"Ce
que l’on ne dit pas de l’inceste"
-
atelier du 17 mars 2007
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
2) Ce que l'on sait de ce
que l'on ne dit pas
3) Ce que l'on
découvre de ce que l'on ne dit pas
3) Qu'est-ce qui fait qu'on est innhibé(e)
?
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
Delphine : Alors, on va commencer… Comme vous
voyez le dispositif a changé de ces ateliers,
donc… après je vais garder un petit peu
la parole pour expliquer pourquoi on a changé,
nos objectifs de cet atelier. D’abord, on va
se faire un petit bonjour, comment on se sent et tout
ça, voir dans quelles dispositions, on aborde
ce moment de parole…inaudible… je ne sais
pas si tout le monde se connaît bien…
Moi, je m’appelle Delphine, là, ça
va bien, je suis contente… je suis contente,
en fait, que l’atelier, on change complètement
de dispositif… j’en attends beaucoup….
je me dis que c’est une ouverture, voilà,
je suis contente !
Moi, je m’appelle Loïc, moi, aussi je suis
content d’être là, sauf qu’en
ce moment, je vais très,très mal, je
suis super-angoissé, beaucoup de problèmes
au boulot, voilà, il faut que je travaille
ce week-end, j’écris des articles et
je fais des corrections.
Moi, je suis Florence, j’attendais avec intérêt,
impatience cet atelier, surtout j’avais percuté,
c’est plus long que le groupe de parole, et
ce qui m’intéresse, c’est de travailler,
de réfléchir, sur ce thème, c’est-à-dire…
inaudible… moi, aussi je suis assez angoissée…
inaudible… c’est de l’ordre de la
parole.
Moi, je m’appelle Mireille, c’est vrai
que je suis un petit peu désemparée…
c’est vrai que le thème aussi…
tous les troubles du comportement… Ma question
c’est qu’est-ce qui est lié à
l’inceste, qu’est-ce qui n’est pas
lié à l’inceste, je n’arrive
pas à faire la distinction, à la limite,
je ne saurai même pas répondre. Mais
c’est vrai que je suis angoissée, j’ai
un souci…qui m’inhibe… et voilà
!
Je suis Jacqueline, là, je me suis bien habillée,
c’est vrai que je suis passée par beaucoup
de couleurs avant d’arriver ici, je pensais
avoir un message de Delphine que je n’ai pas
eu et je me disais mais, je ne me suis pas trompée,
c’est bien le dix sept. Je suis encore un peu,
je dirais … j’ai une frustration qui n’est
pas complètement digérée. Voilà
!
Je m’appelle Stéphanie, moi, je suis
très contente d’être venue aujourd’hui
parce que c’est sûrement quelque chose
à dire, et j’ai… C’était
pas possible depuis un mois…Je suis contente
d’être là ! Tout va bien il y a
toujours des hauts et des bas, mais bon globalement,
c’est bien.
Je m’appelle Sidonie, et c’est la première
fois que je viens participer à un de ces ateliers,
c’est vrai que je me sens là un petit
peu… je suis contente d’être là
mais je me sens nerveuse, je le sens bien puisque
j’ai les mains froides, je transpire. Et puis
cette semaine pour moi, c’est une semaine quand
même assez importante, et riche à la
fois puisque, d’abord j’ai décidé
de me sevrer de mon traitement antidépresseur,
j’ai pris cette décision de moi-même,
mon médecin m’avait au contraire augmenté
la dose et moi, je vais la réduire, doucement,
mais quand même…et puis aussi, j’ai
beaucoup, beaucoup, … j’avais beaucoup
de choses à faire car j’ai un voyage
professionnel à préparer. Toute la semaine
, j’étais été tout le temps
sur le site AREVI, le forum, j’ai tout exploré,
l’enfant bleu, j’ai tout exploré,
Alice Miller, j’ai tout exploré et j’ai
commencé à lire plein de trucs d’elle
et c’est vrai … ça me parle quoi
! Bref, c’était bien, je suis contente,
j’ai l’impression d’avoir fait quelques
pas. Voilà
Delphine : merci…. je prends
juste un petit moment la parole pour faire le point,
on a changé complètement de dispositif,
en fait, plus pour revenir à l’idée
qu’on avait originellement quand on a créé,
au début, on n’appelait pas ça
un atelier, il y a quatre ans, on appelait ça
un groupe de recherche. En fait, ça se faisait
juste après le groupe de parole et c’était
un autre temps de parole, mais ça faisait des
soirées trop longues, c’était
un temps de parole destiné à réfléchir
ensemble, sur l’inceste et donc c’était
un moment, on était parti du principe : en
tant que victime, puisqu’on l’a vécu,
on a eu une expérience très …personnelle…
on se disait qu’on peut produire un autre type
de savoir que celui des professionnels… et donc,
la connaissance qu’on a de l’inceste,
elle est différente de celle des professionnels
de la santé et du droit, d’une certaine
façon, ils ne peuvent pas se substituer à
nous et ils en ont pas la même connaissance
que nous. Donc on voulait essayer de thématiser
et réfléchir ensemble et de produire
des connaissances sur l’inceste qui soient…
ces connaissances… on a l’expertise, puisqu’on
en a l’expérience. Alors, on avait…
c’était une première, on savait
pas comment s’y prendre, sous quelle forme,
on voulait restituer ce savoir qu’on produirait
ensemble. Il se trouve, je ne sais pas si vous savez,
c’est mon métier à moi, je suis
chercheur et j’écris sur l’inceste.
Je peux m’occuper de faire quelque chose de
ces matériaux, mais, on voulait déjà
commencer par réfléchir ensemble. Et,
ça fonctionnait avant, après le groupe
de parole, c’était… le groupe de
parole, ça permet de témoigner, d’être
centré sur soi, d’être en connexion
avec ses affects, c’est pas un moment où
on peut prendre beaucoup de distance, donc il y avait
ce deuxième temps où on pouvait.. on
parlait d’un autre thème, mais on était
concentré, mais on pouvait prendre de la distance
par rapport à … même à notre
expérience, on parlait aussi en je, à
la première personne, mais en essayant de se
dégager de ce qu’on avait raconté
pour se dépasser. Et puis en fait, …
après, c’était trop long comme
soirée, donc on a commencé des rencontres
le samedi après-midi.. et puis, on s’est
demandé si ce serait pas mieux, plus profitable
avec un modérateur extérieur, d’où
la présence de F. que vous avez connu et qui
était psy de métier, on avait essayé
de réfléchir à ça avec
lui et l’idée, c’était qu’il
modère simplement la parole et plutôt
le temps de parole, enfin, bon …et en fait,
ça s’est peu à peu transformé
en une espèce de groupe de parole bis, où
il y avait très peu d’interactions, très
peu de « questions –réponses ».
Or, ce qui était , ce qui est très enrichissant,
c’est un peu comme les groupes de paroles, les
dix minutes qu’on prend pour discuter, ç’est
ça qu’on aimerait bien retrouver, c’est-à-dire,
un moment où on pose des questions à
l’autre, parce qu’on a envie de mieux
comprendre, en fait, c’est ça qu’on
aimerait retrouver, avec … un certain dispositif,
peu importe…c’est pas la question…mais
là, c’était assez rigide comme
dispositif avec lui et c’était : on peut
pas sortir… c’était pris comme
une interruption, si on posait une question. En fait,
ça connectait trop aux affects…du coup
quand on parle de soi, de son histoire et qu’on
témoigne en racontant quelque chose, c’est
bien, ça a sa place, en même temps, c’est
difficile de s’en dégager un peu pour
y penser, pour… et difficile aussi de poser
des questions à quelqu’un qui est centré
sur sa douleur. ça fonctionnait pas comme ça,
donc on s’est dit, il faut peut-être reprendre
le truc à la base, comme on l’avait pensé
au départ. Alors, on a pensé à
plusieurs solutions, prendre plusieurs modérateurs,
mais rester entre nous… pas quelqu’un
de l’extérieur… qui simplement
vérifierait le temps… là, finalement,
voilà… je présente cette activité
–là d’AREVI que je suis de près,
j’ai un peu l’habitude dans mon boulot,
je le fais avec plaisir. Mais donc l’idée,
c’est que on … d’abord, c’est
enregistré, comme tout le monde voit, vous
avez lu les transcriptions après sur le site.
Ça, ça reste pareil, et après
c’est une matière, ça peut servir
si quelqu’un veut en faire quelque chose. C’est
possible en fait, moi, j’utilise ça,
comme matériau de travail , évidemment
après, même si on s’interpelle
par nos prénoms, je rends tout anonyme, je
change même les dates, les noms de lieu…
pour qu’on soit à l’aise avec ça…
et voilà ! Alors là, il y a toujours
un thème général pour l’après-midi,
là, c’est : « ce qu’on ne
dit pas » et on a pensé peut-être
pour s’aider davantage, à pas rentrer
trop dans l’affect, ça l’idée
on encore trois sous-thèmes les deux premiers
nous incitent, enfin nous engagent à témoigner
sur une petite part de notre expérience autour
du thème et le troisième où là,
je ne sais pas si vous l’avez lu, c’est
: pourquoi est-on inhibé ? Du coup, c’est
quelque chose qui va nous obliger à réfléchir
en fait, on n’a pas spécialement à
témoigner, là on a à demander
pourquoi et du coup en formulant, ce troisième
sous-thème, sous forme d’une réflexion,
d’une question, qui oblige à réfléchir,
on s’est dit que ça permettait de se
mettre sur la piste, histoire d’avoir un peu
de distance… Enfin voilà quoi ! Donc
j’ai pas … j’avais pensé
écrire un préambule, un cadre de fonctionnement,
mais en fait, je ne l’ai pas fait pour que ça
reste libre et le cadre, voilà c’est
l’espace de parole et en temps limité,
et que on reste autour du thème, on se doute
qu’on va pas mettre quelqu’un en demeure
de…on veut mettre personne mal, mais par contre,
on… ce qui est intéressant, mais même
ce sera fructueux, c’est bien…. si c’est
interactif, quoi ! si on se pose des questions mutuellement,
si … et c’est pas grave, si c’est
un peu cafouilleux ou si on sait pas trop comment
prendre le truc au départ, on va le trouver
ensemble ! c’est bien aussi, ça comme
idée de travailler ensemble à élaborer
un cadre qui permette ça !
Jacqueline : oui, moi, je suis
d’accord … ça me changera pas du
tout…
Delphine : Donc là le
thème : ce qu’on ne dit pas de l’inceste,
alors c’est venu de… je ne sais plus qui
a eu cette idée… ça a émergé
au groupe de parole ou la dernière fois à
un atelier, enfin, c’est quelque chose qui est
dans l’air du temps d’AREVI depuis un
moment qui fait suite à d’autres ateliers
qu’on avait autour de la parole : qu’est-ce
qu’on dit ? du coup là, c’est plutôt
: qu’est-ce qu’on ne dit pas ? les trois
sous-thèmes, je sais si vous les avez lus sur
le site :
Le premier, c’est : «
Ce qu’on sait qu’on ne dit pas. »
Le deuxième, c’est : « Ce qu’on
découvre qu’on ne dit pas »
Le troisième, c’est : « pourquoi,est-on
inhibé(e) ? »
1- Ce qu'on
sait qu'on ne dit pas
C’est des thèmes,
on a réfléchi à ça, ensemble
avec Nathalie, Judith et Jacqueline, mais s’il
apparaît en cours de route une façon
d’y penser, d’y réfléchir…
Jacqueline : J’ai envie
de dire, c’est dire à qui ? ça
dépend à qui on parle…
Florence : j’ai des problèmes,
je me suis dit …la question que je vais poser,
c’est pas tellement à qui, c’est
justement que je n’en ai pas du tout. J’ai
réfléchi du coup à ça,
il y a des choses que je dis à certains et
pas à d’autres, … Il y a une rationalité,
derrière ça, il y a ce que je dis à
mon psy, ce que je dis à mon mari, ce que je
ne dis pas à des connaissances au travail…
il y a clairement des choses que je dis à personne,
parce qu’il n’y a pas… ce ne sont
pas des choses que je dis au groupe de parole et même
est-ce que je le dis à moi-même et là
vraiment, ça rejoint le noyau dur de ce je
ne veux vraiment pas dire du tout. Alors que si c’était
acquis, bon ! j’arrive à trouver de bonne
raisons de le faire, …disposer de mots, à
disposer de bonnes raisons, inaudible…. Dans
ma vie privée…je me suis rendue compte
qu’il y avait une sorte de noyau dur de non-dit
!
Delphine : est-ce que tu sais
pourquoi, tu ne le dis pas ?
Florence : ben … je pense,
en général… Il y a deux raisons
: il a des choses parce que c’est le plus difficile,
ce que je n’ai pas encore accepté moi-même,
ou alors, il y a des fois des choses, comme si c’était
futile, comme si elles n’avaient pas d’importance,
parce que c’est trop dur d’y penser, peut-être…inaudible…
dernièrement, on a parlé de ça
au groupe de parole, du problème du plaisir
physique, par exemple, problème de sexualité
avec mon mari, j’ai réalisé que
je ne lui ai pas parlé de ça. Ça
fait un moment que j’y pense, ça, c’est
de l’ordre du … certainement… et
même quand j’y pense, je commence à
avoir chaud et tout, par exemple, j’ai l’impression
que c’est encore des choses où il y a
de la honte qui s’attache à ça…
inaudible…la honte c’était terminée,
parce que j’avais clairement mis de côté,
l’inceste avec mon père, donc j’ai
pas à avoir honte… ça je sais
que j’en parle pas, parce que je sais, parce
que c’est… ce n’est pas encore évacué…c’était
jusque là, tout de suite, c’était
indicible.
