"Histoire
de mon ressenti des pratiques incestueuses et des
mots pour le dire"
- atelier du 12 Février
2005
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
2)
Comment je le vivais en parole quand ça a commencé.
3) Qu'est-ce qui a changé,
dans mon propre discours, depuis le moment des premières
rencontres amoureuses jusqu'à aujourd'hui.
4) Qu'est-ce qui a déclenché
les changements ?
5) Comment j'en parle, ou comment
j'arrive à en parler selon mes interlocuteurs
?
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
Lecture du préambule.
Le psychologue : En ce qui concerne…
La logique des ateliers. Les ateliers sont une opportunité
pour les acteurs victimes d'inceste et leur entourage
impacté par les pratiques incestueuses de partager
une parole sur leur expérience dans un contexte
d'écoute libéré de toute contrainte
morale.
La périodicité des ateliers. Les ateliers
sont proposés sur une périodicité
trimestrielle avec une proposition thématique
sur l'année. La durée de deux heures
et demie doit permettre la participation active au
niveau de la parole comme de l'écoute, de l'ensemble
des acteurs.
L'utilité des ateliers. Il s'agit de l'accueil
non-restrictif de l'ensemble des paroles des victimes
de pratiques d'inceste dans leur dimension de connaissance
psychologique, émotionnelle, sociale, socioprofessionnelle.
La parole dans les ateliers. La parole ainsi que les
silences sont offerts aux acteurs sur la base de leur
désir avec une régulation du temps liée
au nombre de participants et aux thèmes de
l'atelier.
Le recueil de la parole. L'ensemble du discours pendant
les ateliers est enregistré afin d'en permettre
une retranscription fidèle qui permettra la
réalisation de synthèse thématique.
En ce qui concerne la synthèse de la parole.
Ces synthèses ont pour objectif pour chaque
membre de l'atelier de pouvoir, s'il le souhaite,
retrouver sa parole, garder sa parole, et peut-être
retrouver par une nouvelle manière, par une
nouvelle écoute, la parole de l'autre, de positionner
sa parole et son expérience au sein de la parole
des autres. Dans un deuxième temps, elles ont
pour objectif de permettre une lecture plus large,
mais aussi plus complète, des connaissances,
expériences, ressentis par l'ensemble des acteurs
concernés par la problématique des conduites
incestueuses. Il s'agit de communiquer l'expertise
et sur l'expertise du discours non programmée
des acteurs-victimes. Et enfin, dans un troisième
temps, elles permettront dans le cadre d'une démarche
scientifique au plus proche de la parole des acteurs,
une analyse du discours sur le vécu des victimes,
en vue d'une publication.
Lise : Claire a une question…
Claire : c'est quoi, la publication
dont tu parles à la fin.
Le psychologue : en vue d'une
publication par une analyse de la dimension d'expertise
du discours par les victimes. C'est effectivement
un travail qui se fera, qui sera un travail scientifique,
de longue haleine, et qui sera basé sur les
retranscriptions qui sont faites et que chacun peut
retrouver sur le site de l'association.
Claire : C'est ça, quand
on parle de publication, c'est sur le site.
Le psychologue : Non, ça
sera un travail d'analyse scientifique à partir
de ce matériel.
Delphine : Mais… je peux
dire quelque chose ? Le travail scientifique, c'était
ça l'idée qu'on avait au départ,
à AREVI, c'était de publier sur le site,
tel quel, et puis d'essayer d'en faire quelque chose,
aussi, pour d'autres publics. Avec nos paroles, nos
mots, ce qu'on peut apporter, nous. Et le travail
scientifique qui va être fait aussi à
partir de ça, ben en fait, c'est moi qui le
fais, parce que je suis chercheure, c'est mon boulot,
donc c'est moi qui le fais, mais absolument en garantissant
toute confidentialité. C'est pour ça
qu'on a besoin de l'accord de tout le monde, et que
c'est enregistré. Mais après, tout est
rendu confidentiel ; on modifie, on rend anonyme.
Claire : Oui, oui, j'ai
vu sur le site. Mais dans la phrase, je me disais,
ce n'est pas de la publication sur internet, puisque
ça ne ressemble pas à ça. Avec
l'analyse, et tout ça, je me suis dit, c'est
un vrai travail d'analyste qu'il y a derrière,
et qui fait ça ?
2)
Comment je le vivais en parole quand ça a commencé.
Le psychologue : Donc aujourd'hui,
la thématique est : histoire de mon ressenti
des pratiques incestueuses et des mots pour le dire.
Avec quatre sous-thèmes. Le premier : comment
je le vivais en parole quand ça a commencé.
Il s'agit là, vraiment, des paroles pour soi.
Dans un deuxième sous-thème : qu'est-ce
qui a changé, dans mon propre discours, depuis
le moment des premières rencontres amoureuses
jusqu'à aujourd'hui. Le troisième sous-thème
sera : qu'est-ce qui a déclenché les
changements ? Et le quatrième, c'est : comment
j'en parle, ou comment j'arrive à en parler
selon mes interlocuteurs ?
INTERRUPTION (troisième
depuis qu'on est installé)
Delphine : ce que c'est chiant!
(interruption de l'enregistrement)
Le psychologue : Donc un mot,
pour petite confirmation, comme quoi je suis présent,
pour le respect de la parole de chacun, et garant
du temps qu'on va accorder : à peu près
une demi heure par sous-thème, de manière
à ce qu'on puisse aborder l'ensemble des sous-thèmes.
Le premier était donc : comment je le vivais
en parole quand ça a commencé. Et l'approche
qu'on a dans ce sous-thème, c'est bien des
paroles qu'on avait pour soi, à ce moment là.
Géatan : Je suis un peu
ramolli du cerveau, en ce moment… tu peux expliquer…
Le psychologue : C'est à
dire, quand ça a commencé, moi, comment
je suis arrivé à en dire quelque chose
? Moi, pour moi.
Delphine : Moi, je veux bien
dire quelque chose : ben, j'en sais rien parce que
je m'en suis jamais souvenue, moi. Je crois que même
sur le moment. Sur le moment, j'étais toute
petite, je crois que je me disais rien, mais dès
le lendemain matin, c'était zappé, j'oubliais.
Donc en fait, je me suis rien… j'ai rien eu
à me dire jusqu'à il y a quelques années.
Sidonie : Moi, je veux bien prendre
la parole. C'est la même situation. Moi, ça
ne m'est arrivé qu'une fois, et j'ai complètement
zappé. C'est-à-dire qu'entre la petite
fille du soir et la petite fille du lendemain matin,
ça n'avait plus rien à voir, et j'ai
oublié pendant trente-cinq ans. Voilà,
c'est une amnésie de trente-cinq ans.
Delphine : c'est ça, le
lendemain, tu t'en souvenais pas non plus ?
Sidonie : Non.
Delphine : Donc c'est trente-cinq
ans après, quand ça t'est revenu, que
tu t'en es dit quelque chose.
Sidonie : ça m'a mis encore
un certain travail de plusieurs années pour
m'en dire quelque chose.
Mireille : oui, moi j'ai envie
de dire : sur le moment, j'avais 8 ans, 9 ans, donc
je ne sais pas du tout ce que je me disais. Je crois
que je ne me disais rien du tout. Après, quelques
temps après, je me disais, il y a le mot "viol"
qui est venu, mais je ne sais même pas comment
j'ai appris ce mot là. Mais je crois que je
ne me disais rien du tout. Et pourtant, je crois que
je n'ai pas oublié, me semble-t-il, quoique
certaines choses, si ; mais j'avais pas de mot. Pas
de mot. C'est bien plus âgée que j'ai
pu comprendre. Enfin comprendre ; je crois que je
comprenais mais j'avais pas de mot. Mais j'ai pas
l'impression d'avoir oublié, a priori.
Delphine : Mais tu n'as aucun
souvenir de mot pour y penser, ou pour… rétrospectivement
?
Mireille : Je ne sais pas, je
n'ai pas de mot, ou j'ai refoulé vraiment ;
j'en avais peut-être, mais je ne m'en souviens
pas, je ne suis pas capable de le dire. J'en sais
rien. Je crois que c'était pas dicible, toutes
façons, il n'y avait pas de mots possibles.
C'est l'impression que j'ai.
Claire : Mais je crois qu'en
fait, on est tétanisé quand ça
arrive. Il me semble. Et en fait, on ne peut pas avoir
des mots au moment où ça arrive, parce
que s'il fallait avoir des mots, je crois qu'on dirait
"non". Un des premiers mots qui viendraient,
ce serait "non". Moi, je me souviens très
bien ; j'avais 9 ans, et quand ça a commencé
avec mon oncle, je prenais ma douche dans la salle
de bain, et il est arrivé, il s'est foutu à
poil. Il a fallu que je le lave. Et j'ai tout de suite
compris que ça n'allait pas. Que c'était
pas logique, qu'il n'y avait aucune logique, qu'il
avait rien à foutre là. Que c'était
pas normal, que c'était pas un jeu rigolo.
Bien sûr. Mais je ne me suis pas dit : "ça
ne va pas". Ça fige complètement
le mental. Avec des mots d'adulte, qui vont dire…
Tu vois passer une voiture, peut-être que à
un moment tu peux dire : la voiture est verte, il
va y avoir un accident si elle ne s'arrête pas
au feu. Peut-être que tu peux te dire ça.
Mais là, je ne sais pas moi, il me semble que
c'est vraiment une sensation corporelle d'engourdissement
de la pensée. Total. Et après, moi,
dans mon cas, c'est surtout des images qui me sont
restées. C'est des séquences : c'est
comme un film coupé. Avec des… il me
semble, quoi. Pour moi, si jamais il y avait eu des
mots, à ce moment là, ce serait "ça
ne va pas". Dans ma tête, ce serait plutôt
ça, me dire : "ça va pas",
"ah! Ça! Ça va pas!" et je
pense que si, effectivement, enfant, on était
capable de tricoter des mots dans sa tête, ça
serait de se dire "je veux pas". Parce que
justement, on ne peut pas penser ça ; il me
semble. Enfin moi, c'est comme ça que j'ai
réussi à raisonner les choses dans mon
petit cerveau.
Géatan : Moi, c'est arrivé,
j'avais 10, 11 ans, et c'est un peu comme toi. Ça
arrive, et il y a un état de sidération,
de paralysie, et je sais que ce qui arrive n'est pas
normal, mais je ne peux rien dire. Je ne peux rien
dire. Et après, même… après,
je n'ai pas le droit de dire, puisque l'agresseur
me convoque dans son bureau et donc… pas le
droit de dire.
Delphine : mais même à
toi ? à toi…
Géatan : moi, je ne sais
pas. Je vis tellement de choses à la maison,
quand je rentre de l'internat et que je vis tellement
de choses pas normales au domicile. Il y a à
la fois deux choses. Il y a à la fois "je
sens que c'est pas normal", et en même
temps, je sens que c'est dans une forme de logique.
Parce qu'à la maison, ma mère côtoie
des gens, voilà, quoi… avec… disons,
pas…d'autres formes de sexualité, où
il n'y a pas de mots qui sont posés dessus.
On ne m'explique pas. A la fois je sens qu'il y a
quelque chose qui n'est pas normal, mais en même
temps, il y a une espèce de logique. Comme
de toutes façons, la sexualité est banalisée,
chez ma mère, donc… quand je dis "c'est
pas normal", je sens, c'est parce que…
je suis en internat religieux. Donc les choses du
corps, évidemment, tout ce qui est par rapport
au corps, c'est sale. Donc je me repère peut-être
par rapport à ça, et je réagis
peut-être par rapport à ce que j'apprends,
l'éducation religieuse qu'on me donne. Mais
sur le moment, je crois qu'il y a une espèce
de paralysie de la pensée. Même le lendemain,
et même ça se reproduit plusieurs fois
pendant la semaine, mais… rien. Et le lendemain,
je suis… normal, j'ai presqu'oublié.
Et c'est au bout d'une semaine, ou deux semaines,
je peux commencer à en parler. J'en parle à
quelqu'un. Parce que cet homme a un fils qui a mon
âge, et je lui dis. Et après, il y a
un espèce de stratagème, parce qu'on
dort tous les trois dans le même lit. Il y a
un espèce de stratagème, parce que je
ne sais plus, il y a une histoire de fil, etc. ce
garçon ne peut pas grand chose, sinon qu'il
y a une espèce de complicité. Si il
se passe quelque chose, tu diras l'histoire du fil,
et voilà… mais lui-même, qu'est-ce
qu'il peut faire ?
Alors pour expliquer très brièvement,
l'agresseur rentre tard, il est saoul, et ça
se passe. Je ne pense pas que… je suis au milieu,
et son fils est à côté, et dort.
Et je ne sais pas si cet agresseur s'en prenait à
son fils, mais enfin, je ne crois pas. Parce que j'en
ai parlé à son fils, et lui ne m'a pas
dit : "mais moi, il me fait la même chose".
