"Nos
réactions physiques et psychologiques aux abus
sexuels" - atelier du 25 février 2006
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
2) Quel a été
notre ressenti face à la « légitimité
» entre guillemets vécue ou reconnue
de l’agresseur
3) L’opposition verbale
ou physique s’est-elle éventuellement
associée ou dissociée à un ressenti
de type corporel.
3- Notre manière d’agir
ou de réagir dans la situation d’inceste
a-t-elle évolué avec le temps ?
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
Lecture du préambule.
Le psychologue : En ce qui concerne…La
logique des ateliers.
Les ateliers sont une opportunité pour les
acteurs victimes d'inceste et leur entourage impacté
par les pratiques incestueuses de partager une parole
sur leur expérience dans un contexte d'écoute
libéré de toute contrainte morale.
La périodicité des ateliers. Les ateliers
sont proposés sur une périodicité
trimestrielle avec une proposition thématique
sur l'année. La durée de deux heures
et demie doit permettre la participation active au
niveau de la parole comme de l'écoute, de l'ensemble
des acteurs.
L'utilité des ateliers. Il s'agit de l'accueil
non restrictif de l'ensemble des paroles des victimes
de pratiques d'inceste dans leur dimension de connaissance
psychologique, émotionnelle, sociale, socioprofessionnelle.
La parole dans les ateliers. La parole ainsi que les
silences sont offerts aux acteurs sur la base de leur
désir avec une régulation du temps liée
au nombre de participants et aux thèmes de
l'atelier.
Le recueil de la parole. L'ensemble du discours pendant
les ateliers est enregistré afin d'en permettre
une retranscription fidèle qui permettra la
réalisation de synthèse thématique.
En ce qui concerne la synthèse de la parole.
Ces synthèses ont pour objectif pour chaque
membre de l'atelier de pouvoir, s'il le souhaite,
retrouver sa parole, garder sa parole, et peut-être
retrouver par une nouvelle manière, par une
nouvelle écoute, la parole de l'autre, de positionner
sa parole et son expérience au sein de la parole
des autres. Dans un deuxième temps, elles ont
pour objectif de permettre une lecture plus large,
mais aussi plus complète, des connaissances,
expériences, ressenties par l'ensemble des
acteurs concernés par la problématique
des conduites incestueuses. Il s'agit de communiquer
l'expertise et sur l'expertise du discours non programmée
des acteurs-victimes. Et enfin, dans un troisième
temps, elles permettront dans le cadre d'une démarche
scientifique au plus proche de la parole des acteurs,
une analyse du discours sur le vécu des victimes,
en vue d'une publication.
Juste, je tenais effectivement
à faire une petite précision. Il y avait
eu à la fin du dernier atelier, effectivement
j’étais intervenu en disant qu’il
fallait que nous soyons tous très attentifs
je veux dire à la parole de l’autre et
au fait de réagir sur la parole de l’autre.
Alors nous en avons reparlé et effectivement,
il est clair que je pense que je n’avais pas
été suffisamment précis. Il ne
s’agit pas de ne pas réagir à
la parole de l’autre, mais bien d’attendre
que l’autre ait terminé sa parole de
manière à ne pas l’amener à
réagir sur la réaction qu’on vient
d’avoir, au risque que ce soit déficitaire
par rapport à la qualité de ce qu’il
était entrain de nous dire. Donc on est bien
d’accord là-dessus, on peut bien sûr
réagir, interroger par rapport à la
parole de l’autre mais en étant attentif
à ce que la personne ait fini de s’exprimer.
Voilà. Alors effectivement, je pense que l’ensemble
des gens présents ici avaient regardé
la thématique de l’atelier d’aujourd’hui,
donc elle reste la même, la formulation des
questions que nous avons retravaillées a effectivement
un petit peu changé sur la forme tout en restant
sur le fond bien sûr dans la même logique
d’interrogation. Donc le thème de l’atelier
d’aujourd’hui est effectivement Nos réactions
physiques et psychologiques aux abus sexuels. Les
trois sous thèmes proposés aujourd’hui
sont :
1- Quel a été notre ressenti face à
la « légitimité » entre
guillemets vécue ou reconnue de l’agresseur
2- Le deuxième est l’opposition verbale
ou physique s’est-elle éventuellement
associée ou dissociée à un ressenti
de type corporel.
3- Le troisième : notre manière d’agir
ou de réagir dans la situation d’inceste
a-t-elle évolué avec le temps.
Voilà. Si effectivement au fur et à
mesure qu’on passera d’un sous thème
à l’autre vous avez besoin d’un
certain nombre de précisions sur la manière
dont la question est posée, n’hésitez
pas. Voilà. En ce qui concerne les gens qui
ne m’avaient jamais rencontré dans les
ateliers, je suis là en tant que garant du
temps de parole, puisqu’on s’accorde à
peu prés trois quarts d’heure par sous
thème, et aussi garant du respect de la parole
de chacun.
1- Quel a été
notre ressenti face à la « légitimité
» entre guillemets vécue ou reconnue
de l’agresseur
Lise : Est-ce que tout le monde
se connaît ? Je veux dire, est-ce qu’on
a besoin de dire son prénom, par exemple. On
fait un tour de table, juste pour dire son prénom,
parce que peut-être certaines personnes se connaissent
pas.
Delphine : Ou un pseudo, si on veut.
Lise : Oui, ou un pseudo. Bien sûr
Delphine : Je m’appelle Delphine
Viviane : Viviane
Julie : moi c'est Julie
Sidonie : Moi c’est Sidonie
Annabel : Annabel
Stéphanie : Stéphanie
Nathan : Nathan
Lise : Lise
Valérie : Valérie
Le psychologue : et François
François : Donc, heu, je vous propose d’aborder
le premier sous-thème de cet atelier qui est
donc Quel a été votre ressenti face
à la légitimité vécue
ou reconnue de l’agresseur ?
Delphine : Ben, je vais commencer, ça permettra
peut-être d’éclaircir. On a…
Je vais pas parler de moi, je vais parler de mon amie,
ma compagne, Bérénice, qui est aussi
une victime d’inceste qui a pas pu venir là
aujourd’hui et qui m’a dit que je pouvais
dire des choses qu’elle m’a déjà
dites. Je vais pas parler pour moi, parce que moi,
j’ai commencé à être violée
quand j’étais bébé, je
me souviens pas… enfin, j’ai dû
lui accorder… enfin, la question se pose pas
pareil je trouve puisque j’étais bébé,
je parlais pas, je marchais à peine, donc aucun
sens à tout ça, donc ni des questions
de légitimité… Mais ce qui nous
avait donné envie de faire ce thème,
et en tout cas ce sous thème, pour éclaircir,
c’est notamment Bérénice ma compagne
qui expliquait que quand son agresseur à elle,
c’est son frère, mais c’est aussi
son cousin germain, que quand pour la première
fois, ce cousin germain, elle elle devait avoir 6-7
ans et le cousin 13-14 ans. Un jour ils jouaient,
ils passaient l’après-midi ensemble entre
cousins avec le frère qui avait deux ans de
plus que Bérénice et tout ça,
et le cousin qui manipule un peu… en tout cas
les deux, qui avait déjà violé
son frère, il organise un jeu et il dit : «
Bon, ben on va tous se déshabiller, et on va
tous se montrer nos muscles » Et Bérénice
dit qu’elle se calait sur son grand frère,
son grand frère le faisait, il avait pas l’air
de trouver, il avait pas l’air de réagir
et de dire non, ben, elle a… elle a pensé
que… ben voilà, elle a pensé,
elle s’est calée sur ce qu’il faisait,
donc ni elle s’est méfiée ni rien
du tout. Et après quand le cousin a continué
et il lui a dit « Ben voilà, Bérénice,
on va faire un autre jeu, ça va saigner, Bérénice,
mais t’inquiète pas c’est pas grave
! » Elle se souvient d’avoir regardé
son frère, et son frère il a rien dit
non plus. Il n’a pas… Et après
en fait, ses souvenirs s’arrêtent là,
pendant un laps de temps de quelques minutes, elle
se souvient de ensuite. Tout ça pour dire que
elle… c’est ça la légitimité.
Elle a pensé que…. enfin rétrospectivement,
elle peut dire que il avait… en tout cas son
grand frère, et son cousin qui était
grand aussi, et jusqu’à présent,
son grand frère qui jusqu’à présent
c’est lui qui la ramenait de l’école,
et il avait la légitimité de grand frère,
quoi, qui sait ce qu’il fait et qu’elle
peut écouter. Et donc le jour où heu
il dit rien et que le cousin la viole, ben elle est
pas… elle pense que… Ce qui fait aussi
qu’elle est pas allée gueuler auprès
de ses parents, enfin, ou dire quelque chose, c’est
que comme le grand frère qu’elle écoutait,
en qui elle avait confiance, qui était là
et qui a rien dit, elle a peut-être même
pas pensé à se dire que ce n’était
pas normal, qu’il y avait un truc qu’il
fallait aller dire, enfin… Voilà, c’était
ça le… Et c’est pour ça
que je dis que pour moi, heu, bébé,
enfin, minuscule petite fille, c’est pas une
question que… Enfin si, c’est une question
qu’on peut poser pareil, parce que ça
a duré des années, mais… Mon grand-père
c’était mon grand-père, c’était
le maître de la famille et puis quelques mois
après, mon père aussi a participé.
Donc du coup, c’est vraiment…. C’était
la légitimité totale. Mon père
et mon grand-père, c’était tellement…
Donc je pense qu’il a fallu attendre d’avoir
trente ans, de commencer une analyse… enfin,
j’ai commencé plus tôt que ça,
à 28 ans… pour heu… pour me remettre
tout ça en tête. Mais quand j’étais
tout bébé et le temps que ça
continue, je pense que j’ai même pas penser
à me dire que… des trucs du genre : «
C’est pas normal » ou « Ce qu’ils
font n’est pas bien ». Parce que ce qu’ils
font c’est ce qu’ils font, c’est
comme lorsqu’on me dit d’aller me doucher
ou d’aller manger ou de faire mes devoirs. De
toute façon c’est eux qui… Donc
heu… C’est pour ça que j’ai
pas pensé. Voilà…
Stéphanie : Je sais pas si c’est sur
la légitimité, mais moi j’avais
11 ans, donc c’était le mari de ma mère
et heu, dans la famille, c’était…
Ben en fait, y avait qu’une place, c’était
la sienne, quoi, donc heu… Y avait qu’une
voix c’était la sienne, y avait qu’une
autorité c’était la sienne, donc
quand ça a commencé déjà…
Là j’suis en procès, donc ils
me posaient la question « Est-ce que il….
» Enfin c’est moi qui me suis posé
la question : « Est-ce qu’à un
moment donné il m’a dit : ‘Tu ne
le dis pas !’ » Et aussi loin que remontent
les souvenirs, je l’entends pas le dire «
Tu ne le dis pas ! » C’est… Aussi
loin que je me souvienne, c’était comme
ça. Ca se… fallait pas que je le dise,
fallait que j’le cache. Fallait que je fasse
comme si de rien n’était. Et c’est
bien, bien des années après, en disant
le livre « J’avais 12 ans », de
Nathalie Scheweigoffer, ben c’est là
que j’ai compris ce qu’il m’arrivait
réellement. Donc c’est en disant ce livre
que, ben voilà, « c’est un inceste
que tu subis, c’est un viol », et c’est
vraiment là que j’ai vraiment pris conscience
de ce qu’il m’arrivait, quoi. Et y un
autre souvenir qui me revient, c’est…
Bon ben là, depuis deux ans, j’suis en
procès, et heu… ma sœur qui nie
avoir été incestée, je lui dis
: « Mais attends, il te touchait, t’étais
adulte ! » Et c’est là où
elle me dit : mais elle a toujours vécu comme
ça ! Donc heu.. Donc voilà !
Delphine : Quand t’as lu ce livre de Nathalie
Schweigoffer, t’étais jeune, enfin…
Stéphanie : Ben les attouchements ont commencé
vers 11 ans, les viols vers 12. En fait c’est
ma sœur aînée, celle-là qui
avait ce livre-là comme par hasard.
Delphine : Ben oui, c’est ça !
Stéphanie : Comme par hasard, toute ma famille
l’a lu, ce livre. Et heu… ouais, c’était
plus tard, vers 13-14 ans, c’était vraiment
que bien plus tard que j’ai su que heu…
quand il venait me chercher la nuit… Et puis
c’est tout le contexte aussi, c’est…
qu’il vienne… Très rapidement j’ai
analysé comment ça se passait. Il attendait
que tout le monde dorme, et dès que…
dès qu’il était devant la télé
et que j’entendais qu’il attendait que
tout le monde aille dormir et qu’il était
seul devant la télé, là je savais
que je devais commencer à me barrer…
heu à me momifier. C’est le terme que
j’ai dit aux flics, ça leur a bien plus.
Je me momifiais avec ma couette pour pas qu’il
puisse mettre les mains… Et c’est là,
en fait, c’est tout ce contexte-là qui
fait que j’ai dû me dire inconsciemment
qu’il fallait pas que je le dise, que…
ça ne devait pas se savoir. Bon ben lui qui
était tout puissant, qui m’aurait crue
? Même à 18 ans quand j’ai parlé,
il m’a fallu 7 ans pour qu’on me croie
! Donc heu.
Delphine : J’ai juste une autre question. Non,
parce que ce truc-là, ce livre, là,
il n’est dans aucune bibliothèque, c’est
pas un grand classique de la littérature. C’est
un témoignage d’une fille qui a été
violée par son père, j’sais pas
à combien de numéros il a été
édité, mais est-ce qu’il y avait
d’autres livres chez vous qui circulaient ?
Stéphanie : Non (c’était çui-là).
Parce qu’en fait, heu, le seul livre qui circulait
c’était des Arlequins. C’était
des Arlequins, c’était que ça.
Quand j’étais vraiment plus jeune - plus
jeune, c’était les photos romans, mais
sinon, heu, moi, les copines lisaient les bibliothèques
(roses), j’sais pas quoi là, moi j’lisais
les Arlequins à 10 ans, quoi ! Donc, heu, et
c’est plus tard que moi j’ai lu «
J’avais 12 ans ». Et d’ailleurs
j’vais essayer de le récupérer.
C’est un livre fétiche.
Viviane : Donc, heu, moi contrairement… mon
père m’a demandé de garder le
silence. En fait, j’avais complètement
occulté les attouchements au départ.
Le point de départ, pour moi, c’était
le passage à l’acte. Heu, donc heu, effectivement,
pour moi, mon père c’était une
référence également, parce que
toute petite y a pas eu de… Enfin nous on faisait
une famille normale entre guillemets. Mais c’est
bien après que j’ai repensé qu’effectivement,
y avait eu ces attouchements auparavant, et quand
il est venu pour la première fois pour me violer,
il m’a dit que c’était notre secret
à nous et que il voulait m’apprendre
ce que c’était et qu’il voulait
être le premier. Et il est vrai que heu…
je pense qu’il devait le savoir à l’époque,
à chaque fois qu’on me disait : ‘C’est
un secret’, j’ai toujours tenu parole,
et je ne l’ai jamais révélé.
Là, effectivement, j’ai mis 24 ans à
percer ce secret en fait, mais j’y suis arrivée.
