que là, j'ai un petite protection, je pense
que je l'aurai, mais je n'en suis pas sûre du
tout. Et je me dis qu'il faut que je tienne bien le
cap moi, toute seule, toujours toute seule, pour dire
ma place et que je suis la fille ! Voilà, cette
place, je lutterai jusqu'au bout à n'importe
quel prix, pour qu'elle me soit reconnue, même
par la loi, même par la loi. Merci.
Lise : Parler de mes ressentis à ma
mère, donc il n'y a pas longtemps que je dis
ma mère, moi, j'ai toujours dit : maman au
revoir ! ou ma maman et que j'ai, je sais pas, si
elle m'aimait à sa façon, et moi, je
l'ai toujours aimée, je ne dis pas adorée,
je disais aimer beaucoup et je l'aime encore autant,
autant, autant, et j'ai pas envie de pas l'aimer du
tout, donc, elle est décédée,
hein ! Je n'ai plus ma maman, mais ce que... J'ai
découvert ma mère grâce à
l'analyse et encore actuellement, j'ai découvert,
c'est très récent, que ma mère
avait une sexualité, sans doute. Notre père
nous a tellement fait de mal, que j'ai toujours haï
mon père, que je ne pensais pas que mon père
et ma mère pouvaient... Pourquoi ils étaient
ensemble, j'ai toujours pensé qu'on les avait
mis ensemble, petite fille, j'ai pensé qu'on
ne choisissait pas son mari, que c'est quelqu'un de
haut placé qui choisissait un homme et une
femme et qu'ils vivaient ensemble. J'ai découvert
ça très tard, donc, je découvre
que j'ai protégé ma mère, petite
fille et plus tard aussi, que mes frères et
soeurs en ont bien profité aussi... Ma mère
n'a rien vu je pense, mais qu'elle avait une relation
avec mon frère, je dirais, mais il faut le
prendre... je dirais une relation incestueuse, avec
mon frère, dans le sens où, c'était
l'homme fort de la famille, c'était pas mon
père, c'était réellement une
merde, dans ma tête, il l'est toujours, et donc,
ça je suis en train de le découvrir,
ma mère pouvait s'appuyer sur mon frère
et donc ne rien voir d'autre que l'appui qu'il a pu
apporter au niveau argent, c'était l'homme
solide de la maison. Et qui faisait peur à
tout le monde. Donc, mes attentes, elles ne sont pas
par rapport à ma mère, puisque il me
semble que je vois bien telle qu'elle est et comment
elle a vécu, mais c'est plus par rapport au
reste de la famille qui me rejette tout le temps,
qui me rejette encore, disons. Voilà ! c'est
le mot : réconciliation qui me vient à
chaque fois et qui me fait peur un peu ; puisque en
me réconciliant, je cède encore, on
m'oublie encore et j'efface tout. Voilà ! Ma
maman !
Mireille : Pourquoi tu dis : réconcilié,
tu n'es pas fâchée avec eux.
Lise : Non, c'est eux qui m'isolent, ils ne
veulent pas de moi, encore moins depuis que ma mère
est morte, et c'était le seul lien qu'on avait
en famille, en province. Moi à Paris, ma mère
morte, moi, j'étais SDF, puisque je ne pouvais
pas aller chez mes soeurs dans la même ville,
dans la ville où on a tous vécu, et
puis petit à petit, ça a été
l'oubli. L'oubli total, sauf avec mon jeune frère
que je soutiens dans sa cure de désintoxication.
Nicole : Tu es la dernière ?
Lise : Je suis la septième. L'aîné
n'était pas grand quand je suis née.
De sept à douze ans... c'était, tout
tourne autour de la condition féminine, notre
mère, c'était une esclave, dans la vie.
Voilà ! donc, je trouve que c'est bien... Je
n'ai jamais voulu le dire je ne lui ai pas dit. Je
suis très contente, je n'ai pas voulu lui en
rajouter ça encore par rapport à toutes
les... voilà !
Jacqueline : Tu as souvenir de l'avoir vue
rire, s'amuser, quelque chose comme ça ?