Claire : Mais sinon, moi, ce
que je voulais dire par rapport aux mots qu'on peut
mettre là-dessus ; c'est que en général,
quand ça nous arrive, c'est qu'on est enfant,
et à ce moment là, ça n'existe
pas déjà, les mots sur la sexualité.
Delphine : Non, mais justement
; par exemple, t'as dit "il a fallu que je le
lave, ou un truc comme ça" ; ben c'est
ça, ta représentation.
Claire : Oui, mais j'ai une image,
j'ai pas les mots avec. C'est à dire, je peux
te dire ça parce que c'est comme ça
que ça s'est passé ; maintenant. Enfant,
quand j'en ai parlé à mes parents, je
leur ai raconté comme ça ; mais quand
je l'ai vécu, et après toute seule face
à ça, moi-même, je ne dis pas
ça: je le vois. Et c'est "glups!".
Sidonie : moi, ce que je veux
dire, c'est que je n'ai pas eu de mot, mais les images
ont été là. Très vite.
Pas les images de la période de la nuit oubliée,
mais toutes les images d'avant la lumière éteinte,
et du après ; elles sont d'une présence
incroyable. Et tout de suite l'histoire que je me
suis racontée petite fille, et que je commence
à comprendre, que maintenant : c'est la partie
de moi que j'ai perdu cette nuit-là, j'ai cherché
mon sosie, ma jumelle ; pour la retrouver. Mais j'avais
déjà 6 ou 7 ans, que j'étais
déjà à la recherche du sosie
qui était moi et si je le rencontrais, je saurais
qui j'étais. Donc j'avais vraiment une image
: l'image, c'était le double de moi. Fallait
que je rencontre dans le monde entier, à la
recherche, mon double. La personne qui me ressemblerait.
Je n'avais que ça en tête, et ça
m'a poursuivie toute une vie. Mais c'était
une image, et pas des mots. Et si je fais de la peinture
maintenant, je suis bien toujours dans les images.
- quelqu'un arrive en retard,
et le psychologue lui présente le thème
et les sous-thèmes de la rencontre.
Virginie : Bien moi, je n'avais
pas besoin de mots, parce que je me suis dit que c'est
un truc d'adulte et que c'était normal qu'on
ne soit pas au courant. La première fois que
c'était arrivé, mon père m'avait
d'emblée dit ; il s'était - entre guillemets
- excusé, il m'a dit "c'est parce que
ma femme n'est pas là". Donc tout était
logique, c'est-à-dire qu'en fait, c'est des
choses qu'il faisait avec sa femme, ça doit
être des trucs adultes qu'ils font. Donc, je
n'ai pas de mots, mais je me dis : c'est normal. Je
n'ai pas à connaître puisque c'est des
trucs, là, je suis passée là
par hasard, mais j'aurais pas dû y être.
Et parce que sa femme n'est pas là, donc, bon.
Je n'ai pas cherché forcément de mot.
Je me suis dit, c'est un trucs… ça va
pas le faire que ce soit moi, vaut mieux que ce soit
sa femme, donc je l'ai envoyé prendre une douche,
et j'ai relativement assuré en me disant, bon,
ça va se tasser, et puis quand sa femme va
revenir, ça va se remettre en… donc j'ai
pas le souvenir d'avoir cherché des mots.
Delphine : mais est-ce que tu
te souviens après ?
Virginie : Non. Parce qu'après,
justement, j'ai oublié ce qu'il s'était
passé. Pendant deux ans, et je m'en suis re-souvenue
en quatrième, lorsque le père d'une
amie est décédé ; on était
en quatrième et toute la classe était
un peu affolée parce que elle était
en pleurs. Et à cette occasion, je me suis
souvenue de ce qui s'était passé. Et
là, effectivement, je suis restée…
bon, à cet âge là, on n'a pas
vraiment de mots non plus. Mais comme en quatrième,
je commençais à avoir une sexualité,
je savais ce que c'était que le cul, ou enfin,
j'imaginais, peu importe. Donc là, je savais
que c'était un truc de cul. Et donc, pour moi,
c'est très rapidement devenu : j'avais eu une
aventure avec mon père. Très rapidement,
j'en ai parlé longtemps comme d'une aventure.
Parce que le mot inceste, je ne connaissais pas ;
je connaissais le viol, parce que dans ces lycées
à la con, ils t'obligent à dire "le
viol, c'est comme ci, comme ça…"
bon, c'était donc pas un viol, ça c'était
sûr, et donc, ça ne pouvait être
qu'une aventure. A quatorze ans, c'est comme ça
que je voyais les choses.
Après, très longtemps, j'ai dit que
j'avais eu une… j'ai toujours du mal à
dire… une lésion, une liaison ; donc
une liaison avec mon père. A tel point que
j'en ai parlé avec une copine, et elle m'a
répondu que c'était pas si grave, qu'il
pouvait y avoir de très belles histoires entre
un père et sa fille. Au moins, elle, elle m'a
crue. Parce que cette même copine m'a envoyé
chez un psy, cette année là, et le psy
; je lui ai d'abord dit que j'avais couché
avec mon père. Je ne lui ai même pas
dit que mon père avait couché avec moi.
Et là, il m'a dit que c'était pas grave,
qu'on fantasmait tous, qu'on était dans la
séduction. Alors, lui, c'était encore
pire, il ne m'a pas cru. Enfin, il m'a rassurée.
Toutes façons, tout le monde me rassurait,
mais avec des trucs complètement à côté
de la plaque. Mais pour moi, c'était une histoire
de cul, un flirt.
Delphine : t'as toujours dit
une lésion pour une liaison ?
Virginie : Oui… (rires
généraux)
Claire : je me souviens, avant,
je faisais ce lapsus tout le temps, j'étais
vachement fière de moi. Tu sais, quand tu parles,
et tout : "oh bah moi, je me goure toujours avec
un certain mot", et puis maintenant que tu le
dis… c'est le même "lésion/liaison".
Lise : Pour moi, je situe entre 7 et 12 ans, "des
choses" que mon grand frère m'a faites.
Les mots que j'ai employés, je me souviens
toute petite, il me surprenait toujours, j'étais
déjà plus ou moins endormie ; et un
des premiers mots, j'ai crié : "arrête
ou je le dis à maman". Je ne sais plus
ce qui s'est passé après. Donc, c'était
pas le mot inceste, mais je sentais quelque chose
de pas bien. Et plus tard, à dix ans, en compagnie
de deux petites filles, qui parlaient de la sexualité
de leurs parents, je me souviens, moi j'ai dit : "moi
mon frère, il me le fait mais par derrière".
Et là, j'ai senti… parce que pour moi,
c'était normal. Et à ce moment-là,
une des filles a dit ; elle s'est mise à crier
: "oh! Vous vous rendez compte ? son frère
lui fait par derrière! Son frère, il
lui fait par derrière". Et là,
j'ai eu la notion que c'était pas bien. Et
je me suis dit que je ne le dirais plus.
Delphine : Mais jusque là,
pour toi, ça allait ?
Lise : non, mais ce que je traduisais,
c'est que mon frère me terrorisait. Mais sans
mot, justement.
Claire : C'était un mutisme.
Lise : C'était le mutisme
par rapport à ce frère qui me terrorisait
la nuit, le jour, sans cesse.
Delphine : mais euh… enfin,
c'est un peu cru, les questions, mais… tu te
disais, sur ce qu'il te faisait ? Tu le… tu
t'en disais quelque chose ? tu avais un mot pour désigner
ce qu'il te faisait ?
Lise : non, rien du tout. Et
quand je l'ai dit aux petites filles, instinctivement,
j'ai pensé… c'est normal, quoi.
Virginie : est-ce que c'est au
moment où les filles ont parlé de la
sexualité des parents que t'as mis ça
dans la case "sexualité" ou est-ce
que tu l'avais quand même mis dans une case
sexualité.
Lise : C'est le récit
des petites qui m'a, je pense, excitée, quelque
part, et puis j'ai senti que j'allais valoir quelque
chose d'important. C'était valorisant de raconter
ça. Mais à part ces deux actes que j'ai
dit, liés à ces deux souvenirs, le reste,
c'est le grand silence, la peur, la trouille de ce
frère.
Régane : Moi, c'est "aie",
parce que ça m'a fait mal. Mais à part
ça, c'est elle qui a eu plus de mots que moi.
C'est elle qui a donné tous les mots, pour
expliquer ce qu'elle faisait. Et je ne sais pas si
c'est ça, mais je me suis dit "c'est de
ma faute". D'abord, je me suis dit "je vais
aller me tuer", tellement, elle me faisait mal,
de toutes façons. Je la voyais me déchirer
en deux. Et là, je me suis dit : "mais
c'est pas possible, elle va me tuer". Et c'est
tout. Et après, bien c'est elle qui a expliqué
pourquoi elle faisait ça, et c'est elle qui
a mis des mots sur tout ça, puis.
Delphine : Et toi, tu as repris
à ton compte les mots qu'elle disait ?
Régane : Bah oui, parce
qu'en fait… oui, du coup, ça a donné
"c'est moi qui étais mal foutue",
"on a essayé d'arranger quelque chose",
et c'était de ma faute. C'est surtout parce
que la fois d'après, pour le bain, pareil.
Je me suis retrouvée au même endroit,
même douleur, et là, je me suis dit "merde!
comment ça se fait que je suis revenue exactement
là" j'ai eu l'impression d'être
revenue là où il ne fallait pas.
Le psychologue : est-ce quelqu'un
a quelque chose a rajouter ? Sur ces premières
paroles qu'on dit pour soi ?
Annabel : moi, je n'ai pas non
plus de parole, parce que j'avais oublié. Par
contre,je me souviens que très petite, très
jeune, j'ai eu le sentiment de ne pas être comme
les autres, d'être plus un objet, un boulet,
qu'une personne, enfin, qu'un être humain. Je
me sentais tout le temps "pas comme il faut",
"dégueulasse". Et très vite,
je me suis dit : il faut absolument que personne ne
voit ça, donc je vais trouver le moyen de montrer
ce que je ne suis pas, donc en fait, quelqu'un de
bien. Et tout ça venait de moi, de quelque
chose de pas bien, en moi.
Claire : je voudrais revenir
sur ce que tu disais, de la parole de l'autre, de
l'agresseur ou de l'agresseuse. Moi je me souviens
que lui, c'est mon oncle qui disait, aussi, que c'est
parce que sa femme ne voulait pas. Elle ne voulait
pas faire de troisième enfant ; qu'il allait
voir les prostituées parce qu'elles étaient
gentilles ; donc il fallait que je lui lise les play-boy
pour qu'il puisse s'exciter, se branler. Parce qu'au
début, je ne savais pas. Et en fait, je crois
que c'est ça aussi qui fait taire ses propres
mots à ça. C'est que c'est l'adulte
qui met des mots sur ses actes. Il justifie ses actes.
Et puis, je me souviens que très tôt,
il me disait : il ne faut pas que tu le dises à
ta mère parce qu'elle sera fâchée
toute sa vie. Alors pour un enfant, c'est long, toute
sa vie. Donc je pense que c'est ce genre de situations…
INTERRUPTION de l'extérieur…
Le psychologue : donc, on va
se remettre de cette interruption dans nos prises
de parole respectives. Effectivement, on voit bien
que vous avez associé… on avait dit :
il s'agit des paroles pour soi, des paroles qu'on
a prononcées pour soi, et là, vous faites
rentrer, plusieurs d'entre vous, un élément
qui est la parole de l'autre, et plus particulièrement
la parole de l'adulte. Par rapport à ça,
est-ce que quelqu'un a envie de rajouter quelque chose
? Sur cette idée que la parole pour soi est
en liaison avec la parole de l'adulte. Et peut-être,
c'est la parole de l'adulte qui sert de parole pour
soi.
Lise : Excuse-moi, tu peux répéter,
je suis encore dans l'interruption…
Le psychologue : Quelque chose
qu'on se réapproprie, et qui fait que justement,
on est dans ce blocage des mots, d'une parole pour
soi.
Géatan : C'est vrai que
j'avais pas les mots, même par rapport à
moi, mais la parole de l'adulte agresseur qui me convoque.
Parce que c'est de l'ordre de la convocation dans
son bureau. Et qui dit : ta maman est une grande amie,
et ça lui fera beaucoup de peine. Et qui ne
dit pas "tais-toi!" il dit "ça
lui fera beaucoup de peine. Et à partir de
ce moment là, bon bah, oui, de toutes façons,
les mots, je ne les avais pas, mais ils sont venus,
relativement vite, après. Parce que j'ai pu
en parler très vite, enfin… quelques
moi après à quelqu'un en qui j'avais
une extrême confiance. Mais voilà, quoi.
Mais c'est vrai que par rapport à l'agression,
c'est moi qui n'ai pas voulu faire de peine à
ma mère. Comme nous tous, on est chargé
; on nous charge.
Sidonie : Oui, je voudrais dire,
c'est vrai par rapport aux mots, et les mots…
les deux ou trois phrases qu'il a dites ont construites
toute ma vie. Ça a été "tourne-toi
contre le mur", donc le mur est devenu pour moi
quelque chose de très très important.