Hé, j’ai respecté, parce que pour
moi, c’est ce que j’expliquais un petit
peu l’autre jour, il y a quand même une
ambiguïté entre ce qu’il m’a
fait où je suis remplie de haine, mais d’un
autre côté, heu, c’est mon père,
je l’aime en tant que père. J’ai
quand même passé de bons moments, même
si je savais que, effectivement, heu, y avait des
moments où heu, pareil, il attendait que tout
le monde soit endormi pour venir, heu… Une autre
fois dont je ne me souviens pas trop, là c’est
mon frère qui nous a vus sur le lit et qui
s’est fait dégager par mon père
en lui interdisant de monter. Cette fois-ci je m’en
rappelle pas trop. D’autres fois effectivement,
dans la même pièce, parce que ma mère,
heu, ma grand-mère était décédée,
heu, donc il y avait mon grand-père qui était
dans une alcôve entrain de dormir à côté,
et heu, mon frère qui était sur un lit
de camp à côté, qui était
entrain de dormir et là je m’en souviens
parfaitement, où il m’a dit de…
de me taire. Et où il est passé effectivement
également à l’acte. Et donc effectivement,
j’ai…, je ne pouvais pas, même si
je savais qu’il avait fait mal, à cette
époque, je savais que c’était
mal, mais c’était mon père, donc
c’est vrai que lui avait autorité, il
avait heu… et je ne mettais pas le mot «
viol », « inceste », sur ce qu’il
faisait. C’est beaucoup plus tard que là
où…, je me suis réveillée.
Voilà.
Delphine : T’avais quel âge ?
Viviane : En fait, j’avais dans les 14-15 ans.
Alors il faut savoir aussi que depuis quelque temps,
depuis le moment où j’en ai parlé
à ( ?), ça fait à peu près
deux semaines, j’ai eu d’autres souvenirs
qui me sont remontés, heu, où là
j’ai… mon grand-père, vers l’âge
de trois-quatre ans, heu, qui m’a demandé
de mettre ma main dans sa poche. J’ai appris
également que mon grand-père avait fait
la même chose à ma mère, donc
c’est son père. Mais je l’ai appris
il y a deux semaines également. Mais pour moi
c’est… je dirais que, mon grand-père,
c’était moins que mon père, à
la limite. Il m’a fait faire que des attouchements,
mais c’est beaucoup plus lointain, j’en
souffre… j’en garde la mémoire,
mais j’en souffre pas de la même manière.
Et puis c’est aussi peut-être parce qu’il
est dans un hôpital à moitié fou
que j’ai complètement laissé tomber.
Je le vois plus depuis heu, depuis plus de 10 ans.
Donc pour moi, c’est heu… je tire un trait
dessus.
Delphine : Sur le grand-père !
Viviane : Sur le grand-père. Alors que mon
père, je le vois toujours. Donc… Et c’est
vrai que pour moi, c’est heu… je minimise
à la limite ce qu’il s’est passé
avec mon grand-père, parce que le plus choquant
pour moi, c’est le passage à l’acte,
c’est pas tellement les attouchements, c’est
surtout le passage à l’acte qui m’a
vraiment, heu… où ça a été
vraiment la rupture complète. Mais malgré
tout, comme je disais, je garde en souvenir les bons
côtés avec mon père et heu, à
l’heure actuelle, je le vois toujours, et j’en
souffre à chaque fois, mais heu, c’est
mon père et je garde cette image de père
et malgré ce qu’il a fait.
(silence)
Annabel : Est-ce qu’il serait possible de répéter
la question ?
Le psychologue : Oui. Donc Quel a été
votre ressenti face à la légitimité
vécue ou reconnue de l’agresseur ?
Annabel : Moi, mon ressenti, c’est de l’ordre
de la fatalité. Encore que, comme ça
a commencé aussi quand j’étais
sans parole, parce que très petite, je pense
que je me suis… que j’ai été
habituée à ce que ce soit comme ça,
truc atroce qui vous arrive, comme on ne sait pas
trop le prendre comment, et heu… je sais pas
si on peut dire… Enfin associer la notion de
la fatalité et de légitimité,
c’est ça qui me revient. Et par rapport
donc à… à ce que j’ai entendu
sur…, à ce qu’il a dit de se taire,
de ne pas le dire, je n’en sais strictement
rien. Je n’ai absolument pas de souvenirs ;
Ce que je sais, c’est que enfant, et puis ça
m’a suivi toujours dans la famille, on disait
que il ne fallait me confier aucun secret, que c’était
une catastrophe, que je faisais des gaffes. Que j’étais
pas méchante, mais que je faisais des gaffes,
heu… Ce qui m’étonne encore plus,
alors. Parce que je me dis : « Mais si ça
se trouve, j’ai dit quelque chose ! Et on a
pensé que c’était une gaffe, une
folie ou…. Parce que la personnalité
de mon père était tellement légitime,
c’était absolument illégitime
de dire qu’il pouvait faire ça.
Viviane : Je peux intervenir sur ce que… Je
pense qu’effectivement c’est tout à
fait ça, les gens s’imaginent que connaissant
la personne, la personne ne peut pas effectivement
faire ce genre de choses, et ça paraît
impensable, et forcément, quand on est gamin,
on nous traite de menteur, ou d’avoir beaucoup
d’imagination, et c’est vrai que les gens,
même s’ils ne veulent pas le penser, refusent
également de pouvoir penser que cet homme-là,
ou cette femme, peu importe, a pu avoir des actes
heu… des actes incestueux. Enfin, c’est
ce que je pense.
Annabel : Avec évidemment beaucoup de distance
et de temps passé, je parlais hier, je ne sais
pas comment c’est venu, par hasard à
une amie très proche, qui est une amie depuis
longtemps et qui manifeste de l’empathie, de
la compassion, qui ne nie pas ces histoires d’inceste,
qui ne met pas ces histoires d’inceste en doute,
vraiment. J’ai été amenée
à lui dire que mon père a violé
ma fille et que mon mari, le père de ma fille
était là. Et elle s’est mise à
pleurer. Et elle a dit : « Mais c’est
impossible ! Elle se trompe ! » Et ça
m’a fait… ça m’a horrifiée,
quoi ! Je lui ai dit : « Mais pourquoi tu dis
ça ? » Et même si elle se trompait,
comment est-ce que un enfant pourrait imaginer comme
ça des trucs… Quel est le gosse à
qui il n’est rien arrivé qui va dire
une histoire comme ça ? Et elle s’est
mise à pleurer , à pleurer , et puis
après on n’en a plus parlé. Donc
c’est pareil, elle a connu mon père,
et elle a connu mon mari et… On ne peut pas
entendre, parce que leur personne sont légitimées.
Delphine : Par tout le monde. C’est vrai, ça.
C’est un truc important, que ce n’est
pas que soit même qui légitime. Le reste
des parents, du monde…
Annabel : Et pas que les gens hostiles. Ceux qui ont
de la compréhension et de la sympathie. Pas
des gens qui rejettent.
Virginie : Oui, parce que j’allais dire, dans
les cas où… Enfin moi quand je l’ai
dit, tout le monde a dit : « Ben ça m’étonne
pas, ce salaud ! » mais en fait, quand les gens
ont une dent… ou la femme est divorcée,
ou j’sais pas quoi, elle a qu’une envie.
Après, ça dépend des circonstances,
quoi !
Annabel : Voilà !
Virginie : C’est subjectif.
Le psychologue : C’est la raison pour laquelle,
dans le libellé de la question, il y a bien
été mis « La légitimité
vécue ou reconnue ».
Annabel : D'accord.
Le psychologue : Vraiment, effectivement, il y a ces
deux dimensions.
Sidonie : Moi je voudrais indiquer que j’ai…
ce que tu viens de dire… J’ai eu un ressenti
où je crois que pour la première fois
j’ai compris pourquoi on m’a traité
de menteuse depuis que je suis toute petite fille.
Et je n’ai jamais compris pourquoi on me traitait
de menteuse. J’ai pas souvenir d’une histoire
quelconque, de démarrage, qui ait pu ….
Tout d’un coup, je me dis que peut-être
un jour j’ai dit des choses, sans m’en
souvenir, et à partir de là, je suis
devenue la menteuse, la menteuse de la famille. Ce
qui fait donc que je pouvais de toute manière
plus jamais rien dire, heu, et douée d’imagination.
Voilà. Et alors je les remercie beaucoup, ça
m’a beaucoup entretenue, je me suis construite
là-dessus. On disait que j’avais de la
mémoire, mon frère n’en avait
pas, mais moi j’en avais (rires), que j’avais
de l’imagination et que j’étais
une menteuse. Et une alcoolique. A 5 ans, 6 ans, une
alcoolique ! Quand mes parents avaient des invités,
ils faisaient des cerises à l’eau de
vie dans un petit verre à liqueur ils mettaient
une cerise avec un petit peu d’eau de vie. Et
quand les invités étaient partis, il
devait rester un petit fond dans les verres, et moi
je vidais les verres. Donc « cette petite sera
alcoolique, menteuse, de l’imagination »
et un tout petit peu plus tard putain. Donc j’ai
eu le catalogue. Voilà. Donc pour la légitimité,
c’était mon oncle, donc j’ai pas,
heu, j’avais 7 ans, donc heu… C’était…
Ah non, plus que la légitimité, c’était
l’amour de ma mère, c’était
l’homme idéal, celui… son beau-frère,
c’était sa sœur qui avait eu le
bol de l’avoir, et elle elle avait quand même
qu’un résidu avec son mari, et celui-là
était bon, celui-là était merveilleux,
celui-là faisait la cuisine, celui-là
faisait tout, donc de toutes manières, il pouvait
me faire ça aussi, donc de toutes manières
c’était bon. Et puis comme j’ai
perdu la mémoire tout de suite, j’ai
pas posé de questions. Mais il y a cette histoire
de livre qui revient pour moi. Je ne sais pas s’il
s’agit du même livre, heu, je ne me souviens
plus du titre, mais il y a déjà un certain
nombre d’années où j’ai
eu… tout à fait du début à
la fin de mon travail analytique où j’ai
eu conscience de ce viol, et de cet inceste, je suis
tombée sur un livre, peut-être que c’était
celui-là, c’était une femme de
Grenoble qui l’avait…
Delphine : C’était Eva Thomas ?
Sidonie : Bon, alors c’était un livre
sur une fille qui avait été violée
par son père et je sais qu’elle était
de Grenoble, et c’était important, parce
qu’à ce moment-là, mon violeur
habitait Grenoble (rires). Et il était pas
encore mort. Il était là dans les dernières
années de sa vie, et là j’avais
compris que je ne pourrais pas parler, le dire dans
ma famille, parce qu’on allait bien sûr
me traiter de menteuse et puis c’était
pas pour moi possible, et je savais en même
temps, qu’avant qu’il meurt, il était
important que j’ai fait quelque chose pour pas
me dire après je suis restée…
Alors je lui ai envoyé le livre (rires). J’ai
pas dit de qui il venait, je lui ai envoyé
d’une poste dans un coin perdu de la France
pour qu’il ne puisse jamais identifier, et je
lui ai envoyé ce livre d’une fille qui
raconte comment son père l’a violée.
Donc il y a ce livre entre… Il y a ce livre
entre … il y a ce livre où j’ai
quand même déposé quelque chose,
et en ce moment, comme il est mort, je ne peux pas
régler mes comptes avec lui, mais il semblerait
que je me sois débrouillée pour les
transférer sur son fils, qui est donc mon cousin
germain. Et nous avons une histoire de livre, dans
l’autre sens, qui nous revient, et qui fait
que je viens de rompre avec lui après 67 ans
de communauté familiale. Et le livre qu’il
a en main en ce moment et un livre qui me vient de
mon grand-père et qui faisait partie de la
succession de ma mère et que mon frère
lui a envoyé pour que je ne l’ai pas.
Ce livre est pour moi quelque chose de très
important… ma mère est morte, sur le
plan de la succession de ma mère, la succession
n’est pas terminée, elle est loin d’être
faite, et mon frère qui est en bisbille avec
moi l’a envoyé à mon cousin qui
sait très bien qu’il y a des problèmes
dans la famille, et mon cousin l’a gardé,
en sachant parfaitement que ce livre est très
important pour moi. Je le lui ai dit, je le lui ai
redit, il a fait celui qui ne veut rien entendre,
il l’a gardé, donc j’ai rompu.
Je lui ai dit… En attendant, c’est curieux.
J’ai envoyé un livre… Et je lui
ai dit dernièrement que son père m’avait
violée. Je lui ai dit que son père m’avait
violée et que je ne pouvais pas accepter que
ce livre… que ça soit encore un passage
d’une famille à l’autre et que
moi je fasse l’objet toujours de… de ces
transgressions familiales et que celle-ci avait été
une de trop et que je ne la laisserai pas passer,
et que je m’arrêtais. Et il joue au con,
et voilà. Et donc j’ai rompu. Et donc
voilà, y a eu des échanges de livre.
Je pense… et j’ai demandé à
mon cousin, le fils de mon violeur, quelle était
sa légitimité pour me garder ce livre
! (rires) Je lui ai posé la question, je lui
ai vraiment posé la question "Mais de
quel droit, de quel droit t’autorises-tu à
garder ce livre qui serait soi-disant un don de ma
mère qu’elle ne lui a jamais fait, hein,
où il n’y a pas de testament". Et
il m’a dit « C’est au nom d’une
grand-mère qui avait été gardé
par sa mère et que ma mère devait se
sentir coupable de… » Enfin il a sortir
des trucs invraisemblables qui remontait à
trois générations, que je n’ai
jamais connus, pour garder… Donc il s’est
donné la légitimité. Et là
j’ai posé la question !
Nathan: Honnêtement, en fait sur la légitimité.
En fait la première fois que c’est arrivé,
c’était avec mon père, j’avais
7-8 ans, en fait la première fois, il avait
dédramatisé le truc en fait pour faire
les attouchements. Ca s’est passé un
peu comme si… comme s’il me faisait découvrir
quelque chose, en fait, la sexualité, enfin…
Les vagues souvenirs qu’il m’en reste,
en fait. Et donc, là, j’ai pas….
J’ai rien opposé, en fait. Mais bon,
je me méfiais quand même parce que c’était
mon père, et je savais qu'il était assez
dur. Voilà en fait pour la première
scène, mais bon après, ce qu’il
y a, il m’a violé, suite à cet
apprentissage ou à cette scène dédramatisée.
Donc là, je ne sais pas si ça répond
à la légitimité. Voilà.
C’est cette première scène, en
fait. Sinon, après, en fait, le problème,
la légitimité, moi après j’avais
très très peur. Je savais que c’était…
Je pense pas que je me disais qu’il avait pas
le droit, mais je savais que ça me faisait
très très mal. Mais le problème,
après, c’était l’intervention
de ma mère. Parce que je demandais à
ma mère s’il fallait que j’obéisse
à mon père, en fait, quand il voulait
m’emmener tout seul. Et donc ma mère
me disait « oui ». Elle disait pas «
oui », mais elle disait « oui »
du regard, en fait, d’un regard affectueux.
Et donc là, c’était pas facile,
en fait, mais jamais… je me disais pas qu’il
avait pas le droit, mais je savais que c’était
très très dangereux pour moi. Mais sinon
sur la légitimité, je me rappelle que
mon père me disait que j’irais en prison.
