"Les
crises d'imbécilité " -
atelier du 20 novembre 2004
1) Préambule et
fonctionnement d'atelier
2) Mémorisation et apprentissage
3) Problèmes d'orientation
au niveaux spatial et territorial
4) Passer un examen
5) Le syndrome du perroquet
1) Préambule
et fonctionnement d'atelier
Delphine : Un mot, avant de commencer, pour dire qu'on
a transcrit et mis en ligne l'atelier de la dernière
fois, au mois de septembre, et que la matière
qu'on a enregistrée, ce qu'on a dit, nos paroles,
je vais la travailler ; mais je sais déjà,
pour l'avoir lue, regardée, commencé
à réfléchir que c'est vraiment
prodigieusement intéressant et que je pense
qu'on va pouvoir grâce à ça contribuer
à améliorer les connaissances qu'on
a sur l'inceste. C'est un beau travail, et ça
fonctionne très bien. Je passe la parole au
modérateur.
Virginie : Je voudrais poser
une question : qu'est-ce qui vous fait dire, sans
méchanceté, que c'est intéressant,
parce que moi j'ai trouvé que c'était
un ramassis de choses délirantes. Comment on
peut juger ? Tu juges par rapport à la connaissance
des … ?
Delphine : Ben, c'est mon métier
: élaborer à partir de ce que disent
les gens, et là, je trouve que ce qui est dit
est riche.
Virginie : d'accord, c'est professionnel…
Delphine : Oui… mais c'est-à-dire,
toi, tu as lu des tas de trucs sur l'inceste, comme
nous autres ; et tu as déjà vu, ou lu,
ça ? Ce qu'on a raconté nous, tu l'as
déjà vu dans d'autres bouquins ?
Virginie : Non.
Delphine : bah voilà,
c'est neuf. C'est que jusqu'à présent,
personne n'a dit ça, personne n'a suffisamment
laissé la place aux victimes pour qu'on puisse
lire cela ailleurs. Alors après, c'est parce
que c'est mon métier que je vais pouvoir en
faire quelque chose et l'utiliser, mais ça
n'a jamais été lu ailleurs.
Le modérateur : Pour tout
le monde, et puisqu'il y a des gens nouveaux, je vais
vous relire les notes sur les ateliers. La logique,
la synthèse, le recueil de la parole, à
quoi servent ces ateliers.
Donc, la logique des ateliers : les ateliers sont
une opportunité pour les acteurs victimes d'inceste
et leur entourage impacté par les pratiques
incestueuses, de partager une parole sur leur expérience
dans un contexte d'écoute libéré
de toute contrainte morale.
La périodicité des ateliers. Les ateliers
sont proposés sur une périodicité
trimestrielle avec une proposition thématique
sur l'année. La durée, de deux heures
et demi, doit permettre la participation active au
niveau de la parole comme de l'écoute, de l'ensemble
des acteurs.
L'utilité des ateliers : il s'agit de l'accueil
non restrictif de l'ensemble des paroles des victimes
de pratiques d'inceste, dans leur dimensions de connaissance
psychologique, émotionnelle, sociale, socio-professionnelle.
La parole dans les ateliers : la parole ainsi que
les silences sont offerts aux acteurs sur la base
de leurs désirs, avec une régulation
du temps liée au nombre de participants et
aux thèmes de l'atelier.
Le recueil de la parole : l'ensemble du discours pendant
les ateliers est enregistré, afin d'en permettre
une retranscription fidèle, qui permettra la
réalisation de synthèses thématiques.
La synthèse de la parole : Dans un premier
temps, ces synthèses ont pour objectif pour
chaque membre de l'atelier de pouvoir, s'il le souhaite,
retrouver sa parole, garder sa parole, de trouver,
peut-être par une nouvelle manière ou
une nouvelle écoute, la parole de l'autre.
De positionner sa parole et son expérience
au sein de la parole des autres. Dans un deuxième
temps, elles ont aussi pour objectif de permettre
une lecture plus large mais aussi plus complète
des connaissances d'expériences ressenties
par l'ensemble des acteurs concernés par la
problématique des conduites incestueuses. Il
s'agit de communiquer l'expertise et sur l'expertise
du discours non programmé des acteurs victimes.