Et "tu n'es qu'une petite putain comme ta mère".
Donc toute la construction a été de
ne jamais être comme ma mère, de ne jamais
être une putain. Et la grande incompréhension,
d'abord, par ce que c'était qu'une putain ;
donc quand ma mère me l'a expliqué,
c'était aussi encore des trucs complètement
: les putains vendaient leurs corps, et moi je regardais,
et je les voyais rentrer dans l'allée avec
un homme et ressortir, elles avaient toujours leur
corps. Je ne comprenais pas. Je me disais : mais si
elles l'ont vendu, elles ne peuvent plus l'avoir…
et donc, j'ai eu tout un méli-mélo comme
ça, par rapport à la putain, à
la vente, et ces mots là… voilà,
j'ai été chargée de ces mots-là,
qui ont été Les Mots autour desquels
je me suis construite. Mais ce n'était pas
les miens, je ne les comprenais pas.
Virginie : Moi aussi, le côté
bouche-trou "ma femme n'est pas là",
c'est pas top, quoi. Ça fait un peu bouche-trou.
C'est vrai que c'était la première fois
que je revoyais mon père depuis qu'il m'avait
abandonnée à trois ans, et c'est vrai
que j'étais malgré tout, flattée
dans un sens parce que je ne l'avais pas vu, et contente
qu'il m'invite. C'était la première
fois qu'il m'invitait à passer des vacances
chez lui, donc évidemment, c'était un
grand honneur. Et j'ai quand même… il
y avait quelque chose de l'ordre de la trahison parce
que d'un coup, j'ai remis en cause aussi ces vacances
que je passais chez lui, parce que finalement, je
me suis dit : c'est pour faire le bouche-trou, quoi.
C'est pas pour moi. Mais en même temps, j'ai
senti, ce jour là, je crois, la force et la
violence de ce quelque chose qui était réservé
aux adultes et qui était, que je ne nommais
pas mais que je me suis dit que j'allais un jour découvrir,
et qui permettait de se donner une légitimité
et une existence. Puisque par la suite, toute ma vie,
j'ai intégré l'idée qu'il fallait
passer à la casserole pour être quelqu'un,
se faire aimée. J'ai bien intégré
que si sa femme avait été là,
peut-être qu'il ne m'aurait jamais invité.
Donc il fallait que ça en passe par là.
Donc c'est vrai que les premiers mots jouent un rôle
important. Parce qu'en fait, effectivement, toute
la vie peut s'organiser autour de ça. Comme
c'est quelqu'un d'important, qui plus est, je l'avais
attendu toute ma vie, et pendant toutes ces années,
même si je ne le voyais pas, c'était
le messie. Donc le messie, quand il dit, il explique
bien.
Géatan : Je voudrais ajouter
quelque chose ; je ne sais pas si c'était en
psy ou dans le groupe de parole, on parlait de la
honte et de la culpabilité, et moi je me disais
que c'est curieux, je n'ai jamais eu cette impression
d'être chargé, enfin, d'être honteux
ou coupable de quelque chose. Et puis là, dans
ce que je disais précédemment, bien
en fait, en me chargeant… bien elle est là,
ma culpabilité, justement : ne pas faire de
peine à ma mère. Donc me taire. Même
si le pacte, entre guillemets, n'a pas tenu longtemps
entre moi et l'agresseur. Mais oui, je me disais,
je ne me suis jamais senti coupable, mais si, en fait.
Le psychologue : Quelqu'un veut…
Virginie : Oui, c'est juste encore
un truc mais j'y repense. C'est queaussi, effectivement,
remplacer l'adulte, je rajoute, c'est malheureux,
mais c'était très flatteur pour moi.
C'est-à-dire que petite fille, je pouvais faire
quelque chose pour lui. Et j'étais mise au
rang des adultes. Et je me suis toujours posé
la question de savoir pourquoi j'en avais pas parlé
à ma mère, mais c'était aussi,
je crois, que je sentais malgré tout que cela
ne se faisait pas de prendre ce rôle là.
C'était des choses qu'ils faisaient eux, mais
moi, tout d'un coup, je pouvais intervenir, aider
quelqu'un éventuellement, je voulais ce rôle.
Ça paraît délirant, ce que je
dis, mais je le sentais malheureux et je me disais,
je vais pouvoir faire quelque chose pour lui. Et donc,
si j'en avais parlé, on m'aurait peut-être
interdit de retourner le voir et moi je ne voulais
pas laisser mon petit papa comme ça, et voilà.
Et en même temps, je pense que chez tous les
enfants, il y a un rêve de devenir adulte ou
bien qu'on les mette dans des rôles d'adultes,
et j'étais presque flattée de cette
considération venant de lui.
Claire : Oui, ils font croire
à une sorte de privilège, quoi.
Régane : Moi, j'ai plus
l'impression qu'on m'a désappropriée
de ma parole. On me l'a retirée. Parce que
tout à l'heure, tu disais : "on se ré-approprie
la parole de l'autre". Mais moi, on m'a retiré
la mienne. Et je me rappelle une fois, j'ai attaqué
mon propriétaire en justice pour un truc, et
je suis ressortie de là, j'avais parlé,
je m'étais défendue, c'était
Ma parole. Ça fait trois ans, je crois. C'est
là, je crois, que j'ai commencé…
je ne sais pas vraiment ce qui s'est passé
mais je sentais que c'était bien : j'avais
ma parole, pour moi.
Le psychologue : c'est un élément
important sur lequel je pense qu'on pourra revenir
dans le troisième sous-thème.
Delphine : je peux dire un truc
? ça me fait penser. La parole muselée,
ou désappropriée, comme tu dis ; ça
me fait penser que… moi, je ne me souvenais
pas, et je ne me souvenais pas de ce qui se passait,
mais par contre, ce dont je me suis toujours souvenue,
c'est les moments que je passais cachée dans
un placard ou dans les toilettes pour pas qu'on me
trouve, pour pas qu'on me trouve, terrifiée.
Et aussi, ce dont je me souviens rétrospectivement,
c'est plutôt la parole qui… bon, au début,
je ne parlais pas, j'étais trop petite, c'était
avant que j'apprenne à parler. Mais même
quand on a commencé à parler avec ma
sœur, j'ai une sœur jumelle, c'était
surtout : l'empêcher de parler, elle. Lui enlever
toute possibilité d'utiliser sa parole. Ça
j'ai toujours senti ça chez mon grand-père
; il lui disait tout le temps qu'elle était
vraiment la plus bête du monde, stupide, débile,
moche, et "mais taits-toi!", et "mais
ce n'est pas la peine!", et "ne parle pas".
Et donc, je ne sais pas comment ça se jouait
dans sa tête à lui, mais je pense qu'il
savait que Elle pouvait parler, elle était
plus forte que moi. D'une certaine façon, sans
qu'il y ait eu de mots autour de ce qu'il faisait,
lui avait des mots pour que rien ne sorte. Et donc
après, effectivement, on n'a plus de parole.
Claire : Mais je pense que les
agresseurs ont une politique de muselage, quoi. Instinctivement,
ils pensent à ça, à se débrouiller
pour que l'enfant se taise. C'est de la manipulation
pure et simple, parce qu'il y a le côté
sexuel et physique, charnel, mais l'emprisonnement
est psychique. Et je pense qu'ils sont très
forts.
Virginie : Dans le cas de mon
père, il n'a même pas eu besoin de menacer.
Il devait très bien savoir que je n'avais qu'une
envie, c'est d'aller le voir. Et il a pu se dire "ça
va le faire".
Claire : Oui, mais il a quand
même justifié de son acte, en disant
: je fais ça, parce que ma femme n'est pas
là. Donc,ce n'est pas de sa faute…
Lise : je ramène toujours
ce "chut!", parce que pendant que mon frère
s'approchait et commençait, il disait "chttt…"
donc je ne pouvais pas parler non plus, à cause
de ça. Avec les années, ce "chuttt"
a pris des proportions.
Régane : Bien moi aussi,
en fait. Elle me disait "taits-toi!" quand
je disais que j'avais mal, et elle me faisait taire
parce que mon père allait entendre…
Annabel : donc on obéie.
Régane : du coup, je me
demande… je n'ai pas encore vraiment réfléchi
encore là dessus parce que la relation avec
mon père n'a pas été suffisamment…
elle a été plutôt bien. Mais je
me demande en fait si elle ne m'a pas, du coup, écarté.
Je ne lui parlais pas. J'aurais pu, avec ce qu'elle
m'a dit, ne jamais parler à mon père.
Lise : Tu as parlé avec
ton père ?
Régane : Oui, de temps
en temps.
Delphine : tu veux dire, parler
en général ?
Régane : Non, parler
en général ; il fallait vraiment que
j'ai quelque chose à lui demander pour aller
lui parler.
3)
Qu'est-ce qui a changé, dans mon propre discours,
depuis le moment des premières rencontres amoureuses
jusqu'à aujourd'hui.
Le psychologue : Je propose qu'on passe au deuxième
sous thème, qui est "qu'est-ce qui a changé
dans mon propre discours, depuis le moment des premières
rencontres amoureuses et jusqu'à aujourd'hui
?"
Mireille : Ah! C'est qu'est-ce
qui a changé ? je n'avais pas compris ça.
C'est qu'est-ce qui a déclenché les
changements ?
Sidonie : moi, j'ai du mal à
comprendre.
Régane : c'est d'une manière
générale, notre discours ?
Le psychologue : par rapport
à tout ce que vous avez dit dans le premier
sous thème, sur la parole de l'adulte, sur
le fait de se taire ; qu'est-ce qui, par rapport à
ce discours que vous avez eu pour vous, ou même
ce silence qui a été très impacté
par la parole de l'adulte : qu'est-ce qui a changé
dans le discours que vous avez pu avoir, vous.
Virginie : par rapport au ressenti,
est-ce que ça a changé, tu veux dire
?
Le psychologue : Voilà,
par rapport à ce ressenti des pratiques incestueuses,
depuis le moment des premières rencontres amoureuses,
et jusqu'à aujourd'hui, qu'est-ce qui a changé
dans le discours.
Mireille : je ne comprends toujours
pas
Le psychologue : Quel a été
l'impact, la modification qu'il y a eue, pour vous,
dans votre capacité à avoir un discours
sur le ressenti des pratiques incestueuses, à
partir du moment où vous avez eu des rencontres
amoureuses ?
Delphine : c'est-à-dire
qu'au début, tu ne te disais rien, et puis
après, est-ce que le fait d'avoir eu un début
de vie amoureuse t'a fait voir les choses autrement
?
Mireille : est-ce que ça
a eu un impact ?
Virginie : Oui, c'est ça.
Mireille : Oui.
Géatan : c'est curieux,
parce que moi je me rends compte que je suis complètement
coupé de… parce que moi, ça m'est
arrivé quand j'étais pré-pubère,
ou pubère. J'envoyais des signes, mais je n'avais
pas du tout de discours. Il y avait plein de signes,
mais le discours ou la parole, la prise de conscience
est arrivée très tardivement, jusqu'à
il y a peut-être cinq ans. Avant, j'avais rien.
Ce que je voyais, c'était les actes que je
posais. Mes relations avec les filles, c'était
très compliqué, et j'étais dans
l'incapacité à aimer ; j'ai toujours
encore du mal à savoir ce que c'est qu'être
aimé, ou aimer. Plutôt qu'être
amoureux, c'était "aimez-moi!". Mais
moi, le sentiment amoureux, c'est… donc cette
question, ça a du mal à résonner
en moi, parce que justement, j'ai l'impression que
j'ai jamais été dans ma parole. Et par
rapport aux filles, qu'est-ce que ça a changé,
ben je ne sais pas, je ne peux pas répondre.
Mireille : est-ce que vous m'autorisez
à lire ? C'est un texte, parce qu'en fait,
moi, la seule fois où j'ai commencé
à parler, c'était donc à mon
futur mari. J'avais 22 ans, seulement, donc depuis
9 ans, j'étais muette. Muette. C'est tout?
Je m'étais interdit de tout, je crois. Alors
je lui avais écris ça, et je prends
conscience aussi que des mots, je n'en avais pas beaucoup.
Vous allez voir. Alors j'avais écrit : "Il
y a une ombre entre nous qu'il ne tient qu'à
moi de lever. Je crois que tout remonte à mon
enfance. Excuse-moi mais je n'ai jamais eu le courage
de le dire, et ça m'est extrêmement pénible
de l'écrire. Mais je te le dois. J'ai toujours
gardé cela sur moi, tu vas être outré.