Enfin, il me disait pas que j’irais en prison
à propos des histoires sexuelles, mais plus,
il était tout le temps sur mon dos et il me
disait… j’arrivais pas à manger
à table, en fait. Et il me disait : «
T’iras en prison », parce que j’arrivais
pas à manger. Il me mettait tout le temps la
pression. Et ça, en fait, ça par contre
je le croyais. Enfin je croyais qu’ils allaient
m’enfermer, en fait. Donc ça c’était…
J’arrivais pas à me dire que c’était
un droit ou pas un droit, en fait. Je savais que ça
faisait mal. Le pire, c’était de se retrouver
tous avec son père, et même les deux
parents, entre eux. Le mieux, dans la famille, c’était
quand j’étais avec mes sœurs. Tous
ensemble, en fait, là, c‘était
bien. Voilà. Je sais pas si ça réponds.
Delphine : Est-ce que je peux, heu… T’as
dit, heu, t’as dit quand même que ton
père, au début de ton intervention,
t’as dit que ton père, tu disais qu’il
fallait toujours quand même t’en méfier.
J’sais plus quel mot t’as dit, mais…
Nathan : Oui, mais en fait, j’ai pas de souvenir
tellement précis. C’est les deux, en
fait. Comme s’il me faisait découvrir
quelque chose de génial, mais d’un autre
côté, je me méfiais de mon père,
parce que, mon père et ma mère se disputaient
très très violemment, donc je sais qu'il
était très violent, en fait.
Delphine : Avec elle, quoi.
Nathan : Ouais ouais, mais même, il nous…
on avait peur de lui, en fait. Et c’est un peu
des deux, en fait. Dans le souvenir que j’ai,
c’est un truc génial, enfin génial…
et quand même la crainte. Parce que je crois
qu’il était saoul, aussi, enfin. Voilà
ce que je… Mais ça fait que j’ai
quand même donné mon ac…, enfin
c’est comme si j’avais laissé la
porte ouverte, enfin… Y a ce côté-là,
et c’est surtout après, enfin, il m’a
violé, en fait. Et là, c’est là
le pire. Peut-être que je me souviens…
Lise : Mes souvenirs, à partir du témoignage
que j’ai entendu, mais je prévoyais de
le dire, quand j’étais petite, on me
disait toujours… Bon, j’étais dans
une famille nombreuse, on était 10 enfants,
je suis la septième, « Toi, tu iras en
maison de correction ». Ca, on me l’a
dit je ne sais pas combien de fois, et je ne sais
toujours pas pourquoi. Et ça, je crois qu’on
ne le disait qu’à moi. Et c’est
vrai que la maison de correction existait, notre voisin
avait un fils qui était parti en maison de
correction pour avoir volé, c'est l’histoire
que Jean Genêt écrit, c’est la
même chose… Et donc voilà ça,
c’est un point que je n’ai pas encore
éclairci, et par ailleurs, mon frère…
C’est mon frère qui m’a torturée
sexuellement pendant plusieurs années. Il me
faisait peur, il faisait peur à tout le monde
dans la famille, il faisait peur à mon père,
et mon père buvait, ils se battaient par exemple,
mais c’est mon père, mon frère
qui toujours tapait en premier, quoi, qui tapait sur
mon père. Et on avait tous peur de lui, mais
en même temps, c’est… Ce frère
a commencé à trav.… On était
très pauvres et c’est… Il apportait
toujours un peu d’argent ; le père buvait
toute sa paye, il gagnait pas grand-chose mais il
le buvait, et c’était mon frère
toujours qui venait à la rescousse pour soutenir
notre mère qui avait besoin d’acheter
ceci, ne serait-ce que pour manger. Par exemple, il
a travaillé dans une boulangerie, il volait
du pain, c’était pendant la guerre, il
volait du pain en cachette, et il l’apportait
la nuit. A l’époque, les boulangers travaillaient
de nuit, il travaillait de nuit, donc on pouvait rien
lui reprocher ; C’était quelqu’un
à qui on ne pouvait pas reprocher quelque chose,
puisqu’on n’avait rien à manger
il apportait du pain, il apportait un peu d’argent,
il était plus fort, il nous terrorisait tous,
et il me terrorisait. Donc tout ce qu’il m’a
fait, pour moi c’était qu’il avait
le droit. C’était heu… Je dis pas
que je pensais que c’était bien, mais
c’était… Il était le plus
fort, c’était le mec de la maison, c’est…
Et voilà, je crois que… j’ai bien
exprimé la légitimité il me semble,
c’est pas la peine d’en rajouter. Non,
je crois que j’ai bien cerné, là.
Delphine : Je peux te demander une précision
? Enfin qu’est-ce que tu veux dire quand….
Pourquoi il faisait peur à tout le monde. Pourquoi
est-ce que vous vous aviez tous peur ? Il était
dur avec les autres enfants, avec ses frères
et sœurs ?
Lise : Heu… Enfin moi, j’en avais une
peur… Par exemple, il était… Même
plus tard, on… mes sœurs l’appelaient
« le gros », bon, il était un peu
fort. Il a toujours eu des surnoms, le gros…
Je me rappelle plus ta question…
Delphine : Ben c’était pourquoi vous
en aviez peur, vous ? Pourquoi vous en aviez déjà
peur quand tu as commencé à …
t’as parlé de tortures sexuelles. Vous
aviez tous déjà peur de lui, mais pourquoi,
qu’est-ce qui…
Lise : Ben un exemple. J’me souviens avoir été
à l’école, et tout au long de
l’année, c’était la mode
de la corde à sauter, du palet, etc., d’autre
chose, et j’avais pas de corde à sauter
comme les autres petites filles, et j’avais
trouvé une ficelle, et j’étais
partie à l’école. Sur le chemin,
j’étais fière d’avoir cette…
c’était vraiment une ficelle. Et je sautais
à la corde en allant à l’école
avec cette ficelle, il m’a doublée, il
était en vélo, le vélo de son
patron parce qu’il faisait des livraisons, et
il m’a dit… Là, j’étais
terrorisée : « Tu rapportes ça
à la maison, mais immédiatement ».
Là, je me rappelle avoir fait demi-tour et
avoir été déposé la ficelle
à la maison, par exemple. Et ça, j’aurais
pas pu ne pas lui obéir. Voilà. Je crois
ce qui lui donnait une certaine légitimité.
Pour ma sœur aînée aussi, elle a
travaillé dans un hôtel, elle volait
aussi des choses, bon ben des petites choses pour
manger quoi, mais on l’aimait… on l’aimait
pas, enfin. Et en même temps, la légitimité
que je lui accordais, certainement encore, c’est
qu’il était malheureux à cause
de mon père, voilà. Mon père
rendait malheureux tout le monde, et lui aussi. Donc
heu… Et puis il aimait beaucoup notre mère,
il l’aidait. Tout ce qui pouvait aider notre
mère, il lui donnait de l’argent de son
travail. Et ça, quand y a pas d’argent
et que quelqu’un en apporte, on l’estime,
quoi !
Viviane : Est-ce que je peux poser une question ?
Est-ce que justement parce que tu le… tu as
accepté ce qu’il a fait parce que tu…
d’un sens tu le respectais parce qu’il
était celui justement qui, heu… l’aîné,
qu’il avait un petit peu le rôle de ton
père parce que ton père était
défaillant, et que t’as accepté
juste pour heu…. Enfin, accepté entre
guillemets… Je sais pas si j’arrive bien
à exprimer ma question mais heu…
Lise : C’est-à-dire que ce qu’il
se passait, c’était la nuit, donc je
pense que je dormais, et donc il attendait que je
dorme pour heu… ça me réveillait.
Ce qu’il faisait me réveillait. Mais
faut dire que le lit de mes parents était à
deux mètres de ce… de notre lit entre
guillemets. Donc, mais c’est avec le recul que
je me suis dit, heu, il faisait comme mes parents
faisaient ensemble, je pense, il faisait avec moi
ce que…, il essayait, en tout cas. Quelque chose
comme ça. Et en même temps… pour
moi c’est complètement opaque la mémoire
de ces moments-là. Je suis sûre j’ai
des moments clairs où je sais… Une fois
je lui ai dit « Arrête ou je le dis à
maman ! », mais… là, il était
entrain de mettre son sexe dans… Mais je sais
que plusieurs fois j’ai été réveillée
à minuit, il essayait de me faire quelque chose,
quoi.
Virginie : Il avait pas de petite copine ?
Lise : Qui, lui ?
Virginie : Oui. Enfin, j’dis, c’est sans
rapport, mais est-ce qu’il avait des petites
copines ?
Lise : Il en a eues qu’il appelait… Il
disait « mes souris », mes « giskettes
» en parlant des femmes, d’une seule fille
qu’il connaissait. Voilà. Je crois, à
part notre mère qu’il adorait, entre
guillemet, je crois qu’on était…
On valait rien… Y a que lui qui valait à
ses propres yeux, et finalement il imposait cette
image, quoi.
Delphine : Et cette affaire, de la maison de correction,
ce que tu dis « T’iras en prison, t’iras
en maison de correction », c’est…
Pourquoi, on te…
Lise : Je ne sais pas. C’est bien plus tard
que je cherche à savoir pourquoi… pourquoi
? est-ce que j’étais plus dure que les
autres ? On se suivait de très prés,
on avait…. J’ai pas entendu, j’ai
pas de souvenir qu’on l’ait dit à
mes autres sœurs.
Nathan : Sur les histoires de prison, c’est
que, c’est en fait, si j’obéis
pas, ben j’vais aller en prison. Mais c’était
pas… Il disait pas j’irai en prison quand…
sur la sexualité. C’était plus
un cadre. Pour moi, c’était si j’obéis
pas, mais… Moi, j’avais vraiment peur.
C’est ça, en fait, ils font peur…
J’avais peur de l’extérieur. On
était retranché, en fait, chez nous.
Ils font peur… On avait peur de l’extérieur.
Et on peut pas aller, en fait. Déja un intérieur,
c’est déjà dangereux ; à
l'extérieur, ça doit être encore
pire. C’est ça, en fait.
Annabel : Ce que j’ai toujours ressenti enfant,
heu… Moi, j’avais ni frère ni sœur,
donc heu, j’étais toute seule, avec mes
parents et ma grand-mère, dans un appartement
immense, dans lequel j’étais très
malheureuse, à cause de ce qu’il me faisait,
à cause de la solitude, parce que ma mère
était tout le temps enfermée dans sa
chambre, il ne fallait pas la déranger, elle
s’occupait pas du tout de moi. Mais j’avais
très très peur, donc j’avais très
très peur tout le temps. C’était
pas consciemment lié à papa, j’étais
tout le temps dans l'état de trouille, et j’avais
très très très peur du monde
extérieur. Quand il a fallu aller à
l’école, c’était hyper dur.
Quand on m’a envoyée, heu… Ca s’appelait
pas des « colonie de vacances », c’était
très très cher et très chic.
C’était « Home d’enfants
en Suisse », et c'était… et après,
j’étais toujours étonnée
qu’il ne se passe rien, que le danger il n’arrive
pas. Mais heu, ce sentiment là, de peur, pour
moi à l’intérieur déjà,
mais dehors, qu’est-ce que ça doit être
!
Le psychologue : Juste effectivement. Si quelqu’un
veut intervenir, puis après, ça sera
la dernière personne avant qu’on passe
au thème suivant, puisque là, on est
vraiment dans le timing qu’on s’accorde
à chaque thématique de manière
à ce que ça ne soit pas déséquilibré.
Nathan : Non, c’était juste en une phrase.
Quand on est à l’extérieur, on
fait tout par rapport à la famille. Je sais
pas comment dire, en fait. On fait tout, la moindre
chose, on se demande comment ça va être
perçu, si ça se sait, heu, chez mes
parents. C’est des trucs comme ça, en
fait. Tout est contrôlé. On doit rendre
des comptes. Voilà ce que je…
Virginie : Ben moi, c’est un peu différent,
parce que comme mon père ne vivait pas avec
nous, donc j’avais pas à obéir
par rapport à la table, j’avais à
obéir à rien. Tout ce que je savais,
c’était que c’était mon
père. Et en fait, la légitimité,
j’avais peur ni de la prison, ni… nan
nan. C’était plus ma mère qui
me disait que j’irais en internat, etc. pareil,
mais heu, lui, non, j’ai pas eu le côté
autorité, flicage du père. Par contre,
la légitimité s’est jouée
plutôt dans une espèce d’image,
heu…
[Changement face cassette]
Virginie : Quand on disait quelque chose ou quand
on n’est pas content parce que sa mère,
heu, j’sais pas quoi… je me disais : «
Ben ouais, si mon père était là,
nanani, etc. », donc en fait, mon père
symbolisait à la fois le bon dieu, le père
Noël, Goldorak, enfin tout ce qui pouvait être
positif par rapport à ce qui pouvait m’arriver
de négatif. Et comme avec ma mère c’était
tout le temps négatif, je faisais appel dans
ma tête tout le temps à mon père.
Et en fait, en plus, il apparaissait un peu comme
par magie, parce que évidemment il ne venait
jamais, sauf de temps en temps, j’avais ce souvenir,
où ça sonnait à la porte, il
ne prévenait jamais, il s’inscrivait
devant la porte, là, comme par magie, enfin,
c’était quelque chose de magique, c’est
le… J’ai une image du Bon dieu, tout ça,
c’était un peu mêlé. Donc
la légitimité tient dans ce seul mot…
donc quand ça a… quand il a fait ça,
donc je devais avoir onze ans, donc j’avais
pas peur, car je savais qu’il m’enverrait
ni en internat ni rien, mais tout ce qui pouvait émaner
de lui ne pouvait qu’être positif à
cause de cette image que je m’étais fabriqué
que de son côté c’est bien, alors
que c’est l’enfer à la maison,
quoi. Donc c’était purement moi qui m’étais
mise dans cette logique.
Le psychologue : Merci beaucoup. Alors une question…
On a l’habitude de faire une pause. Au niveau
de l’atelier, est-ce que vous voulez faire une
pause maintenant ou est-ce qu’on la fait après
le deuxième sous thème. En sachant qu’effectivement,
on n’arrête pas un sous-thème pour
faire la pause. Je vous pose la question, ou on prend
10 petites minutes maintenant, ou on les prend à
la fin du deuxième sous thème, comme
vous le souhaitez.
[Pause]
2- L’opposition
verbale ou physique s’est-elle éventuellement
associée ou dissociée à un ressenti
de type corporel.
Le psychologue : Deuxième
sous thème, donc que je vous rappelle : L’opposition
verbale ou physique s’est-elle éventuellement
associée, ou dissociée, à un
ressenti de type corporel ?
[Brouhaha d'incompréhension]
Le psychologue : La question en fait…. Plus
simplement, l’opposition verbale ou physique
qu’il a pu y avoir de la part des victimes,
je veux dire, par rapport à leur agresseur,
est-ce que cette opposition les victimes ont remarqué
que ça s’associait, simultanément,
à un type de ressenti corporel particulier.
Ou, est-ce que effectivement, ce ressenti de type
corporel, s’il existait, était dissocié
dans le temps. C’est-à-dire qu’il
pouvait apparaître ou avant, ou après…
Virginie : Mais dans la notion opposition/accord psychologique
et plaisir/ déplaisir corporel…
Delphine : (rires) C’est du chinois !
Virginie : Corporel, tu veux parler du plaisir/déplaisir
?
Le psychologue : Eventuellement ! Attention, quand
on est dans le ressenti de type corporel, il est pas
forcément dans la notion de plaisir ou déplaisir.
C’est une des dimensions du ressenti corporel.
Mais, je veux dire, ça n’est pas forcément
le seul.