Dans un troisième temps, elles permettront
dans le cadre d'une démarche scientifique au
plus proche de la parole des acteurs, une analyse
du discours sur le vécu des victimes, en vue
d'une publication.
Voilà, quelqu'un a une
remarque à faire par rapport à ce que
je viens de dire ?
Bon, on va donc passer à
la thématique d'aujourd'hui, qui étaient
dont "les crises d'imbécillité"
avec quatre sous-thèmes. On abordera en priorité
: "mémorisation et apprentissage",
après "problèmes d'orientation
au niveaux spatial et territorial", "passer
un examen", et enfin, "le syndrome du perroquet".
Donc nous aurosn quatre sous-thèmes à
aborder sur une période de deux heures et demi,
donc on va donner trente minutes par sous-thèmes.
Je suis là en tant que garant du temps ; donc
je fais attention à ce qu'on respecte ces temps
de paroles, et aussi, dans le fonctionnement de la
distribution de la parole. Une chose qui est importante
et que je tiens à rappeler pour tous les gens
qui sont ici, c'est qu'on fonctionne avec la parole.
C'est-à-dire que personne ne prend des notes
pendant ces ateliers : on fonctionne uniquement sur
la parole. C'est important pour que tout le monde
soit bien d'accord là-dessus, et sur cette
idée aussi, d'anonymat au moment de la retranscription.
Est-ce quelqu'un à quelque
chose à dire ?
Isabelle : j'ai une question
à poser : que faites-vous des enregistrements
une fois que c'est retranscrit ?
Delphine : Ben, la transcription
n'est pas mise totalement brute sur le site, parce
qu'on anonymise tous les noms qui peuvent échapper,
ou bien lorsqu'on s'interpelle… tous les noms
sont modifiés, c'est moi qui fais la transcription.
On modifie aussi tous les toponymes (les noms de lieux),
les marqueurs de temps, les métiers, de sorte
que la confidentialité ne soit pas rompue et
que personne ne puisse être reconnu. Le principe,
c'est qu'il faut être honnête, donc il
faut qu'on soit à l'aise avec ça, qu'on
ne soit pas gêné, et qu'on sache qu'après,
c'est modifié. La transcription, une fois que
c'est anonyme, est mise telle que sur le site ; donc
on peut la lire, se relire, on peut aussi intervenir
sur le forum en disant : je vais ajouter quelque chose.
D'autres, qui n'ont pas assisté à l'atelier
peuvent participer sur le forum et ajouter. Et après,
dans le cadre de l'association, on a le projet de
faire des publications pour contribuer à la
connaissance de l'inceste.
Isabelle : Ok, je te remercie.
Le modérateur : Un petit
complément par rapport à ce que vient
de dire Delphine ; bien évidemment, ces cassettes
ne seront remises à personne. Elles restent
dans AREVI.
Isabelle : je pensais à
la presse…
Le modérateur : non, absolument
pas. On est bien là dans cette logique du troisième
temps par rapport à la synthèse de la
parole, qui est effectivement l'utilisation de cette
parole mais dans une démarche scientifique
dont se portent garants les gens de l'association,
et plus particulièrement Delphine puisqu'elle
fait actuellement les retranscriptions.
1) Mémorisation et apprentissage
Donc on commence sur le sous-thème
de "mémorisation et apprentissage".
Est-ce que quelqu'un a envie de prendre la parole
sur ce sous-thème qui concerne le principe
de la mémorisation, de la mémoire dans
les apprentissages.
Delphine : moi, je veux bien
commencer. La seule chose que ça m'évoque,
en fait, ça ne m'évoque rien de mon
enfance, enfin rien particulièrement. Par contre,
pas l'apprentissage, mais je sais que pour la mémoire,
le blocage de la mémoire s'est fait sur le
tard. Ça m'a beaucoup embarrassée pendant
mes études ; c'est que je ne pouvais rien apprendre
; rien apprendre par cœur, rien apprendre tout
court : rien retenir, plutôt ; aucune information.