J'ai honte. Pas pour moi. Un an après le mariage
de ma sœur, mon beau-frère a été
opéré de l'appendicite et pendant sa
convalescence, il fut souvent chez nous. [changement
de face de cassette] Je n'ai rien dit. Mais après,
malgré les apparences de bonne entente, j'ai
toujours évité de me retrouver seule
avec lui. Et quand ma nièce est née,
je me suis dit "la pauvre". Car en effet,
elle a aujourd'hui l'âge que je pouvais avoir
à l'époque et un type ne change pas
comme ça. Je sais qu'il est persuadé
que je le déteste, et réellement, je
n'éprouve pas grand chose pour un salaud. Voilà,
tu sais tout, ce n'est pas du baratin, quel intérêt
aurais-je à raconter des histoires, je sais,
ça fait tellement invraisemblable. Je ne peux
rien faire pour que tu me croies. Excuse mon silence
quand tu as abordé ce sujet, mais je suis trop
lâche. Aide-moi à être moins lâche.
Que c'est difficile d'être toujours prisonnier
de ses défauts ou de soi-même. Je termine
cette lettre ; j'ai chaud d'avoir écrit tout
cela. Tu es la seule personne à qui j'ai dit
cela ; c'est normal, je te le dois." Alors, oui,
oui, oui, voilà ce qu'il a avait répondu,
parce que ça va toujours dans le sens des non-paroles,
quand même. Il m'avait répondu, toujours
par écrit. "Voilà un mystère
de levé et je n'en suis pas mécontent.
Quant à ton beau-frère, mieux vaut ne
pas s'étendre dessus, cela nous ferait perdre
du temps. Il est des gens de qui il vaut mieux ne
pas parler".
Alors voilà, d'un certain côté,
il m'a entendue, et puis après, on n'en parle
plus : terminé. Alors après, j'ai mis
encore au moins vingt ans, plus de vingt ans, trente
ans, avant de me décider à bouger.
Delphine : Toi, tu avais toujours
ça en tête ?
Mireille : Je ne l'avais jamais
oublié. Enfin, j'ai oublié des choses,
parce que le fait d'être plus vierge, ça,
là, je ne sais pas, j'ai vraiment occulté,
je ne m'en rappelle plus. Mais j'avais quand même
jamais oublié, tout de même. Pour moi,
il y avait eu ce viol, ce viol, ce viol. Bon, le mot
inceste, à l'époque, évidemment,
on ne disait pas ça. Et donc, et c'est tout.
Donc voilà ; ça, c'est vraiment les
mots que j'ai dit quand j'avais 22 ans. C'est elliptique,
n'est-ce pas ?
Claire : Tu ne dis rien.
Annabel : rien du tout.
Virginie : Tu disais que c'était
un vrai viol ?
Mireille : Je disais le mot viol,
mais c'était pas trop violent. Le mot viol…
non, il était en douceur, en relation sexuelle,
en relation gentille. Il savait être gentil,
il savait être gentil, il savait donner le change…
c'était quelqu'un qui pouvait être charmant.
Delphine : Oui, un vrai viol,
quoi.
Virginie : Pour moi, le viol,
c'est quarante mille baffes, la lame sur le cou…
Mireille : Non, non, c'est pas
ça. C'est le mot que je disais parce que je
n'en avais pas d'autre. C'est le seul que j'avais
dans la tête.
Delphine : C'est le mot adéquat.
Mireille : est-ce que je peux
ajouter autre chose ? Parce qu'après, il y
a eu quelques problèmes dans la famille, et
disons, dix ans, quinze ans plus tard, j'avais eu
envie de lui dire à lui. J'avais eu envie de
lui dire : tu sais, je n'ai pas oublié ce qui
s'est passé pendant l'enfance. A mon beau-frère.
Et mon mari encore une fois, m'a dit : "tais-toi,
il va venir nous flinguer". Donc il a tellement
semé la peur, qu'il a bloqué tout le
monde. Bon, et puis moi, je n'ai pu parler qu'une
fois qu'il a été mort.
Virginie : Ton mari ?
Mireille : non, mon beau-frère.
Mon mari est vivant.
Delphine : les petits problèmes
dans la famille, c'est lié au viol ?
Mireille : Les petits problèmes,
je ne sais pas s'ils sont petits ou grands, mais c'est
sûr qu'il a emmerdé le monde tout le
temps. Et quand je parle de ma nièce, je suis
sûre… enfin, elle ne l'a jamais dit elle-même,
mais je pense qu'il y a quelque chose.
Delphine : Toi, tu avais quel
âge, quand ça s'est passé ?
Mireille: moi, j'avais 9 ans.
Entre 8 et 9 ans.
Le psychologue : il y en a parmi
vous qui voulaient intervenir sur les thèmes
qui avaient été utilisés, tel
que "viol" ?
Géatan : la question du
viol… moi j'ai toujours beaucoup de difficultés
à dire ce que j'ai vécu : est-ce que
c'est du viol ? de l'agression sexuelle ? Et par rapport
à cette société où le
terme viol se repère ; on parle de pénétration,
de violence, etc… donc souvent, c'est tellement
difficile à repérer, à poser
les mots sur ce que moi, j'ai vécu. Agression
sexuelle, abus sexuel, viol, c'est toujours très
compliqué parce qu'on est empreint, un peu,
du discours de la société, de la loi,
c'est…
Virginie : Si tu arrives au commissariat
et que tu n'es pas déchirée de partout,
on ne te croira pas. C'est clair. Donc a priori, il
faut vraiment se débattre, en prendre plein
la gueule, se recevoir des baffes et être enchaînée
pour que ce soit un viol. C'est comme ça. Nous,
on appelle ça viol, en interne.
Delphine : Mais non! Pourquoi
tu dis ça ? Moi, j'appelle pas ça un
viol. Toi tu dis ça, peut-être, mais
pas moi.
Virginie : Non, pas du tout,
c'est pas moi qui délire, tu vas dans un commissariat,
si t'es pas… il y a des femmes qui sont paralysées
de peur, ou d'autres qui arrivent à être
suffisamment schizo pour se laisser faire, et vas
voir comment on les reçoit dans les commissariats.
Delphine : Parle pour toi. Tu
dis : "nous, en interne". Bien moi, je ne
parle pas de viol, pour moi. Mais moi, c'est dans
certaines circonstances, à certaines personnes,
que je peux appeler ça comme ça, mais
moi, pour moi, je n'appelle pas ça viol.
Virginie : Ah oui! D'accord.
Mais officiellement, quand même, le viol est
une chose ; à part au planning où ils
veulent tout appeler viol, y compris inceste ; t'as
le délire d'un côté, et de l'autre
côté, la société délire
de l'autre ; il faut prendre un risque vital pour…
Quelqu'un s'approche de la porte
extérieure vitrée…
Delphine : tiens, quelqu'un qui
joue avec le feu…
Annabel : non, mais ça
y est, ma crise est passée, mais tout à
l'heure, j'ai ressenti ça comme un danger majeur.
Sidonie : oui, oui, on a bien
compris.
Annabel : mais là, c'est
passé.
Delphine : non, mais attends,
ça va, c'est normal.
Le psychologue : je vous propose
de rester sur le thème, et je vous propose
en tant que médiateur d'aller dire un mot,
au moment de la pause. L'échange que vous venez
d'avoir à propos du terme de viol ; là,
on revient un peu au sous thème. Est-ce que
viol, c'est un mot, qui vous est venu à un
moment plus précis, au moment de vos premières
rencontres amoureuses, ou est-ce un mot que vous avez
associé à un moment particulier ?
Delphine : Moi, je ne peux toujours
pas…
Lise : Moi, je ne l'ai jamais
employé pour moi : jamais, jamais, jamais.
Annabel : Moi, j'avais des fantasmes
érotiques d'être violée. Mais
en tous cas, l'amnésie a été
levée à peu près, je ne sais
pas quel âge j'avais : à peu près
50 ans : je n'ai jamais parlé d'inceste, j'ai
toujours parlé de viol. Et c'est ma psy…
qui parlait tout le temps d'inceste, et je ne voyais
pas du tout le rapport avec… alors pourquoi
je parlais de viol ? parce que comme moi j'étais
très petite ; après, il a recommencé
avec ma fille, aussi très petite, et ça
a duré pendant des années ; si tu veux,
avec un petit enfant, une grande personne ? C'est
complètement dans la domination. Même
si tu te débats et si tu ne veux pas, il n'a
pas besoin de te mettre un couteau, pour t'obliger,
te retourner. Donc moi, c'est toujours le mot viol
qui est venu qualifier immédiatement : viol/violence,
même s'il pouvait être gentil parfois.
Mireille : Moi aussi, c'est le
premier mot qui m'est venu, et c'est le seul que j'avais
dans ma tête : viol.
Delphine : Oui mais pourtant,
tu ne le dis pas, dans ta lettre. C'est venu après
?
Mireille : Oui, je ne le dis
pas. Je crois que je l'avais en tête mais je
ne le disais pas.
Annabel : C'est une chose de
l'écrire, de le penser, et de le faire passer
à quelqu'un. Surtout quelqu'un que tu aimais.
Delphine : Je peux te demander
quelque chose ? Je suppose que c'est récent
que c'est tapé à l'ordi…
Mireille : Oui, c'est d'hier
soir. Ce sont des lettres, des échanges que
j'avais avec mon fiancé.
Delphine : Ton fiancé,
tu savais qu'il les avais gardées, tes lettres,
ou bien c'est toi qui as récupérées
à un moment ?
Mireille : Oui, il les a gardées,
mais je ne savais pas qu'il les gardait. Mais après,
comme on s'est marié, on a constaté
qu'on avait gardé nos lettres ; donc on a pu
refaire nos échanges, à quelques années.
Sidonie : Par rapport au mot
viol, moi je voudrais dire ; alors là, c'est…
peut-être dix ans après que l'amnésie
se soit levée, que le mot m'est venu. Mais
il m'est venu parce qu'il était dans l'air
du temps, parce que les psy en parlaient, etc…
Parce que pour moi, il n'y a pas encore très
longtemps ; c'est "doute". Je le sais dans
mon corps, je le sais dans toute mon histoire, mais
c'est doute, puisque je n'ai aucun souvenir. Et comme
il m'a violée par derrière, je n'ai
pas perdu ma virginité, donc je n'ai jamais
eu à en parler à mes amants, à
mes maris… parce que je ne le savais même
pas. Donc je n'avais absolument aucune… même
aucune connaissance de mon corps. Donc, il ne peut
pas y avoir, il n'y a pas eu d'évolution dans
ce mot là, sauf à partir du moment où
j'ai commencé à lever l'amnésie,
à prendre connaissance de mon histoire. Mais
c'est le mot "doute" puisque cet homme là
qui était mon oncle a mis en même temps,
pour moi, le doute dans ma tête qu'il était
mon géniteur. Donc il y avait aussi le doute,
que j'ai d'ailleurs toujours : est-il mon père
? est-il mon géniteur ? l'autre l'est-il ?
m'a-t-il violée ? apparemment, mon vécu,
et toute l'histoire que j'ai remontée ; du
pourquoi je me suicidais, ou je faisais des tentatives
de suicide, pourquoi… tout ça est logique,
mais c'est le mot doute. Sauf maintenant, je n'en
ai plus. Depuis que je suis venue ici, à AREVI,
et puis que je vous ai entendus parler ma langue,
dire mes mots, et puis que j'ai eu à revivre,
il y a peu de temps, une partie de sensations de ce
viols, où je sais maintenant que j'ai pleuré
; bon. Maintenant, je n'ai plus de doute. Et puis
si, la personne qui m'a soignée le lendemain.
Ça, j'en ai le souvenir. La maman de la petite
copine chez qui j'étais, qui m'a mis des poudres
sur les fesses, pendant plusieurs jours ; sa petite
fille qui demandait à voir mes fesses. Donc,
ça, c'est des souvenirs que j'ai qui me disent
bien qu'à cet endroit là, il se passait
des choses.
Virginie : Pour revenir à
l'histoire entre la puberté, jusqu'à
aujourd'hui. En fait, ça s'est fait en deux
temps, mais je [inaudible] je le vis très mal,
mais bon, à mon avis, c'est pas mon père
qui m'a fracassée, je devais déjà
être fracassée par ma mère. Parce
qu'en fait, ça s'est mal goupillé. Parce
que la première fois, quand j'avais 12 ans,
je pense qu'il y avait un tableau qui faisait que
j'allais faire ce que j'allais faire, qui est complètement
débile. Et donc, à 12 ans, il n'y a
pas eu viol, il n'y a pas eu pénétration
non plus ; enfin, il y a juste eu "tripatouillage
sur une queue molle", qui ne bandait même
pas. Je dis ça, parce que j'ai très
clairement le souvenir de cette peau bizarre qu'on
n'a nulle part ailleurs,
Delphine : Surtout toi…
Virginie : bon, et que j'ai retrouvée
par la suite, et encore, pas tout de suite parce qu'en
général, on ne voit pas les peaux comme
ça, il faut vraiment vivre avec quelqu'un.
Bon…
(rires)
Annabel : c'est bien, ça
détend.