Nathan : A l’époque des faits ?
Le psychologue : Oui. A l’époque des
faits.
Delphine : S’agissant des faits, même
!
Virginie : Oui, c’est ça, la question,
même !
Julie : J’ai ressenti quelque chose très
récemment ; c’est que en fait, je fais
de la Batoukada, donc je suis avec… C’est
des percussions brésiliennes, et il y a des
caisses de terre, dans l’orchestre, donc c’est
avec deux bâtons et on tape comme ça
[geste pour montrer comment on tape]. Et à
la dernière répétition, ça
m’a fait tout bizarre, parce que heu, j’ai
senti que le fait d’être comme ça
raide, et le fait de tenir, tenir, tenir, ça
m’a rappelé quelque chose. J’ai
vu ma thérapeute hier, après, et j’ai
compris, quoi. Pendant que mon grand-père m’avait
sur ses genoux, heu, et que heu, il se satisfaisait,
toute ma partie supérieure, en fait tout ce
qui était au dessus du sexe, heu, c’est
comme si ça s’est brisé en deux,
quoi. C’était… il faut tenir, quoi
! Ca s’est raidi heu d’un coup, et heu,
plus rien penser. Il faut plus rien penser. C’est
comme si tout le haut, j’étais partie
ailleurs, quoi. C’était… j’ai
vraiment senti ça très fort, quoi, et
heu, souvent on me dit aussi que je suis très
raide, je suis assise, et j’ai du mal aussi
quand je suis chez les gens et que j’ai du mal
à m’asseoir, à me laisser aller
dans un canapé. Je suis toujours… Bon,
maintenant je commence un peu à relâcher
ça, mais… Et j’ai eu aussi des
maux de dos très fort autour de 7 ans, donc
comme j’arrive pas encore trop à situer
l’âge auquel, à quelle époque
ça s’est passé, moi je l’associe
un peu à ça. Je pense que ça
devait être un peu lié, j’avais
des infections aussi, urinaires. Et voilà,
je crois que… Toujours très… Mais
cette raideur, cette raideur dans le corps. Ca a été
quelque chose qui vraiment… ça a un lien
direct, quoi.
Viviane : Moi également, j’étais
assez pétrifiée. En fait j’ai
dit non, et après c’était dans
ma tête, je criais, et y avait rien qui sortait
de ma bouche, donc heu, et même après,
dans ma vie après, à chaque pénétration,
j’étais toujours très stressée,
très raide, et… ça m’est
resté un bout de temps. Par la suite moi aussi
j’ai eu des problèmes, j’ai eu
des cellules précancéreuses au niveau
du col de l’utérus, il a fallu que je
me fasse opérer, et y a quelqu’un qui
m’avait dit que de toute façon, on est
toujours puni par là où on pèche.
Et heu, pour moi, j’associais ça à
ce que j’avais subi, en fait. Et c’était
la punition de ne pas avoir crié plus fort
mon désaccord, de peut-être m’être
trop crispée, trop… de ne pas…
que mon corps ait refusé ça, à
ce moment-là, et du coup, j’ai eu toute
cette… tout ce problème après.
De la même façon lorsque j’entendais
certains mots que mon père m’avait dit
du temps où j’étais mariée,
je me re-crispais. C’est-à-dire qu’instinctivement,
quand mon ex-mari me faisait le même type de
remarque, la même position, je pouvais plus,
je me re-crispais complètement, et lui ne comprenant
pas, continuait ce qu’il avait à faire,
et en fait, bon c’était… j’étais
plus d’accord, quoi, j’étais plus
à l’aise pour pouvoir continuer, et c’est
vrai que c’est vraiment la partie du ventre
qui est crispée et la tête aussi. Bon,
là c’est plus corporel, mais c’est
vraiment psychologique. C’est-à-dire
que on… on…, dans ces cas-là, je
refuse… par la douleur. Et c’est vrai
que j’ai associé mon problème
du col de l’utérus à ça.
Ca n’a peut-être certainement rien à
voir, mais souvent on m’avait raconté
: « tu es puni par là où tu as
pêché » et c’est vrai qu’à
la limite, je culpabilisais de ne pas peut-être,
d’avoir laissé plus faire ou heu…
Delphine : Qui disait ça ?
Viviane : Oh, beaucoup de gens autour de moi disaient…
voilà, me disaient ça, et moi ça
m’était vraiment resté dans la
tête. Et quand j’ai eu ce problème-là,
j’ai eu du mal à voir mes enfants également,
c’est vraiment par… c’est vraiment…
vivre même cette expérience avec mon
ex-mari, par ces mots, ces attitudes, certains gestes
qui étaient répétitifs par rapport
à ceux qu’avait eu mon père, ça
recommençait, je n’y arrivais pas. J’étais
vraiment crispée, et heu… j’acceptais
plus, en fait. Et c’est vraiment au niveau effectivement
du ventre, et à chaque pénétration
c’était… ça faisait mal,
c’était… voilà.
Delphine : T’as dit au début, y a une
fois au moins où t’as dit « non
».
Viviane : Oui. Puis après, y a plus eu aucun
son. Les autres fois je me rappelle pas si j’ai
dit « non », mais la première fois,
quand il est venu dans ma chambre et qu’il m’a
dit « Tournes-toi », j’ai dit «
non ». Et après, plus rien. Après,
c’était vraiment dans mon… Je criais
intérieurement, mais y avait plus aucun son
qui sortait.
Sidonie : C’est la phrase « Tournes-toi
» qui me fait rebondir, puisqu’il m’a
dit la même chose, mais j’ai pas dit «
non », mais faut dire qu’avant, il m’avait
culpabilisée en disant que j’étais
une petite putain comme ma mère, parce que
je l’avais regardé et je disais «
bisous ». Il m’a dit : « Tournes
toi, tu n’es qu’une petite putain comme
ta mère », il a d’abord dit «
Tu n’es qu’une petite putain comme ta
mère » et puis « Tournes toi et
mets ta chemise au mur ». Et après j’ai
plus de souvenir, si ce n’est le lendemain matin
quand je me suis réveillée et que j’étais
seule dans le lit. Mais il ne me serait jamais venu
à l’idée que j’aurais pu
dire « non », parce que de toute manière
j’étais punie déjà. Ma
punition c’était de… j’avais
osé le regarder et se déshabiller, et
donc ma punition c’était d’être
tournée contre le mur. Ca ne m’était
jamais venu à l’idée que j’aurais
pu dire non. Je crois que c’est ça qui…
qui me surprend. On ne peut pas dire non à
une sanction d’un adulte. Et puis il y a une
punition puisque j’étais…
Lise : Moi, je dois dire que je ne me rappelle pas.
La question, je ne l’ai pas bien pigée.
J’entends les témoignages, et je n’arrive
pas à faire de lien avec la question qui a
été posée. Je veux bien la réentendre…
Le psychologue : L’opposition verbale ou physique
qui a été celle de la victime, est-ce
que cette opposition s’est associée à
un ressenti de type corporel qui a pu être effectivement
de la douleur ou de la raideur, comme il a été
dit, ou est-ce que ça s’est effectivement
dissocié à un ressenti de type corporel,
c’est-à-dire qu’il y a eu un ressenti
de type corporel, je veux dire, qui finalement est
apparu, mais… ou qui apparaissait avant ou après
l’abus.
Delphine : Moi, je vais répondre. Est-ce qu’il
y a eu opposition ou est-ce que je me suis débattue,
par exemple, parce que j’ai essayé de
lui péter la gueule à mon grand-père,
quand j’étais bébé, non.
Est-ce que j’ai gueulé, est-ce que je
me suis… est-ce j’ai dit « non »,
je ne savais pas le dire, je ne savais pas parler.
Et puis je ne crois pas avoir pensé quoique
ce soit. Je pense parce que par la suite… de
temps en temps il arrivait dans la chambre en pleine
nuit en aboyant, donc de toute façon, je veux
dire, pas la peine d’essayer d’avoir une
conversation raisonnée, on n’était
pas dans le raisonnable, donc heu, je subissais vraiment
à 100%. C’est-à-dire… mais
non, pas à 100%, parce que j’avais…
justement, ce qui m’appartenait, ma part active,
c’est ce que je pouvais ressentir, ce que ça
me faisait, oui, ce que je pouvais ressentir, alors
une espèce d’une terreur, mais incommensurable.
Une… la douleur, je m’en rappelle un peu,
mais c’était pas… C’était
des tortures, viols quand on est tout petit par un
colosse, ça fait mal, mais c’était
rien comparé à une terreur qui envahit
tout. Mais là où… j’ai coupé…,
j’ai l’impression que la dissociation,
c’est plus l’intérieur de ma tête,
d’un côté, puis le corps qui restait
en entier, mais le corps et le ressenti, qui étaient
séparés. Le ressenti et la pensée
étaient dans un sens, et puis tout le corps
était ici, était là, de toute
façon… et heu… comme ressenti,
j’ai eu du plaisir. Je préfère
le dire tout de suite, ça fait une semaine
que j’en suis malade de savoir qu’il y
a cet atelier sur le thème et que… Alors
un plaisir qui est… je ne sais pas quoi en dire,
parce que c’est un peu inimaginable, en fait,
donc c’est un peu difficile à…
à dire. Parce que c’était des
tortures, c’était extrêmement violent
et brutal la plupart du temps, c’est dans ces
moments-là que ça me déclenchait
une sorte de plaisir physique, mais heu… sensuel,
mécanique, mais en même temps, le plaisir,
quand on a deux ans, trois ans, quatre ans, c’est
pas la même chose que quand on est adulte. Mais
je sais pas, c’est une sorte de … peut-être
un truc d’excitation quand même, ou un
truc… J’en sais rien, mais je me suis
toujours dit, mais ça je m’en rappelle
plus, quand on prend par exemple un petit enfant,
et on le jette comme ça et on dit « oui,
mais pour jouer », ça fait comme les
montagnes russes, et du coup avec les tortures qu’il
m’infligeait, c’était peut-être
ce genre de plaisir sensuel aussi, mais avec une violence
inouïe. Et comme opposition, alors y a un seul
truc dont je me souviens, mais c’est…
ça m’a désespérée
après, donc c’est pour ça que
c’est dur, c’est que à un moment,
j’étais un peu plus vieille, je devais
avoir quatre ans, ça faisait déjà…
quatre ans, quand ça fait déjà
deux ans que ça dure, c’est presque toute
ma vie, quoi. Et j’ai réuni toutes mes
forces, je me suis dit « non, là…
», comme quoi je devais quand même…
je me dis je m’étais opposée,
et je me suis dit « Je vais lui faire mal ».
C’est un souvenir qui m’est revenu en
analyse, à partir d’un rêve, et
je me revois lui attraper… essayer de lui serrer
de toutes mes forces les couilles en me disant que
ça va lui faire mal et voilà il va me
foutre la paix, un truc comme ça. Toutes mes
forces, toutes mes forces, toutes mes forces, en y
mettant toute ma rage ! Et le souvenir que j’ai,
c’est que d’abord c’était
tout mou et qu’en fait ça la fait durcir,
sa, son… testicule, et que du coup ça
n’a pas du tout produit l’effet que j’imaginais,
en fait. Rétrospectivement, je sais que puisque
ça devenait dur, c’est que ça
l’excitait, en plus ça devait pas être
du tout beaucoup de force et tout, quoi, et que j’avais
l’impression que je mettais tout, et que ça
allait marcher, que j’y avais beaucoup cru,
et qu’après ça m’a…
J’ai plus jamais essayé, d’abord
! J’allais plus essayer de faire autre chose,
j’avais tout mis là-dedans, dans ce geste.
Voilà, c’était ma façon
à moi de… Et après, heu, non,
ce n’était pas une opposition donc verbale,
je ne pense pas avoir jamais, ni même couiné,
je ne me souviens pas de ça, aucun son.
Virginie : Moi, en fait, ça s’est passé
en deux fois. Donc la première fois, la première
fois qu’il a fait ça, j’avais onze
ans et demi, et heu, justement, ça a trait
à la légitimité, heu, ça
me revient juste, il m’a dit : « C’est
parce que ma femme n’est pas là. »,
donc j’ai quand même compris qu’il
y avait une légitimité de ça
et donc en fait, il a… moi j’étais
super contente de le voir, de passer une semaine de
vacances avec lui, donc ben j’étais aux
anges, je me fourre au lit, je le serre de partout,
etc., enfin normal, quoi, super contente, je l’ai
pas vu depuis dix ans, y a de quoi, enfin quasiment
pas, et puis donc câlins, câlins, câlins,
et donc, lui me fait des tas de câlins, et puis
là, effectivement, les câlins, ça
redescend sur le ventre, et là, en fait, à
ce moment-là, quand c’est arrivé
sur le bas-ventre, je me suis dit qu’il y a
avait un truc de pas normal, effectivement, je savais
pas quoi, je n’avais pas de sexualité
à l’époque, donc je ne savais
pas, et là, y a entre cette sensation «
C’est mon papa je l’aime j’ai envie
de câlins », et « y a un truc pas
normal », ça m’a fait comme un
espèce de… effectivement, quelque chose
de vraiment pas loin de psychotique, effectivement,
y a une dissociation, c’est vrai que c’est
sur le ventre, j’ai senti qu’il y avait
comme un… comme si mon ventre devenait…
parce que justement il avait démarré
sur le ventre, devenait complètement creux,
comme si c’était un trou, en fait. Y
avait plus de matière. Et je le rentrais un
maximum, parce qu’en fait, je voulais me dégager.
Y avait une partie de moi qui restait là, qui
disait « Ben c’est mon père et
il a le droit », y avait une partie qui devenait
creux, en fait, une non matière, c’était
bizarre, je l’ai vraiment ressenti comme si
le… le matelas était par terre, et c’était
comme si je m’enfonçais dans le sol et
dans la non matière, quoi, c’était
cette espèce de truc bizarre, et heu…
après, j’ai quand même, j’ai
rien dit, j’ai attendu, ça durait, et
puis après, quand il m’a mis sa main
sur un truc mou que j’ai pas identifié
comme étant sa queue qui bandait pas, parce
que j’avais jamais touché, donc à
ce moment-là, j’ai juste senti que c’était
une peau bizarre et que c’était pas normal.
Et là, à ce moment-là, j’ai
eu la force de lui dire d’aller prendre une
douche froide. Je sais pas pourquoi. J’ai pensé
que ça le calmerait, mais je sais pas exactement
de quoi, et… alors il s’est levé.
Et c’est là qu’il m’a dit
dans un souffle « C’est parce que ma femme
n’est pas là ! » et donc j’entends
bien la douche qui coule, et là je suis pétrifiée,
j’entends la douche qui coule, je me dis «
Tant que la douche coule, ça va, je suis hors
de danger ». Voilà.
Le psychologue : Merci
Virginie : Un peu comme heu… Justement elle
coulait pas fort…
Viviane : Y a autre chose aussi que je voulais rajouter,
c’est que comme tout le monde dormait pendant
ce temps-là, y avait aussi le… peut-être
par la honte, la culpabilité ou je sais pas
quoi, mais le fait de ne pas réveiller les
autres aussi, ma mère, mon frère, parce
que le petit n’était pas encore né,
donc peut-être que effectivement j’ai
crié intérieurement pour éviter
de réveiller tout le monde. Donc heu, même
si je savais plus ou moins que c’était
pas… qu’il ne fallait pas faire ça,
c’était quand même, il ne fallait
pas réveiller les autres, c’était
clair. Et, heu… je suis désolée
de dire ça aussi, mais… c’est vrai
qu’après, y a comme une espèce
de… pas de fierté, mais un peu petit
peu, parce qu’on se sent peut-être…
passer de l’enfant à femme, en fait.