Ce qui est assez pénible pour suivre ses études.
Les moments où ça m'était le
plus pénible, c'est pas dans le cadre de mes
études, c'est pour retenir des paroles de chansons,
ou des poèmes : j'aime bien retenir les textes
des chansons, j'aime bien chantonner, et incapable
que cela reste. Dans le cadre de mes études,
de la veille pour le lendemain, c'était mon
maximum, donc j'ai suivi toutes mes études
comme ça, en boulimie de lectures deux jours
avant les examens, et ça part après.
Et c'est parti récemment ; j'ai vu que ça
allait mieux. Maintenant, je retiens. Les noms des
auteurs, les bibliographies, je retiens mieux, normalement.
Virginie : est-ce que c'est depuis
que t'as changé de thème de travail
?
Delphine : Non, c'est venu avec
l'analyse, je crois.
La stagiaire en psycho : et c'était
pas lié à un sujet en particulier…
Tous les participants manifestent
leur désapprobation de l'intervention de la
stagiaire…
Delphine : j'ai oublié
de vous dire, parce que vous êtes arrivée
après que je l'ai dit : mais vous, vous ne
pouvez pas intervenir, en aucune façon. Vous
devez vous en tenir à l'écoute seule.
Nous, oui, entre nous, l'idée est qu'on peut
intervenir, on peut se parler, se poser des questions,
mais comme vous êtes là à titre
d'observatrice, vous, non, vous ne parlez pas. J'aurais
pu quand même vous répondre, mais j'ai
oublié votre question, entre temps….
Le modérateur : je pense
qu'on va être clair là-dessus…
éventuellement en dehors de l'atelier, mais
pas ici.
Delphine : c'est bon, c'est dit….
Donc, je ne sais pas pourquoi l'analyse a aidé
à retrouver la mémoire. Je sais pas
ce que ça a fait sortir… enfin bon, oui,
sur mon histoire d'inceste, j'étais amnésique
de chez amnésique, donc le rapport à
la mémoire, il y a forcément un petit
quelque chose, mais je ne fais pas de lien précis.
Je ne sais pas pourquoi ça marche.
Virginie : Moi, en ce qui me
concerne, j'étais un peu embêtée
avec le thème de cet atelier, au niveau des
crises d'imbécillité, de la confusion,
de choses comme ça, parce que j'ai toujours
eu l'impression que j'étais relativement maître
de ce que je faisais. A part des petits lapsus comme
tout le monde, à part par exemple, dans mon
portable, c'est la date de mon mariage, comme code
PIN, et ça m'arrive de complètement
l'oublier et d'être obligée de regarder
sur mon alliance. Mais bon, ça c'est comme
un lapsus, genre, ou peut être quand je me suis
engueulée la veille avec mon mari mais voilà.
Mais sinon, j'ai l'impression de maîtriser assez
bien, j'ai une assez bonne mémoire, je…
je suis pas… alors quand même, par rapport
aux études, si ; ce qui s'est passé
pour moi en réalité, c'est que j'étais…
Quand j'étais petite, j'étais très
bonne en classe, j'avais les félicitations,
j'avais les prix de camaraderie, j'étais plutôt
du style bonne petite élève gentille
etc. et puis je travaillais bien, et puis j'adorais
les études, et tout se passait bien. Ça,
c'était avant. Et donc, après mon histoire
avec mon père à 12 ans, 11 ans et demi,
en fait, je me souviens, c'était l'année
où je passais de la 7ème à la
6ème, c'est arrivé cet été
là. Et donc à partir de cet été
là…
Delphine : t'avais redoublé
?
Virginie : Non…
Delphine : alors t'étais
plus jeune que ça, si tu passais en 6ème.