Lise : Oui, beaucoup rire, un jour, on riait
tous et c'était mon frère qui faisait
rire. Il était rentré de son service
militaire. puisque c'était dans la première
maison, donc il était encore jeune, et il arrivait,
et ça je l'ai entendu au dernier groupe de
parole, c'est exprimé parfois, il arrivait
et maman riait, elle était tellement heureuse,
tout le monde riait par rapport aux bêtises
que ce frère avait dit et en même temps,
ça, le fait qu'il agisse comme ça, ça
le disculpait par rapport aux éventuels soupçons...
une éventuelle culpabilité, quelque
part, il était quelqu'un qui faisait rire dans
la famille alors qu'il y avait tant de misères.
Donc là, j'ai vu ma mère rire à
ce moment-là. C'était pas souvent, quoi...
Une fois, j'ai raconté récemment, elle
m'a protégée alors que toute la famille
et elle-même étaient ensemble, et mon
frère me faisait des tortures, il m'avait assise
sur une chaise, attachée et tout et tout le
monde racontait, je ne sais quoi, dont je ne me souviens
pas, mais il était près de moi, dans
la cour, et il faisait... Tout le monde riait, était
tordu de rire... Et à ce moment-là,
moi, j'ai étouffé, j'ai étouffé,
et maman est venue vers moi en disant : non, non !
on arrête et elle a cassé le fil de laine
qui m'attachait sur la chaise, c'était un fil
dérisoire, mais c'était une torture,
ce brin de laine qui m'attachait sur une chaise au
milieu de la cour. Là, ma mère a montré...
quand elle m'a détachée, j'ai pleuré,
et j'ai couru dans la pièce unique, dans la
cour, et je me suis mise au coin, et j'ai pleuré
dans le coin de la pièce. Et après,
j'ai pas de souvenirs, si elle est venue vers moi,
je ne sais pas, mais le souvenir, elle m'a délivrée
à ce moment-là donc elle a pris position,
quand même... Voilà c'était de
choses.... Faut dire que je ne peux pas lui en vouloir.
Maud : Je voulais rebondir sur le fait que tu
étais très contente de ne pas lui avoir
dit et qu'elle soit morte sans le savoir. C'est vrai
que moi mon père, c'est aussi quelque chose
que je partage, qu'il soit mort avant, que je n'aie
pas eu besoin de lui dire. Au moins, c'est pareil,
il était malade dans sa tête, si en plus,
il fallait que je rajoute ce problème-là
qui était... Il avait déjà du
mal à gérer ses trucs... Je vais dire,
ça c'est une certaine forme de soulagement...
Mireille : Je ne partage pas cela, parce que justement,
par rapport à ma mère, moi, si j'avais
pu avoir le courage... ou elle-même, on n'a
pas eu le courage de parler ensemble, parce que finalement
peut-être qu'elle s'en doutait, c'est un grand,
grand regret, justement... Inaudible... Qu'on ait
au moins pu pleurer ensemble, ou qu'elle m'ait dit
quelque chose, enfin... Je regrette vraiment. Mais,
en fait, c'est sa mort qui m'a en même temps
délivrée et qui fait qu'après
ma parole a été délivrée.
D'une certaine manière, elle m'a bloquée.
C'était interdit de parole. Ça, c'est
mon grand regret. Pourtant, paradoxalement, j'avais
l'impression d'avoir une bonne relation avec ma mère.
Finalement, on n'abordait jamais ce qui posait problème.
Alors, je me suis consacrée à mes études,
j'ai aimé l'école.... Donc elle n'arrêtait
pas de me dire : « t'en as pas marre d'être
dans tes livres ? t'en as pas marre re travailler
comme ça ? tu vas bien perdre la tête,
tu vas devenir folle à être toujours
dans tes livres, comme ça, » Enfin, c'était
ça, ses messages, mais je me suis vraiment
protégée par mes livres, par mon travail
intellectuel, et je ne regrette vraiment pas. Après
quand j'ai essayé de le dire à ma soeur...