Delphine : il se passe quoi,
si tu le dis ?
Florence : ben ça, c’est
tout l’histoire de la parole dans le domaine
de l’inceste, c’est qu’à
quinze ans, ça me paraissait, je disais juste
que mon père m’avait touchée,
c’est comme si le monde allait s’écrouler,
je l’ai dit, le monde ne s’est pas écroulé..
à la limite, je me sens plutôt mieux
maintenant. Donc ça, c’est toujours le
problème de : avant d’avoir parlé,
ça n’est pas rationnel, mais j’ai
l’impression que quelque chose va s’écrouler,
alors… c’était plutôt de
l’ordre de la révélation, l’ordre
de la structure familiale, là c’est plutôt
personnel… et si je considère que ma
sexualité est à ce point atteinte, c’est-à-dire
que l’interaction telle entre le passé
et le présent , c’est comme si, je perdais
tout … je ne sais plus… quelque chose
qui soit vraiment moi et mon père paraissait
rejeté dans le passé… et là,
il n’y a plus rien qui est parlé, puisque
même dans la relation intime avec quelqu’un
finalement, c’est là de façon
non dite, mais … c’est depuis le début,
depuis que je me suis construite sexuellement finalement.
Ce problème-là est arrivé en
même temps… comme ça m’a
structurée, pas très positivement, mais
là n’est pas la question, ça m’a
structurée, le fait de le débusquer,
c’est comme si j’allais, rendre friable
toute la structure et là aussi tout s’effondre,
donc c’était de l’ordre d’un
effondrement extérieur et intérieur,
mais c’est de l’ordre imaginaire, je sais
bien que ce n’est pas le cas, mais malgré
tout, il y aune sorte de peur irrationnelle, je ne
peux pas parler de ça
Sidonie : est-ce que tu n’as pas l’impression…
en fin de compte, c’est comme être empoisonnée
! finalement, Enfin, tu vois ce que je veux dire ?
Florence : c’est admettre
la gravité des choses, admettre que ma sexualité
elle n’est pas comme je voudrais qu’elle
soit, elle est empoisonnée quoi ! je suis capable
de l’admettre ; il faudrait savoir ce qui a
rapport avec l’inceste il peut y avoir des problèmes
sexuels pour des tas de raisons différentes
… je pourrais dire pourquoi pas , je ne suis
pas la seule, c’est clairement contaminé…
or c’est quelque chose du point de vue de relations
interpersonnelles, le goût de l’intime,
la parole, le discours, la rationalisation, l’intellectualisation,
même dans le ressenti, et puis au-delà
des relations avec une autre personne, c’est
même moi toute seule, c’est quelque chose
où j’ai pas envie d’aller, parce
que c’est admettre, en effet, il y a contamination,
c’est de l’ordre de cette idée-là,
comme si c’était empoisonné à
la source et que je vois pas, c’est tellement
emmêlé, comme dans quelque chose de liquide,
je ne vois pas comment, je peux extraire la partie
: problème de l’inceste d’un côté
et garder la partie à moi, toute nette, de
l’autre, tout se mêle comme ça
parce que là, dans la sexualité, ça
marche pas… ça peut marcher dans le travail
parce que je suis capable, je suis adulte et je travaille
…inaudible… avec mon père…
ça oui, je peux le faire quand je suis avec
quelqu’un et je me dis… j’ai réalisé
récemment que ça pose problème,
je peux avoir des désirs sexuels mais que je
déteste ça, je ne sais pas pourquoi,
c’est un paradoxe, c’est vraiment très
déplaisant en ce sens… je ne sais pas
où ça se situe, je suis incapable…
et justement, je ne suis pas capable de faire moi-même
le diagnostic de qu’est-ce qui se passe. Le
mieux serait d’en parler et jusqu’à
maintenant, je n’en ai pas parlé, j’ai
louvoyé, notamment avec mon psy, c’est
très amusant parce que je me débrouille
toujours pour parler d’autre chose juste au
moment où je pourrai pour en arriver là.
Problème de fidélité ou pas fidélité
?... je me dis je vais parler de sexualité,
mais non…
Mireille : comme si tu l’avais gardé
secret… on a l’impression que c’est
ton secret à toi et que cela ne veut pas sortir.,
comme si tu l’avais laissé comme un abcès
et que tu ne voudrais pas que cet abcès diffuse…
si c’était cet abcès qui n’était
pas mis de côté, à ce moment-là…
Florence : Oui, pour circonscrire
ça… il me restera celui-là qui
est impossible à résoudre et je pourrai
vivre hors de ça
Sidonie : je voudrais te poser
une question, parce que je me la suis déjà
posée : est-ce que c’est quelque chose
d’irrésoluble ? On se traîne, année
après année après année
et qui revient toujours finalement comme quelque chose
d’inopportun et toujours comme une espèce
de viol répété, parce que le
viol, à cause de cette contamination, il est
quasi permanent quoi ! enfin c’est pas mon raisonnement
ou ma bonne volonté qui va me permettre d’accéder
.. à… Ok… ça y est, maintenant,
je suis clean, nettoyée…
Florence : j’en sais rien, mais j’ai toujours
tendance à faire de plus en plus confiance
en la parole. Si c’est soluble, quelque part,
c’est peut-être dans la parole, bizarrement,
est-ce que je ne veux pas que ce soit ésolu,
que je n’y crois pas…je ne croyais pas
que ce soit soluble, c’est parce que…
c’est une partie perdue et que je ne veux pas
l’admettre…. Inaudible…La seule
solution, j’ai l’impression que ça
se dissout un peu, c’est que, en effet de parler,
je me suis rendue compte… je n’en parlais
pas puis, à chaque fois que j’en ai parlé,
après coup, finalement, ça n’a
pas disparu, mais c’est devenu moins lourd,
moins obsessionnel, différent.
Sidonie : tu as jamais pu en
parler à ton partenaire, ton mari ?
Florence : non, c’est la
première fois ! le mot plaisir n’a rien
à voir avec le mot : inceste.
Sidonie : moi, je trouve ça
grave, par rapport… parce que j’ai déjà
eu ce genre de problème, une espèce
d’invasion quoi… que j’arrivais
pas à expliciter….je ne sais pas, par
gêne et j’ai toujours trouvé ça
très très dommage et très handicapant
dans la relation présente. Parce que automatiquement,
ça crée un énorme mensonge, c’est
comme ça que je l’ai toujours vécu.
Si je ne peux pas sortir de ce mensonge si j’ai
un partenaire et que je ne le dis pas , pour moi,
l’intimité elle n’est plus là
quoi ! ….J’ai toujours mis sur le compte
du fait que j’avais un nouveau partenaire, qu’il
était pas assez ouvert, pas assez communicatif
ou quoi, mais,… Ce qui est très possible,
d’ailleurs
Jacqueline : A quel moment tu
te rends compte que… c’est pendant l’intimité
que tu te fais un cinéma ou c’est après
que tu te dis : ben là, j’ai…
Sidonie : non, c’est pendant,
par exemple, je suis envahie par un fantôme,
quoi… oui, effectivement, c’est pendant…
pour moi, c’est quelque chose d’irrésoluble
dans la mesure irrésolue, puisque je n’ai
jamais été jusqu’à ce point,
capable d’en parler à mon partenaire.
Jacqueline : oui, ça reste de l’ordre
du « truc pas dit »
Sidonie : Voilà
Delphine : et tu as déjà pensé
le dire, le lui dire ?
Sidonie : non, j’ai déjà
pensé que c’était possible, mais
en l’occurrence, je trouvais que c’était
pas possible avec… je pense à ma dernière
relation, par exemple, c’était pas possible,
je ne pouvais pas, déjà, j’avais
eu l’impression de beaucoup, beaucoup m’exposer,
c’était quelqu’un qui était
totalement non-communicatif, c’est toujours
moi qui déballais, qui déballais…j’essayais
de tirer les trucs de son côté, mais
ça venait guère, donc je pouvais difficilement
aller jusqu’au bout.
Delphine : c’est quelque
chose de se mettre avec des partenaires qui ne parlent
pas eux-mêmes. Du coup, on se sent soi-même
vulnérable si on se met à parler…
et que l’autre ne parle pas de lui, d’elle…
du coup, c’est pas pour rien… inaudible…ça
me parle. J’ai déjà discuté
avec ma partenaire et du coup, tu parles pas non plus,
tu reste avec ton truc : ben non, je ne peux pas lui
dire, il n’y a pas d’espace de parole…
Moi, c’est pas ce que je ne dis pas du tout…
en un mot, c’est sur les tortures que j’ai
vécues… c’est plutôt une
partie de ce que tu disais tout à l’heure,
c’est que je pense que je pense qu’on
ne va pas me croire, d’ailleurs, moi-même,
quand j’en parle, des fois je ne me crois plus,
et donc, j’ai la migraine, je suis malade, parce
qu’en fait à chaque fois ça me
rend malade de ne pas me croire, mais aussi que personne
ne va me croire parce que c’est incroyable,
impensable, que… même au groupe, par exemple,
dès que je peux, un petit peu plus dire, mettre
plus de paroles, je peux pas parce que c’est
pas .. c’est … comment dire…des
tortures, c’est pas quelque chose d’homologué,
c’est pas quelque chose de commun aux autres…
je me dis les autres ont pas vécu ça…je
vais encore sentir seule avec ça, comme avec
l’inceste quand on est avec d’autres,
en ville, avec des amis, même quand on en parle,
on est tout seul avec son truc…parce que l’autre
en face, il a pas vécu ça. Là
au groupe, oui, l’inceste, les autres le savent
très bien, mais ça me fait pareil avec
les tortures…inaudible… je disais encore
me sentir seule avec ça et… qu’on
va pas me croire et aussi peut-être que ça
va , finalement, je dois tenir un scénario
autour des tortures que j’ai vécues,
des intentions de mon grand-père en me torturant,
de … comment je me suis construite en défense
par rapport à ça et peut-être,
il y a un truc auquel je… que ça ébranlerait
trop quoi ! une construction, un récit de ça
qui… je sais pas… le tout un peu …
c’est difficile ! je sais pas, ça fragiliserait
l’édifice si j’en parlais et du
coup comme j’ai pas autre chose, même
ça c’est horrible .. ; mais ça
me fait un récit sur lequel m’appuyer…
et du coup, si je n’ai même plus ça…
Florence : …inaudible…du coup c’est
comme si on repartait à zéro ! si je
reprends sur d’autres bases, tout ! Ce n’est
pas vrai ! ce qui est fait, est fait ! comme travail,
mais si on parle, quelque soit le thème, s’il
y a quelque chose dont on n’a pas parlé,
on se dit, je vais en parler maintenant, ça
va en effet faire bouger quelque chose qu’on
avait déjà commencé à
construire…qu’est-ce que c’était
comme histoire, je suis victime, … j’ai
été victime d’inceste… et
puis si on parle d’autre chose tout d’un
coup, cela devient une autre histoire et je ressens
une inquiétude à injecter du nouveau…
dans la parole… par les souvenirs qu’on
a en tête. Il y a plein de choses, ça
on le sait bien. Mais c’est dans la parole,
cela veut dire qu’il va falloir l’intégrer
quelque part… inaudible… un effet sur
les autres, un effet sur soi…
Delphine : tu n’en as parlé
à personne ? ils ont mal réagi, peut-être…
Florence : un petit peu…
j’en parle pas beaucoup…
Sidonie : il y aussi que ça nous saoule trop
!
Delphine : c’est dégueulasse
quoi ! tu vois, je sais que en le disant, ben, l’autre,
il écoute, tout simplement, donc il…
se fait une représentation, mais là,
tu vois la réaction, je ne peux pas accepter
que l’autre ait une représentation de
ce que je vais raconter, ça me resalit encore,
ça me … c’est dégueulasse
! quoi !ça me remet un peu… comment dire
? il y a ça, puis il y a le fait que le truc
de pas être crue, peut-être que j’ai
pas envie de me reconfronter à … on ne
me croirait pas … enfin, alors, , j’avais
l’impression d’être sortie de ça,
parce par exemple, maintenant l’inceste, je
sais que … mais je vois bien ces tests, c’est
vraiment… je sais pas si j’ai bien intégré
qu’on me croit ou si je finis par être
un peu habituée à l’idée
qu’on me croit…Mais je vois bien, dès
que ça change de sujet, je m’aperçois
que ce sont les mêmes trucs qui me ré-assaillent…qui
me persécutent, c’est qu’on va
pas me croire, du coup, j’ai l’impression
de n’avoir pas trop avancer là-dedans…
inaudible…
Sidonie : Et là, tu veux en parler ?
Loïc : moi, j’ai un
peu de mal à faire des échanges, je
ne suis pas habitué, sauf que je communique
pas assez sur des histoires de tortures, tout ça.
Moi, j’ai vécu quelque chose de très
très violentes. Je sais pas non plus…
enfin, je sais pas je crois… moi-même,
je ne me crois pas. Avec mon psy, là je lui
raconte des trucs, des fois, je crois qu’il
me croit, ou qu’il ne me croit pas. Dès
qu’il ne me croit pas, j’crois que je
suis fou, c’est bizarre tout ça, je sais
pas … par contre, moi, j’ai besoin de
parler, en fait. Au groupe de parole, comme ça
parle pas beaucoup, enfin ça parle pas d’inceste…
c’est mon impression, on parle rarement de ce
qui s’est passé, …. Inaudible…
généralement, c’est moi qui suis…
inaudible…donc voilà.