Virginie : et donc cette espèce
de peau m'a fait comprendre que j'étais dans
un endroit inconnu, et relié que c'était
bizarre. Mais donc, il m'a juste mis la main,
Annabel : oui, c'était
pas méchant…
Virginie : bon, y'avait pas mort
d'homme, je veux dire. Et comme c'était très
relié avec le fait que je revoyais mon père
et que c'est tout-à-fait banal et basique ;
quand on n'a pas de père, on le cherche ; et
en fait, je pense que c'est lié à cette
copine qui ensuite, m'a dit que ça pouvait
très bien se passer. Ça partait d'un
très bon sentiment, et donc, j'avais dû
en ressentir un très grand soulagement, et
en fait, comme ensuite il n'a jamais redonné
signe de vie, il n'a jamais appelé, il n'a
jamais envoyé une carte d'anniversaire, ce
qui pour moi, est beaucoup plus dur à vivre
que ce que j'ai vécu ce jour là, donc,
je me suis dit : il faut que j'aille le retrouver.
Et, comme entre temps, j'étais devenue pubère,
et j'avais compris la libido, où ça
devait aboutir, etc… et donc, je suis partie
bille en tête pour le revoir et me le faire.
Je suis désolée de le dire comme ça,
mais comme j'étais une ado perturbée,
je pense, à cause de ce qui s'était
passé, ben "je me faisais" les mecs.
Parce que, pour éviter qu'ils ne me fassent,
quoi. J'étais devenue une espèce de…
il fallait que ce soit moi qui dirige, en fait, qui
prenne l'initiative de ce qui se passait, même
si c'était douloureux. Il fallait que ce soit
moi qui ai le contrôle. Donc j'ai été
le rejoindre. J'avais 20 ans, là dessus. Pendant
toute ma puberté, j'ai été hyper
violente avec les hommes, je les consommais, je les
jetais, je faisais comme certains hommes font avec
les femmes. Et donc je suis arrivée, à
20 ans, à Londres, là où il était,
où il m'avait appelée. Donc il m'avait
téléphoné, et je m'étais
dit : s'il m'appelle, c'est pas pour rien. Il devait
y avoir un truc, c'était qu'il avait encore
besoin de moi, ou je ne sais pas quoi. Sauf que je
me suis dit : cette fois-ci, c'est pas lui qui va…
maintenant, quand même, je sais de quoi on parle.
Et donc, je pense que c'est ça, en fait, qui
m'a ensuite le plus traumatisé, parce qu'il
n'y a pas eu viol, violence, il n'y a rien eu. Mais
effectivement, désolée, j'ai couché
avec lui. Alors les cartes étaient posées,
puisque de toutes façons, quand je suis arrivée
dans cet hôtel, c'est vrai qu'il n'avait pris
qu'une seule chambre pour nous deux, une chambre à
lit doubles. Après, je me suis longtemps demandée
si les pères faisaient ça. Est-ce qu'ils
dormaient avec leur fille ? Il a fallu que je fasse
entrer tout ça dans ma tête. Donc toutes
façons, c'était prévu que je
dorme avec lui. Donc je me suis bourrée la
gueule, évidemment, et je ne me souviens pas.
Ce que je sais, c'est que je me suis réveillée,
le matin, à poil dans le lit, par la sonnerie
du téléphone qui m'annonçait
que ma grand-mère était décédée
cette nuit-là. Donc c'était super…
ça s'est passé à une heure près,
au même moment. Et donc, là, j'ai gardé,
j'ai continué à garder ce mot de "relation".
Et pour en finir par rapport au thème, c'est
que j'étais évidemment un peu mal, j'ai
commencé à chercher un psy, avec comme
idée… en fait, j'étais tellement
mal que je prenais des bouteilles de vodka que je
buvais pures, comme ça, jusqu'à ce que
je tombe raide par terre. Et je me suis dit, il faut
que je trouve un psy. Et toute ma demande, par rapport
à mon psy, a été de dire : je
ne supporte pas la mort de ma grand-mère. Je
veux en crever, je vais me foutre en l'air, ma grand-mère,
je l'aimais trop. Et ça a duré des années,
chez lui, autour du deuil de ma grand-mère,
qui effectivement s'était passé au même
moment. Et donc, c'est lui qui le premier a mis un
mot dessus, et a commencé à me dire
que : de toutes façons, quand bien même
je l'aurais, disons, aguiché, cherché
à le séduire, de toutes façons,
il n'était pas forcé, il pouvait me
ramener à ma chambre.
Par rapport à cette histoire "ma femme
n'est pas là", je crois que réellement,
toute ma vie s'organise autour de ça. Parce
qu'au jour d'aujourd'hui, j'ai intégré
un truc très clair, et c'est pour ça
que je passe mon temps dans les bars homos et les
bordels homos, c'est qu'il n'y a qu'un homosexuel
qui peu résister. Parce que toute ma vie ensuite
a été de chercher à vérifier,
à attendre le moment où j'allais provoquer
les hommes. Et comme un rêve d'enfant, je tomberais
sur un qui (parce que moi dans ma tête j'avais
intégré que je l'avais provoqué),
donc, j'aurais beau le provoquer, il y en aurait un
qui dirait non. Et comme, ça n'existe pas,
puisque j'ai essayé et ils finissent tous par
craquer. Donc, je vais vérifier ça chez
les homosexuels. Et comme il y a toujours un hétéro
qui traîne puisque les bordels ne sont plus
ce qu'ils étaient, maintenant… et en
fait, ce n'est pas vraiment une névrose de
répétition, c'est-à-dire qu'au
départ, je provoque, parce que j'ai toujours
provoqué, je vois que cela se passe toujours
comme ça, puisque le mec cède ; c'est
pas de sa faute, en général. C'est parce
que sa femme n'est pas là, elle baise pas bien,
elle veut plus baiser, enfin, il y a toujours un truc.
Et à 40 ans, je suis toujours dans ce raisonnement.
Et je veux dire aussi que si je suis là, je
parle mal et je suis un peu bourrée de neuroleptiques,
c'est qu'il y a deux jours, j'ai fait pareil, j'y
ai été, dans un bar homo. J'ai provoqué
tous les homos, que ça fait bien marrer, et
qu'il y avait encore un hétéro, et que
j'ai fini encore à moitié violée,
porte de la Chapelle. Donc il y a les homos qui font
tampon pour l'instant, et j'ai compris aujourd'hui,
que je cherche toujours le père qui me dira
"non". Et j'ai quand même aussi réalisé,
en venant, que peut-être, à 20 ans, je
cherchais ça aussi. Je me disais, il y aura
bien un moment, où… parce que cette "relation"
a continué pendant quelques années,
et à chaque fois, j'y allais dans l'espoir
que ça redevienne un vrai père parce
que je ne pouvais pas faire le deuil du père.
C'était impossible, pour moi. Le problème,
c'est que de ne plus avoir de relation avec lui, cela
voulait dire ne plus avoir de père. Et mon
père, je l'avais tellement attendu que je ne
voulais pas. Donc j'étais dans un trip "il
va changer". Quand il va être bien dans
sa tête, il m'acceptera comme une fille. Et
donc, ça a duré des années, jusqu'à
ce que je vois que non, qu'il avait qu'une envie,
c'est que je sois sa maîtresse, et il n'y avait
rien à faire. Et donc là, je crois que
j'ai transposé. Maintenant, je cherche ça
chez les homos, mais je n'arrive pas à faire
le deuil de ce père qui ne me toucherait malgré
tout ce que je peux provoquer. Dans dans ma tête,
c'est ancré, c'est moi qui cherche.
Lise : je voulais rebondir, je
mets de côté ce que vient de dire Virginie
; parce que ce mot "rencontre amoureuse",
je n'en ai jamais faite de ma vie. Je n'ai jamais
eu de relations sexuelles. Je ne l'ai jamais dit qu'à
ma psy, mais bon, ici, je peux le dire, mais sinon,
j'avais honte de ne jamais avoir eu de relations sexuelles.
Quand j'ai dit ça à ma psy, elle dit
"jamais eu" ? C'est vrai que je n'ai jamais
eu d'homme dans ma vie en dehors du frère.
C'est pour ça que cette question était
pour moi… j'étais exclue de ça.
Mais des relations sexuelles, j'en ai eues en imagination,
c'est tout. Je me suis fabriqué toute une histoire.
Parce que j'ai jamais été capable de…
et cette histoire, je me la suis fabriquée
en entrant au carmel pendant ma vie de carmélite
qui a duré seize ans. Je l'ai fabriquée
bien à l'abris, je ne vais pas dire "au
chaud" car il n'y avait pas de chauffage, c'était
plutôt un endroit froid.
Delphine : est-ce que, à
ce gars-là avec qui tu as vécu une histoire
en imagination, est-ce que tu lui as dit que tu avais
été agressée par ton frère
?
Lise : Non, je pense que j'ai
quitté le Carmel par cette relation sexuelle.
Delphine : Mais tu lui parlais
?
Lise : Oui, j'avais bâti
une vie totale, une vie de couple.
Delphine : Mais tu ne le lui
as pas dit.
Lise : Non.
Le psychologue : et pour rester
dans le thème, est-ce qu'il y avait une dimension
amoureuse, sentimentale ?
Lise : non, je n'ai jamais eu
de sentiments… enfin oui, dans cette histoire,
c'était une relation idyllique, amour réciproque,
formidable.
Virginie : Et l'anglais ?
Lise : Ah oui! Alors cet Anglais…
Virginie : euh! Pardon…
(Rires parce que personne n'était
au courant)
Lise : ça a été
un émoi. Un émoi amoureux à la
sortie du Carmel. Je suis sortie à 36 ans,
cela devait être à 38 ans. Donc j'étais
dans une famille d'accueil, c'était le système
de vacances que j'avais choisi toute seule encore,
puisque j'ai toujours tout fait toute seule. Et c'était
le gendre de la famille dans laquelle j'étais.
Et il avait un bateau, il faisait du bateau, il m'a
ramenée à Dunkerque dans son bateau.
C'était très agréable, mais il
n'y a pas eu un mot d'échangé ; mais
j'ai le souvenir d'un petit émoi, et en même
temps, il était marié, donc dans ma
tête… il avait de l'attention pour moi,
je traduisais ça comme ça, en tous cas.
Mais il était marié, donc c'est tout
; on s'est dit au revoir à Dunkerque, c'est
tout. Mais c'est quelque chose de très…
je suis très contente. Plus tard, quand j'ai
commencé l'analyse, j'ai fait un rêve,
et je naviguais sur une caravelle ; comme quoi, il
y avait sûrement…
Géatan : Oui, c'est en
réaction à ce que disait Virginie, c'était
sur la question de la loi. C'est vrai que la loi,
le père, l'image du père, qui m'a toujours
manquée ; et c'est vrai qu'aujourd'hui, je
me retrouve dans des comportements… en fait,
je répète des choses tout le temps,
tout le temps. Et ce que disait Virginie me parle
bien. Et la quête du père qui dira "non"…
même si c'est vrai que c'est pas du tout la
même histoire. Mais l'absence de mon père
me poursuit encore aujourd'hui, et vient se télescoper
avec les abus, ce qui fait quelque chose de totalement
détonant ; qui détone.
Régane : Quelque chose
a changé, pour moi, depuis mes premières
relations amoureuses jusqu'à une certaine qui
a duré plus longtemps que les autres. Et puis
il y a eu des choses qui expliquent qu'avec lui ça
s'est passé comme ça. Ce que ma mère
a fait, j'ai complètement accepté, c'était
normal. Seulement, à partir du moment où
je me suis mise avec lui, je ne sais pas pourquoi
- alors, déjà, je chialais quasiment
tous les jours chez le psy parce que j'étais
bien, je ne comprenais pas pourquoi - je réalisais
quand même qu'il me donnait des choses que je
n'avais pas dans ma propre famille. Et en fait, plusieurs
mois plus tard, c'est là que j'étais
chez le psy et que j'ai dit "voilà ce
que ma mère m'a fait, elle m'a fait mal".
Donc ça, ça a été une
chose qui a changé. Ça a réveillé
ça, justement. C'est tout ce que j'ai su faire.
Et l'année dernière, en fait, c'est
vrai qu'il y a une psy qui a dit : "c'est de
l'inceste". Bon… après, j'ai continué
le travail chez le psy. Mais ce qu'il y a surtout,
d'une manière générale, je préférerais
dire maintenant que je n'ai pas eu de relations amoureuses.
J'ai eu des relations sexuelles mais ce n'était
pas des relations amoureuses. Parce que de toutes
façons, je ne peux pas coucher avec quelqu'un
si j'ai des sentiments pour lui. Et en fait, il y
a aussi un autre truc, c'est que dès que je
commence à être vraiment amoureuse ou
attirée par quelqu'un, ce n'est même
pas la peine, je ne peux pas lui parler. Et je vais
toujours à côté. Le mec d'à
côté.
Le psychologue : est-ce que quelqu'un
a quelque chose à ajouter ?
Claire : ben moi je me souviens
que quand j'étais… il y a eu une évolution
dans mes relations amoureuses, c'est que quand j'étais
adolescente, j'avais très envie de le dire
et très envie de faire semblant, enfin, de
cacher ce qui m'était arrivé. Et je
me souviens des premiers garçons avec qui j'étais,
j'étais comme ça : tétanisée.