Virginie : alors là, j'ai
effectivement un problème de mémoire,
c'est que je ne sais pas exactement quand c'est arrivé
; en tous cas c'est arrivé l'été
après la 7ème. Et donc, à partir
de la 6ème, j'ai eu, moi… alors c'était
pas des problèmes de mémorisation, c'était
des espèces de crises d'inhibition. C'est-à-dire,
j'étais très bonne, il n'y avait pas
de souci, je savais que je devais m'atteler à
mes devoirs, mais là, ce qui se passait, c'était
une espèce d'inhibition psychologique. C'est-à-dire,
une impossibilité de me mettre à faire
ce travail. C'était comme un blocage. Je repoussais
sans arrêt le moment, et c'était tellement
douloureux que j'ai encore des souvenirs petite, de
me mettre à pleurer de désespoir parce
que je vois le temps passer et je n'arrive pas à
m'y mettre. Donc c'est un peu différent ; c'est
pas que je m'y mets et que j'oublie, c'est que tout
simplement, j'ai été bloquée
en en pleurant de rage. Vraiment moi j'appelle ça
une inhibition au sens psychiatrique du terme, c'est-à-dire
l'impossibilité du tout. Alors je ne sais pas
si c'est une forme de dépression qu s'est installée
finalement, et qui a fait que j'ai été
inhibée au niveau de mes capacités mentales,
toujours est-il que la chute a été assez
rapide puisque 6ème, comme j'étais du
type l'élève qui comprend vite et qui
bosse peu et qui s'en sort, donc ça a duré
6ème, 5ème, où avec le peu que
j'arrivais malgré tout à fournir, je
suis restée bonne. Et après, ça
a été la chute : 4ème, c'est
tombé, et puis j'ai fini par me faire virer
du lycée en première.
Delphine : j'ai fait tout comme
toi. Sauf que j'ai été jusqu'en fin
de terminale, et que j'ai été virée
fin de terminale, mais c'est pareil.
Virginie : Alors j'ai pas repéré…
cette histoire d'inhibition ; je ne sais pas si je
suis dans le thème de l'imbécillité
; est-ce qu'on peut parler de ça. Parce que
ça, ça m'a tenu extrêmement longtemps,
ça m'a pas lâché, tout simplement.
Donc après m'être fait virer de la première,
donc, un parcours par la suite assez chaotique entre
drogue, etc., donc on ne parlait plus d'études,
là. Donc à un moment donné, il
a bien fallu que je me calme et que je me dise, qu'est-ce
que je vais faire. Donc j'ai commencé par avoir
un premier emploi… pareil, j'avais ces espèces
de crises d'inhibition, toujours pendant mon travail.
C'est-à-dire qu'en fait je travaillais : une
connerie, dans les pages jaunes de l'annuaire, on
avait des trucs assez techniques à faire, des
dossiers à traiter. J'arrivais pas à
les traiter le jour. Donc j'étais obligée
en me cachant d'emporter ça le soir ou le week-end
; j'arrivais pas à le traiter de week-end.
Pareil, j'en pleurais de rage aussi. C'est pas une
incapacité cognitive, puisque je comprenais
ce que j'avais à faire, mais je ne pouvais
pas m'y mettre. Et donc, ça m'a tenu…
et ensuite j'ai créé une boite, je suis
journaliste, et j'ai commencé à traiter
des dossiers. Donc je devais produire toujours pareil,
mais là… des piges, des articles de communication,
des choses comme ça, et je suis restée
encore inhibée une bonne dizaine d'années,
jusqu'à mes trente ans. Avec toujours ces crises
de pleurs, et donc je ne pouvais travailler que la
nuit. La journée j'étais bloquée,
je faisais des crises de boulimie aussi, toute la
journée pratiquement. J'étais totalement
désociabilisée, puisque je travaillais
chez moi. Et j'arrivais à travailler la nuit,
pour rattraper tout ça. Ça m'a nécessité
un effort dingue, pour arriver quand même à
produire quelque chose. Et ça s'est arrêté
curieusement dans les années où j'ai…
alors moi, je pensais que c'était moi qui étais
comme ça et j'avais pas forcément fait
le lien avec l'inceste et dans les années où
j'ai connu mon mari ; lui, étant médecin,
a commencé à me mettre sur la voix que
tous mes troubles, qu'ils soient d'ordre, enfin, de
travailler, de fournir, ou de drogue, boulimie ou
alcoolémie, tout ce que j'ai pu avoir, il m'a
bien tout relié à l'inceste ; mon psy,
non, alors que j'étais en psychothérapie
mais c'était un psy qui parlait peu, dans la
bonne lignée des psy qui ne mettent pas vraiment
les trucs à plat. Et quand j'ai pris conscience
que c'était pas moi qui étais comme
ça, que j'étais pas débile…
ah! oui, chose importante aussi comme quoi ; c'est
lui qui a émis la première fois l'hypothèse
que j'avais peut-être une espèce de dépression
masquée qui traînait depuis mes douze
ans, et donc, c'est la première fois - je ne
sais pas pourquoi mon psy a pas fait ça - en
tous cas, lui, m'a mise sous anti-dépresseurs
pendant de longues années, et ça s'est
arrêté.