Florence : il n’y a rien
dont tu penses que tu ne parles jamais
Loïc : ben si , sur les histoires de pervers
sexuels, sur la sexualité, … inaudible…
j’ai commencé à dire un petit
peu. Tout à l’heure, je me sentais exclu.
Sur la question d : est-ce qu’on le dit au partenaire
? ben moi, c’est même pas cette question
-là, j’en suis pas là ! merci.
J’ai du mal à parler comme ça,
j’arrive pas, à communiquer sur les choses,
Jacqueline : est-ce que le fait
que tu es le seul homme ? … et que on est que
des femmes, est-ce que ça te gêne…
de parler de sexualité ? Parce que ça
peut être
Loïc : non, moi, j’ai
jamais parlé sur ce thème, mais parfois,
j’arrive pas à faire la démarche,
tellement je souffre. … mon corps est un peu
comme étranger. Je ne suis pas là, même
après, je ne pense pas à la sexualité,
je pense si je vois une fille et que je veux aller
vers elle… si je lui raconte qui je suis…je
ne pense pas qu’elle m’accepte.Sidonie
: Est-ce que ça vous arrive jamais, là
je pense à autre chose, d’être
jaloux par exemple des gens, moi, je prends cet exemple-là,
parce que j’ai côtoyé des gens
dont la famille a expérimenté la shoah,
l’holocauste… J’allais dire quelque
chose qui paraît horrible, mais souvent, il
y a des dîners et on dit : oh là là,
et mon grand-père et ma grand-mère…nanana…
nanana…finalement, il y a une fierté
quand même et là, j’espère
que je choque personne ici, mais je trouve qu’il
y a une fierté énorme à raconter
que machin s’en soit sorti ? ben, je veux dire,
il n’y a aucune pudeur par rapport à
ces récits-là et… moi, ça
m’est arrivée d’être jalouse,
je me suis dit, merde ! c’était la galère
et tout. Je peux dire moi aussi, j’ai vécu
une galère, c’est tellement indécent
que je peux certainement pas la raconter au cours
d’un dîner. Et ça me fout en rogne,
ben voilà ! je dis comme c’est ! quoi
!
Mireille : aussi par rapport
à ces événements, il y en a qui
n’ont jamais parlé. Il y en a qui ont
parlé
Sidonie : oui, je sais
Mireille : certains sont restés
silencieux.
Echanges inaudibles.
Loïc : c’est de la fierté, tandis
que moi, c’est une fierté, ça
me redonne du baume au cœur par rapport à
ce qui m’est arrivé, d’avoir pu
traverser tout ça, je me sens… sur un
certain plan, je me sens supérieur aux autres.
Les autres, c’est des rigolos ! Quoi ! ça
me donne du courage ! dans un dîner, comme j’arrive
pas à communiquer, je me dis : ce sont des
rigolos !
Sidonie, vous avez le même
sentiment que ce que je suis en train de dire …
une certaine… un certain degré de haine…
parce qu’il y a frustration… quand on
peut pas parler … on est frustré, mais
du coup, on est jaloux de celui qui peut parler…ben,
il y a une certaine haine. Florence : Oui, moi, c’est
des choses horribles… quand des gens racontent
des choses terribles, qui ont vécu des choses…des
maladies, perdre ses parents très jeunes, des
choses comme ça qui rendent la vie très
difficile, on écoute… ils peuvent dire,
ça a été dur et je m’en
suis sorti(e) je suis contente, … je me dis
moi, je peux pas encore faire ça, même
si intérieurement, ça c’est assez
récent, je pense que depuis que je viens ici,
je ressens une forme de fierté.. pas la fierté
de tout ce que j’ai vécu, mais la fierté
de me dire : après tout, je suis partie avec
pas tant de chances que ça et… je me
débrouille, je m’en sors, je me bagarre,
je parle aussi, J’ai envie de dire : moi aussi,
j’ai des trucs à dire, mais ça
reste, à l’intérieur…c’est
difficile de dire…je pense quand je rencontre
des gens, qui parlent de leur difficultés passées,
qui me paraissent … pour rien… des fois,
des choses qui me paraissent respectueuses, je me
dis… mais ce qui m’énerve, c’est
de me dire, il y a pire. … d’en parler
facilement et tout le monde vat’écouter,
te plaindre ou t’admirer ou quelque chose…
là aussi, je me dis, … peut-être,
ces gens-là, c’est la même chose,
ils racontent leur histoire et ils disent tout le
monde s’en fout … j’ai tendance
à croire que c’est toujours plus facile
chez les autres… on a l’impression que
c’est plus facile, mais, il y a quelque chose
de publiquement reconnu… il y a ce qui est publiquement
reconnu, il y a ce qui ne l’est pas… et
en parler… c’est plus facile de parler
d’un souvenir, un plaisir, on écrit un
bouquin… là on peut en parler. Mais l’inceste,
on n’en parle du tout, , même si c’est
plus qu’avant, mais malgré tout, c’est
pas très…
Sidonie : on peut se faire manipuler aussi. Moi, ça
m’est déjà arrivée…
avec mon ex-belle-mère, une fois à un
dîner, justement, j’ai voulu dire quelque
chose, même pas en détail, mais tout
de suite : « ferme-la »
Delphine : Et pourquoi, tu crois
? il faut la fermer !
Sidonie : Parce qu’il
y a des choses dont on ne parle pas, des choses qui
sont simplement… indécentes. Pourquoi,
elle, ça la gênait particulièrement
? je ne le sais pas… c’est bizarre comme
réflexion… ça, pourquoi ? parce
que finalement, les gens qui n’ont pas vécu
ça, ils ne doivent pas se sentir tellement
atteint par des choses comme ça, ils pourraient
dire : ben, oui, chez moi, il n’y a jamais eu
rien de semblable ou quelque chose… mais …
enfin, je sais pas. Moi, j’ai l’impression
aussi que moi, je me sens aussi salie, par les récits
comme ça dans ma famille, c’est vraiment…
c’est salissant quoi ! ou bien j’ai fait
d’autres expériences par le passé…
assez lointain quand j’avais entre dix-neuf
et vingt-cinq ans où je racontais ça
beaucoup plus facilement et finalement, je me suis
fait abusée encore… c’était
pas une bonne idée…je m’adressais
pas aux personnes…
Delphine : Qu’est-ce qu’on
ne dit pas ?
Mireille : par rapport à
mon mari, j’ai dit beaucoup de choses, bien
sûr, il est informé… il a été
informé assez tôt. Mais pendant longtemps,
après on n’en a plus jamais parlé,
donc en mettant ça de côté, moi,
aussi, j’ai pensé que ça allait…
que j’allais oublié et j’ai pensé
que ce n’était peut-être pas vrai,
que c’était des cauchemars, que c’était
sans doute pas vrai… enfin bref… et c’est
vrai que tout a ressurgi plus tard… et puis
ça ressurgi toujours maintenant, et encore
plus… Alors, ce que je crois, que je ne peux
pas dire, lui dire, c’est que je suis toujours
hantée, quoi… c’était mon
beau-frère, le mari de ma sœur, je ne
suis pas libérée, pourtant, il est mort
et je ne suis pas libérée de ça…
C’est vrai que je lui casse un peu les pieds,
je ne peux pas lui dire tout le temps … Cependant,
on a commencé une thérapie de couple,
parce que… Il a mis du temps … d’ailleurs,
il ne veut pas venir là. Je lui ai dit : tu
sais, il y a des conjoints qui viennent… mais
pour le moment, il ne veut pas venir… je lui
dis au moins tu te sentirais peut-être moins
seul en entendant certaines difficultés et
ce que je crois que je ne peux pas dire : mais, ça
aussi je lui ai dit quand même. Je crois que
la chose la plus difficile et qui me met le plus mal
à l’aise… mais malgré tout…
j’avais neuf ans… je peux pas dire que
… finalement, j’ai ressenti du plaisir,
donc je crois que c’est ça, la chose
la plus difficile à exprimer… que j’ai…
nié pendant longtemps… c’est vrais
que grâce à l’analyse, j’ai
pu l’accepter plus ou moins quand même.
Mais ça n’empêche que c’est
vrai, tout de même vrai et c’est ça
qui me met le plus mal à l’aise possible.
Donc après, moi, j’ai l’impression
que c’est une prison, on est pris la dedans
et ça dure toute la vie… Au départ,
on a l’impression … bon, j’ai fait
ma vie normalement… on va dire…mais quand
même, c’est toujours là, c’est
toujours là…et j’ai l’impression
que ça n’avance pas
Fin de la face de la cassette
Mireille (suite) : Ma sœur
est toujours vivante…mais ma sœur, j’ai
fini par lui dire, mais il n’y a pas très
longtemps, elle m’a dit qu’elle s’en
doutait… mais ça s’est arrêté
là… mes parents, je ne leur ai jamais
parlé. Est-ce qu’ils le savaient ? est-ce
qu’ils ne le savaient pas ? j’avais occulté
complètement. Je ne pensais même pas
à le dire à ma mère… pourtant,
elle a vécu assez longtemps. Je n’y ai
même pas pensé…Mais disons que
quand elle se trouvait là, je n’y pensais
pas.
Jacqueline : …..Pas volontairement
Mireille : et alors, maintenant,
c’est ma sœur… donc elle m’a
dit qu’elle s’en doutait, j’ai fait
un petit texte pour expliquer ça, les détails
des faits : « le secret de ma vie » donc
un jour je lui ai donné, elle me l’a
rendu, sans dire un mot, donc du coup … bon
.. et maintenant, donc maintenant, elle est malade…
elle a un cancer et je suis complètement bloquée,
bloquée, bloquée, je ne peux pas l’appeler,
je ne peux pas la voir, je ne peux pas … parce
que elle est tout le temps en train d’envoyer
des vannes.. je pense qu’elle se protège,
ça je le comprends, mais alors, moi, j’ai
une attitude…
Delphine : pourquoi, tu peux
pas l’appeler carrément… ?
Mireille : Je sais pas
Delphine : Parce que comme tu
peux pas parler de ça avec elle, du coup …
Mireille : Ben voilà,
c’est pas intéressant de boire un café,
et puis… ça m’est arrivé
d’y aller, il y a des choses importantes. Et
finalement je crains que… ou c’est moi
qui me lance… là je n’ai pas le
courage… inaudible…
Delphine : C’est important
de ne pas pouvoir dire que c’est encore hyper-présent
Mireille : oui, parce que c’est
vrai, ça fait tellement longtemps…
Delphine : on dit oui, ça
va mieux…
Mireille : « tout de même,
depuis le temps ! tu as réussi ta vie, toi
, tu as un bon marin toi, ceci.. toi cela… »
moi, j’ai eu toutes les chances… voilà
. Et donc là, je me sens mal, mais c’est…
et ça je peux pas le dire à mon mari,
je me sens mal à cause de ma sœur, parce
qu’il me dirait : « attends ! arrête
! « et c’est vrai… même moi,
à ce point-là, je ne m’explique
pas … pourquoi je me suis foutue dans cet état-là
et je sis à la limite incorrecte, elle est
malade… donc je devrais prendre de ses nouvelles
tout de même. Je suis odieuse, je suis monstrueuse
…
Delphine : ça tu peux
le dire à personne, que tu bloques
Mireille : si je l’ai dit
à mon psy, quand même, je l’ai
dit. Ben bon, je n’ose pas trop lui répéter
chaque semaine. Ben vous savez, ça va encore
pas …de toutes façons, j’ose pas.
Delphine : après tout,
en particulier à un psy
Mireille : Je me dis que c’est
plus profond que ça…inaudible…
Florence : On n’ose pas
répéter les choses comme si on avait
un devoir, comme si on devait aller mieux et dire
que c’est derrière…
Jacqueline : je sais pas... si
en cours d’atelier… Je revenais à
ce que je crois que je ne peux pas dire. Moi, je pense
qu’il n’y a rien que je crois que je ne
peux pas dire. En fait, je ne dis pas tout…
mais je ne peux pas dire, parce que je me dis : déjà
quelque chose que j’ai dit, je me rappelle quelqu’un
du groupe, quand j’ai dit que j’avais
les yeux collés avec du sperme.. et puis et
de tout ce que je crois que je ne peux pas dire,..