Même si c’est avec son père, y
a quand même le passage dans le monde des grands,
par l’acte. Même si c’est pas forcément
avec lui que j’aurais voulu, mais y a ce passage
quand même. Et donc quand même, malgré
que ce soit lui, y a quand même cette fierté
de passer de… d’adolescente à l’état
de femme. Même si ça faisait mal.
Julie : J’ai juste une deuxième chose.
C’est que quand j’ai revécu les
moments avec mon père, heu, qui se satisfaisait
sur moi donc avec le sexe sur mes partie génitales
quand j’étais petite en fait, j’ai
l’impression que j’arrivais pas encore
à marcher, et que je pouvais pas trop bouger.
Moi j’ai senti en fait que je… au moment
où ça s’est passé, heu,
donc du plaisir. Ca a été horrible de
ressentir ça, donc la terreur et le plaisir
mélangés, le plaisir là en bas,
et la terreur partout, quoi. Et aussi, après,
je me suis sentie, comme si je me laissais mourir,
en fait, comme si je remplissais mes bronches, et
que je savais qu’il y avait quelque chose de
terrible qui était arrivé, et que je
m’en allais, que je… je voulais mourir,
j’avais très froid, et je me remplissais
vraiment les bronches et ce qui m’est toujours
resté, c’est que j’ai toujours
un peu des problèmes dans les poumons, les
bronches, une toux, quoi, un peu chronique. Aujourd’hui,
c’est quelque chose dont j’arrive pas
trop à me débarrasser, quoi. Donc voilà.
Delphine : T’avais quel âge ?
Julie : L’âge, j’arrive pas trop.
J’pense que j’dois avoir moins deux ans.
J’sais pas quand est-ce qu’on marche ?
A un an, un an et demi. Je pense pas que je marchais
trop, je me sentais assez petite. J’étais
allongée, comme si je devais être changée
ou un truc comme ça.
Stéphanie : Ce que je
me souviens, c’est que quand il venait me chercher,
j’étais sur heu, sur la table, heu, il
avait beaucoup de mal, il y arrivait pas et heu…
comme au bout d’un certain temps, ben ça
a du l’énerver, il prévoyait de…
de… il prévoyait de mettre une chaise,
une chaise de part et d’autre de lui, parce
que apparemment je me crispais vachement, et heu,
et donc c’est pour ça qu’il mettait
des chaises, comme ça moi je mettais mes jambes,
et apparemment, je devais peut-être moins me
crisper, moins me serrer, par contre, ce que je me
souviens, c’est que moi, y aucune notion de
sentiment, de plaisir de rien, j’étais
heu… j’étais comme morte, j’étais
comme… c’est toujours ce que j’ai
dit, je sais que c’était moi, je sais
que… mais je ressentais rien, j’étais
comme une pierre, j’étais comme une pierre
qui regardait cette sacrée pendule, qui est
juste qui attendait. Et je ressentais rien, ni…
Même la police, je leur ai dit… même
lui quand il m’a demandé si ça
me faisait mal, je lui disais « oui »,
alors que c’était pas vrai. Je ressentais
rien, il me faisait pas mal. Alors est-ce que il n’y
avait aucune notion de douleur pour moi ou…,
quand il le faisait, je ne sais pas. Donc….
Et sur l’opposition, c’est… personne
n’a jamais… Personne ne lui a jamais dit
« non », personne ne disait quoi que ce
soit, pas ma mère, surtout pas ma mère
qui est une femme soumise, lui il était chauffeur
routier, donc quand il était là, il
y avait les six enfants dans leur chambre, on n’avait
pas le droit de parler à table, on n’avait
pas le droit de… pas un mot plus haut que l’autre…
Donc heu, l’opposition, je sais pas qui a pu
s’opposer à lui. Même quand je
le vois maintenant, les dernières fois que
je l’ai vu, il était menotté,
encadré de deux flics, ben j’arrive à
avoir peur, quand même. Voilà.
Nathan : Ben moi sur l’opposition, en fait,
ben la première fois, donc je me suis pas opposé
parce que bon, c’est ce que je racontais tout
à l’heure, mais en fait, l’opposition,
c’était plus tout faire pour ne pas me
retrouver avec mon père. Mais sinon après,
la seconde fois en fait, quand je me suis retrouvé
avec lui, heu, en fait je ne me suis pas opposé
du tout, au contraire en fait, j’ai tout fait…
ben là j’avais qu’une peur, quand
il commençait à me faire des attouchements
; j'avais qu'une peur, c’est qu’il continue
à me revioler, en fait. Et il m’a violé,
en fait, comme la première fois. Mais je savais
pas quoi faire… si je m’opposais, j’étais
sûr qu’il allait… c’était
pire, en fait, et donc je me suis pas opposé,
en fait. Mais là déjà, la deuxième
fois, l’histoire de dissociation, là
c’est vrai. Pour moi en fait, c’est que
la deuxième fois, je ressens plus rien. Mon
corps, il peut continuer, ça ne me dérange
pas, les attouchements…. Enfin, ça ne
me dérange pas… c’est pas trop
dangereux, encore. Sinon, s’il me reviole, eh
bien c’est trop… Et même le viol,
en fait, c’est pas… Je me rappelle même
pas pourquoi, c’est un truc, enfin… c’est
une grosse secousse dans la tête ; par contre,
le corps, ça serait plus… après
la première scène, je demande à
ma mère, parce qu’après j’étais
malade pendant au moins… une semaine, je voulais
regarder mon corps, pour voir s’il était
mutilé, en fait. Donc là c’est
le dernier souvenir de mon corps, je me demandais
s’il était mutilé. Après,
en fait, mon corps, je m’en souviens…
c’est fini, après.
Delphine : Est-ce que je peux poser une question ?
Après tu dis t’as été malade
une semaine, mais ta mère, elle…
Nathan : Je me souviens pas trop, en fait. Le médecin
est venu, ils ont déguisé ça
en mal de tête, enfin je crois ! Et je sais
pas, en fait. Moi, j’étais couché
dans… ; enfin dans mes souvenirs j’étais
couché pendant longtemps. J’ai pas été
à l’école. C'est surtout le corps,
en fait. Moi je pensais que c’était…
qu’il était complètement mutilé.
Après, en fait, après, c’est pas
la peur corporelle, c’est la peur de la peur…
ou j’sais pas quoi. Qu’on me bloque, comme
un cerveau, je pourrais même pas m’extraire
de ma tête, en fait. Un truc comme ça.
Autrement je me suis jamais opposé… en
fait après, je me suis pas opposé, j’avais
trop peur en fait. Je savais pas quoi faire pour qu’il
le fasse pas, en fait. Et voilà.
Delphine : A part comme tu dis, essayer de pas être
là, quoi !
Nathan : Ah bah faut tout faire pour éviter,
pour ne pas se retrouver dans la situation. Mais une
fois qu’on est là, et même si ça
se retrouvait, en fait, si ça se répétait
aujourd’hui…Je sais pas me dégager,
c’est souvent… Je sais pas me dégager.
Une fois que je suis pris, même par quelqu’un
qui me pousse un peu, je sais pas réagir. Par
contre, je sais très bien réagir avant
qu’il… commence à me retrancher.
Ca, c’est des trucs bizarres. Une fois que je
suis pris, je perds un petit peu les pédales.
Par contre il faut m'y mettre, c’est pas facile.
Une fois que je suis dedans, c’est fini !
Sidonie : Ce que j’ai entendu, je me sens très
proche de ce que tu racontes comme vécu, et
beaucoup plus éloignée de ce qu’ont
vécu les femmes qui sont là, tu…
Tu me renvoies un truc, ben alors, qui est plus un
vécu masculin que… qu’un vécu
féminin (rires). Qui s’explique par le
fait que j’ai été violée
par l’anus et que j’ai donc… et
que j’ai été intacte sur le plan
vaginal, et que ça m’a donné une
sensation… alors est-ce que physiquement, sensation…
comme ce que tu racontes, moi toute suite, dans la
nuit où je ne me souviens pas, le lendemain
matin, j’étais… je pense pouvoir
dire que j’étais quelqu’un d’autre.
C’est-à-dire que je n’avais plus
qu’un corps baladeur, et qu’en apparence
peut-être que j’étais encore une
petite fille, mais mon corps était baladeur,
il n’existait que par le regard des autres,
et je sais donc que j’ai été mutilée,
puisque la dame qui me gardait m’a soignée,
donc je sais que si elle m’a soignée,
c’est qu’il y avait quelque chose et que
sa petite fille était très intriguée
par le fait de l’endroit où elle me soignait,
et que quand on allait faire pipi dans les fourrées
toutes les deux, elle voulait regarder mes fesses.
Et c’est ça maintenant qui me faisait
souvenir que j’avais un corps existant puisque
cette petite fille voulait le voir et voulait voir
cette partie-là qui intéressait…
sa maman, et… bon. Ca me sert de point de repère.
Mais à partir de là, je sais que je
n’ai plus eu de corps jusqu’à très
longtemps après un travail d’analyse
où j’ai récupéré
mon corps par petit morceau. Mais c’est là…
Toutes les notions de plaisir supposé…
et la même sensation que ce que tu dis, c’est
qu’avant qu’on me prenne, alors là,
ils peuvent courir ! Mais à partir du moment
où je suis prise, heu, alors là, ben…
je n’existe plus. Donc je suis seule à
courir dans la vie, toujours très vite pour
que jamais personne ne me rattrape, quoi ! Et pour
jamais être prise encore. Et je me pose beaucoup
de questions pour ma vieillesse, quand je pourrais
plus courir aussi vite ! (rires)
Viviane : Est-ce que je peux dire un mot ? C’est
vrai qu’en parlant de destruction, heu, on est
tellement détruit à ce moment-là
que moi j’ai fait l’effet inverse, c’est-à-dire
que comme j’étais bloquée à
ce moment-là, j’ai voulu peut-être
me salir encore plus, ou voir si ça faisait
la même impression, mais j’ai eu énormément
de… d’aventures entre guillemets, enfin
de relations avec des garçons pour voir si
effectivement, j’avais le même ressenti.
En fait je ressentais rien. Mais bon, c’était
un petit peu aussi pour continuer dans la destruction
qui avait été faite, et… Mais
c’était pas la même impression
au niveau sensation. C’est-à-dire que
là, c’est moi qui me détruisait,n
c’était une volonté supplémentaire,
alors que ce qui s’était passé,
on m’avait imposé cette destruction,
et ma réaction a été celle-là,
de m’enfoncer encore plus, de voir si c’était
les mêmes, le même… la même
crispation. J’sais pas si ça existe,
ce mot-là, mais bon, c’est pas grave.
Le même stress au niveau du ventre qu’avec
mon père, et en fait non. Et après j’ai
eu encore d’autres moyens de destruction qui
étaient autres, où là j’ai
carrément bifurqué dans la drogue. C’était
plus un appel au secours. Et finalement, après,
j’ai arrêté mes bêtises…
d’avoir des relations comme ça, assez
intempestives, jusqu’à ce que je sois
mariée. A partir du moment où j’ai
divorcée, là c’est pareil, j’ai
eu un effet… un effet inverse, en fait, où
il a fallu que je fasse des choses que j’avais
jamais faites, que… donc j’ai eu des relations
aussi très poussées… je vais pas
rentrer dans les détails parce que c’est…
mais pour voir si… si le plaisir existait vraiment.
Parce que même quand j’étais avec
mon mari, en fait, je n’ai pas connu de plaisir.
Parce que je crois que ça m’a bloquée
complètement, et en fait, là avec mon
compagnon actuel, je sais que maintenant, le plaisir
existe parce que je l’ai regagné, mais
la façon de faire n’étant pas
la même… Et je crois que psychologiquement,
j’étais enfin prête à faire
la dissociation entre ce qui s’était
passé avant et ma vie actuelle, et je crois
que c’est vraiment très psychique et
maintenant je suis… c’est vrai que je
suis vraiment détendue au niveau du ventre,
et j’ai plus ce problème, en fait. Et
aussi, ce que je voulais rajouter, c’est que…
ça n’a peut-être rien à
voir, mes deux premiers enfants, je les ai eus sous
péridurale, je n’ai pas souffert de l’accouchement.
Mon troisième par contre, je n’ai pas
eu de péridurale, et là ça a
été une grosse douleur comme toutes
les femmes le savent quand elles accouchent, mais
heu… En fait c’est peut-être ce
moment-là où j’ai eu mal mais
où… où le fait que ça sorte
en faisant mal, qui m’a peut-être libéré
pour mon plaisir futur lors de mes relations. C’est-à-dire
que là ça rentrait plus, ça sortait.
Et ce passage de… même si c’était
un accouchement, un accouchement c’est beau,
mais cette couleur que j’ai pu ressentir, c’était
l’extraction de tout ça de mon corps.
Voilà ce que je peux en dire.
Delphine : J’ai besoin juste de dire un truc
parce que ça me… ça me noue !
Je sais pas exactement ce que tu as voulu dire, mais
je pense que ce que je ressens n’est pas exactement
calé sur ce que tu as dit, mais sur ce que
ça me… Y a quelque chose qui me…
je me sens en défense et tout… Le plaisir
que j’ai ressenti, c’est pas un plaisir
comme dans une… C’est pas une relation,
enfin c’est pas parce que… c’était
pas vraiment les gestes de mon… Si, c’était
ce qui se passait, mais c’était…
on peut pas dire c’est lui qui m’a donné
du plaisir, tu vois, c’est ça ! C’est
heu, y en a eu, ça a procuré mécaniquement
ou physiquement, ça a provoqué une réaction
d’excitation, et du plaisir, ça c’est...
Mais voilà, c’est pas lié ni aux
gestes… enfin, c’est pas ses gestes à
lui… D’ailleurs c’était pas…
(Brouhaha) Et que ce que je voulais ajouter aussi,
comme je reprends les mots que tu as dit, j’ai
surtout été violée comme un garçon,
aussi, comme peut-être ce qu’on lui a
fait à lui. Donc c’est les deux choses,
quoi, la douleur était là, parce que
ça fait très mal, mais aussi ça.
Mais ça, justement, il m’a fallu du temps
pour me… pour arriver à faire le ménage
dans ma tête, sur ce que c’était
que ce plaisir et puis comprendre que c’était…
C’était pas seulement un truc mécanique,
c’est que, après… Après
j’arrête de parler, mais j’ai…
en analyse il m’est revenu un moment que ce
qui me procurait pas de l’excitation mais une
certaine forme de… de plaisir, c’était
que je voyais bien à certains moments que lui
il était content, et que moi j’étais
contente de faire plaisir à mon grand-père.
Voilà, c’était aussi un truc bête
de…
Le psychologue : Juste effectivement pour poser juste
un mot, un petit élément de discours,
je veux dire, le ressenti de plaisir est différent
du plaisir.
Delphine : Ah oui ! Ben oui !
(…)
Le psychologue : Je me permets ce que je ne fais jamais,
mais simplement parce que dans le discours, c’est
important.
Delphine : Oui. Oui.
Le psychologue : Cette idée que le ressenti
du plaisir n’est pas le plaisir.