Delphine : Ton mari ?
Virginie : Mon mari. Et ça
s'est arrêté quand j'ai pris les anti-dépresseurs.
Et là, je ne veux pas me lancer des fleurs,
mais je suis hyper efficace. Du moment que j'ai un
truc à faire, je le fais, je n'ai aucun problème
de mémorisation, je suis hyper rapide, je suis
capable d'être sur un mail, au téléphone,
en train de répondre à une troisième
personne. Tout va bien, je suis contente.
Le modérateur : est-ce
que quelqu'un…
Annabel : j'ai oublié
le sous-thème, là.
Le modérateur : mémorisation
et aprentissage.
Annabel : ah oui! Bien moi, ça
m'a tout de suite, dès que vous avez évoqué
ça, j'ai pensé à quand j'étais
en seconde, je devais avoir quinze ans, justement
mes larmes et mon désespoir. J'étais
intéressée, je voulais travailler, surtout
sur les verbes grecs, les conjugaisons grecques. Je
m'acharnais littéralement, et ça ne
rentrait pas ; et il y avait d'autres matières,
mais je sais pas pourquoi, c'est sur le grec, là
où je me revois. Et les larmes, aussi, en disant,
mais pourquoi ça rentre pas, pourquoi j'y arrive
pas ; et donc, la corrélation, c'est les mauvaises
notes, c'est l'échec scolaire, c'est les reproches
des parents, c'est la mauvaise image de soi. Impossible
d'apprendre ; j'ai jamais passé mon bac, ça
me terrorisait complètement. Et j'ai toujours
souffert de pas avoir fait d'études, et en
même temps, chaque fois que j'y pensais, je
me disais, mais pour moi, c'est pas possible, parce
que je n'arrive pas à apprendre, je ne retiens
pas. Et au fur et à mesure de la vie, je voyais
bien que je tenais la route dans les conversations,
que je m'étais cultivée, donc que j'avais
retenu des choses que j'avais lues, alors c'était
vraiment le contexte lié à l'école
qui me mettait dans un état d'impossibilité.
Alors, de comprendre, aussi ; de retenir. Ça
va aussi avec, si tu comprends pas, tu retiens pas.
Et l'apprentissage, bah par exemple, je pense au permis
de conduire, je l'ai passé trois fois. Les
deux premières fois, j'ai eu ni le code ni
la conduite, et donc je me suis dit, je vais le passer
cent fois, mais je finirai par l'avoir. Et j'ai eu
les deux, la troisième fois, et là,
je me suis dit : bon, si je suis arrivée à
apprendre ce truc de code, là, et à
non seulement à le retenir pour répondre
aux questions mais à l'appliquer en conduisant,
je ne suis pas… j'ai pas une case en moins.
Ça aurait pu le faire. Et du coup, ce que j'en
ai déduit, jusqu'à ce que je fasse une
analyse, mais après cinquante ans - les carottes
étaient un peu cuites pour ma vie - c'était
que, c'est très bête ce que je vais dire,
c'était qu'il y avait un truc qui allait pas
en moi, mais comme je ne pouvais pas le maîtriser,
je m'étais dit, je vais prendre une stratégie
: dès que ça me rapproche de l'école,
d'un truc un peu scolaire, examen ou quoi, il faut
que je fasse des tangentes. Il faut que je fasse des
détours. Il ne faut pas que je me mette dans
ces situations de ressentir… parce que. Bah
par exemple, c'est comme ça que j'ai réussi
professionnellement, parce que au départ, les
entretiens d'embauche, pour moi, c'était comme
de passer le bac. Donc c'était absolument impossible.