Et je ne les touchais pas, je me laissais faire, parce
que dans ma tête, je me disais : mais moi, je
sais comment il faut faire, puisqu'il m'a appris,
mais il ne faut pas qu'ils se rendent compte que je
sais faire, donc, je ne fais rien. Et j'étais
dans un état de léthargie, de passivité
la plus totale. Et ça a été toujours…
ça m'a duré longtemps ; comme s'il y
avait deux personnes en même temps. Une qui
essayaient de faire un peu la fille effarouchée
naïve : "ah vous croyez monsieur ?",
et l'autre qui disait "ah bah non, c'est pas
comme ça qu'on roule une pelle". Parce
que mon oncle m'avait "tellement bien appris".
Donc il y a avait ça, et puis après,
quand j'étais plus vieille, on est arrivé
à des trucs de sexualité, de pénétration,
de fellation, alors ça, ça a été
très dur, très compliqué, parce
que c'est comme si, comme moi j'avais pas le droit
d'avoir de plaisir, donc de toutes façons je
n'en avais pas. Pareil, il fallait que je sois compétente,
donc je me sentais comme une prostituée. Jusqu'à…
j'ai quel âge, j'ai 39 ans. Ça doit faire
quatre ans que j'ai aucun ami, rien. Et la dernière
fois que j'ai eu une relation amoureuse avec un mec,
il ne me convenait pas du tout, tout ça, et
j'étais très contente parce qu'un soir,
j'ai couché avec lui, et le lendemain, ou une
semaine après, je l'ai revu, et il voulait
à nouveau qu'on ait une relation sexuelle,
et je me suis dit : Claire, tu ne vas quand même
pas recommencer à t'auto-violer. Ce mec, tu
ne le désires pas, tu vas pas continuer à
faire ta pute toute ta vie. Et j'ai arrêté.
Et je n'ai pas voulu avoir de relation avec lui. Donc
ça, ça a été une partie
de ma vie, et puis pendant quatre ans, j'ai eu une
relation homosexuelle avec une fille, et oui, puisque
c'est homosexuel, donc c'est une fille. Et pendant
deux ans, on a eu une intimité assez belle,
et tout. Donc là, du coup, je me suis dit :
ah bon! Mais finalement, donc, je peux avoir une sexualité
normale. Jusqu'au moment où il y a quelque
chose qui a pété dans ma tête,
où j'avais 29 ans, c'est-à-dire 20 après,
et ma psy, je suis allée voir ma psy, qui m'a
dit : "mais attendez, c'est un viol". Et
alors là, je ne sais pas, ça a cassé
quelque chose dans ma tête. Tout d'un coup,
ces quatre lettres v-i-o-l, même à écrire,
tout ça, c'était très compliqué
pour moi. A ce moment là, ça a été
très douloureux pour moi d'accepter ça
parce qu'en plus, comme j'avais 28 ans, elle m'a dit
: "c'est un viol". Et elle m'a dit : "vous
avez encore six mois pour porter plainte contre lui".
Et en plus à ce moment là, son fils
allait se marier, ma mère me disait : "mais
tu ne vas pas dire à Sébastien qu'il
a fait ça ; il n'y a rien de pire pour un enfant
que de savoir que son père est un monstre",
donc, ça a été des clash avec
ma mère. Mon amie, ma petite amie, ne comprenait
rien. Si je faisais une thérapie, ça
voulait dire que je n'allais plus l'aimer. Enfin,
tout ça était très compliqué,
donc j'ai tout arrêté. Donc je ne suis
plus ni homosexuelle, ni hétérosexuelle,
ni rien du tout. Et à un moment, j'avais 20
ans, je me disais : je ne pourrais pas avoir deux
sexes en même temps ? Parce que je me disais,
je voudrais avoir deux sexes, et avoir quelqu'un qui
a deux sexes. Comme ça, j'aurai pas besoin
de choisir.
Régane : Moi c'est le
contraire, je n'aurai plus de vagin.
Géatan : C'est curieux
parce que ce que je viens d'entendre, j'en ai déjà
parlé, je suis dans la quête de l'impossible.
Moi, ce ne serait pas avoir deux sexes, mais ce que
j'ai repéré, quand même, chez
moi, je suis bisexuel et c'est ainsi, pour l'instant.
Mais c'est pas par rapport à moi, c'est dans
la quête de l'Autre idéal. L'Autre idéal,
il est un peu particulier ; il est ou alors un homme
d'une extrême sensibilité, que je qualifierais
de sensibilité très féminine,
mais ça ne veut pas dire grand chose. Ou alors,
une femme qui porterait les attributs sexuels de l'homme,
tout en étant femme. Et je réqgis vraiment
à ce que tu dis parce que je le comprends ;
j'ai un problème d'identité, de toutes
façons, ça c'est clair. Je le porte
physiquement. Et un problème d'orientation.
4) Qu'est-ce
qui a déclenché les changements ?
Le psychologue : je vous fais
la proposition suivante : il est 16h05, je vous propose
qu'on fasse une pause et puis qu'après, on
enchaîne sur le troisième et le quatrième
sous-thème.
(pause)
Le psychologue : Je vous propose de passer au troisième
sous thème. Bon, il y a eu déjà
des éléments abordés sur lesquels
on peut revenir. Le troisième sous thème,
c'est qu'est-ce qui a déclenché les
changements dans son propre discours par rapport à
ce ressenti. Est-ce que ça a été
des événements, est-ce que ça
a été des rencontres, est-ce que ça
a été des lieux, des contextes particuliers
? Qu'est-ce qui a déclenché le changement
de mots ?
Lise : je peux commencer ? J'ai
peut-être… j'ai été au Carmel,
j'en suis sortie à 36 ans, j'ai travaillé,
et j'étais très déprimée
; j'allais de dépression en dépression.
J'ai travaillé dans un service de psy comme
secrétaire, et donc,je ne voulais pas en parler
dans mon service, bien sûr, mais j'avais envie
de profiter des avantages de la psy. Et j'ai donc,
de fil en aiguille, commencé une analyse ;
j'ai été mise en contact avec une analyste.
Et dans la semaine qui a suivi, j'ai commencé
à trois séances par semaine. Et sur
le chemin du travail, un matin, je marchais dans le
Parc Montsouris, et j'ai vu un sexe, donc un pénis,
qui se balançait au dessus de mes yeux, comme
ça. Mais je ne pouvais pas y échapper,
il se balançait comme le balancier d'une horloge,
comme ça, devant mes yeux. Et jusqu'à
ce que cette chose qui se balance, j'en dise : "mais
c'est un sexe". Et je suis arrivée à
mon travail un peu perturbée, je l'ai dit à
personne, surtout. Et puis après, à
l'analyste, j'ai raconté mon histoire, et là,
j'ai mis le mot "inceste". Et j'avais 54
ans, c'était en 1992. Donc avant 1992, je n'avais
pas mis de nom, et je ne savais pas que j'avais été
incestée.
Delphine : Mais tu t'en rappelais
? Tu ne mettais pas de mot mais tu t'en rappelais
?
Lise : Ah oui, oui, je me rappelais
des coups de boutoirs au derrière, mais je
ne mettais pas de mot. Inceste, ça a été
évident. Pourquoi avoir attendu 1992 pour le
déduire, quoi. Et ça a été
déclenché par l'événement…
Sidonie : de la vision.
Lise : non, je l'attribue au
début de l'analyse, à cette démarche.
Annabel : Ah oui.
Delphine : Ah, tu n'en avais
pas encore parlé.
Lise : Non, étant donné
que ce n'était pas la chose primordiale dans
ma vie, quoi.
Claire : mais tu y allais pour
la dépression, à l'analyse.
Lise : Oui, et puis aussi parce
que j'avais lu le livre de Marie Cardinale, et au
bout se sept ans, elle était guérie
; moi je dis, je vais guérir, comme Marie Cardinale.
Sidonie : et c'était une
vision.
Lise : Oui, nettement, je ne
pouvais pas y échapper. C'était une
évidence. Ça ne me faisait pas de mal,
ça ne me faisait pas de bien, c'était….
In-ceste ; un-sexe… là ça a changé.
Delphine : mais qu'est-ce que
ça a changé, de mettre le mot ?
Lise : Je comprenais pourquoi.
Je cherchais tellement à me soigner, et je
pense qu'il y avait quelque chose de ça. J'ai
compris que c'était normal que je cherche à
me soigner, étant donné que… j'allais
me soigner parce que j'étais déprimée
mais je ne savais pas pourquoi. J'étais sortie
du Carmel donc c'est ma sortie du Carmel qui m'avait
déprimée. C'était pas ce que
j'avais vécu qui m'y avait fait entrer…
ça a été un retour en arrière
sur tout. Vraiment, j'avais des réponses grâce
à l'analyse, et je découvrais les réponses.
Virginie : ben moi, c'est pareil,
je faisais une analyse mais c'est parce que ma grand-mère
était morte, et que je n'arrivais pas à
faire le deuil. Et après, c'était aussi
ma mère. Bon, parce qu'il y a quand même
des raisons : elle est psychotique, donc c'était
assez insécurisant de grandir auprès
d'une mère psychotique. Donc tout ça
tournait autour d'elle. Si, je disais… le premier
jour, je me suis pointée chez le psy et je
lui ai dit : bon, voilà, ma grand-mère
est morte, tout ça, puis bon, faut quand même
que je vous prévienne que j'ai couché
avec mon père ; toujours le même truc.
Alors il m'a dit deux choses. La première chose
qu'il m'a dite, par rapport à cette histoire…
enfin, peut-être qu'il attendait que je prenne
conscience… il m'a vachement rassurée.
Il m'a dit, d'abord, que c'était de l'inceste,
et que c'était interdit. Ça ne faisait
pas de mal de l'entendre. Que c'était interdit,
alors moi, je disais : mais comment : interdit ? Alors
il disait, c'est un tabou ; et jusqu'à récemment
il m'a répété ça. Et moi,
je lui disais, mais arrêtez, il y en a d'autres
des tabous, je lui ai dit la semaine dernière
: il y a le cannibalisme, il y a ci, il y a ça.
Et il répond : en fait, non. C'est le Tabou.
The tabou. Et il m'a dit aussi : en tous cas, je vais
vous dire une chose ; il y a une chose qui est claire
et nette et que je tiens à vous dire tout de
suite ; c'était complètement incongru,
il m'a dit : je ne coucherai jamais avec vous. Et
moi, je ne lui avais rien demandé. Mais bon,
ça m'a beaucoup rassurée, bien que je
ne l'ai pas cru pendant des années. Je commence
à le croire parce que j'ai réalisé,
en quinze ans, qu'il était homo et que c'est
clair qu'il ne coucherait pas avec moi. Mais sur le
coup, il a voulu marquer un interdit, qui était
celui du cadre, dont je n'étais jamais sure.
Pourtant, cet inceste n'était pas primordial.
Et donc, pour répondre à la question
; le jour où ça m'est apparu "chiant"
cette histoire, c'est quand j'ai connu… on va
dire quand je suis tombée amoureuse, donc j'ai
connu un mec, qui est mon mari maintenant, il y a
plus de dix ans. Et là, j'ai commencé
à lui dire que j'avais eu une "histoire"
avec mon père, et puis j'ai vu qu'il se décomposait
et que visiblement, il n'avalait pas la pilule. Après,
il a commencé à vouloir aller lui péter
la gueule. Et puis je me suis dit : c'est normal,
il est jaloux. C'est comme un ex ; c'est par jalousie
qu'il réagi comme ça. Et ça a
donc duré quelques années ave mon mari,
où il a… j'ai été assez
longue à la détente, mais au bout de
quelques années, j'ai commencé à
entrevoir cette possibilité que ce n'était
pas par jalousie qu'il réagissait comme ça.
En fait, ce qui le faisait réagir très
très mal, c'était la manière
dont je ne voulais pas me sortir de ce problème.
La manière dont je protégeais mon père.
Il n'avais jamais le droit de dire, par exemple…
il n'avait jamais le droit de dire : cet espèce
de pervers de ton père. Je hurlais, je lui
disais : mais si moi je parlais de ton père
comme ça! Donc c'est relativement récemment
; là, j'ai 40 ans, on va dire, il y a cinq
ans que je commence à réaliser que :
non, ce n'est pas normal. Et que, toujours intellectuellement,
je commence à me dire que si je raisonne intellectuellement,
il est possible que ce ne soit pas moi qui l'ai provoqué,
et il est possible qu'il aurait pu dire non. Mais
je commence quand même à considérer
aujourd'hui, qu'il faut que je fasse le deuil du père
idéal, pour que cette histoire se règle.
Régane : Moi, j'ai toujours
voulu aller voir un psy. D'aussi loin que je me souvienne,
à 10 ou 12 ans; Donc j'avais commencé
à lire des magasines, des choses comme ça,
mais en fait, c'est quand j'ai eu 24 ans, mon père
est mort. Un an s'est passé, et je suis venue
à Paris travailler, et en fait, le boulot m'envahissait.