Mais là, il y a que des choses que je pourrais
dire. Et ce que je crois que je ne peux pas dire…
inaudible… moi, j’ai jamais eu, en dehors
des violences sexuelle subies de la part de mon frère
jusqu’à douze ans, je n’ai jamais
eu de relations sexuelles, jamais de relation d’égalité
avec un homme, ça s’est sûr ! seulement
en imagination et tout , donc là, je me sens
inférieure quelque part, je me sens …
moche quoi ! pas capable et … quand je dis ça,
je pense, j’ai même pas été
capable … même me laisser aller avec un
homme. Par exemple, j’en ai parlé à
ma psy, j’ai eu l’occasion de correspondre
avec un homme… cinq ou six messages…il
m’a invitée…j’ai dit : je
ne peux pas. Et pourtant, il était à
plusieurs centaines de kilomètres et la psy
gentiment, … là j’étais
petite fille… Elle m’a dit : mais vous
pourriez accepter, seulement prendre un café
… A mon avis, c’est par rapport au corps,
par rapport à ce que j’ai vécu,
parce que il y avait une telle gentillesse de la part
de cette dame, de la part de la psy, quand elle disait
: « mais, seulement prendre un café avec
lui, lui serrer la main pour lui dire bonjour, ce
sera un contact intime » que je n’ai pas
eu, par rapport à des relations administratives
et professionnelles. Et donc ça me renvoie
à l’infériorité, au rejet
de la famille… tout le monde est marié
dans ma famille, a des enfants, moi, je suis pas mariée,
j’en ai pas, vraiment … inaudible…
je crois que c’est … ça me renvoie
à l’inceste, mais je crois que je le
trimbale encore, ce rejet… ma vie sexuelle,
elle se cantonne à ce que j’ai vécu
jusqu’à douze ans, en fait. Et ça,
je le retrouve bien dans… je me dis, celui-là,
il est jeune, j’espère qu’il connaîtra
un jour le bonheur et sa sexualité s’éveillera,
mais moi, je me dis, moi, maintenant à soixante
sept ans, ce sera peut-être de l’amitié,
mais, là… c’est pas là que
je me sens mal, parce que ça je le sais depuis
toujours, ça ! c’est la première
fois que je le dis, puis, j’en ai parlé
une fois à ma psy. Une fois, je l’ai
abordé ici. Il y a eu quelqu’un du groupe
qui a dit : tu sais qu’elle n’avait jamais
eu de relations sexuelles, je ne sais plus qui l’avait
dit …. Mais, vraiment ça m’avait
fait du bien qu’elle le redise, parce que j’ai
dit : au moins, on l’entend, ce n’est
pas moi qui le dis et j’avais dû le dire…
Voilà ! ce que je peux dire !
Delphine : ça c’est quelque chose que
tu peux plutôt dire
Jacqueline : ben, je l’ai
dit une fois, je l’ai dit à ma psy..
; en fait, en même temps, ce que je crois que
je ne peux pas dire, il n’y a rien que je ne
peux pas dire .. ou alors, ce sont des choses qui
me sont inconnues, à moi-même. Et en
même temps, ça me renvoie tellement,
là vraiment… j’ai vu le tas de
fumier du jardin, tout d’un coup, j’ai
vraiment eu l’image matérielle …
Delphine : Tu t’attendrais
plutôt à ce que les autres ne te disent
pas, parce que tu dis : ça m’avait fait
du bien, je ne sais plus quelle parole, quelqu’un
avait relevé, répété tes
mots… du coup, ce n’est pas ce que je
ne dis pas, c’est ce que les autres disent.
Est-ce que ça a à voir avec les réactions
des autres de parler de ta famille… qui te renvoient
… que ?
Jacqueline : j’ai toujours
le sentiment que je ne vaux rien du tout… quand
je dis : j’ai perdu maman, dans le groupe de
parole…inaudible… hormis de celle de ne
pas avoir été capable et en même
temps, c’est certainement lié à
l’inceste, aux violences sexuelles que j’ai
subies, en même temps je l’évacue
ça ! ça vient de moi qui suis une incapable,
c’est lié et en même temps j’arrive
pas à le lier…tout à l’heure,
je pensais : c’est extérieur à
moi-même. Mon histoire est extérieure
à moi-même, c’est moi, là
je sens quand on me rejette… mon histoire, il
y a encore…toute une éducation…
Je veux dire mon histoire est extérieure à
moi, je me la suis pas encore totalement appropriée
Delphine : mais ton histoire…
de ta vie ?
Jacqueline : Oui… inaudible…
Seize années vécues au Carmel, donc
seize années, c’est un trou, ça
m’a complètement amené du désarroi,
je n’arrive pas non plus à en parler…
je le cachais … mais je ne sais pas ce que j’ai
fait de ces seize ans, en plus… je n’arrive
pas à mettre un mot, en quoi, ça m’a
été utile ? qu’est-ce que j’ai
pu en tirer, ou qu’est-ce que ça m’a…
? Comment je m’en suis sortie, avec quoi ne
mieux ? quoi en mal ? je sais pas. En fait, je ne
me possède pas. On m’a possédée,
mais je … quand je commence à penser
à moi, ben, c’est ma famille qui me rappelle
que je vaux rien…
Sidonie : Et toi ? qu’est-ce
que tu en penses ? qu’est-ce que tu penses ?
tu penses qu’aller au Carmel, c’était
un choix à toi et que tu assumes ? est-ce que
tu assumes les choix que tu aurais pu faire toi-même
ou bien tu as l’impression que tout s’est
déroulé …
Jacqueline : Non, je l’ai
choisi… maintenant, j’assume mon échec…d’un
vide… que je ne remplis pas
Mireille : Est-ce que tu dis
dans ta famille, ?
Jacqueline : Maintenant on ne
me dit plus rien, d’ailleurs. J’ai reçu
un mail d’une de mes sœurs qui m’a
dit : « quand est-ce qu’on te voit ? »
voilà ! .. échanges inaudibles…
c’est la seule de la famille à qui j’ai
dit… c’est elle qui a dit aux autres,
je me suis servie d’elle, je lui disais tu peux
le répéter à tout le monde…
elle a dit c’est pas vrai, tu ne peux pas te
rappeler, à la suite de ça, elle a raconté
une histoire elle se rappelait, parce que, autrefois,
c’est .. noyé en noir, donc elle m’a
dit « non ! tu ne peux pas te rappeler !Moi,
je me rappelle à quatre ans, quand Jean te
voyait, j’me rappelle ! » « parce
que tu te rappelles à quatre et moi, à
sept ans, je ne me rappelle pas » donc là,
je l’ai un petit peu descendue quand même.
Donc, c’est ce qui est lié à la
sexualité qui m’échappe…
quel que soit l’âge ! mais en même
temps, maintenant, je suis vieille, donc, j’espère
pour les autres, je n’espère plus pour
moi, je fais du social, je vais faire du soutien scolaire,
j’ai l’impression que c’est pas
ça … je devrais m’occuper de moi
à la place. Voilà, c’est ça
!
Mireille : il n’est pas
trop tard !
Jacqueline : oui, mais…
Mireille : tu as droit à
ta vie et tu n’as pas un âge … inaudible…
Jacqueline : Par rapport à
mon âge, je suis trop vieille, parfois, je me
sens trop vieille au groupe de parole…je me
dis qu’est-ce que je fais là ?
Florence : on n’a pas le
même âge … inaudible… c’est
pas lié à un âge réel,
mais c’est clairement … il y a quelque
chose au début qui a été décalé,
on a raté une étape, particulièrement,
je me reproche d’en être que là
maintenant, j’ai l’impression que je devrais
être plus loin… comme si j’avais
pas franchi, justement le fait d’y repenser
tout le temps, je ne voudrais plus en être là,
je voudrais déjà avoir… alors
quand je vois des filles au groupe de parole qui font
des procès ou qui parlent, je me dis, c’est
ça que je devrais faire, je ne l’ai pas
fait. Alors là, c’est trop tard, c’est
raté.
D elphine : pourquoi tu penses que c’est raté.
?
Loïc : Il y a tellement
de choses. Je ne sais plus trop quoi dire… non
ben, sur la sexualité, la honte, ça
me parle vachement, j’ai honte, et je me sens
vraiment pas aimable du tout… je sens qu’on
me déteste… c’est pas ça,
mais je me déteste moi-même. Je sais
pas … il y a tellement de choses que je sais
pas quoi dire. Sur ce que je dis pas, moi, en fait,
je dis tout sauf ce que je sais pas …inaudible…
je le dis au groupe de parole, j’y viens rien
que pour ça. Je dis ce qui me passe par la
tête. … je me fais un devoir, même…
Inaudible…
2) Ce que l'on découvre de
ce que l'on ne dit pas
Delphine : On découvre
ce qu’on ne dit pas ! On découvre au
fur et à mesure en fait. Des fois, les autres,
ils te renvoient que : tu te dis, mais ça,
je n’en ai jamais parlé. On découvre
qu’on se taisait
Loïc : je ne sais pas ce
que c’est exactement…parler, c’est
nécessaire, c’est vachement bien …
Delphine : c’est vrai, j’en ai jamais
parlé, seulement avec des mots génériques
genre violer, enfin,
Loïc : il n’y a qu’une
solution de s’en sortir, c’est de raconter…inaudible
Mireille : écrire, c’est
une bonne chose. C’est parti à l’extérieur
Sidonie : Parler c’est
mieux
Mireille : je trouve que les
deux se complètent
Stéphanie : justement
on parlait par rapport à l’âge.
Ce que tu disais… tu vois, moi, je viens d’avoir
cinquante ans, j’ai pas si c’est le fait
d’avoir cinquante ans, je commence à
parler justement… Bon ben, mon ami, on va fêter
nos vingt-huit ans ensemble, la semaine prochaine
et j’en ai parlé que depuis… une
dizaine d’années, et dans mon entourage,
j’en ai parlé à juste ….
J’en ai parlé grâce au groupe AREVI
qui enfin m’a donné la force d’en
parler autour de moi, c’est-à-dire à
ma mère et à mon frère. Sinon,
je n’en ai jamais parlé à personne.
Jamais… jamais…
Delphine : et pourquoi ?
Stéphanie : … Je
garde tout intérieurement. Déjà,
j’ai une mère qui est… qui est
… une forte personnalité et en réalité
qui m’a toujours dit en deux mots : «
tais-toi !» , c’est vrai, je parle rarement,
et… justement le groupe m’a donné
la force de l’affronter, et pouvoir dire…
c’est vrai que c’est dur de parler…
heureusement, mon compagnon, il est ouvert, et…
c’est vrai, heureusement qu’il est là
parce que… il m’a toujours soutenue, c’est
vrai que bon il ne parle pas beaucoup, mais, surtout
depuis le groupe, là on en parle beaucoup plus.
Je commence petit à petit, à évacuer
un petit peu tout ça,
Delphine : tu avais envie d’en
parler et tu te réfrénais, ou ça
ne te venait même pas d’en parler. Comment
ça se passe .. ?
Stéphanie : non, je pense que je n’avais
pas envie d’en parler, c’était
toujours présent dans ma tête,mais j’avais
pas envie d’en parler
Delphine : Tu luttais pas pour
te taire ?
Stéphanie : non, comme
de toutes façons, … non je me suis complètement
refermée sur moi-même, complètement,
pourtant, j’ai l’air ouverte puisque je
travaille dans le médical, donc je suis en
permanence avec des patients tout le temps, donc pour
tout le monde, je n’ai pas de problèmes…
je suis bien ouverte, je vais vers les gens, je veux
dire j’ai carrément deux personnalités
! et dans mon entourage, j’ai convoqué
ma mère avant Noël, quand … je sais
que ma mère a beaucoup de personnalité,
je lui ai dit : « tu te tais, tu t’assois
et tu m’écoutes ! », pour moi,
c’était un effort surhumain, surhumain
et j’ai mis… je suis venue pour la première
fois au mois de novembre et je trouve que j’ai
fait un super-pas en avant… depuis grâce
au groupe où je venais, j’essayais de
venir toutes les semaines… Là dernièrement,
je ne venais pas, parce que professionnellement, on
a beaucoup de boulot et…ma patronne fait des
conférences, bon, elle est dentiste,…
ces temps-ci, elle avait beaucoup de conférences,
donc le lundi, je ne pouvais pas échanger mon
jour de repos, enfin pas mon jour de repos, mais mon
jour où je finis un peu plus tôt le vendredi,
par rapport au lundi, donc c’est pour ça
que j’ai pas pu venir, ce mois-ci, mais…
bon…
Delphine : ta mère, elle
t’a entendue quand tu lui as dit : tais –toi
…
Stéphanie : elle m’a
écoutée, pendant une heure et après
on a été interrompues parce que quelqu’un
sonnait à sa porte, et après elle est
partie dans ses délires… de toutes façons,
elle part tout le temps… elle fait toujours,
elle me fait toujours une grosse tête comme
ça… et elle m’a écoutée,
mais quand même, elle ne m’a pas entendue
de toutes façons elle ne parle que d’elle…
elle ne peut pas écouter … elle ne peut
pas écouter…
Mireille : elle est trop centrée
sur elle
Stéphanie : complètement
Delphine : et c’était
ton père ?
Stéphanie : non parce
que maman a pas pu m’élever avec mon
frère, elle nous a placés dans une famille
d’adoption, parce que nous, on appelle ça
maintenant une famille d’accueil, mais pour
moi, c’était mes parents adoptifs. C’était
à la campagne, parce que moi, j’étais
placée dès que je suis née, mon
frère était plus vieux que moi de deux
ans donc on était placés tous les deux
dans cette famille Pour moi, c’était
mes parents adoptifs et la petite fille est toujours
ma sœur. Du reste, en réalité je
crois que j’ai dû en parler à mon
compagnon à la mort de ses parents, de mes
parents adoptifs, donc à la mort de cette personne.
Je crois que c’est là que j’en
ai parlé pour la première fois, quand
mes parents ou mes grands-parents pour moi, quand
ils sont décédés tous les deux,
je crois que c’est la première fois que
j’en ai parlé.
Delphine : ils sont morts en
même temps ?
Stéphanie : non, à
deux ans près.
Delphine : et tu es victime de…
du …inaudible
Stéphanie : Oui, du reste,
même encore maintenant, je l’ai pas dit
à sa fille qui est pour moi, ma sœur.
Personne ne le sait.