Et en me disant que ça n'a aucun rapport, que
c'est comme si j'allais voir un ami pour faire de
la peinture sur soie, c'est idiot mais je me retirais
de la tête ce rapport à la mémoire,
à l'apprentissage et au jugement qu'on peut
avoir là-dessus, et tac, ça marchait.
Ça marchait au point que n'ayant pas de diplôme,
j'ai été recrutée à des
postes de cadres où on ne prenait que des diplômés.
Donc ça marchait très bien, mais il
reste quand même que mon rapport à l'apprentissage
et à la mémoire a été
catastrophique, et ça s'arrange à peine
aujourd'hui, et je vais quand même avoir 52
ans.
Delphine : ce que disait Virginie,
ça me parle beaucoup. Pas sur apprendre très
vite, mais sur l'impossibilité de s'y mettre.
C'est horrible, horrible, et j'arrive juste, c'est
tout frais de ces semaines ; c'est la première
fois que j'arrive à être prête
pour une présentation huit jours avant le truc.
D'habitude, c'est la première fois… mais
vous vous rendez pas compte de ce que ça veut
dire pour moi… ça veut dire que j'ai
réussi à m'y mettre chaque jour, parce
que ça ne se fait pas en deux heures, chaque
jour plusieurs heures. Et c'est la première
fois de ma vie que j'ai pu… bon, alors je me
suis fait la bronchite, le tour de reins et l'arythmie
cardiaque, mais quand même j'ai pu, et d'habitude,
je ne peux pas ; je ne peux pas m'y mettre, quoi qu'il
se passe. Donc je ne m'y mets pas, donc je fais le
truc en retard, n'importe comment, je ne respecte
pas mes échéances. Et ça m'embarrasse
bien. Et toute ma scolarité, c'et pour ça
que je suis devenue nulle à l'école.
C'est que quand on est petit, j'avais pas besoin de
faire quoi que ce soit, et puis il n'y avait pas de
devoirs, et écouter, a suffisait.
Virginie : c'est quand il faut
vraiment bosser à la maison que ça devient
impossible.
Delphine : impossible de s'y
mettre. Impossible de m'asseoir au bureau, des fois.
Virginie : moi c'est pareil,
alors que j'aime bien apprendre, j'ai des souvenirs
de quand j'étais petite, que j'adorais comprendre,
j'étais perfectionniste, j'aime le travail
bien fait, etc. mais tout se passe comme si ce plaisir
là, qui pourrait être un espèce
de plaisir harmonieux sur la durée, etc., je
me l'interdis, et donc, finalement, pendant toutes
ces années, j'ai réussi à travailler
quand même parce qu'il fallait que je bouffe,
mais tout se passe comme si toute production de ma
personne devait être enfantée dans la
douleur. Il fallait que ce soit fait la nuit, je prenais
même des amphétamines dans certaines
circonstances, pour pas dormir deux jours de suite
et pour pouvoir tout boucler. Et il fallait que ce
soit quelque chose de douloureux, que ce soit pas
gratifiant comme ça aurait pu l'être
si ça avait été fait dans l'harmonie.