Rentrée chez moi, j'avais l'impression que
mes collègues m'envahissaient, je rêvais
d'eux, tout ça. Et je me suis dit : ce n'est
pas normal. Donc je suis allée voir un psy.
Donc je me demande, moi, j'ai souvent entendu dire
"c'est le deuil", c'est des choses comme
ça, qui font que les gens vont voir des psy.
Alors le fait que mon père soit mort, c'est
un peu comme si ça m'avait donné le
droit d'y aller ; mais en réalité, il
s'est passé six sept ans avant que ; de 1997
à 2002 ; 2001, plutôt, mon mec m'a laissée
tomber, et je me suis retrouvée en plan ; je
suis retournée voir un psy et six mois plus
tard, je pleurais parce que ma mère m'avait
fait "ça" quand j'étais petite.
Et, il m'a dit : elle a pris possession de votre corps.
Un an a passé, je me suis retrouvée
en maison de repos, cinq semaines, avec toutes les
semaines un psy ; je ne leur ai rien dit de tout ça.
Je n'en ai pas du tout parlé. Et il n'y a qu'un
an après où j'ai vu une psy qui m'a
mis le mot "inceste" dessus. Mais j'ai encore
mis ça de côté parce que j'étais
en cours et il fallait que j'ai mon diplôme.
Et il n'y a que depuis le mois de mai de l'année
dernière que j'ai pris contact avec AREVI et
que je commence à faire des choses, et que
ça a changé pas mal de choses par rapport
à mon ressenti par rapport à ce que…
parce qu'il n'y a que cet hiver, par exemple, que
je me suis dit "elle m'a violée".
Pendant les deux dernières semaines de décembre.
Géatan : Moi, ce qui m'a
poussé à agir par rapport à moi
; j'ai commencé à aller voir des psy
il y a dix ou douze ans. C'est quelque chose que j'ai
parlé assez vite, lors de séances. Mais
je n'avais jamais, jamais, de retour. Sur la question
de l'interdit, sur la question de "ce qu'on vous
a fait, c'est grave". Et encore, même aujourd'hui,
avec ma psy, ça se passe très bien,
mais je n'ai pas franchement de retour. Et je pense
que je suis passé complètement à
côté de ce que j'aurais pu être.
Ça a toujours été des échecs,
des échecs, et des échecs, et je vois
bien que je suis dans la répétition
de l'échec, en étant acteur de cela.
Puis, il y a cinq ans, je me suis dit : ça
suffit, je vais au casse-pipe. Je vais droit dans
le mur? J'ai un petit frère, pareil, qui a
été aussi abusé. Et quand je
vois ce qu'il en est, pour lui, aujourd'hui. Bon,
on n'est pas dans les mêmes maux. Il a trois
ans de moins que moi, et mon petit frère est
toxicomane, alcoolique, dans l'incapacité.
Il ne s'en sort pas. Mais il dit que sa toxicomanie,
son alcoolisme, il dit que c'est du vice. Lui, il
est dans le vice. Et quand je lui dis : écoute,
Daniel, c'est ça! Il dit: mais non, moi c'est
du vice, c'est tout. Mais quelque part, je me dis,
d'une certaine façon, je suis le même
chemin que mon frère ; ça ne s'exprime
pas du tout de la même façon, bien évidemment.
Moi, ce qui m'a fait réagir, c'est ma difficulté
à mener ma vie. Bon, je suis papa, j'ai un
garçon, qui est autiste… bon, après…
je me sens un peu responsable de ce qu'il est aujourd'hui.
Et ce qui m'a poussé à réagir,
c'est ma sexualité. Je ne sais pas où
je suis, mais j'y suis, en tous cas. Je vais au casse-pipe,
si je continue. Et même en me prenant en charge
aujourd'hui, je me mets en danger. Et je suis un bon
client pour le VIH, si je n'y prends pas garde. Et
je ne réalise pas encore aujourd'hui la gravité
de ce que je dis quand je dis ça. C'est que
si un jour ça me tombe sur le coin de la gueule,
et bien… je suis dans une forme de suicide que
j'ai planifié. Et quand j'étais jeune
adulte, j'avais dit une fois : j'atteindrai pas l'âge
des 40 ans. Je m'étais dit ça : ou je
me suicide, ou je suis fou, ou j'attrape quelque chose.
Bon, je suis arrivé à mes 40 ans, et
je les ai même dépassés, mais
en même temps, aujourd'hui, je me sens de plus
en plus en urgence. Il faut que ça avance.
Il faut que ça avance parce que je vois bien
vers quelle issue je vais. Mais petit à petit,
ça se passe, quand même. Ça va,
j'avance. Grâce aux rencontres que je peux faire,
ça devient de moins en moins problématique
; ça me demande beaucoup, d'accepter que je
sois aidé, mais… je suis en urgence de
vivre. Je mérite autre chose que ce que je
vis aujourd'hui.
Mireille : Qu'est-ce qui a déclenché
les changements ; c'est dans la mise en mots, c'est
ça ? Bon, c'est vrai que je me suis trimbalé
toute ma vie ; au fond, je savais que je n'avais pas
vraiment oublié, mais j'avais un peu mis ça
de côté. Mais c'est vrai que j'avais
tout le temps un mal être. Un mal être,
un mal être, mais je ne savais pas spécialement
pourquoi. Et c'est vrai que la psy, j'y pensais depuis
longtemps, mais quand j'en parlais, au départ,
j'étais mère de famille, je ne travaillais
pas. On me disait : bah t'as qu'à aller travailler,
ça ira mieux. Donc à chaque fois, je
trouvais toujours quelqu'un qui me disait, mais non,
ce n'est pas la peine, mais non. Et finalement, ce
qui m'a déterminée, j'avais fait des
stages, diverses choses, et puis finalement, j'ai
même vu un psy avec qui je n'arrivais pas en
parler. Ça restait bloqué, donc je ne
lui ai jamais rien dit. Et puis en fait, ce qui a
déclenché, c'est quand ma mère
est morte. Et puis trois mois après, même
mois de trois mois après, mon beau-frère
est mort aussi. Et puis à ce moment là,
je passais des concours d'enseignement, parce que,
par rapport à mes études, aussi, ça
a été dur. Dur, dur, dur. J'étais
en échec. Je croyais que j'étais arrivée
à mes limites, que je n'y arrivais plus, enfin
bref ; pourtant je travaillais, je n'étais
pas quelqu'un qui ne travaillait pas, mais ce n'était
jamais assez bien. Et puis là, j'ai réussi
un concours d'enseignement difficile, mais j'ai réussi
une fois que ma mère était morte. Mon
père était mort, j'avais 18 ans, et
surtout, mon beau-frère était mort.
Alors, ça m'a quand même interpellée.
Et donc, c'est là que je suis allée
voir une psy, j'allais dire, une vraie ; parce que
peut-être qu'avant, ce n'était pas des
vrais. Et donc, c'est vrai qu'on m'a dit que j'avais
à ce moment là été libérée
de ma parole, et que j'avais pu passer l'oral. Oui,
parce que c'était la troisième fois,
et puis l'oral ; je ne passais pas l'oral. Je n'y
arrivais pas, ça ne passait pas ; et puis là,
j'ai réussi. Donc c'est sûr, ça
interpelle. Et c'est à partir de là
qu'à cette psy, j'ai pu parler de ce que moi,
j'ai appelé le viol. Et elle, avait une vision
assez restrictive du mot inceste : pour elle, c'est
parent-enfant. Et là, elle m'a dit : c'est
un inceste déplacé. Parce que moi, mes
parents… je pensais que je souffrais de mon
origine sociale, oui, j'avais mis ça sur le
social, aussi. Et puis mes parents avaient 40 ans
quand je suis née, donc pour moi, ils étaient
très vieux. Et en fait, elle me dit : l'Œdipe,
j'aurai dû être amoureuse de mon père,
mais mon père étant vieux, voilà
que ce beau-frère arrive, lui il est jeune,
c'est super. En fin bon, je schématise…
donc pour elle, ça a été un inceste
déplacé.
Delphine : un Œdipe?
Mireille : oui, un Œdipe
déplacé.
Virginie : c'est pas la même
chose
Annabel : c'est elle qui a dit
: Œdipe ?
Mireille : Oui, elle m'a dit
: comme toute petite fille, vous étiez amoureuse
de votre père, mais mon père était
vieux, et à choisir, mon beau-frère
est arrivé ; comme j'étais effectivement
un petit peu jalouse de ma sœur, de ses fiancés
; moi, j'en voulais pour moi aussi un fiancé.
Il n'y a avait pas de raison. Et donc, j'ai déplacé
sur ce beau-frère. Donc pour elle, ce n'était
pas un inceste ; voilà, c'était déplacé.
Le psychologue : elle a considéré
que c'était un Œdipe déplacé,
mais elle n'a pas remis en question le fait que ce
soit un viol.
Mireille : bah c'était
bizarre… elle m'a dit que j'avais transposé,
inconsciemment.
Delphine : mais et le viol, là-dedans…
Claire : les vrais psy…
Mireille : bon, je ne sais pas
ce que c'est, mais sinon, j'ai quand même pu
parler, et reconstituer cette histoire, et même,
remettre des éléments en place parce
que j'avais quand même oublié pas mal
de choses. Mais en fait, c'est quand même la
première fois que ce mot inceste était
employé, et aussi qu'elle me disait que je
n'étais pas coupable. Ce n'était pas
de ma faute. Parce que moi, je m'en voulais, je me
disais, pourquoi est-ce que je suis allée avec
lui ; j'aurais dû dire non, je n'aurais pas
dû y aller, etc…
Delphine : elle disait que c'était
la faute à Œdipe ?
Mireille : Non, elle disait que
cet homme était un salaud. Mais c'est dans
son interprétation, seulement. Et justement,
j'avais pu faire sortir de moi cette violence, et
dans ma mémoire, je m'étais dit j'aurais
dû le tuer. Et je comprends très bien
les instincts meurtriers, et je crois que j'aurais
dû le tuer. Mais c'est vrai que maintenant,
dans les mots, j'arrive jamais à lui en vouloir,
quand même. Il y a quelque chose que je n'arrive
pas… mais au fond de moi, je sais que je voulais
le tuer. C'est ça qui m'a… Tout à
l'heure, je disais que je n'avais pas de mot, mais
là, c'est des actes. Si j'avais pu le tuer,
je l'aurais fait. D'ailleurs je l'ai rêvé,
une fois, que je l'avais tué, et que j'avais
tout planqué pour être sûre que
personne ne saurait que c'est moi. Et puis finalement,
il y a toujours des indices, c'était toujours
dans mon rêve, et finalement, j'étais
allée me dénoncer à la police,
puis je m'étais dit : de toutes façons,
je vais en prison, mais ce n'est pas grave. J'ai fait
ce que j'avais à faire? J'ai accompli mon devoir.
Régane : Oui, je voudrais
préciser quelque chose : il y a des choses
qui ont changé pour moi dès l'instant
où on m'a entendue. A partir du moment où
je suis arrivée à AREVI, c'est simple,
moi je considère ça comme une famille.
Dans le sens où, c'est là où
j'ai mes repères. Je me reconnais là.
Pas dans ma propre famille, ça c'est certain.
Et en plus, après, par AREVI, j'ai entendu
parler du centre de victimologie, et c'est là
que je vais consulter depuis septembre ; et ça,
aussi, ça m'a beaucoup aidée parce que
elle aussi, elle m'a comprise. Celui qui a dit : elle
s'est approprié votre corps, où j'ai
pleuré pour la première fois, il a continué
à me bassiner avec des histoires de cultures
orientales, machin… c'était pas ça.
J'avais l'impression qu'il prenait la défense
de ma mère en permanence. Et donc, ce qui a
changé, c'est que j'ai été entendue.
Cela a confirmé ce que j'avais eu.
Sidonie : Moi, ce que je voudrais
dire, c'est par rapport à la parole, ça
remonte tout ça ; c'est que, moi, j'ai eu une
marque, par ma parole. J'ai parlé très
tôt, dès l'âge de 12, 13 ans, en
faisant du théâtre. Alors là,
j'ai tout hurlé, et j'ai fait du théâtre
en semi-professionnelle, j'ai eu tous les rôles
d'Antigone, toutes celles qui les tuent ; j'ai tout
réglé à travers la parole des
autres. Et bien entendu, on venait m'applaudir, j'avais
du succès. Pour tout le monde, j'étais
quelqu'un qui avait une parole, j'avais une prestance,
je dirigeais la troupe de théâtre à
mon école ; mais j'ai jamais eu ma parole.
Je parlais à travers tous les personnages que
j'interprétais, et je réglais mes comptes
comme ça. Et un jour, mon compte m'a été
réglé sur scène. Et je n'ai plus
jamais fait de théâtre à partir
de ce moment-là. Et je me suis retrouvée
avec une tentative deuxième tentative de suicide.
C'est là que j'ai commencé le "théâtre
en rond", à la Cité Universitaire.