Delphine : Ben j’en n’ai pas ressenti,
dans ma tête y en avait pas de plaisir, tu vois,
enfin, je veux dire ! J’avais pas de ressenti
de plaisir, justement… Enfin si, j’en
avais par ailleurs quand… à d’autres
moments mais justement c’est pas physique, de
voir que je faisais plaisir à mon grand-père,
dans ma tête, à certains moments j’étais
contente, mais par ailleurs quand il y avait dans
mon corps du plaisir, moi je… ça ne gagnait
pas la tête… Ca pouvait être un
moment de grande terreur que ça déclenche
quand même… Ce que je ressentais était
détaché de… de ce qui se passait
à mon corps, de ce qu’il arrivait à
mon corps.
Le psychologue : Pardon, mais c’est pour ça
que dans la question, on avait mis « associé
ou dissocié », c’est-à-dire
ce qui peut être associé au sentiment
de plaisir, peut être complètement dissocié
du plaisir. Et inversement, dans le rapport qu’il
y a entre. Effectivement, ce qui se passe dans la
tête et le rapport au corps et, effectivement,
comme certains, je veux dire, l’ont souligné,
la dissociation qu’il peut y avoir à
ce moment-là entre ce qui se passe dans la
tête et ce qui se passe au niveau du corps.
Nathan : Y a le plaisir corporel et y a un plaisir
mental. Ca pourrait ?
Le psychologue : Ca pourrait être, mais…
Entre le plaisir corporel et un plaisir psychique,
mais comme un ressenti psychique et un ressenti corporel,
aussi. Ce qui est intéressant, c’est
que dans vos différents discours, y a effectivement,
je veux dire, un… tous ces éléments
là.
Lise : Là je veux dire quelque chose qui m’est
venu lorsque j’ai eu la connaissance du thème
de l’atelier, je me suis dit : « Le plaisir,
non, jamais, je l’ai… » Parce que
souvent, mon frère, je le guettais, mais je
m’endormais, et c’était quand je
dormais qu’il enfonçait son sexe, etc.
Et je me souviens d’une nuit où j’ai…
je me souviens parfaitement, comme si c’était
hier, j’avais peut-être 9, 10 ans, j’ai
rêvé que… et dans le rêve,
j’étais heureuse, j’étais
heureuse… je vais dire ce qui m’est…
exactement les mots qui me sont venus quand ce rêve,
je le rends présent : j’ai pissé
sous la fenêtre de la voisine, dans mon rêve
je pissais sous la fenêtre de la mère
Gaëta, et j’étais contente, j’étais
contente, j’étais contente ! Et à
ce moment-là, je me suis réveillée,
et j’ai uriné, je me souviens très
très bien, et c’était de l’urine
chaude, et c’était agréable. Et
là j’ai appelé maman, j’ai
dit « Maman, j’ai fait pipi ! »
donc elle s’est levée, elle a mis un
linge pour isoler de… Et là, après,
pour moi c’est… Je pense, après,
hein, avec le temps, la connaissance que j’ai
maintenant un peu plus, je pense que mon frère
était sur moi à ce moment-là.
Il était entrain d’essayer de me pénétrer,
quoi. Et donc, je pense qu’il m’a…
J’avais un peu, j’avais certainement eu
du plaisir… Le rêve était vraiment
un bonheur de pisser ! Sous la fenêtre de cette
bonne femme. Et je peux pas le dissocier d’un
plaisir corporel, en même temps. Voilà.
Mais j’ai jamais eu de plaisir avec ce que le
frère m’a fait, parce qu’il attendait
que je m’endorme ou… et à ce moment-là,
ça me réveillait, mais autant, c’était
brutal, à chaque fois. Le réveil était
brutal. Sauf cette fois, ou ce rêve-là…
Virginie : Je peux rajouter aussi quelque chose ?
C’est que… donc moi ce que j’ai
fait après, quand j’ai compris cette
histoire de 11 ans, c’est que je me suis dit,
comme mon père m’avait manqué,
je veux le retrouver, et vu qu’il veut apparemment
coucher avec moi, quand j’ai compris que c’était
ça, parce que j’avais pas compris que
c’était sexuel, bon, j’ai oublié
pendant deux ans. Et en quatrième, je me suis
dit « Tiens, c’est un truc sexuel, je
vais le retrouver comme ça ! » Et donc
là, à 20 ans donc, j’ai été
le voir, et je l’ai allumé quoi…
et donc ensuite j’ai eu quelques relations sexuelles
complètement prises dans cette relation avec
lui, mais sans aucun plaisir. Alors ça, j’étais
assez forte avec ça. Je me suis dit : «
Bon, puisqu’il faut en passer par là,
on en passe par là », mais je le faisais
comme une prostituée, que j’ai été
aussi quelque temps d’ailleurs, je sais faire
l’amour sans prendre de… enfin, je suis
très bonne en dissociation. Donc là,
j’ai aucun problème, je peux le faire
de façon professionnelle, et donc je faisais
ça avec mon père. Et… Alors là,
c’est pas compliqué, y a pas de plaisir…
[Changement face cassette]
Virginie : Donc autant le faire avec les hommes, en
me disant, voilà, c’est un job, c’est
ce qu’ils attendent, et par rapport au plaisir,
le seul donc… le truc corporel qui m’arrivait
et où je me faisais avoir, c’est quand
ça m’arrivait d’être un peu
en confiance avec un homme ou qu’il était
un petit peu gentil et que je me laissais aller à
trois secondes et demi de plaisir, là, tout
d’un coup, j’éclatais en sanglots,
ça cassait tout, bon… Et voilà.
Donc ça me tient toujours, je peux pas avoir
cinq minutes de plaisir sans éclater en sanglots,
bon maintenant tout le monde se marre, enfin bon,
c’est une habitude. Mais voilà, c’est-à-dire
que le plaisir est impossible. Par contre, tout est
possible sans plaisir.
Annabel : Qui « tout le monde » ?
Virginie : Non, parce que j’en parle, maintenant
! J’en parle, je le dis, parce qu’il y
a pas mal de filles qui disent heu…
Annabel : Tu dis : « C’est un job ».
Il te payait. De l'argent ? des cadeaux ?
Virginie : Oui, il me payait… enfin dans ma
tête, non, il me payait rien du tout, il m’a
jamais fait de cadeau, il m’a jamais envoyé
rien du tout, de carte d’anniversaire ni rien,
mais c’était une façon désespérée
de vouloir quand même le garder jusqu’à
ce qu’un jour je fasse… je tire un trait.
Annabel : Je pose la question, parce que… alors
là, le souvenir, c'est : je devais avoir au
moins quatre ans ou cinq ans, donc ça faisait
très longtemps que ça durait, mais je
sais qu’il y avait quelque chose que tout l’entourage
de mes parents jugeaient très mauvais, et je
ne comprenais pas pourquoi, tous les jours, mon père,
en rentrant du bureau m’emmenait au Prisunic
et m’achetait un jouet. Tous les jours, un jouet
! Pour rien ! Et j’étais frénétique.
Je veux dire, c’était ma dope. Maintenant,
je le sais. Mais c’était… j’attendais
qu’il rentre, j’attendais qu’il
rentre… j’attendais qu’il rentre.
Il s’en allait, il ne disait pas un mot, il
me lâchait, et je tournais en vrille, et donc
voilà… Et même les vendeuses étaient
hostiles. Je me souviens de cette hostilité
vis-à-vis de moi, heu, avec des mots comme
quoi j’étais trop gâtée,
que mon papa était trop gentil, et… et
ça a toujours été lié,
pour moi, avec… avec un sentiment de…
ben que j’ai donné quelque chose, y 'a
mon cadeau qui doit arriver, mais après il
va falloir recommencer. Voilà. J’ai jamais
fait le lien avec le fait d’être traitée
comme une pute ; j’ai jamais fait le lien, je
l’ai fait bien bien après, heu…
mais c’est en t’entendant dire ce mot
là, « C’est un job », ça
me…
Viviane : Je voulais juste poser une dernière
question. Est-ce que tu crois pas que c’est
un petit peu par vengeance que tu as pu vouloir séduire
ton père ?
Virginie : Ah oui, après, y a les raisons…
effectivement, mais comme c’était pas
le même truc, mais je…
Viviane : De pas subir !
Virginie : Oui, c’est moi qui ai pris le contrôle,
tout à fait, oui, c’est moi qui ai pris
le contrôle.
Le psychologue : Juste, je pense, on va peut être
y revenir. Je vous propose, à cause du temps,
de passer au troisième thème. Mais vous
verrez que les deux dernières prises de paroles
sont assez en liaison avec ça, donc la question
qui était posée était la suivante
: « Notre manière d’agir ou de
réagir dans la situation d’inceste a-t-elle
évolué avec le temps ? »
Annabel : Tu veux dire au cours du temps que ça
a duré ?
Le psychologue : Absolument !
Virginie : Moi, en fait, j’ai répondu,
finalement.
3) Notre manière
d’agir ou de réagir dans la situation
d’inceste a-t-elle évolué avec
le temps.
Le psychologue : Voilà.
Hein. C’est pour ça, je pensais derrière
ta parole passer directement au troisième thème
où effectivement…
Virginie : J’ai pris le contrôle.
Delphine : Moi, je me souviens pas, après.
Je me souviens pour le moment, je me souviens que
quand j’étais toute petite. Je sais par
ailleurs que ça s’est arrêté
quand j’avais peut-être 7 ans, 6-7 ans,
mais toute cette période où je suis
grande, entre guillemets, enfin, je ne m’en
souviens pas. C’est pas encore revenu, donc
je sais pas. Quoi ?
Viviane : Tu t’en souviens pas du tout ?
Delphine : Du tout ! J’me souviens d’une
scène dans la douche, dans la maison de campagne
de mes grands-parents en Dordogne, où je…
Enfin c’est une scène space… C’est-à-dire…
C’est là… En fait c’est le
seul truc dont je m’étais toujours souvenu,
qui n’est pas sexuel, mais qui est pas normal,
on va dire. Donc c’est la douche, j’ai
7 ans quand même, là, je pense. Et je
me douche, et lui, il m’oblige à laisser
le rideau ouvert de la douche, il est assis devant
moi avec sa mine de… les yeux vitreux, il regarde,
comme s’il regardait mais en fait derrière
moi, c’est bizarre, et il est assis, il a mis
un tabouret et il est assis là, et il m’oblige
à… j’ai pas le droit de laisser
couler vraiment la douche, ça fait juste plouc
plouc plouc, tout petit. Et c’est ça,
en fait, c’est une torture. Il m’oblige
à me doucher, avec juste ce petit filet, donc
t’as pas… t’as pas d’eau pour
te mouiller, t’as pas d’eau pour te savonner,
t’as pas d’eau pour te rincer, donc ça…
Annabel : Il reproduit une torture qu’il dit
qu’on lui a fait pendant la guerre.
Delphine : Bon ben… Ben voilà. Ca s’est
une scène, c’est la seule scène,
j’suis grande… C’est la seule truc
auquel j’ai accès comme souvenir de…
que… je suis grande ! A six ans…
Sidonie : La question qu'on a, complicados, là,
vers la fin, c’est quoi ?
(rires)
Le psychologue : Notre manière d’agir
ou de réagir dans la situation d’inceste,
c’est-à-dire dans le temps de ces abus,
a-t-elle évolué ?
Stéphanie : Moi, ce qui a changé, c’est
que… c’est que… ben je devenais
maligne. C’est comme ça que je dis. Parce
qu’un exemple, qui peut paraître bête,
heu, j’étais indisposée, ça
durait longtemps ! Ben oui ! Par contre, quand le
jour, je le criais sur tous les toits dans la maison,
parce que c’était le seul moment où
il me foutait la paix. Donc ça, au fil du temps…
au début, on se fait avoir, et puis après…
je me suis mise à avoir des petites astuces
comme ça, je me suis mise à vouloir
inviter des copines, bien sûr j’avais
jamais le droit mais bon, qui ne tente rien n’a
rien ! Y a aussi cette histoire de momification que
je… au début, c’était juste
sommaire, et puis après c’était
devenu de plus en plus compliqué, c’était
devenu tout un truc pour moi de momifier, parce qu’il
fallait que je me mette sur le vendre, il fallait
que j’ai la tête de tel côté,
les bras comme ça, les pieds comme ça,
la couette de telle manière, la chemine de
nuit, parce que j’avais pas de pyjama, fallait
pas qu’elle soit relevée, heu, y a plein
de… y a plein de trucs qu’ont changé
et par contre, les viols en eux-mêmes, par rapport
à lui, y en a aucun qu’ont changé,
ça s’est toujours passé…
c’était exactement pareil tout le temps.
Donc c’est pour ça que j’ai petit
à petit… y a des fois où…
quand on parle de notion de cadeaux et échanges,
tout ça, je me rappelle qu’une fois je…
tout à fait au début… Parce qu’en
fait, tout le monde avait un vélo et moi, bien
sûr, je n’en avais pas, et il m’avait
promis bien sûr d’avoir un vélo
en récompense de ce qu’il aurait pu avoir,
sauf qu’il se trouve que j’ai eu le vélo,
et il a pas obtenu ce qu’il a voulu. Donc…
Mais ça, par contre, je me souviens que quand
il… qu’en fait je me momifiais à
la fin tellement bien que il lui fallait un certain
pour réussir à glisser la main, que
bien évidemment… par contre il arrivait
pas à m’avoir, parce que je ne dormais
pas, je dormais pas, donc jamais, quasiment jamais
il m’a surprise, et heu, et donc à chaque
fois, si ça prenait trop de temps et comme
il fallait pas réveiller ma petite sœur
qui était dans la chambre, ou les autres, et
bien il me tapait, enfin il me tapait, et encore il
me tapait silencieusement, et il partait. Mais c’est
vrai que par contre, après, au moment de sortir,
j’avais pas le droit de ci, j’avais le
droit de rien faire, il était d’une humeur
massacrante, et c’est que maintenant que tout
le monde comprend pourquoi. Donc voilà, mais
au fil des années, y a quand même des
choses ont changé, mais les viols en eux-mêmes
n’ont… par contre, ça, ça
a toujours été une… une terreur
que les viols prennent une dimension supérieure.
Donc ça c’est…
Annabel : Tu veux dire quoi, « supérieure
» ?
Stéphanie : Enfin, des… y a un mot que
je vais réussir à dire, genre "position",
voilà! le viol était toujours pareil,
sur la table avec les chaises, moi j’étais
toujours pareil, lui bien sûr toujours à
poils. Parce que bon bah je l’ai plus connu
à poils qu’habillé, ça
c’est…
Delphine : Dans la maison ?
Stéphanie : Oui. Ca , c’est… J’ai
un souvenir de ma petite nièce qui avait…
qui marchait à peine ou qu’elle avait
un an, et lui bien sûr qui se trimballait à
poils, donc moi bien sûr qu’est-ce que
je fais ? je prends ma petite nièce pour pas
qu’elle le voit, et ma sœur qui m’engueule
en me disant laisse-là, faut qu’elle
voie ! Faut qu’elle voie. Toujours cette même
sœur qui… bien évidemment n’a
jamais rien su. Si elle a su, elle s’en rappelle
plus. Donc voilà.
Delphine : Je peux juste demander ? Tu avais…
Ca a duré combien de temps ? Quel âge
au début, quel âge à la fin ?
Stéphanie : Les attouchements ont commencé
vers 11 ans, 11 ans et demi jusqu’à ce
qu’il me menace de me tuer deux mois avant ma
majorité. Donc deux mois avant le mois de juin.