Comme si c'était malgré moi que…
alors est-ce que c'est parce que j'ai une mauvaise
image de moi que je ne peux pas, ou je ne sais pas
quoi qui fait que je n'imagine pas pouvoir produire
des choses correctement ; il faut que ce soit malgré
moi, dans une espèce de sursaut vital, parce
qu'un client va réclamer… en y réfléchissant,
je réfléchis en parlant, je crois que
c'est quand même lié à la mauvaise
estime, parce que je sais que ces choses là
se sont quand même beaucoup arrangées
dernièrement, depuis que j'ai un peu repris
confiance en moi, tout simplement. Ça fait
un peu Marie-Claire de dire ça, mais parce
que, en fait, mon travail, je l'ai appris sur le tas,
j'ai jamais fait d'école, évidemment,
j'ai jamais fait de fac ni rien. Et donc, ce que j'ai
appris, je le faisais bien, mais jusqu'à longtemps,
jusqu'à 39 ans par là, ça m'a
tenu longtemps, je me suis toujours dit que j'avais
appris au pif ; quand les clients me disaient que
c'étaient bien, je me disais ; j'avais une
sensation - comme j'avais pas cette justification
des études - je me disais, non, non, ils se
sont trompés, ils vont s'en apercevoir un jour
que je suis nulle. Et en fait, j'ai fini par faire
un stage dans un grand quotidien parisien pendant
huit mois, qui m'a libéré, qui m'a rassuré.
Parce que j'ai vu que j'étais aussi bonne que
les autres, voir meilleure, et maintenant, j'arrive
à travailler mieux.
Le modérateur : merci.
Lise : Sur la mémorisation,
donc, j'ai le souvenir que, enfant, même petite
et jusqu'à la fin de mes études à
dix-sept ans, j'ai tout appris par cœur. D'abord,
c'était un peu l'obligation, mais, pour le
plaisir, j'apprenais des poésies par cœur.
Je montais sur une chaise, je les récitais,
et je savais tout, tout par cœur. On faisait
du théâtre enfant, le jeudi, et j'avais
toujours des rôles à apprendre, très
très longs ; mes difficultés d'apprentissage,
ça a été ; tout ce qui était
français, les mots, je retenais tout, l'orthographe
tout de suite ; dès toute petite je ne faisais
pas de fautes. La difficulté, ça a été
au niveau arithmétique, ça a été
assez vite. Un souvenir douloureux, ça a été
les premières divisions. Je savais faire addition,
multiplication, mais les divisions, ça a été
l'os. Ça a été un mystère,
et un jour, il y a eu un déclic, mais peut-être
à treize ans, j'ai su faire une division. Et
je me souviens qu'on en avait en devoir du soir et
je cherchais toujours dans les corrections des jours
et des mois précédents, s'il n'y avait
pas la même division qui avait été
proposée, pour - même les plus simples
- j'y arrivais pas. Au niveau difficulté à
se mettre au travail ; alors que le français
est ma meilleure matière, j'y suis à
l'aise ; j'avais de la peine à rédiger.
Quand c'était rédigé, c'était
toujours bien, j'avais des bonnes notes, mais une
fois je suis restée jusqu'à minuit,
deux heures du matin, pour une rédaction à
faire. Et j'avais pleuré parce que je n'arrivais
pas à aligner quelques lignes. J'ai passé
brillamment le CAP et lebrevet commercial puisque
c'était la filière que j'avais suivi,
la filière la plus économique pour travailler
tout de suite. Et j'ai passé le permis de conduire
trois fois ; j'ai eu le code à la deuxième
fois, à la troisième fois j'ai raté
; et contrairement à ce que j'ai entendu, moi
j'ai dit : maintenant c'est fini, j'en suis incapable.
Et j'ai dit, je le passerai à la retraite,
et la retraite est arrivée, et je ne l'ai pas
passé, j'ai encore reculé. Donc maintenant
c'est trop tard. Et il y a encore une chose que je
voulais… et oui, là, les problèmes
de robinet qui coule, les trains qui se décalent,
tout ça, quand il fallait faire des règles
de trois, c'était à la perfection. Dans
les jeux téléphoniques, même à
la télé, encore, les réponses,
je les ai tout de suite. Mais c'est le par cœur
qui revient, c'est systématique, je n'ai pas
à réfléchir. Pas à toutes
les questions mais presque. Je lisais beaucoup à
la bibliothèque à partir de dix-sept
ans, je retenais tous les titres, les auteurs, des
phrases entières de livre. C'était une
technique que je m'étais fabriquée,
sans doute. Mais la difficulté, c'est au niveau
des maths, dès qu'il y avait un texte…
dès la première année où
j'ai fait des maths, je devais avoir quatorze ans,
je n'ai pas su. Je n'ai jamais su. Et toutes mes notes,
c'était toujours "1" sur "20",
et le prof ajoutait : pour indemnité d'écriture.