Delphine : à part ta mère
et ton compagnon, alors
Stéphanie : … Et
mon frère. J’ai convoqué ma mère
donc huit jours avant Noël et deux jours avant
Noël, j’ai convoqué mon frère,
parce que lui, il partait pour Noël à
la campagne. Je lui ai dit, ben tu te débrouilles,
il faut que je te parle. Comme il ne pouvait pas se
déplacer, je suis allée à son
bureau, on est allés prendre un pot dans un
café, j’étais accompagnée
de mon ami, parce que je lui ai dit : tu viens avec
moi ! . Mes parents étaient divorcés,
c’est pour ça que maman n’avaient
pas pu nous élever, donc elle nous avait placés
dans cette famille… pour lui, c’est son
père, c’était son père.
Mon père, il a fait une croix dessus, il n’a
pas voulu s’occuper de nous, il nous a abandonnés,
il s’est jamais occupé de nous donc cette
famille, c’est comme si c’était
son père et sa mère. Alors lui, il était…il
est tombé en dessous de tout, il est tombé
des nues, il n’en revenait pas, il était
choqué. Je lui ai posé la question,
si lui, il avait pas subi quelque chose, parce que,
c’est pour ça que je voulais lui dire
aussi en même temps… parce que on sait
jamais…et non lui, il n’a rien su, il
n’a pas été abusé et il
n’a rien vu non plus ! ça se passait
tous les soirs, c’est pareil, maman nous a repris
à l’âge de dix ans, donc à
mon avis, ça s’est passé, entre
neuf et dix ans. Parce que j’étais tout
à fait consciente, on dormait avec mon frère
et « ma sœur », on dormait dans une
grande chambre tous ensemble et on attendait, que
… j’attendais en quelque sorte que mon
frère et ma sœur s’endorment, pour
aller retrouver… parce que c’est là
qu’il venait me chercher… et ça
se passait pendant que les enfants étaient
endormis. Et mon frère, il dormait, donc il
a pas pu se rendre compte… et ce que je reproche,
par contre, à ma mère, c’est que
quand elle nous a repris à l’âge
de dix ans, mon frère et moi, mon frère,
elle l’a collé en pension et moi, elle
m’a repris et j’ai dit : mais tu t’es
jamais aperçue que j’étais dyslexique
d’abord, que j’apprenais pas, j’arrivais
pas, ça rentrait pas dans ma tête. On
pouvait me laisser un après-midi entier sur
un bouquin ou une dicté et un truc à
apprendre, de toutes façons, j’avais
toujours la tête en l’air, donc j’apprenais
pas si elle était pas à côté
de moi pour me faire apprendre et me faire réciter
de leçons… ben, ça rentrait pas.
Avec toutes les difficultés, je dis, mais tu
ne t’es jamais aperçue de quoi que ce
soit, c’est ça que je lui reproche en
réalité et ben non ! elle m’a
dit : comme moi, j’étais émotive
moi-même, elle m’a dit, j’ai cru
qu’en réalité, je te passais mon
émotivité. Et depuis que je lui ai dit
tout ça, j’ai eu le courage de dire tout
ça, ... donc trois jours après c’était
Noël, donc Noël, c’était chez
maman avec mon compagnon. On était tous les
trois. Et comme d’habitude, elle parle toujours
d’elle, et elle critique toujours les gens et
elle monte toujours les gens, du reste, les uns contre
les autres, parce que elle a toujours été…
inaudible… et au fur et mesure du repas de Noël,
elle nous critiquait, elle critiquait mon ami de plus
en plus, et la parenthèse, ce que j’ai
oublié de dire, c’est que, elle l’a
ressorti encore à Noël, c’est que
quand elle a su qu’elle était enceinte
de moi, elle a voulu se faire avorter. Ça,
rebelote, un détail important… donc à
chaque fois, elle me le ressort, elle me l’a
ressorti à Noël, au départ du repas
de Noël ; gentiment auprès de mon compagnon,
elle parlait de mes ex avec qui j’aurais pu
me marier… déjà, c’est sympa,
vis-à-vis de M. et à la fin de repas,
le ton montait, ses propos montaient... et auprès
de M. elle lui disait, c’est tout juste, si
c’était pas grâce à moi
que … qu’il avait réussi à
acquérir des biens parce que on vivait ensemble
et comme il était dans mon appartement, grâce
à moi, il a pu mettre des sous de côté,
et il a pu s’acheter ce qu’il s’est
acheté, et voilà. J’ai dit : mais
maman, est-ce que tu te rends compte de ce que tu
es en train de dire ? Elle dit : non, qu’est-ce
que j’ai dit ? parce que M. est monté
sur ses grands chevaux, tout en étant très
gentil et très poli… Tu sais : j’ai
compris exactement ce que M. a compris et puisque
c’est ça, on s’en va. Donc, on
n’a pas été jusqu’à
la fin du repas de Noël et on est partis. Donc,
c’est passé. Après le réveillon
du premier janvier où on était chez
des amis… et donc au retour du week-end, je
l’ai appelée, le mardi matin, pour lui
souhaiter une bonne année. C’était
pendant l’heure du déjeuner et elle m’
a dit : heureusement que j’ai mes amis, parce
que s’il faut compter d sur ma famille pour
qu’on me souhaite la bonne année, …
bon, ben, écoute, j’ai faim, c’est
l’heure du déjeuner Au revoir ! Et elle
m’a raccroché au nez ! Donc depuis nos
relations … ben, il n’y a plus de relations
parce que encore grâce au groupe : j’ai
dit : « ça suffit », elle parle
toujours d’elle en permanence, moi, gentille,
je l’appelais tous les dimanches, je l’emmenais
au restaurant, j’ai toujours… là
elle était en bise-bille, puisque de toutes
façons elle agresse toujours tout le monde,
donc elle était en bise-bille avec mon frère,
moi, petite fille gentille, j’ai toujours fait
les liens pour qu’ils s’entendent bien.
Mon frère, il l’appelle une fois tous
les six mois, à sa fête et au premier
janvier. Alors grâce à moi, … parce
qu’il a deux filles … j’essayais
quand même que on se voit de temps en temps
, de pas couper les ponts, et en réalité,
je remarque que la finalité des choses, c’est
que elle se fout de moi ! depuis qu’elle sait
qu’on va se marier, ça été
le fait déclenchant et depuis mes cinquante
ans où M. a fait l’annonce à toute
la famille, puisque deux jours après on a fait
la fête en famille… l’annonce du
mariage a été le fait déclenchant
où là tout est tombé comme ça.
Tout le monde est jaloux de nous, c’est-à-dire
mon frère et maman. C’est vrai que depuis
ça …
Delphine : Ton frère il
t’a entendue, au café, Il t’en
a reparlé, plutôt…tu as dit qu’il
était sous le coup
Stéphanie : Il m’en
a reparlé une autre fois et c’est pareil
lui aussi a toujours été jaloux de nous,
de la bonne entente que j’ai avec M. parce qu’on
se connaît depuis longtemps…. Il a toujours
été jaloux de notre de notre couple…
parce lui a divorcé. Il faut dire que mon frère
s’était marié avec la sœur
de M. C’est-à-dire que c’est nous
qui les avons fait connaître. Eux se sont mariés
on eu deux enfants. Nous on n’était pas
mariés puisqu’on va se marier au mois
de septembre-là. Et déjà il y
a eu des jalousies dans la famille, parce que nous
on avait des biens…
Delphine : Je parlais de l’inceste
! là
Stéphanie : de l’inceste
? oui, il m’en a re-parlé une fois.
Delphine : il t’en a reparlé
pour…
Stéphanie : pour dire
qu’il n’en revenait pas. Quoi ! Il avait
réfléchi à la chose et que …
il m’a crue, il m’a crue, bien sûr.
Mais c’est vrai que… il m’a redit
qu’il était tombée des nues Quoi
! Il m’a dit : « mais si j’avais
su j’aurais été comme M. »
Quand je lui ai dit, il m’a dit : j’aurais
été lui casser la gueule !
Delphine : est-ce qu’il
y a autre chose ? des trucs que tu ne dis pas ? à
ton conjoint ? ou dont tu ne parles pas ? que tu gardes
pour toi ?
Stéphanie : …. Non,
je commence à me décoincer… grâce
au groupe de parole, vraiment, j’arrive à
me dire plus, disons maintenant, on parle. Je ne dis
pas que c’est moi qui commence. Disons qu’on
a un dialogue qu’on n’avait pas avant.
Jacqueline : j’ai remarqué,
quand tu l’as dit à M. il n’y avait
pas tellement longtemps que tu venais, déjà
le fait que tu aies pu peu de temps après,
en parler à M. Là, j’ai trouvé
que tu avais fait des progrès ? comme si tu
étais concentrée tout d’un coup
et la parole était vraiment libérée,
en peu de temps
Stéphanie : oui, c’est
vrai… et c’est ce que me dit M. : «
Attends, tu te rends compte le bon en avant »
… c’est vrai que maintenant, je parle,
j’ai arrêté de me taire !
Delphine : Est-ce qu’il
y a des faits, des émotions, il y a des trucs
que vous découvrez que vous ne disiez pas ?
10 minutes de pause
Stéphanie : à chaque
fois, il me décontracte… il y va toujours
avec douceur ! Il me met à l’aise. Il
ne m’a jamais provoquée, jamais …
Si je veux pas, il se rend compte que je veux pas,
il n’insiste pas. Je veux dire… ça
se passe bien, Je veux dire… ça se passe
mieux, beaucoup mieux… j’ai toujours un
blocage, mais ça se passe… disons, j’ai
toujours peur, j’ai toujours peur,
Mireille : la peur, effectivement,
c’est un invariant…
Stéphanie : la peur, je
la cache tout le temps, c’est un blocage tout
le temps, tu vois. C’est un blocage immédiat,
j’ai toujours peur
Delphine : tu lui dis ça
à ton mari ?
Mireille : oui, je le dis…
ça dépend des moments, mais ça
m’arrive très souvent d’un seul
coup, je dis : «j’ai peur ! »…
ça me passe comme ça, je dis j’ai
peur.
Stéphanie : J’ai
remarqué quand je fais pas l’amour depuis
longtemps, par exemple quand il se passe quinze jours
ou un mois, de recommencer, alors là, c’est
la panique. Si j’ai des rapports réguliers,
c’est-à-dire, plusieurs fois par semaine,
il n’y a pas de soucis, mais dès que
je fais un break en quelque sorte, c’est jamais
moi… en fait, je ne suis jamais demandeuse,
ça… je le sais, c’est ce qu’il
me dit : maintenant, ça va je vais plus vers
lui dans le lit, mais j’dormais toujours à
l’opposé et même encore maintenant,
il me dit : mais quand est-ce que tu viendras de mon
côté ? Dans le lit, je suis toujours
côté opposé, tout le temps, si
on avait un lit de deux mètres…
Florence : c’est vrai qu’il
y a la peur d’avoir quelqu’un de collé
à soi… La seule ça a été
de lui faire comprendre au moins sur ce plan-là.
Ben voilà, d’une façon générale,
j’ai besoin d’un espace …Mireille
: moi aussi, ça m’énerve…
pas tout le temps
Sidonie : moi, j’avais
le lit pour moi toute seule, c’est génial
! Après j’étais avec mon partenaire,
ben, il s’est passé quelque chose de
très bizarre. En fait, … c’est
très bizarre, mais en fait, dans mon histoire
à moi, c’est pas si bizarre que ça,
c’est plutôt un schéma, c’est-à-dire
que au début, je suis très.. pas agressive…
si je suis agressive sexuellement, je veux dire, j’ai
définitivement, fait sa conquête, on
va dire, j’suis partie à l’attaque…là
vraiment… Et puis il y a un moment : plus aucun
intérêt et après ça bascule
dans le déni le plus total, et je ne peux plus
le supporter, alors là, franchement…
dans la maison, c’était dramatique, quoi
! et je sais pas comment …
Mireille : tu sais pourquoi ?
Qu’est-ce qui s’est passé que ça
a changé comme ça ? qu’est-ce
qu’il y a eu ?
Sidonie : je peux dire, il y
a les faits, des faits extérieurs, on va dire,
il n’a pas fait certaines choses que j’aurais
aimé qu’il fasse dans notre vie commune,
ça c’est clair et net. Je pense que c’est
quand même un.. objectivement… je pense
que c’est quand même un homme extrêmement
froid, extrêmement réservé, non-communicatif,
j’ai toujours eu la sensation qu’il me
cachait des choses qu’il ne voulait pas dire,
j’ai essayé de lui tirer les vers du
nez, je me suis lassée. Et donc physiquement,
ça s’est manifesté que par de
… la passion physique que j’éprouvais
pour lui, c’est devenu vraiment du dégoût.
Quoi ! je ne pouvais plus le supporter et je le trouvais
…
Delphine : Loïc demande
si c’est pas le moment, si des liens d’affection
... qui s’installe au lieu de l’amour
Sidonie : non, c’est plutôt
que je réalise que la personne de laquelle
je suis tombée amoureuse, objectivement, je
pense que je suis vraiment tombée amoureuse
de cette personne, en général, d’hommes
extrêmement froids… et cruels… objectivement
je réalise que j’ai vraiment un …inaudible…Mon
premier mari me faisait penser à ma mère
, en fait par son mauvais caractère, hypercolérique,
même physiquement, très brun comme elle.
Et puis mon dernier compagnon, il me faisait plutôt
penser à mon père, par plein de choses…
ses origines de l’Est, sa froideur, sa non-communicabilité,
enfin plein de choses comme ça ! il y a un
moment où je me dis mais finalement, ce type-là,
il est pas très sympa… mais voilà
!