On était trois, le mari, l'amant et moi ; et
le mari devait arriver à un certain moment,
j'étais avec l'amant, et l'amant a perdu son
texte, et comme c'était du théâtre
en rond, on ne peut pas sortir. On est piégé,
on ne peut pas sortir. Et comme il a vu qu'il ne pouvait
plus sortir son texte, qu'il n'avait plus rien, et
bien il s'est évanoui sur scène. Et
il m'a laissé le paquet. Et moi, je suis restée
avec cet homme allongé sur scène, et
le mari n'arrivait pas ; de toutes façons,
il y avait encore une demi-heure de texte avant que
le mari n'arrive. Et j'ai dû le sortir à
la porte. Et je me suis dit : plus jamais ça,
plus jamais me retrouver piégée comme
ça dans un trou à rats. Dans ma vie
à ce moment là, il y a eu aussi un divorce,
une séparation, une deuxième tentative
de suicide, et là, j'ai compris ; j'avais déjà
deux enfants, et c'est mon dernier petit qui a failli
me trouver. Je baignais dans mon sang, et là,
dans une conscience que c'était ce petit qui
allait se lever le premier le matin, et qui allait
ouvrir la porte, et qui allait trouver sa maman comme
ça ; là, j'ai trouvé toutes mes
énergies, je me suis relevée, j'ai appelé
le médecin. Et là, ce jour là,
j'ai compris que je n'avais plus de porte de sortie.
Que, maintenant, j'avais ces deux petits, et que je
ne pouvais plus me permettre de mourir, de me suicider.
Donc il fallait que je tienne jusqu'à leur
18 ans. Et comme le dernier avait 2 ans et demi, je
me suis dit, bon, j'ai encore seize ans à me
taper, donc il faut faire quelque chose. Alors comme
je ne connaissais pas les psy, je n'en avais jamais
entendu parler, j'ai d'abord essayé une cartomancienne.
Et de la cartomancienne, je suis arrivée chez
une graphologue, et la graphologue m'a envoyé
chez… comment elle a dit ? chez une conseillère…et
la conseillère était une thérapeute.
Et de là, je suis arrivée en analyse,
etc. Et le mot inceste, je savais ce que c'était,
ma mère me l'avait appris : "ne jamais
coucher avec ton cousin germain"… évident
; mon cousin germain étant peut-être
mon demi-frère, et le fils de mon violeur?
Donc c'était la seule chose : le cousin germain,
c'était ça, l'inceste. Et les premiers
spectacles que j'ai vus à Paris, c'était
Alain Delon et Romy Schneider qui jouaient un rôle
de frère et sœur incestueux. Et moi, je
regardais cette pièce, et je me disais : mais
alors l'inceste, c'est entre frère et sœur
aussi ? le mot inceste a donc déjà commencé
à varier. Et puis après, quand je suis
arrivée après dix, vingt ans d'analyse,
de thérapie, au mot inceste, j'avais déjà
réglé en gros : les problèmes
avec ma mère, bien avancé dans les problèmes
de père, de paternité, de viol, les
deux en même temps. Et quand on a fait le lien
entre le viol et le père, alors là,
j'ai dit : c'est trop. Là, j'ai dit : l'inceste,
ça, je ne peux pas affronter. Il n'en est pas
question. Je préfère rester dans le
doute et dans l'oubli. Je suis partie, et je me suis
encore filé dix ans d'oubli, pour ne pas avoir
à affronter que celui qui m'avait violée
pouvait être aussi mon père. Et puis
ça fait dix ans que j'ai tout remis sur le
tapis et que j'en arrive là, maintenant, à
encaisser la totale. Merci.
Virginie : ce que je voulais
dire aussi par rapport à la temporalité,
c'est que c'est aussi une question de personnalité
qui se crée et qui moi, m'empoisonne la vie.
Parce que à la fois je dis que j'ai réalisé
très récemment que : peut-être
que… et encore, je n'en suis pas sûre.
Et en même temps, je me suis toujours comportée
comme une bonne élève, dans le sens
que quand mon psy me disait un truc, ok, j'acquiesçais
; il y a quelques années, j'ai aidé
à créer des groupes de parole, donc
je me sens entièrement concernée par
le problème, mais tout en ne l'étant
pas. C'est-à-dire que j'étais toujours
spectatrice, je me disais, je vais aider ceux qui
ont un problème d'inceste. Pourquoi ? parce
que j'en ai un, mais en fait, c'est pas vrai, je n'en
ai pas un. Tout est toujours déplacé,
en fait. C'est à dire qu'au lieu de vouloir,
effectivement, tuer mon incesteur, je passe mon temps
à vouloir tuer des mecs dans la rue ; je fantasme
sur le fait que je vais m'en attraper un dans le métro,
je vais lui coller un coup de barre dans la tronche,
je fais des sports de combat ; et c'est vraiment en
fantasmant et en exultant là-dessus, ça
me fait même flipper à quel point j'exulte
là-dessus. Et encore, il y a deux nuits, je
suis rentrée en disant à mon mari :
c'est con qu'il n'ait pas été plus loin,
parce que celui-là, je l'aurais attrapé,
il aurait payé pour les autres. Et je sais
qu'à un moment donné, je le sens, ça
va finir comme ça, il y en aura un qui va payer
pour les autres. Mon mari me disait : oui, au début,
tu disais que c'était moi qui allais payer
pour les autres. Mais en fait, on dirait que tout
est clair, que tout est lumineux, tous les bouquins
que je me suis tapés sont lumineux, sauf que,
il n'y a rien à faire, il s'en tire à
chaque fois. C'est vraiment jamais lui; c'est de l'inceste
et ça n'en est pas ; c'est lui mon violeur
et c'est pas lui. Il y a une vraie co-existence permanente
de ces problématiques. On comprend tout et
on ne comprend rien, c'est comme une forme de schizophrénie.
Sidonie : oui, tout à
fait.
5)
Comment j'en parle, ou comment j'arrive à en
parler selon mes interlocuteurs ?
Le psychologue : Il est 17h05,
on n'a pas abordé le quatrième sous
thème. Ce qui n'est pas problématique
puisque nous aurons l'occasion d'y revenir si vous
le souhaitez. Par rapport au petit décalage
qui nous a fait perdre du temps, tout à l'heure,
j'ai trouvé plus intéressant de laisser
la parole sur ce troisième thème, pour
aller de l'avant. On va pouvoir prendre encore cinq
minutes ; est-ce que quelqu'un a envie de rajouter
quelque chose sur les déclenchements, les changements
; d'abord, son propre discours par rapport au ressenti
dans cette dimension du temps, de la temporalité,
du fait qu'on avance dans sa vie.
Claire : Moi, par rapport au
temps, et à la parole de ce que j'ai vécu
quand j'étais enfant ; ce qui est le plus important
pour moi, c'est que ma mère l'entende. Parce
que ça fait trente ans que je lui explique
ce qui s'est passé. Et il y a une dizaine d'années,
elle m'a dit : t'as pas dû me le dire au moment
où ça s'est passé parce que sinon,
je serais devenue folle. Et en fait, c'est à
partir du moment où j'ai dit le mot viol, parce
que ma psy m'a fait parler de ce mot comme ça,
par rapport à la loi, et tout. Donc j'avais
expliqué ça à ma mère
; et je lui ai fait confiance quand elle a fait comme
si elle n'avait pas su. Après, j'ai demandé
à mon oncle ; je lui ai écrit pour qu'il
le dise à toute la famille, il n'a pas voulu,
donc c'est moi qui l'ai fait. Le fait que les gens
me croient, et que comme les gens me croient, dans
ma famille, et sont de mon côté, ma mère
est obligée d'entendre pour de vrai ce qui
s'est passé. Ça a pris beaucoup de temps,
ça a pris deux ans. Mais les deux dernières
années, ça a été très
difficile pour moi parce que… ma mère
a toujours eu un drôle de comportement à
mon égard parce que c'est une maman un peu
fusionnelle, comme elle m'a élevée toute
seule ; pour moi, aussi, ce qui a changé par
rapport aux mots, c'est d'avoir rencontré il
y a trois ans une femme de 43 ans, un tout petit peu
plus vieille que moi, qui a vécu l'inceste,
mais avec sa grand-mère. Elle a été
violée pendant trois ans par sa grand-mère,
et quand elle m'a raconté ça - elle
pouvait à peine en parler. J'ai trouvé
ça tellement plus insupportable que ce que
moi, ce qui m'était arrivé ; ça
m'a tellement bouleversée, son histoire, et
la force de caractère qu'elle a à vivre
; je me suis dit, mais si elle y arrive, alors que
c'est des milliards de fois pire que ce que toi tu
as vécu, pourquoi tu n'y arriverais pas, toi
? Et en fait, il a fallu que je rencontre cette femme
là, et sa volonté, sa pureté
intérieure, aussi, intellectuelle, morale,
et tout, que ça m'a donné beaucoup de
courage pour essayer de sortir, de m'extraire de ça,
et d'essayer de prendre un peu de distance. Je ne
dis pas qu'elle sait tout, qu'elle voit tout ; elle
a une amnésie aussi. Et puis qu'elle dise ça,
ça m'a permis aussi de parler des tendances
ambiguës de ma mère, qui, pendant une
période de déni de ce qui m'était
arrivé, avait tendance… alors je ne sais
pas si c'est le cas, mais à se masturber devant
moi. Alors, je ne sais pas, il n'y a pas de nudité
; c'est plutôt des frottement qu'elle pouvait
se faire, et je ne sais pas, en fait, si c'est nerveux,
et que c'est pour ça qu'elle fait ça.
Ou si, effectivement, elle… et il y a eu un
Noël, je lui ai dit : "mais arrête!
qu'est-ce que tu fais ?" et elle m'a répondu
: "mais écoute! Je ne suis pas un petit
garçon, je ne peux pas jouer avec mon zizi"…
alors, je ne sais pas ce que ça veut dire,
mais c'est un truc qui m'a troublée pendant
très longtemps, que j'ai repoussé beaucoup.
Bon, j'ai l'impression que le paquet de mon oncle,
d'en avoir fait quand même pas mal le tour ;
j'ai fait de l'EMDR, aussi, ça m'a aidée.
Sidonie : qu'est-ce que c'est
?
Claire : C'est une technique
psychologique ; ça a été un peu
magique… un jour, je n'ai plus eu la phobie
des serpents.
Delphine : C'est pratique, à
Paris, dans la vie quotidienne…
Virginie : Oui, c'est cool…
Claire : non, mais pour les voyages
; il y a plein d'endroits au monde où je ne
pouvais pas aller ; je renonçais. L'Afrique,
j'y voyais des serpents énormes, je n'aurais
jamais pu y aller, l'Asie non plus ; enfin bon, j'avais
le droit d'aller en Europe. Au niveau de ta liberté
personnelle, c'est court. Aller dans le sud, dans
le maquis… ça te limite, et puis ça
embête bien les autres aussi, tu imagines ?
Géatan : je voulais juste
dire : d'avoir ouvert la boite, c'est difficile…
et je pense à mon frère, et je me dis
: je ne sais pas lequel des deux a raison, au bout
du compte. Même si je sais, au fond de moi.
Mais j'aurais tellement aimé ne pas savoir.
Etre le simplet. Et avoir ouvert la porte, ou la boite,
je n'en vois plus la fin, même si je sais que
je suis quand même sur le bon chemin.
Virginie : ce que je voulais
ajouter, même si c'est complètement hors
de propos, mais on n'y pense pas. Mais quand il s'agit
d'en parler avec la mère, et que c'est le père
l'agresseur, ça peut être délicat.
C'est très compliqué de dire : "voilà,
il m'est arrivé ci et ça", parce
qu'on est un peu la maîtresse de son père…
enfin, on est la rivale de sa mère. Et c'est
pas possible de parler de détail, de choses,
et puis se dire qu'on a connu l'anatomie de son père,
et en parler à sa mère, et éventuellement
confronter nos expériences comme deux ex…
Delphine : non, mais… ça
va pas ?
Virginie : Mais si, on en vient
presque là. C'est très compliqué,
voilà.
Le psychologue : ce que
vient de dire Virginie, ça peut être
aussi une proposition pour un futur atelier ; de voir
comment la parole, en fonction des acteurs, de leur
place dans la famille, dans les différents
contextes, entraîne des blocages, des facilités,
peut-être une verbalisation spécifique,
avec une terminologie spécifique. C'est un
peu ce qu'on aurait pu aborder dans le cadre de ce
quatrième point, qui était, "comment
j'en parle, ou comment j'arrive à en parler
selon mes interlocuteurs". Je pense que c'est
bien, finalement, qu'on ait arrêté sur
ce troisième sous thème et que là,
Virginie nous donne cette opportunité de rouvrir
sur un atelier où on s'orientera autour de
cette question de savoir si on développe des
capacités langagières ou une terminologie
articulée en fonction des interlocuteurs. En
tout cas, je tenais à remercier chacun d'entre
vous pour sa parole d'aujourd'hui.
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