Voilà.
Sidonie : Je veux dire que moi ce qui a changé,
moi ça m’est arrivé qu’une
fois, mais bon, je le dis, à partir de là,
il y a eu 37 ans et demi d’amnésie, et
j’ai commencé à retrouver tout
ça avec l’analyse, et à ce moment-là
à me reconstruire, et quand j’ai commencé
à me reconstruire, à prendre conscience
de la situation, bon, j’ai… j’ai
fait une annonce. Voilà c’est là
en quoi j’ai changé, c’est-à-dire
que de petite fille qui ne disait rien, soumise, obéissante,
complètement dissociée, j’ai parlé,
j’ai dit aux différents membres de la
famille, à ma tante j’ai dit ça
s’était passé, à ma mère,
un peu plus tard à mon père, et quand
j’ai vu petit à petit avec le travail
d’accompagnement comment ils réagissaient,
j’ai pensé que c’était pas
suffisant, qu’il fallait… J’ai donc
continué… à m’opposer, j’ai
subi un autre… et en rompant pratiquement avec
tout le monde, puisque j’ai mis mon père
en procédure pour la succession de la mère,
c’est une affaire qui n’est toujours pas
finie, je ne sais pas quand ça s’arrêtera
si ce n’est par sa mort. Je viens de rompre
avec mon cousin, le fils de mon violeur, c’est-à-dire
que maintenant, je dis, et quand je vois qu’il
n’y a que des… La seule personne à
qui j’ai dit qui n’a pas eu de réaction
négative, c’est la tante, elle a pas
eu de réaction positive non plus, elle a maintenu
une neutralité bienveillante, je continue à
la voir et à l’aider dans sa vieillesse,
parce qu’elle est vieille et que c’est
moi qui l’aide pour ses comptes, pour heu pour
tout, je l’accompagne parce qu’elle, elle
ne m’a pas traité de menteuse, et elle
ne m’a pas rejetée. Maintenant, tous
les autres membres de ma famille, j’ai rompu
ou je les ai mis en procédure pour autre chose,
puisque tout ça, c’est pas possible,
je trouve. Et voilà. Et j’ai dit à
mes fils, j’ai dit ce qu’il en était
à mes fils. C’est assez récent,
et je crois, peut-être, je ne sais pas comment
ça va… que bon, peut-être un petit
peu prendre… je vais pas dire ma défense,
mais ils essaient de se positionner, de peut-être
de… j’ose espérer peut-être
de me protéger. C’est tout.
Viviane : Moi, avec mon grand-père en fait,
quand ça s’est passé, je devais
avoir deux, trois ans, j’ai fait de l’anorexie
mentale, donc j’ai été séparée
de mes parents pendant quatre mois, j’étais
envoyée en aérium donc depuis je me
suis largement rattrapée au niveau des kilos,
hein, donc ça c’était un premier
point. Et à partir du moment où mon
père, lui, est passé à l’acte,
en fait j’avais un petit peu oublié cette
partie là, donc j’ai… j’ai
dû repenser à ça, et de façon
inconsciente, j’ai coupé les ponts avec
mon grand-père. J’ai cru que c’était
parce que j’avais peur de la vieillesse, de
voir comment la vieillesse pouvait abîmer les
personnes qui m’entouraient, mais aujourd’hui,
je sais que c’est pas ça, c’est
parce que j’ai voulu tirer un trait directement
sur lui. Par contre, mon père je continue à
le voir, et… on fait semblant, en fait. En tout
cas moi je fais semblant. Je ne veux rien laisser
transparaître. Je l’ai dit à mes
frères donc il y a deux semaines. J’ai
demandé à mes frères de vivre
normalement, de l’accepter. Je ne voulais pas
qu’ils prennent une décision avant que
moi je sois prête… à lui dire mes
quatre vérités et à régler
mes comptes avec lui, après ils feront ce qu’ils
voudront, heu, pour le moment ma mère n’est
pas au courant, on tient pas trop à ce qu’elle
le soit parce qu’elle est assez fragile, par
contre, quand mes parents ont divorcé, j’en
étais ravie. Quand mon père a fait une
dépression, j’en étais ravie,
en fait c’est que des petites vengeances comme
ça qui me font plaisir, qui me disent «
Tiens, lui il souffre, eh bien c’est bien fait
pour lui ! » et… Mais par contre, je crois
que j’ai ce petit côté maso tant
que j’arriverais pas à lui dire en face.
Je le vois, je fais comme si de rien n’était,
et quand on nous voit, on a l’impression qu’on
est une famille tout à fait… tout à
fait équilibrée, que rien ne s’est
passé. Y a rien qui transpire, et c’est
vrai que c’est très douloureux à
chaque fois, à chaque fois c’est me mettre
devant mon agresseur, devant tout ce qu’il a
pu faire. Les enfants sont là. Par contre,
je ne laisse jamais mes enfants avec lui. Mais bon,
là, je crois effectivement il est arrivé
un moment où j’ai dit « stop »,
ou j’ai accepté de me positionner réellement,
et je crois que le moment va bientôt arriver
au niveau de la confrontation avec lui où là
je pourrais me débarrasser d’un poids
plus important. Mais c’est vrai que c’est
très dur de faire comme si de rien n’était,
quand lui… Quand ça s’est arrêté,
je l’ai dit tout à l’heure, j’ai
eu des moments d’auto-destruction, et voilà.
Virginie : Et ce que je voulais dire aussi, se retourner
contre son incesteur et lui dire ses quatre vérités,
etc, lui envoyer un coup de poing dans la gueule s’il
faut, c’est… pour moi ça a été
toujours, c’est toujours perdre son père,
faire le deuil de son père. Et j’ai eu
du mal à faire ça, j’ai mis beaucoup
de temps, pour moi, c’est vraiment parallèle,
c’est-à-dire qu’il y a un moment
donné où j’ai accepté de
me dire : « J’ai plus de père ».
Et c’est pour ça que j’ai mis très
longtemps, parce qu’en fait, j’avais pas
trop envie, quoi. Et quand même, ce qui a changé,
c’est que la première année, quand
mon mari me disait : « Ton père ce pervers
», la première fois, je me souviens,
j’avais un poisson dans la main que je voulais
faire cuire, je lui ai balancé dans la gueule
à mon mari et quand même, dix ans après,
c’est moi qui dis « Mon père ce
pervers ». Mais j’ai plus de père,
en fait, c’est ça. En fait c’est
ça… j’ai plus de père. Enfin,
dire que c’est un abuseur, c’est ne plus
avoir de père. C’est ça qui est
un peu compliqué.
Viviane : Je crois que t’as raison là-dessus,
je crois que c’est vraiment faire le deuil à
partir du moment où on l’affronte, et…
c’est ça qui est difficile dans cette
ambiguité, parce que d’un côté
on l’aime, c’est notre père, mais
de l’autre côté il nous a fait
tellement de mal qu’on veut le… On lui
veut aussi du mal et on ne veut plus avoir de père.
Et c’est cette ambiguïté qui pour
moi est difficile à comprendre.
Delphine : Je voudrais juste savoir, ça s’est
arrêté… ton père…
ça s’est arrêté…
Viviane : En fait dans ma mémoire, j’ai
que trois fois, hormis les attouchements, hein. J’ai
pas plus de souvenirs que ça. En fait, j’ai
occulté. C’est-à-dire qu’au
départ, je lui trouvais des excuses, donc j’acceptais
indirectement ce qu’il me faisait. Sa mère
venait de décéder, c’était…
Alors y a pas très longtemps, en fait, y a
que depuis que j’ai commencé à
faire cette démarche de chercher un groupe
de paroles où on m’a démonté
toutes les excuses que je pouvais lui trouver, et…
(rires) là, ça m’a fait mal !
Ca m’a fait encore plus mal, parce que je me
disais, « bon, c’est pas de sa faute,
il a perdu son père… heu sa mère.
Son père a un deuxième cancer, ça
va mal avec ma mère, c’est… »
Il était toujours étudiant à
l’époque, il était en passe de
passer son diplôme… Donc je lui trouvais
des excuses. Et quand à l’association
à laquelle je téléphonais, il
m’a demandé, parce qu’on a beaucoup
parlé, il m’dit… Elle m’a
tout démonté au fur et à mesure,
ah, mais j’ai dit « Oh, mais elle a raison
! » Et là, réellement, c’est
qu’à ce moment-là que j’ai
pu me positionner vraiment en tant que victime et
lui en tant que violeur, en fait. Mais ça a
mis du temps, quand même !
Stéphanie : Y a une question que, en fait qui
est bizarre, que… en fait par contre qui a pas
changé, heu…, j’ai été
expertisée, et elle m’a posé une
question qui m’a complètement bouleversée,
elle m’a dit : Est-ce que vous aimez, je vais
dire le mot, votre père ? Et… ça
peut paraître con, mais il a fallu que je réfléchisse
et du plus loin que je remonte, j’vais dire
« non », parce que je l’ai toujours
craint. Voilà, toujours craint. Il était
craint de toute le monde. Par contre, au fil des années,
même si dans un sens je continue à le
craindre, c’est vrai qu’un jour, il a
fait une dépression aussi, donc heu…
il a fait une TS, donc il a fallu que je descende
là-bas et que… pour une confrontation,
j’y tenais absolument, à ma confrontation,
parce que j’avais une cassette où il
avouait, et là, bizarrement, quand je repense
à ce qu’a dit Vesna, c’est moi
qui ait pris le dessus. Parce qu’en fait, la
confrontation se faisait dans un hôpital psychiatrique,
déjà, avec deux psychiatres, avec deux
infirmières, et en fait, déjà
je suis rentrée dans le bureau, où là
j’ai vu comment ils avaient disposé les
chaises, y avait le psy, le bureau, puis y avait deux
trois quatre chaises, et là j’ai dit
« Mais j’vais pas m’asseoir à
côté de lui, pas question ! »,
donc j’ai laissé une là, et j’ai
mis trois comme ça, comme ça moi j’étais
derrière les… derrière les chaises,
et alors ce jour-là, c’ôté
de lui, pas question ! », donc j’ai laissé
une là, et j’ai mis trois comme ça,
comme ça moi j’étais derrière
les… derrière les chaises, et alors ce
jour-là, c’est la première fois
où c’est moi qui ai pris le pouvoir.
C’est moi qui… A un moment… alors
ça c’est une immense victoire que j’aurais
le plaisir de raconter, c’est qu’à
un moment, ben il voulait la confrontation, résultat,
j’arrive il veut plus rien dire ! A un moment,
après que j’ai déballé
tout ce que j’avais envie de déballer,
il regarde son psychiatre et il lui dit : «
Mais elle ment, machin, est-ce que je peux sortir
? » Je l’ai regardé droit dans
les yeux. Je lui ai dit : « Quoi ? Non ! Moi,
j’ai dû te subir pendant des années,
donc maintenant tu vas subir ce que j’ai à
te dire ! » Et le pire, c'est qu'il n'y en a
pas un qui a bronché dans la pièce !
Ca c’est vrai que quand j’y repense (rires),
je me dis, ça j’ai quand même gagné
ça, quand même ! Et il a fallu qu’il
redemande, [inaudible] quand même, parce qu’au
bout de quelques minutes, il a fallu qu’il demande
encore à son psychiatre : « Est-ce que
je peux partir ? » C’est comme un moment
heu…. juste avant tout ça quand il a
fallu que je l’enregistre, ça s’est
vrai que c’est un truc qui a changé,
c’est… il m’a demandé de
raccrocher. C’est vrai qu’un jour, il
faudrait que j’amène les retranscriptions.
Il me demande : « Est-ce que je peux raccrocher
? » Et c’est vrai que ça fait…,
et… et c’est vrai que ça c’est
fort, quand même ! C’est lui, l’abuseur,
le grand machin et tout… que je compare à
Hitler, le dictateur, et tout, qui demande à
moi, la victime, si il peut raccrocher. Ca c’est
quand même… Et c’est vrai que ça
a permis… C’est comme une confrontation,
où la juge elle l’a envoyé balader,
et c’est là où ça a changé,
parce que ça a vachement recadré les
choses. C’était plus lui le plus fort,
c’était la juge. C’était
vraiment, bien sûr, c’était la
juge qui lui disait « Tu te tais ». Et
ça, c’était génial, quand
même. Bon voilà ! Donc ça me permet
de… de recadrer les choses.
Annabel : J’ai une admiration vraiment sans
borne pour Stéphanie et pour le courage manifesté
pour dire et aller jusqu’au bout des choses,
car je n’ai pu, moi, reprendre conscience, car
j’étais sous amnésie pendant de
très très nombreuses années,
qu’à la mort de mon père et celle
de ma mère, ils sont morts heureusement pour
moi, pour tout le monde d’ailleurs, j’étais
encore assez jeune. Je crois… je sais pas !
Je sais même pas s’il a… si…
moi je crois que j’aurais jamais pu envisager
de penser quelque chose comme ça. Donc je sais
pas ma fille ce qui se serait passer pour elle. En
tout cas par rapport à est-ce que ma réaction
en tant que victime a changé au fur et à
mesure des années de l’inceste, je ne
sais pas vraiment, je pense que j’étais
dans le… enfin moi j’ai connu ça
à plusieurs reprises, j’appelais ça…
étant le syndrome de pierre, c’est-à-dire
« Je deviens une pierre ». Mais…
mon corps ne bouge plus, je ne bouge plus, je ne parle
plus, je ne tourne même plus les yeux, je reste
dans une même position et j’entends les
choses qui se passent, par exemple les coups sur mon
petit garçon, les choses qu’on me fait
à moi ou… J’ai même…
je me dis avec horreur, mais « est-ce que j’ai
été présente ? » Je sais
pas ! En tout cas, j’ai supporté les
choses en basculant, dès que la terreur, le
dégoût, j’ai des odeurs, des…
des sensations, des hurlements, des machins dans les
oreilles et puis clac! ça bascule, rien, plus
rien, nada. On peut faire ce qu’on veut, de
toutes façons je ne suis pas là. Il
se passe rien, il se passe rien, il se passe rien.
Je l’entends, là, dans ma tête,
je le répète en boucle. Et donc c’était
de… je pense que le… l’entourage
quoi, le déni, je l’ai récupéré
en fait pour ne pas mourir, quoi, pour supporter et
survivre et c’est d’ailleurs ce qui a
conduit à laisser reproduire les choses sur
après… mes enfants, puisqu’il ne
se passe rien, il ne se passe rien, et par rapport
à « est-ce qu’on se souvient si
on s’est défendu ou pas », moi
je ne me souviens absolument pas, mais je me souviens,
je revois, chez mes parents, l’entrée,
on avait amené… mon mari et moi on voulait
aller au cinéma, donc les enfants, les deux
dernières filles, elles étaient bébés,
elles ne parlaient pas, mais je sais pas si c’est
10 mois, 18 mois, un an… Certainement pas 18
mois, bref. Delphine hurlait, hurlait, hurlait. C’était
très gênant, et… et manifestait
une panique évidente et donc… Moi je
me souviens avoir pensé… je peux pas
laisser mes parents avec ce gosse qui hurle comme
ça, c’est ça que je… Donc
je leur ai dit : « - Je suis vraiment très
gênée, c’est pas possible, tant
pis ! – Non non, allez au cinéma ! »
et… et je me… En vous décrivant
la scène, « il se passe rien, il se passe
rien, il se passe rien », et je suis partie
au cinéma, et on est partis au cinéma
! (pleurs)
Lise : Dans ce que je viens d’entendre, ça
me fait reprendre conscience, mais je l’ai jamais
perdue, que j’étais en fait, famille
nombreuse, j’étais vraiment à
part et toute seule quoi ! J’étais…
tout le monde avait des activités, faisait
des choses, et moi j’étais toujours toute
seule ! Et plus tard même, à l’âge
adulte, avant mes 20 ans, mes sœurs se sont mariées
mais c’était toujours par deux, elles
sortaient par deux, elles se mariaient à quelques
mois d’intervalle, et moi j’étais
toujours isolée. Et ça, ça me
vient avec ce que j’ai entendu. Voilà.