Florence : pour en revenir au
pouvoir de la parole, il est question du stade de
l’affection, de la sécurité, je
l’ai senti…. Pas juste en parler comme
ça, mais j’essayais de démonter
le mécanisme, de réaliser que…
c’était le cas avec l’homme avec
qui j’étais mariée et en repensant
à d’autres relations, c’est qu’il
y avait un premier arrêt justement, toujours
le même genre… inaudible…, justement,
… et puis retrait très net de la personne
… en premier temps c’était l’établissement
de relations affectives … l’homme en question,
c’est des hommes…inaudible… donc
fait partie de la famille corse. Le jour où
j’ai réalisé ça, ça
s’est arrangé, d’ailleurs, je ne
l’ai pas réalisé avec mon premier
mari… je pense qu’après c’était
mieux parce que je me connaissais mieux moi-même,
donc quand on s’est rencontrés et il
avait commencé à se passer la même
chose… inaudible … et alors la deuxième
étape , encore pire je dirais, c’est
puisque dans les deux cas, j’ai été
… j’ai des enfants avec mon mari, mais
avec mon ex-mari, j’ai été enceinte
et j’ai fait une fausse-couche et il y a eu
quelque chose de l’ordre de la panique à
partir du moment où, pas du fait que j’étais
enceinte, avant même, c’était clairement
un père pour moi. Le jour où j’ai
pu dire ça, tout bêtement, c’est
là que je me dis : c’est parce que j’ai
du recul grâce à ma psy. Le jour où
je suis allée dire clairement finalement quand
l’homme que j’aime se transforme déjà
en homme de ma famille, alors en plus en père,
on apprend comme par hasard,
Delphine : Tu aurais pu coucher
avec ton père
Florence : … J’ai
pu parce que je l’ai dit, à partir de
là, mais ça a été très
délicat. Quand j’ai eu mes enfants, il
y a des moments où c’était très
très problématique, et il a fallu qu’il
mette clairement le choses sur la table avec lui après,
mais d’abord toute seule avec ma psy, dire clairement,
que dans mon lit, j’ai plus souvent un homme
et un homme étranger, que je suis allée
chercher loin…c’est de la famille…
du coup cela devient déjà quelqu’un
de très proche et en plus c’est un père,
je ne peux pas
C’était complètement mélangé,
parce que c’est pas la question je n’ai
pas d’inquiétude par rapport à
lui, par rapport à ses enfants, parce que justement,
j’en avais parlé, mais c’était,
vraiment symbolique. quoi ! Il était devenu
père et donc que j’avais un père
dans mon lit, et le jour où j’ai pu le
dire … ça veut pas dire que je n’ai
plus ce problème-là… était
résolu. Enfin, ça ne se pose plus cette
question
Sidonie : J’allais dire
que il y a un moment où … cette dernière
relation s’est vraiment cassée la figure
… inaudible… je suis partie en vacances,
j’avais, avec moi, mon frère le plus
jeune que j’avais pas vu depuis bien des années
et quand mon compagnon est venu nous rejoindre, j’avais
vraiment… j’avais des flashs la nuit,
je pensais à mon père, ils se masturbait
à côté de moi, enfin c’était
horrible, du coup, je n’y arrivais plus…
il m’a menacée en fait, à ce moment-là,
il m’a dit : « Bon, si tu peux pas avoir
de relations sexuelles avec moi, il est clair que
la relation ne va pas tenir » et comme en fait,
à ce moment-là, bon ben, j’avais
comme le sentiment qu’on allait reconstruire
une famille ensemble, on avait une maison, on avait
reconstruit une famille et moi, j’y tenais beaucoup,
donc moi, je peux dire que je me suis prostituée
pendant le reste de toutes les années où
je suis restée avec lui et je me le disais
constamment, c’était vraiment terrible.
Du coup ça n’a fait qu’empirer
l’enfer de la relation avec lui, c’était
vraiment… j’étais dissociée,
j’imaginais que j’étais quelqu’un
d’autre. ça marchait plus du tout ! quoi
! mais au niveau des choses, enfin pour en revenir
au thème, … comment je peux dire ça
? Disons qu’il y a eu plusieurs choses dans
mes relations… d’abus sexuels, il y avait
mon père, mais il y avait aussi ma mère,
qui m’, à quatorze ans m’a refilé
un type dont elle était amoureuse et qui était
en quelque sorte, son maître spirituel et ce
qui s’est passé, c’est qu’en
fait, c’était vraiment elle qui organisait
le truc, enfin, c’est lui qui le disait, mais
vraiment, elle l’a beaucoup aidé en ne
m’envoyant pas à l’école,
en me gardant à la maison, en le faisant venir…
, je ne peux pas entrer dans les détails, mais
elle était très attentionnée
et très organisée pour …tout organiser
quoi ! et c’est vrai qu’elle essayait
de savoir comment il s’y prenait… comment
il faisait avec moi ! Elle était terrible !
Delphine : c’était
son amant ?
Sidonie : non, elle aurait voulu,
je crois, mais lui, ça ne l’intéressait
pas. Elle savait qu’il était pédophile
parce que… il avait déjà eu d’autres
histoires, même avec sa femme. Sa femme était
déjà grand-mère et elle avait
une petite-fille et elle l’avait surpris avec
sa petite-fille en train de tripoter, donc elle savait
parfaitement, et toutes les deux, quoi, elles ont
initié le truc en m’envoyant à
la cave avec lui. J’étais là :
« non ! non ! je veux pas y aller ! »
et elles de dire : « oh ! regarde-la, elle a
la trouille ! » jusqu’à ce que
ça arrive effectivement, lui soit invité
à la maison… c’est vraiment une
progression quoi ! et après ce qui s’est
passé, je le raconte volontiers qu’elle
a mis tout en marche et tout. Et après ce qui
s’est passé, c’est que… moi,
j’étais tellement en manque d’affection,
aussi, du côté de mon père, c’était
carrément nul, du côté de ma mère,
elle était carrément folle quoi ! elle
était d’une cruauté incroyable,
me menaçant sans arrêt, m’engueulant,
me disant : « si jamais ça se sait, faut
pas compter sur moi pour te soutenir, je nierai ce
qu’a fait ce type-là, lui aussi, il le
niera ! si t’es enceinte, tu te démerderas…
» Vraiment charmant quoi ! et du coup, j’ai
fait une espèce de … transfert que j’ai
pris tout ce qu’il me faisait… je sais
pas, les sodomies, pour des mesures d’amour,
des mesures d’attention, et du coup au bout
d’un moment, il a même fait le nécessaire
qu’elle organise quoique ce soit ! Lui, il suffisait
qu’il me donne rendez-vous quelque part moi,
j’y allais et j’avais vraiment le sentiment
d’être amoureuse de lui. Par exemple,
j’allais encore à la messe à l’époque,
et pendant toute la messe, j’étais là
en train de me dire, bon qu’est-ce qu’il
m’a fait, je fais toute la liste de tout ce
qu’il m’avait fait… comme vraiment
un truc préférentiel et puis finalement
je peux dire que en quelque sorte, j’étais
devenue amoureuse de lui au bout d’un moment.
Après l’avoir repoussé,parce que
la première fois je l’avais repoussé,
mais après non.. ben, j’ai jamais eu
de plaisir physique avec lui, mais alors vraiment
jamais, jamais de chez jamais… de toutes façons
il était tellement brutal… il aurait
fallu… et il était m échant, quoi,
il m’insultait, en même temps… c’était
vraiment l’horreur… mais, malgré
tout, voilà, c’est cette partie-là
que j’ai du mal à dire que quand même
j’étais amoureuse de ce mec-là
! jusqu’à dix sept ans. Jusqu’à
que tant dans toute la ville, … ça commençait
à se savoir. Alors, une fois on était
avec ma mère chez un commerçant qui
n’habitait pas très loin de chez lui
et ma mère lui a acheté du tissu pour
faire des nappes et au moment de payer, elle se rend
compte qu’elle avait oublié son porte-feuille,
…c’te bonne femme commence à rougir
parce qu’elle a oublié son porte-feuille
« oh ! j’ai oublié mon porte-feuille,
excusez-moi, machin ! et le type lui répond
: « c’est pas grave, laissez-moi votre
fille ! » … Bon, là elle est devenue
écarlate et peu après, ils ont déménagé.
Delphine : tu te souviens de
ce que tu as ressenti quand il t’a menacé
de ça ?
S idonie : rien, en fait pas grand-chose… non,je
ne ressentais pas grand-chose… disons, ce n’est
pas que je ressentais pas grand-chose à l’époque
mais, j’étais quand même assez
blindée, à l’époque …
je sais pas …en l’occurrence…je
ne me souviens pas du tout !
Jacqueline : c’est peut-être
vide. Quand on entend des propositions pareilles,
moi, j’ai l’impression que…inaudible…Je
me demande si dans des cas comme ça : «
vous n’avez qu’à me laisser votre
fille », à ce moment-là la fille
en question … ne ressent plus rien, ne voit
plus rien
Delphine : c’est-à-dire
que c’est sidérant
Fin de la cassette
Sidonie : C’était
faussé, je veux dire, après, moi, moi
j’ai quitté la maison après mon
bac, j’ai été paumée de
chez paumée quoi ! je me suis fait violée,
je me suis fait embarquée dans des histoires
et tout, j’étais incapable, c’était
bien parce que j’avais toujours , j’avais
quand même un instinct, on va dire, une intuition
par rapport … j’étais toujours
en train de me dire, enfin le mot : cool n’existait
pas à l’époque, mais j’étais
toujours en train de me dire : oh ! oui, allez, sois
gentille, enfin je sais pas, j’étais
toujours en train de me forcer à apprécier
les gens et à les … à faire tomber
mes défenses…mais vraiment ,ça
m’a foutue dans de ces histoires, j’ai
mis longtemps à m’en sortir … oui,
il y a eu une chose que je ne dis pas, mais ça
c’est dans le cadre des relations intimes, il
y a certaines choses physiques … c’est
vraiment très très bizarre parce que
certaines choses, d’ailleurs que je peux…,
que j’apprécie beaucoup, mais il arrive
un moment avec un partenaire, avec le dernier en particulier,
puis même avec mon mari, c’était
pareil où quand il me fait ça, je pleurais,
je l’aurais vraiment tué, lui éclater…
j’ai eu une violence, mais Han ! c’est
là que j’ai souvent des … c’est
un truc dont je parle pas beaucoup non plus…
mais j’ai des actes de violence interne, mais
hou ! ça m’arrive assez fréquemment,
je voudrais faire gicler la cervelle de mon père,…
ça, c’est sûr que on ne peut en
parler à tout un chacun. Je me rappelle il
y a un moment où j’ai fait pas mal de
méditation, de type bouddhiste, c’était,
il y a un moment. Et bon ! je suis arrivée
à entrer ne contact avec des sentiments d’une
telle violence, je me suis dit, je peux très
bien comprendre, ce qu’a fait Hitler, les Khmers
rouges et tous ces gars-là… ça
veut pas dire que moi, j’ai fait ça aussi
et que Dieu merci, j’espère que je le
ferai jamais, mais je peux comprendre. L’état
que je ressentais, c’était hard, ça
aussi, c’est difficile d’en parler, parce
que on a appris, on est éduqué pour
être…, surtout moi, dans ma famille, j’ai
été élevée en partie par
ma grand-mère et puis après mes parents.
J’étais super-gentille, j’étais
super-bonne élève … vraiment la
bonne fille quoi ! et ça a rien empêché.
Delphine : ça n’a
rien empêché quoi ? tu veux dire ?
Sidonie : Ben, ça a rien
empêché que j’ai subi tous ces
trucs-là quoi ! quelque part, je dirais que
la bonne conduite ça sert vraiment à
rien !
3) Qu'est-ce qui fait qu'on est innhibé(e)
?
Delphine : la troisième question : qu’est-ce
qui fait qu’on est inhibé ?
Florence : Inaudible …
en fait, à chaque fois qu’on ne parle
pas, … C’est nous qui nous disons : tais-toi
!
Sidonie : si on est inhibée…
un peu tant mieux aussi, il ne faut pas le regretter
Echanges inaudibles…
Loïc : je ne peux pas en
parler, c’est secret.. inaudible…c’est
une énergie, il faut que je me défoule
sur quelque chose… je ressens une violence !
Jacqueline : est-ce que c’est
plus précis que ça dans ton passé
?
Loïc : j’ai des images…
inaudible
Dix minutes de pause.
Echanges inaudibles, parfois
: Tu veux dire que tu as plus de souvenirs de ces
machins que des gestes…L’inceste, c’est
un peu de moi dont il s’agit….
Loïc : Par contre, l’idée
de meurtre … si tu transposes… moi, je
suis réveillé dans une flaque d’eau
un matin ! on m’avait violé à
mort, quand je me suis réveillé, je
croyais que j’étais mort,
Delphine : le meurtre, c’est
pas toi…. Pourquoi tu dis que ça te paraît
plus normal que tu ne te souviennes pas ?... c’est
plus de violence… parce que c’est plus
insupportable ?
Inaudible
Loïc : ….la violence,
je peux pas raconter… Si je dis, ça va
choquer les gens…
Jacqueline : je commence à
ma déshiniber… et dans les films, si
c’est très violent, je ferme les yeux,
j’essaie d’être dans ces violences
pour me décharger moi-même… j’y
vais prudemment…j’essaie de sortir d’une
certaine inertie…C’est ma violence interne…qui
passe la-dedans !