L à, je suis par rapport aux attentes, je crois
plutôt que je suis dans l'inverse, je me dis
qu'il faut que j'arrête d'attendre quelque chose
d'elle, c'est vraiment, faut que j'arrive à
faire le deuil... Que j'ai rien à attendre,
si ce n'est... J'ai fait un essai, de mon histoire
incestueuse, j'ai essayé de faire un petit
texte, qu'un jour, je lui ai donné à
lire, et quand elle me l'a rendu... elle me l'a rendu...
elle m'a dit : ben, je te rends ton texte. Et puis,
voilà, ça a été fini.
Moi, je n'ai pas eu le courage pour lui dire, demander
quelque chose, donc j'ai rien dit non plus !
Delphine : C'était pour qu'elle te le
rende, elle devait te le rendre ou toi, tu lui donnais.
?
Mireille : Ah non, je lui avais donné
à lire, là, Si elle avait voulu un exemplaire,
je lui en aurai donné un. A ce moment-là,
je n'avais qu'un exemplaire. Après, finalement
de cette ouverture... ça été
encore plus fermé. Maintenant, il faut que
j'arrête... il faut, ça, c'est la raison,
mais... ben voilà ! je ne sais plus trop, très
bien, que faire ? comment faire ? et pourtant, il
y aurait des choses à faire... à éclaircir,
qu'elle pourrait me dire... mais, il faut que j'arrête
d'imaginer ça... d'avoir cet espoir... ça
me taraude, et puis finalement. Quant à des
démarches thérapeutiques, n'en parlons
pas... elle s'est toujours vécue elle-même
tellement en victime, qu'elle avait un mauvais mari,
c'est vrai qu'il buvait, c'est vrai, qu'il y a un
de ses fils qui est en cure de désintoxication
qui m'écrit... Je suis contente qu'il fasse
cette démarche... Il s'est enfin décidé...
Il y a quand même des choses qui bougent, un
tout petit peu... Non, il faut que j'arrête,
vis-à-vis d'elle... Il ne faut pas qu'il y
ait d'attentes. Peut-être que ça me protégera...
quand je lui téléphone... là,
dans sa maladie... J'ai toujours peur d'en prendre
plein la figure, parce qu'elle commence toujours par
jeter tout son venin, et puis après... au bout
de dix minutes un quart d'heure... de temps en temps,
ça arrive qu'elle me dise : et toi ?...
Delphine : Jamais, jamais ?
Mireille : C'est toujours elle... Donc moi,
je n'existe pas beaucoup. Donc, je pense par rapport
à toi, retrouver ma place, exister simplement.
Mais donc peut-être, ne plus penser exister
par rapport à elle... Je ne sais pas, je ne
suis pas très claire, parce que j'arrive pas....
Lise : Je voudrais rajouter une chose, c'est que
j'ai l'espoir d'exister, non par rapport à
ma famille mais en psy, parce que je commence à
sentir des choses qui font que j'existe pour moi en
analyse. Voilà ! C'est un petit peu de bonheur,
ça a l'air de quelque chose de solide.
Nancy : Ma mère, elle va chez le psychiatre,
elle y va pour prendre les médicaments, qui
vont l'abrutir encore un peu plus. Moi, je pense que
j'ai une mère qui est vraiment d'une extrême
défaillance, ça fait ressortir beaucoup
de choses, de la déception, de la colère,
de la haine, des fois de la pitié... Quand même aussi, par le fait de lui parler, j'aurais
voulu qu'elle puisse accéder à une prise
de conscience, ça a jamais été
possible... Là je crois que je vais commencer
à la déplacer sur sa famille, en fait,
je voudrais que la famille de ma mère - soi-disant
irréprochable - puisse prendre conscience de
tout ce qui s'est passé, puisque là,
je pense que ma mère n'est plus en capacité,
de... Mais bon, je voudrais que ma tante puisse s'interroger,
qu'elle se pose des questions, qu'elle cherche dans
sa propre histoire, comment elle avait pu permettre
que ça arrive.... Ça me coupe la parole.
Delphine : Tout à l'heure, il me semble
que tu as dit que tu avais engagé une procédure
?
Nancy : Oui.
Delphine : Elle te soutient ?
Nancy : Non. Elle ne me soutient pas. Elle
est plutôt à exprimer les craintes, encore
une fois, elle est à l'image de la famille.