J’étais toute seule.
Viviane : Si je peux me permettre, avec ce que tu
as dit, je crois pas qu’il faut culpabiliser,
j’ai… mon plus grand… depuis la
réunion de l’autre soir, je me pose des
questions, en fait. Mon plus grand a de gros problèmes
parce qu’il souffre de notre divorce et depuis
l’autre soir, je me demande si… effectivement,
il a pas eu quelque chose. Alors que jusqu’à
présent, jamais ça ne m’a…
effleuré l’esprit. Jamais ! Parce que
je me disais que ça ne pouvait pas arriver
autant de fois que ça, c’est pas possible
! Et depuis la dernière réunion de mercredi
soir, c’est quelque chose qui m’est venu
à l’esprit. Et… juste ce que je
voulais te dire, c’est que… si ça
arrive, je ne sais pas si j’aurais la force
de faire quelque chose moi non plus. Je sais pas !
Je… même si on veut protéger nos
enfants, c’est… je pense qu’on a
été… on a tous été
soumis dans notre enfance, et on le sera… on
le sera tout le temps et on accepte ces choses comme
quelque chose d’inévitable, même
si on les aime de toute notre force et si on ne veut
absolument pas que ça arrive, je ne sais pas
si j’en aurais la force et je n’ai pas
eu la force de le faire pour moi. Je sais pas ! Donc
je voulais juste dire que… faut pas culpabiliser
!
Le psychologue : Alors juste, si je peux me permettre,
je veux dire par rapport vraiment à la logique
qui est celle de ces ateliers, je vous remercie de
l’intervention que vous venez de faire. Par
contre, vraiment il est souhaitable de ne pas dire
à quelqu’un qui est présent dans
l’atelier, de dire en direct qu’il n’a
pas à culpabiliser ou… Je crois que c’est
important pour… vraiment dans le respect de
notre parole individuelle, c’est très
important, je veux dire, qu’on soit là
effectivement, je veux dire pour rebondir sur la parole
de l’autre par rapport à soi, mais qu’on
ne positionne pas quelque chose qui serait effectivement
éventuellement un avis que la personne pourrait
ressentir comme un jugement qu’on porterait
sur sa propre parole. Je crois que c’est important
pour tout le monde, pour qu’on… vraiment
pour que cette dimension de respect d’écoute,
et justement qu’on puisse garder cette envie
de réagir sur la parole de l’autre, mais
sans effectivement émettre un avis comme ça
qui pourrait avoir comme ça quelque chose de…
quelque chose de… qui pourrait éventuellement
être ressenti comme un jugement en sachant que
là, vraiment, je veux dire, tous les éléments
sont des éléments de vécu très
individuel.
Viviane : Oui. Excusez-moi !
Le psychologue : Non non, mais voilà ! Mais
c’est pas… Même pour nous, c’est
important, parce que c’est au fur et à
mesure qu’on avance dans les ateliers que justement
on peut préciser ce qui en fait aussi un…
la qualité et la valeur de la parole qui est
transmise.
Delphine : J’ai une question. Je peux poser
une question ? Je m’excuse, j’ai gardé
ça tout à l’heure, puis après
c’était plus le temps, on a pas…
changé de thème, c’est juste pour
être sûre d’avoir bien compris quand
tu racontais cette histoire de vendeuses au Prisu
qui étaient hostiles, leur hostilité
était tournée envers toi, pas envers
heu…
Annabel : Moi je me sentais, en tant qu’enfant,
c’est-à-dire avec tous les filtres de
la mémoire et… oui, parce que je…
devais avoir un truc… je pense que je devais
avoir quelque chose de dégoûtant. Difficile
à expliquer. Mais quelque chose de frénétique.
Je ne peux pas vous dire. Je me sentais moi-même
assez… je me sentais pas un enfant dont les
parents sont fiers, ou… je me sentais…
y avait quelque chose qui n’allait pas ! Et
c’est pas… c’est pénible,
quoi ! Et après, ça enquillait sur l’échec
scolaire et ça confirmait qu’il y avait
quelque chose qui n’allait pas, mais je pense
qu’il y avait des caprices parce que le…
les jouets ne se renouvelaient pas, et le problème
c’est que je les avais tous, après !
Donc je devais faire des caprices, en disant que ça
n’allait pas, ou des choses comme ça.
Je pense que c’était ça. C'est
sûr que je devais avoir un comportement de sale
gosse…
Virginie : Tu les avais durement acquis, tes jouets,
donc heu…
Annabel : Mais bien sûr ! Mais pour d’autres,
des gens qui voient ce monsieur tous les jours, donc
on dit « Qu’est-ce qu’il est gentil
et cette sale môme qui fait des caprices, qui
est jamais contente ! » Je pense que c’était
ça.
Virginie : La prochaine fois, je me méfierai
quand je verrais… un sale môme ! (rires)
Annabel : il y a un père qui va s'en prendre
une juste parce que son môme fait un caprice
: allo la police ?
(rires)
Le psychologue : Juste parce que, il va bientôt
être l’heure, le temps… Je crois
que certains d’entre vous ont encore envie de
prendre la parole.
Nathan : Oui, en fait c’était juste…
sur l’évolution de mes réactions,
en fait, pendant les actes, j’ai tout le temps
était assez passif, mais sinon, en fait, ben
j’ai changé beaucoup entre avant et après,
en fait, et après en fait j’ai eu vachement
peur. En fait j’ai tout fait pour être
celui que mon père voulait que je sois, en
fait. En fait, c’est surtout qu’il m’humiliait,
en fait, il se moquait de moi en me traitant de popette,
des mauvais noms comme ça, enfin… En
fait, je savais que j’étais dangereux
pour lui ! Et je faisais tout, en fait, mais tout
le temps, tout pour être… paraître
innocent. Il faut absolument…, enfin, même
dans la vie. Il fallait que je sois innocent, enfin,
et donc je pouvais pas grandir, en fait. Parce que
si je grandis, ben… y avait mon père
qui me lâchait pas, en fait. Et donc j’ai
dû me développer dans l’agri…
enfin mes parents étaient agriculteurs, donc
je me suis développé tout le temps développé
dans l’agriculture. Parce que l’extérieur
ben c’était pas possible, en fait. Tout
en ayant besoin, un grand besoin d’être
actif, en fait, de faire des trucs. Je suis resté
dans le domaine de l’agriculture. Ne pas grandir,
être innocent, être dangereux pour l’autre,
en fait. Et maintenant, j’ai tout le temps peur
d’être dangereux pour l’autre.
Sidonie : Je ne comprends pas, c’est le fait
d’être pris dans ce… d’être
innocent qui est dangereux ou si c’est une sorte
de chose…
Nathan : Non, il faut que je paraisse innocent.
Sidonie : Oui, d’accord !
Annabel : Pour pas qu’on voie que tu es dangereux
!
Nathan ; Pour pas qu’on sache que j’ai
une tête à… que je sais des choses,
que je réfléchis, c’est pas possible,
sinon…
Sidonie : C’est le coup du loup dans la bergerie
!
Nathan : Et surtout, être hyper vigilant, une
hyper vigilance aux autres, en fait.
Delphine : Est-ce que tu sais, heu…, parce que
tu disais tout à l’heure, je crois, que
tu sais quand ça a commencé, est-ce
que tu sais quand ça fini, comment ?
Nathan : Non, ça à… ça
a commencé, je sais c’est à 7-8
ans. Mais après, je sais pas. Y a plusieurs
scènes qui se mélangent en une seule,
en fait. Et même ma mère, j’aimerais
bien son rôle, parce qu’elle a un rôle
peut-être plus actif que… Je sais pas
quand ça a fini. C’est bizarre, quand
même, mon corps, j’ai l’impression
d’avoir le corps de dix ans Alors que c’est
à 7-8 ans que ça a… Mais je sais
pas, c’est vrai, pour que ça finisse,
en fait. Mais… Non, je peux pas dire, je sais
pas.
Viviane : Et pourquoi il a arrêté, d’après
toi ?
Nathan : Heu… Je sais pas. Y avait mes réactions,
j’ai réagi aussi, j’ai quand même
réagi, j’ai des trucs, j’ai réagi
après en fait. Soit je faisais malade, ou des
trucs comme ça, en fait. Enfin je crois, mais
je sais plus trop, en fait. Je sais pas, mais…
Mais c’était une période où
mes parents… c’est un truc entre mes parents.
Quand ils sont pas bien ensemble, ou quand ils étaient
très bien, j’sais pas mon père
il était là, il se sentait assez bien
pour… je sais pas, ce genre de truc. Je sais
pas, en fait.
Le psychologue : Il est 17 heures, donc on peut peut-être
s'accorder deux ou trois minutes si quelqu’un
a encore envie de prendre la parole là, pour
le coup, sur l’ensemble de la thématique,
ou effectivement…
(Rires)
Virginie : on est accablés…
Annabel : un cognac…
Le psychologue : Ah, c’est aussi possible après,
mais à ce moment-là je… je…
Delphine : Je suis contente qu’on ait fait ce
thème, comme ça y a plus à…
[brouhaha]
Stéphanie : ah le stress!
Annabel : J’ai eu des angoisses, mais 5 minutes
avant de venir ! Et je pensais que c’était
important ! Moi j’en ai parlé…
j’ai eu une séance de psy à midi
et demi, pour vous dire, voilà, et c’est
vrai que la psy… Bon, elle allait pas me dire
: « Allez-y » ou « N’y allez
pas », mais elle me disait : « Mais arrêtez
d’y penser, vous allez y aller, c’est
bien pour vous… » « Vous pouvez
vous faire confiance ! », voilà. Parce
que je me disais que je suis très très
maso, parce que c’est un peu… voilà…
Et en fait je pense que c’était bien
en tout cas que je vienne. Mais c’est vrai que
ça m’angoissait, ce thème !
Stéphanie : J’en avais parlé à
Lucette… Ca fait combien de semaines que j'angoisse
?
Annabel : Donc je ne suis pas la seule ! Ca me rassure
!
Stéphanie : Regarde, moi je l’ai même
écrit sur un petit carnet…
Annabel fait comme si elle lisait : « J’ai
les boules, j’ai les boules, j’ai les
boules ! »
[rires]
Lise : Ce qui me semble évident, c’est
que l’agresseur, le violeur avait une légitimité
extraordinaire. Ca, ça m’apparaît
maintenant comme jamais, quoi ! Et… bon, je
vais pas raconter… Et une chose aussi que mon
frère m’avait fait, mais c’était
dans la journée, et il faisait rire toute la
famille, et moi j’étais entrain de pleurer
au lit, toute seule, et il se légitimisait
par rapport à la fam…. Il avait acquis
la famille en la faisant rire… sauf moi qui
était… qui subissait encore. Ca, ça
m’a apparu beaucoup à partir du thème.
Virginie : Qui c’est qui a trouvé ce
mot, « légitimité » ?
Lise : C’était en discutant.
Stéphanie : Oui, c’était en discutant.
Le psychologue : Juste si je peux me permettre par
rapport à ce que vous venez de dire, y a un
élément qu effectivement qui pour moi
est extrêmement révélateur, le
fait de la dureté de cet atelier, alors qu’en
général, c’est assez rarement
le cas, là, effectivement, y a eu un certain
mal à intégrer même le sens des
questions. Le sens des questions était tellement
interprétatif, alors que les questions, elles
étaient pas rédigées de manière
extrêmement complexe, et on s’apercevait
bien que c’était… « Mais
je comprends pas, mais c’est difficile »
Annabel : « Je l’ai oubliée ! »
Stéphanie : « Je l’ai oubliée
! »
Annabel : « Redis-moi la question ! »
Le psychologue : « Cette question très
compliquée »… Et on voyait bien
finalement… la parole était très
là… et en même temps du coup, le
niveau de l’interprétation de la question
était tellement large pour chacun de vous,
hein !
Annabel : Oui, bien sûr !
Lise : Même trop large, je trouve ! Enfin pour
moi, il était trop large. J’ai toujours…
y a une rigueur dans la tête « Il faut
pas que je déborde du sujet »
[rires]
Annabel : Je suis hors sujet, docteur ?
Lise : Et donc… Après c’est parti,
parce que c’était… vraiment un
côté…
Annabel : Et en fait je sais pas, peut-être
que ça m’est personnel, j’ai l’impression
que même si on a du mal à comprendre
les uns les autres, qu’on avait oublié,
qu’on se demandait si c’était bien
le bon truc, y avait quand même… on est
un peu tous rentré dans le discours avec la
peur. La légiti… la trouille. La trouille,
la grosse trouille, la peur, la panique ! Ca, finalement,
on est….
Le psychologue : Mais en même temps, là,
l’atelier est fini mais je crois qu’il
y a quelque chose que moi j’ai entendu dans
votre discours qui est extrêmement important,
c’est qu’il y a eu effectivement ce…
et au niveau de la peur on pourrait redire ce…
l’intervention que je me suis permise tout à
l’heure à propos du plaisir. C’est-à-dire
qu’on a bien dans votre discours la peur et
le ressenti de la peur, et effectivement comme il
y a eu pour le plaisir et le ressenti du plaisir.
Annabel : Ca, c’est un outil qu’on a tous
du mal. Même là encore quand tu as beau
expliquer, j’ai encore du mal !
[rires]
Le psychologue : Alors que pour moi, je veux dire,
pour moi qui du coup… je suis vraiment dans
l’écoute, puisque je ne suis présent
que pour ça. Mais heu… vous verrez que…
Moi je pense que… L’atelier sera retranscrit,
c’est quelque chose que… en relisant vous
verrez très bien. Vous verrez très bien…
Annabel : Tu as peut-être raison ! Avec le recul,
en relisant.
Le psychologue : Les éléments même
de votre discours, vous les avez vraiment dissociés
entre la peur et le ressenti de la peur, je veux dire…
Nathan : C’est quoi le ressenti, je comprends
pas les mots…
[Virginie rit]
Le psychologue : Par exemple, quand effectivement,
y a des allusions par exemple à la momification.
La momification, c’est un ressenti de peur,
parce que c’est un processus qui en plus a été
exprimé très clairement. Si la personne
avait dit : « Je me sentais momifiée
», là, on était dans un état
de peur.
Annabel : Ah, voilà !
Le psychologue : Alors que quand la personne vous
dit : « Y a eu une momification », c’est-à-dire
qu’il y a un ressenti qui passe par un processus
de quelque chose qui a évolué, qui a
été de l’action puis de la réaction
et puis par rapport à la protection. Vous voyez,
et c’est là où effectivement…
mais je pense que quand vous relirez votre parole,
ça va vous arriver je pense très clairement.
Delphine : Yes !
(Brouhaha)
Lise : Merci à Francois, merci à la
personne qui va transcrire !
(Rires)
Delphine : Merci de votre participation.
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