Mireille : Je pense que tu essaies
de te protéger… quand je rebondis sur
le meurtre, effectivement, la seule solution, que
je pense que j’ai … que j’avais
dans ma tête, c’était de le tuer
; si j’avais eu de la force, et j’en ai
fait des cauchemars après, J’allais en
prison, ou j’avais monté tout un système
pour le tuer et j’avais réussi, j’avais
bien caché et je m’étais dit :
c’est mon rêve. Ça c’est
un rêve réel, un rêve de la nuit,
et j’métais dit ben, normalement personne
ne pourra savoir, jamais, jamais… et puis alors
donc, mon rêve c’était complètement…
finalement, je me suis dénoncée parce
que sinon, … alors, là, ça n’a
pas de sens… sinon on aurait accusé son
fils qui à l’époque du meurtre
avait quatre ans… donc je me suis dénoncée
pour pas que le petit de quatre ans, soit accusé.
Mais moi, je pense que quand j’y pense comme
ça, je serais allée en prison, voire
à la limite, je crois que je m’en fichais…
et bon, ben, j’ai jamais eu la force de le faire.
Mais par contre, les films qui peuvent m’aider,
j’en ai vu, J’ai vu : « Pas de printemps
pour Marnie » de Hitchkock… tu l’as
vu ? ou à la fin, cette petite fille…
le violeur est tué… et elle est complètement
obnubilée par des fleurs rouges… enfin,
c’est un parallèle … et donc,il
y a toute l’histoire où on recherche
quelle est son histoire, et en fait, chaque nuit,
quand elle était petite fille, sa mère
avait des prétendants qui venaient chez elle
et elle laissait son lit à sa mère et
au mec qui venait. Et une fois, le gars a voulu abuser
de la petite fille qui a pris un tison et qui l’a
tué. Donc elle l’a tué. Et là
j’ai revu un autre film qui m’a beaucoup
marqué, c’est Viridiana de Bunuel. J’ai
quelques flashs des films des années soixante
… dont il ne me restait presque rien si ce n’est
que ça m’avait marquée. Là
je les revois. Là, c’est pareil, l’histoire,
ben, elle est assez …je vous laisse le voir…
le résultat, c’est que dans ce film là,
celui qui viole est tué. Et je me suis dit,
ça c’est marrant, ça fait deux
films comme ça, le violeur est tué.
Alors il y a des personnes qui protègent. Donc
voilà ! Alors, ça , donc c‘est
vrai que … peut-être que c’est ça
l’inhibition. Peut-être que il y a trop
de choses qui devraient sortir et que je ne peux pas
dire, donc … ben, je sais pas…c’est
une hypothèse…j’ai jamais osé
… Oui, c’est ça… nous on
est bien socialisés… En même temps
il y a des moments, j’ai envie de dire, …
Sidonie : Moi, j’ai pas
envie de me retrouver en « tôle »
Mireille : non, mais bien sûr,
Sidonie, non, mais si je vivais
dans une société où je sais que
j’aurais pas de problème… je pourrai
le tuer. Je ne fais pas uniquement parce que, j’ai
pas envie …
Mireille : c’est vrai que
dans ces situations-là, j’ai envie de
dire, il y a des meurtres justes. C’est vrai
que socialement, on n’a pas à se faire…
on n’est pas juge de soi-même. Mais il
y a des moments, je me dis, ben merde ! dans ces cas-là,
le meurtre devrait être juste…
Jacqueline : tu penses à
la peine de mort ?
Mireille : Non, de tous ceux
qui violent… brouhaha…
Jacqueline : J’ai tué
mon père deux fois …J’ai tué
mon père et je voulais … prier pour qu’il
crève…-Ton père ? -
Oui, oui, j’ai prié tous les soirs, …
peut-être, même au Carmel…ou avant
…surtout je voulais que mon frère le
tue…
Et je disais à ma mère…je voudrais
que mon frère le tue, il faudrait le tuer…ah
! oui, je voulais qu’il le tue…Echanges
inaudibles… et quand il est mort, j’étais
à la maison, c’est moi, qui l’ai
accompagné à l’hôpital…
Et après, j’ai dit à une de mes
sœurs, au téléphone : « Ecoute,
je n’ai pas eu de peine quand il est mort »…
et cette sœur … cette petite vache…
elle a été raconter à tout le
monde : « Jacqueline n’a pas eu de peine
quand papa est mort ! » Et ça m’a
été renvoyé par une de mes sœurs
alors que… et moi, j’ai pris ça
comme une accusation que je méritais, tu vois
! je me suis pourrie la vie avec cette histoire que
j’ai pas eu de peine, mon père était…
inaudible…je ne sais ce qui se joue par rapport
à mon père, ce que mon père a
pu lui faire …Il faudrait vraiment analyser…
inaudible… quand mon père rentrait à
vélo de son travail, il était toujours
saoul, je ne l’ai jamais connu sobre …
l’hiver, le soir… il était …
inaudible… ma mère me demandait de l’accompagner,
… et ne même temps, j’espérais
qu’il soit tombé du côté
de la route et non pas dans le fossé, …
ça je ne l’ai pas dit à mes sœurs…Mais
alors …Si, j’étais en colère,
j’ai déjà dit à mon père
: je voudrais que tu crèves !
Stéphanie : je ne suis
pas encore capable d’être en contact avec
ça… Ça c’est un truc que
j’ai pas encore découvert ce que je ne
disais pas, c’est un truc que je ne peux même
pas m’autoriser à penser… échanges
inaudibles
Jacqueline : je le dis avec un
détachement ! je voudrais avancer sur ce chemin-là
, mais j’y arrive pas !...Inaudible… Voilà
!
Il se battait avec mon frère…moi
Echanges inaudibles
Jacqueline : qu’est-ce
que tu dis ?
Loïc : j’ai cru que
la psy avait émis un jugement ?
Jacqueline : Ah non, pas du tout,
c’était une question et moi, j’ai
dit non, je n’en ai pas le souvenir… j’ai
aucun souvenir.
Delphine : un truc que j’ai
découvert que je ne dis pas … vous avez
la primeur… il y a un truc que j’ai découvert
que je ne disais pas, c’est le … et en
fait que je devais savoir, mais en fait, je ne suis
pas très sûre si je le savais ou pas,
si j’avais vraiment conscience ou pas, …
mais, c’est d’y être allée,
de l’avoir dit à mon père ? J’ai
su, je suis doutée depuis longtemps que ça
a commencé quand j’étais bébé
? je pouvais pas me barrer, je savais marcher, je
ne parlais pas encore… j’ai subi tout
ça… en fait, je me rends compte des …inaudible
… je l’ai dit à ma psy… c’est
que j’y suis allée, quoi ! de moi-même…
inaudible…j’avais sept ou huit ans, de
dix-huit mois à sept ou huit ans que …j’étais
facile, mon père était pédophile
aussi… il était aussi un cinglé
dangereux, dès fois il était dans la
séduction, et d’autres fois, il était
juste cinglé, il aboyait en allemand, …inaudible…
je sais pas mais je sais que j’y suis allée
et que j’ai eu vachement de mal à admettre
ça ! à faire avec parce que c’est
… compte tenu du traitement auquel j’avais
droit, je… c’est difficile de se dire…
« qu’est-ce que je suis allée chercher
? » .. . –interventions inaudibles - …
oui, je peux rationaliser, raisonner, je sais que
… je sais tout ça quoi, mais je vois
bien que je il y a un truc que je n’admets pas
quand même, que je ne peux pas intérioriser,
ne peux pas accepter. Et, l’autre truc que je
découvre que je ne dis pas, je n’en ai
jamais parlé en fait, c’est les fantasmes
érotiques de viol, c’est un peu chiant
aussi, ça aussi, c’est un peu persécutant
!
Sidonie : le fantasme de viol,
c’est un truc érotique pour moi, c’est
érotisant, quoi !
Delphine : quand j’entends
parler… enfin pas ailleurs… mais c’est
toujours les mêmes trucs, c’est rarement
que ce soit un mec, dans mon fantasme, ils sont toujours
trois… mon père, mon grand-père
et ce troisième mec, c’est ça
qui me reste… toujours à peu près
la même scène, c’est toujours hyper
excitant…ça je vois bien … que
j’ai jamais dit ça… et… je
sais pas pourquoi, je suis inhibée de dire
ça quoi ! oui, je me doute un peu, d’abord…
la honte… ou difficile en fait de dire : l’inceste
et le viol m’ont traumatisée et en même
temps un fantasme comme ça trop excitant…c’est
difficile ! -tu en as fait des cauchemars ? –
oui, c’est ça …
Sidonie : aussi, je te rejoins
pas mal… je crois ce qui est le plus…
facilement bête, c’est de constater à
quel point, je suis collée… c’est
être comme empoisonnée, comme injecté
dans mon sang quoi ! ça c’est …
oui, c’est ça, même en pensée,
en imaginaire, c’est pas juste un événement
d’un moment donné, … c’est
vraiment quelque chose que… je me trimballe
aussi, et qui m’habite, qui fait partie de ma
sexualité, qui fait partie de ma chair, c’est
dur à admettre, c’est difficile de parler
de ces chose…En même temps, c’est
vrai que , je me dis… sexuellement pas exemple,
j’ai des inhibitions, quand on peut arriver
à parler de quelque chose comme ça,
je ne sais pas avec des partenaires, je crois que
c’est vraiment un mieux quoi ! parce que sinon,
je crois ...
Delphine : j’ai pas de
mal dans la réalité … enfin ça
ne se pose pas dans ma vie sexuelle… ça
se pose en dehors, dans l’imaginaire …
c’est une chance, c’est récent
… mes problèmes sont déplacés
ailleurs. Je ne comprends pas d’ailleurs pourquoi,
le déplacement reste.
Jacqueline : il y a quelque chose
qui me vient, là ! est-ce que ça n’a
pas rendu service aussi d’être violée
? parce que avec tout …au niveau travail…
au point de vue professionnel ? je sais pas, je le
cachais bien ! même si c’est des conséquences
de l’inceste, ma conduite était telle
en travaillant quand je travaillais à l’hôpital.
Il y a des choses que je pense que je ne pouvais pas
dire, par exemple, quand j’ai passé des
Noëls toute seule. Le vingt quatre décembre
quand on se quittait, on souhaitait à chacun
: joyeux Noël ! j’ai jamais pu dire que
j’allais être toute seule, que ma famille
allait fêter … voilà, C’est
des choses, là, je pouvais pas dire, mais heureusement
que je l’ai pas dit, parce que j’aurais
été … après en revenant,
après les vacances de Noël ou après
Noël, j’aurais été mal !
Je pense que c’était utilitaire !
Sidonie : Peut-être qu’il
se serait passé quelque chose , que quelqu’un
t’aurait dit :ben, viens !
Jacqueline : chacun racontait
… ça y est, j’ai acheté
tous mes cadeaux de Noël ! c’est prêt
voilà, c’est ficelé, voilà
!… et tout ! Si ! c’est vrai ! ça
protège !
Isabelle : ça expliquerait
qu’on parle des choses au fur et à mesure
… parce que on est prêt à …
cette histoire des fantasmes qu’on ne peut pas
dire en société… là , je
suis prête à commencer à en parler,
j’en ai parlé ici et ça fait plusieurs
fois, mais finalement, est-ce que si je n’en
ai pas parlé avant ? c’est pas aussi
parce que c’était pas possible, il fallait
bien que je m’occupe d’autres choses,
il fallait bien que j’aurais pas pu être
mariée et avoir des enfants, … c’était
pas une obligation en soi…si c’était
ce que je voulais, je ne pouvais pas le faire ! pour
le travail… par exemple, on a parlé de
la violence, c’est un peu pareil. Moi, je passais
beaucoup de temps à échafauder des meurtres
de mon père, alors, c’était vraiment
très abstrait, j’imaginais comment et
après, je réalisais que c’était
pas bien parce que… Moi, je faisais ça
pas quand, j’étais gamine, j’étais
consciente que c’était moi qui supportais
pas, je pourrais peut-être m’en sortir,
arriver à tuer mon père sans que personne
ne le sache, d’abord cela ne résoudrait
pas le problème et qu’en plus, sans doute,
moi, je ne le supporterai plus jamais et que je serais
rentrés dans quelque chose que j’avais
pas encore clairement formulé l’histoire
de victime… par contre j’avais vérifié
que je deviendrai une coupable …A ce moment-là,
j’étais co-coupable, j’étais
coupable d’inceste, il fallait que je me taise
comme lui… puisque c’était honteux.
Et par contre cette histoire de meurtre, jensavais
bien que c’était dans mon imaginaire,
c’était une construction comme ça
…… j’arrivais pas à dormir,
ce n’était même plus satisfaisant
comme scénario, parce que je réalisais
que il n’y avait plus personne … personne
ne savait et que tout était fini… je
me retrouvais seule avec moi. C’était
pas supportable la solitude, la culpabilité
et en fait, je réalise que parce que là,
ben oui, …. En même temps, je pense que
ça c’est pas compatible avec… [échanges
inaudibles] … avec le calme, un peu tranquille,
enfin aussi, je pense que j’a besoin de ma ménager
.. si je parle trop tout le temps, si je balance tout
ce qui me fait le plus mal d’un coup, peut-être
que ça va être trop… je l’ai
fait pour… arriver à gérer d’autres
choses…social…
Loïc : c’est bizarre
! je suis en inhibition, je sais pas, j’arrive
pas à parler, c’est comme si j’arrivais
pas à raconter mon histoire
Delphine : C’est souvent que tu peux pas parler,
que tu pas raconter
Loïc : même là
je ne suis pas intégré
Delphine : Pourquoi ?
Loïc : je ne suis pas intégré.