Tout le monde va le savoir, tu imagines la tête
qu'il va faire... Qu'est-ce que ça va t'apporter
de plus ? Bon elle ne me soutient pas. Parfois, elle
peut avoir un discours à différents
niveaux. Elle me souhaite : bon courage. Elle est
vraiment. Je suis la fille de cette mère-là,
il faut faire avec... Je suis toujours à la
recherche d'une mère, un peu bienveillante.
Delphine : Quand tu te déplaces sur la
famille, tu veux dire que tu vas leur...
Nancy : La prise de conscience que j'aurais
aimé... c'est qu'ils se mettent à la
place de ma mère, la première fois,
j'avais révélé l'inceste dont
j'avais été victime, les soeurs de ma
mère sont intervenues, pour... Ma mère
s'est beaucoup confiée à ses soeurs,
quoi... Peut-être, il y en a une de celles-là
qui va pouvoir.
Delphine : Elles t'ont appelée ? Contactée
?
Nancy : Certaines, oui, je me trompe peut-être,
je devrais peut-être pas faire ça, demander
à d'autres... Quand même, ma mère
est considérée comme une simple d'esprit,
donc, ma grand-mère...Ssi ma mère était
perçue comme cela, c'est qu'elle était
vulnérable, elle avait besoin. C'est légitime,
si je leur demande de réfléchir à
ce qui s'est passé. Et j'ai essayé.
Delphine : Lorsqu'elles l'ont su, quelle attitude
elles ont eu les soeurs vis-à-vis de toi ?
Nancy : J'ai été très
mal vue. Ils ont cru que je faisais ma crise d'adolescence
très jeune. J'avais une apparence physique
qui collait pas du tout avec la famille. Je n'avais
aucun soutien. Là j'en ai un petit peu plus...
à la deuxième révélation
- entre guillemets - puisqu'aujourd'hui, j'ai fait
des études, j'ai un métier... une situation
professionnelle, tout ça.
Echanges Inaudibles.
Nancy : J'ai quand même très peu
de soutien, on m'a écoutée un peu, mais...
Delphine : Tu as des frères et soeurs ?
Nancy : J'ai un frère et une soeur.
Ils me soutiennent plus ! eux ! A leur façon
à tous les deux... Inaudible... Ils ont eu
des doutes. Ils ont tellement souffert aussi, de
ça que...
Delphine : Mais en fait, quand tu dis que peut-être
tu te tromperais... Se tromper comment ? En en parlant
?
Nancy : Que ce n'est pas légitime d'aller
leur demander des comptes à eux, parce qu'ils
ne sont pas responsables, quoi ! C'est vrai qu'ils
m'ont beaucoup fait souffrir par l'attitude, c'est-à-dire
qu'ils m'ont jugée comme une adolescente menteuse,
emmerdeuse, j'ai souffert de leur attitude. Je voudrais
quand même qu'ils se confrontent à la
vérité quoi !
Delphine : L'objet du procès, c'est
aussi ça ? Que tu sois reconnue par la société
à défaut de la famille ?
Nancy : Oui.
Nicole : Tes parents sont toujours ensemble
?
Nancy : Oui.
Nicole : Tu es très seule ?
Nancy : Non, enfin si, au niveau familial,
je suis très seule. J'ai du soutien par ailleurs,
une psychanalyse qui dure depuis longtemps... inaudible...
qui m'aide à cheminer, à élaborer
tout ça. A entamer une procédure...
Delphine : Et quand tu dis prise de conscience
pour ta mère... C'est une question... Tu aurais
aimé... Tu ressentais de la colère,
de la haine, tu aimerais qu'elle en ait conscience.
Est-ce que ça, ça ferait partie de choses
dont tu aimerais qu'elle ait conscience de ton ressenti
? vis-à-vis d'elle ?
Nancy : Non, pas trop ça, quoique je
lui ai déjà exprimé ma colère,
non, c'est plutôt une prise de conscience, oui
de ma souffrance, ça s'est certain, mais aussi
de la gravité de ce qui s'est passé
puis d'elle quoi ! Comment elle a pu être une
mère... Je pense que ce n'est pas possible.
Je ne sais pas si j'ai répondu à la
question.
Le psychologue : Il est 17h10. Je propose que l'on termine.
FIN de l'ATELIER |