Si je commence à en parler un peu comme tout
le monde, à me lâcher, je ne suis pas
habitué ! inaudible…
Jacqueline : tu as l’impression
qu’on te dit « tais-toi, qu’est-ce
que tu fais là ? qu’est-ce que tu racontes
? »
Loïc : oui, c’est
pas rapport à mon passé, a chaque fois
que j’ai voulu … quand j’étais
petit, j’étais tout de suite violé
avec mes sœurs, ça me retombait dessus.
C’est bizarre, moi, j’arrive pas à
communiquer, même, je ne crois pas trop aux
gens, … c’est comme si, je suis concentré
sur mon passé et j’ai un besoin absolu
de le dire… ça, c’est… et
du coup, je parle pas… je ne communique pas,
je ne sais pas communiquer,
Delphine : et tes sœurs
étaient témoins ?
Loïc : Oui
Delphine : et tu leur en as parlé
?
Loïc : oui, mais elles ne
se souviennent pas… moi, j’étais
témoin aussi de leur viol, par rapport à
l’histoire d’aller vers son agresseur,
finalement moi aussi, Une fois mon père il
voulait me chercher … donc moi,je me suis un
peu planqué,… et donc mes soeurs, et
même ma mère et moi, j’y suis allée
aussi, j’ai regardé par la porte, je
voulais pas rester tout seul,j’avais trop peur,
j’avais trop peur tout seul dans ma chambre,
c’était juste la chambre à côté,
et je sais pas pourquoi, il fallait que j’aille
là-bas, et du coup, je me suis fait violé
aussi, avec eux. Sinon, une autre fois, je suis allé
vers l’agresseur, mais là c’était
différent, une fois je suis monté dans
ma chambre de ma petite sœur parce que mon père
était en train de la violer, et là j’y
suis allé, je voulais le virer de là
et je ne sais pas pourquoi …[fin de la cassette]…
Delphine , il n’y avait
pas de parole possible, il n’y avait que des
viols chez vous ?
Loïc : comme ça tels
que mes souvenirs ils apparaissent,… moi, j’étais
obligé d’aller à l’école…
parce qu’il faut aller à l’école
quand on est gamin, c’est la loi,… mes
profs et mes instits, ils appelaient les gendarmes.
Donc les gendarmes étaient à la maison
..
Delphine : Pourquoi les instits,
ils ont appelé les gendarmes ?
Loïc : ben parce que …inaudible
… ils ont demandé à mon père
ce qu’ils nous faisait. Les gendarmes viennent
à la maison, ils entendent mon père.
Ma mère dit : « bon, il ne se passe rien
du tout », … donc mon père il revient
à la maison, puis après, il nous viole…ça
n’a rien apporté et après …inaudible…
à chaque fois que je veux parler … je
crois que je vais me faire agresser… je suis
habitué, quoi ! c’est obligé...[échanges
inaudibles]…ça je sais pas, parce que
j’ai commencé à faire des recherches,
et …
Delphine : tu es en train de
dire qu’à chaque fois, que tu veux parler,
on te viole, il est normal que tu aies du mal à
parler…
Loïc : en fait, je ne suis
pas habitué, moi, je ne comprends pas…
tout à l’heure, ça me faisait
penser à ça, j’avais peur, en
fait, finalement je serais plus à l’aise
dans une société où ce serait
le bordel complet… tandis que là comme
tout est organisé, il ne faut pas se bagarrer
pour parler… faudrait que ce soit un gros souk
en fait, mais quand tout est bien tout est gentil…je
ne dois pas être normal…c’est trop
gentil…j’ai du mal… au boulot, c’est
trop gentil… et quand tout est normal et que
je voudrais m’intégrer, je suis habitué
qu’on me foute à la porte…inaudible…
Echanges en vrac : … c’est
vrai qu’on se parle normalement … même
de choses atroces… on ne s’agresse pas…on
est calme…c’est exceptionnel
Isabelle : il y a aussi l’histoire
de l’image de soi …on parle pas, parce
que on est moche… mon histoire est super-moche,
mon histoire quand on va la dire, la personne d’en
face qui l’entend, on ne sait pas … inaudible…
on ne sait pas ce qu’elle se représente
dans une situation d’abus sexuel, on a beau
être la victime, la personne pense que c’est
un abus sexuel… une famille peu reluisante,
une famille pas valorisante, donc, finalement à
chaque fois qu’on en parle, on rentre dans le
tableau…
Sidonie : la société
… c’est rare d’entendre les gens,
généralement on dit : mon père,
ceci, ma mère, cela … il y a tendance
à valoriser la lignée…Je pense
que c’est assez mal vu d’aborder quelqu’un,
par exemple , dans une relation sociale de dire, ma
famille est pourrie, c’est des vrais salauds,
ils m’ont jamais aimé… c’est
des ordures… ça va refléter sur
moi, …
Isabelle : On n’a pas totalement
envie, il y a une réticence qui se reproduit,
parce qu’on l’a fait une fois… il
y a un avant et un après… la première
fois que j’ai parlé, comme par hasard,
j’étais en pleine dépression nerveuse,
je n’arrivais plus à manger, j’étais
dans un état de faiblesse qui m’a aidée…
finalement j’ai pu parler parce que je n’avais
plus d’inhibition…parce que…inaudible…
et après, il faut de nouveau repenser …évidemment
c’est moins difficile, mais il y a quand même
quelque chose et… bon, on sait pas si c’est
des images qu’on va renvoyer dans un sens…
flatteuses… inaudible… franchement moches…
quoi, il y a des jours, on n’a pas envie quoi
! de balancer ça parce que … je suis
faible aussi !
Delphine :… et faible ,
aussi, je trouve, Je peux pas m’empêcher,
pourtant, nana, t’es petit… n’empêche
, l’autre, j’ai l’impression, que
je suis moche d’être regardée et
faible aussi…je pense toujours que je manque
de courage… [échanges inaudibles]…
j’ai jamais assez de courage…
Fragments de conversation : …
quitte à paraître comme ça, c’est
humiliant !... on voudrait donner une image qui soit
plutôt flatteuse… Par exemple, quand tu
disais que tu aimes mieux le souk… mais je vois
tu es quand même habillé, … pas
débraillé…tu es bien habillé…
Je ne me laisse pas la liberté …
Loïc : je crois que si je
faisais ça, on me virerait encore plus, tu
vois !
Jacqueline : En fait, j’ai
l’impression que je n’ai pas le courage,
… c’est pas que j’ai pas le courage…
je me dis je suis malade, … je me suis sentie
comme une malade, d’être la première
exclue … et je me dis que m’exclus encore,…
donc…je suis malade…de ce qui s’est
passé avant et…je me suis soignée
et je ne suis pas guérie.
Delphine : donc l’inhibition,
c’est un symptôme de la maladie ? tu veux
dire ?
Jacqueline : Oui, même
si parfois, volontairement, je me tais, parce que
… inaudible…
Delphine : cette notion-là,
c’est un méfait de la maladie, une trace…
Jacqueline : mais pas le manque
de courage ! je ne trouve pas que je manque de courage
!
Mireille : moi, je le ressens
comme ça… j’ai un peu la flemme…
c’est comme ça que je le vis…mais
bon, vu de l’extérieur, ? Une autre façon
de le vivre, c’est que moi, je me suis …
je ne me sentais pas normale…je sais pas…Je
ne suis pas normale… ça a toujours été
quelque chose … j’ai voulu à un
moment travailler sur la normalité et j’étais
professeur de sciences naturelles et donc le mot normal
apparaissait dans les livres de classe… j’ai
fait un DEA dans le cadre de l’éducation
à la santé…et donc, j’avais
mis en place cette normalité … «
le concept de normalité peut-il aider une éducation
à la santé ? « et après,
j’aurais souhaité faire une thèse
et là, j’ai pas pu le faire parce que
c’était les concepts autour de …
normalité, normativité…et après
quand j’en ai parlé à ma psy,
elle m’a dit, vous ne le pouviez pas travailler
parce que c’était trop vous ! et donc
j’ai pas pu aboutir et je suis en échec
! bon tout est relatif … mais vraiment…
et j’avais pris un sujet trop proche de moi…
donc c’est la normalité, … inaudible…
on ne peut pas dire qu’on n’est pas normal…enfin,
toi tu dis , je suis malade, …
Jacqueline : oui, c’est
ce que j’ai entendu dans ma famille : «
tu n’es pas normale…tu es spéciale,
…tu n’es pas comme les autres »…
échanges inaudibles … je l’ai cru,
mais je le crois encore. C’est bien intériorisé.
Delphine : en fait il est cinq
heures dix, je n’avais pas regardé l’heure
et donc … on va dire un dernier mot si on veut
et on va terminer.
Loïc : je veux rebondir,
sur le regard de l’autre, la façon dont
on se voit dans l’autre… Moi en fait,
à la limite, je suggérais à l’autre
qu’il m’accepte, surtout une fille, qu’elle
m’accepte…tellement je me sens minable,
… je suggérais qu’elle veuille
bien…tellement je me sens en manque d’affection…
Mireille : je peux ajouter juste
quelque chose avant qu’on se sépare …
ce que je dis et que je n’y pensais pas…je
dis ça à mon mari très très
souvent, je dis : « je suis mauvaise, je suis
mauvaise » et il me dit : « arrête
de dire ça… arrête de dire ça
» et je le dis encore … ben je sais pas
pour c’est vraiment un truc qui me colle à
la peau : je suis mauvaise, je suis mauvaise…
Florence : Pourquoi, je ne parle
pas…inaudible …je ne raconte pas en détail
pourquoi et c’est un peu comme si les choses
tournaient en rond , c’est-à-dire que
j’ai l’impression que si je parlais trop,
il arrive un moment si je vais trop loin, …
je vais tout découvrir … de moi, je vais
me découvrir, me dévoiler, et ce qu’on
va finir par voir au fond, c’est quelqu’un
de … moche, pas intéressant, et qui en
fait, la personne que je pensais être quand
j’avais honte, parce que mon père avait
des relations avec moi. Là où je pense
que c’est faux, c’est qu’en fait,
je me rends compte à chaque fois, que réellement,
je m’éloigne à cette période-là
, il y a quelque chose de vrai, c’est qu’à
chaque fois, que je parle, tout est loin derrière
moi, … et par contre l’inhibition, elle
se fait quand même à chaque fois comme
si c’était pas, j’allais pas dévoiler
la situation, mais j’allais me dévoiler
moi et dévoiler la partie de moi, la moins
attrayante de ma personne.
Delphine : C’est ton imaginaire
et après dans le réel…quand tu
parles, quand tu dévoiles.
Florence : Il y a un pas à
franchir, mais j’ai beau le savoir, puis je
l’oublie instinctivement en classe. Je vais
montrer le côté le plus…Je voudrais
ajouter une petite chose : la sexualité est
quelque chose d’un peu tordu, mal foutu, et
ma vie, la perception que j’ai de moi et la
perception que j’ai eu par rapport à
ça, dévoiler cette image-là,
c’est moche et par contre la réalité
paraît, c’est qu’à chaque
fois que je parle, au fond … une espèce
de larve de derrière. Voilà. Il faut,
à chaque fois, quand je dis à chaque
fois, c’est vraiment à chaque fois, …
il faut que je refranchisse ce mur imaginaire qui
est : je vais dévoiler tout ! c’est tellement
moche qu’une fois que je l’ai dit, c’est
dit. Il y a du moche derrière et il y a ce
que j’ai construit, par ma parole. Je ne peux
le sentir que quand je l’ai fait. Avant, c’est
toujours, aussi dur !.
Sidonie : non, moi, j’ai
envie de dire que il y a quand même eu une évolution
, j’imagine, parce que je me sens plus du tout
moche par rapport à ce qui m’est arrivé
et ni coupable… rien de tout ça , c’est
plus autre chose que … moi, j’ai envie
de dire, j’ai envie de faire tourner une espèce
d’inhibition qui se manifeste comme une sorte
de tricherie, la tricherie étant que j’ai
toujours voulu paraître plus costaude que je
le suis. Mais bon, c’est bien, mais quand même,
j’aimerais bien arriver à faire paraître
un peu plus qui je suis réellement, plutôt
que de donner une façade …ça va
! parce que c’est con, au final, c’est
plutôt cette inhibition-là que je voudrais
arriver à faire tomber davantage. Sinon, c’est
vrai qu’il y a beaucoup de la honte que j’avais
avant qui est quand même tombée…
c’est assez récent en fait, je dirais
de l’été dernier, je suis descendue
dans l’ouest où ma mère habite
et j’ai vraiment parlé à un max
de gens, des gens qui la côtoie, des médecins,
des assistantes sociales… j’ai vraiment
parlé à des personnes de ma famille
et moi, ça m’a fait beaucoup de bien,
parle dans ce que j’appelle la vraie vie, avec
des vrais gens, pas dans le cadre d’une thérapie,
ça a changé quelque chose dans la façon
dont je me sens.. Je me sens plus fière, plus
combative et .. inaudible
Jacqueline : non, moi, je ne
me sens pas plus combative, je crois que c’est
mon âge… je suis malade, je ne crois pas
qu’il y ait d’évolution possible
…je vis avec des lectures, de la couture …
et puis je finirai ma vie comme ça. J’ai
mal au dos… je suis comme à un point
de non-retour…
Stéphanie : je ne suis
pas à un point de non-retour car j’étais
déjà combative et je le suis encore
plus ! ça m’a donné une force
intérieure !
Delphine : Merci beaucoup ! de
ces moments !
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