Je n'ai jamais pu. Et quand je rendais un devoir à
peu près correct, c'était une élève
qui me l'avait passé en douce et je recopiais
ce qu'elle avait mis.
Le modérateur : Merci.
Est-ce que quelqu'un a quelque chose a rajouter ?
Annabel : Je remonte, je peux
prendre un exemple, en seconde, mais dans le primaire,
assez rapidement, sur les problèmes ; parce
qu'en calcul, on fait des problèmes…
c'est là où j'ai eu le sentiment d'être
abrutie, quoi, d'être vraiment idiote. C'était
vraiment hyper dur à vivre et rapidement, mes
parents m'ont fait donner des leçons particulières,
et je revois la dame qui était très
gentille, l'air… vous savez, accablée.
Elle me disait ça, elle disait, "mais
lis l'énoncé, c'est dedans, la réponse
est dedans". Et là, c'était une
telle menace, je sentais une telle menace, c'était
abominable, quoi. Je ne pouvais pas lire, donc je
pouvais rien, et donc, j'ai toujours eu des notes
épouvantables. Mais ce qui est terrible, c'est
que j'ai re-projeté ça sur mes enfants.
C'est-à-dire, j'ai tellement souffert de cet
échec scolaire et de cette impossibilité,
soit à apprendre, soit à comprendre,
que j'avais très très peur qu'ils souffrent
de la même chose. Donc en fait, je projetais
beaucoup sur eux. J'étais beaucoup à
crier dessus : travaillez, il faut travailler, enfin
bon… notamment, mon dernier fils ; comme moi,
je travaille sur moi-même, et lui, de son côté
aussi, bon, j'ai arrêté un peu les projections
et je m'occupe plus de moi que de lui, et je vois
que scolairement, il évolue très positivement,
et que le dernier bastion, c'est les maths. Et je
pense que c'est pas un hasard, je pense que c'est
le dernier lien avec notre tragédie familiale,
que lui n'a pas vécue. Il n'a pas connu non
plus l'agresseur, parce que mon père est mort
avant qu'il naisse.
Le modérateur : Merci…
Gaétan : Moi, en ce qui
concerne les apprentissages, ça a été
une catastrophe. Le primaire s'est plutôt bien
passé, j'ai redoublé le CM2, en 6ème,
j'étais parti sur de bonnes dispositions, et
en fait, c'est pareil, je ne sais pas si c'est une
histoire de mémoire, je ne sais plus à
quel âge exact j'ai été abusé.
Je pense, entre dix et douze ans, et arrivé
en 6ème, donc ça correspondrait à
peu près, ça a été la
catastrophe ; les maths, ça a toujours été
des difficultés. Pareil, j'avais des notes,
c'était la catastrophe, je n'y arrivais pas
du tout, je ne comprenais rien. Et à l'époque,
autant en primaire c'était des choses plutôt
concrètes, autant en 6ème, on arrivait
dans l'abstraction, et là, j'y arrivais plus
du tout, et je ne comprenais rien. Alors, je voulais
comprendre, et le prof, ou la prof, avait dit : "mais,
il faut pas chercher à comprendre, il faut
juste apprendre". Et moi, je ne pouvais pas apprendre.
Et j'ai triplé la 4ème, et ça
a été… en fait, je ne m'en suis
jamais vraiment sorti, et par la suite, je me suis…
j'ai essayé de passer des examens, et je n'ai
pu passer aucun examen, je n'ai pas le permis de conduire
; j'en suis incapable, de toutes façons, peut-être
un problème de motricité ; et donc…
mais c'est aussi un garde-fou, le fait de ne pas avoir
le permis. Parce que bon, voilà. ET j'ai malgré
tout… alors, je n'ai aucun diplôme, j'ai
malgré tout voulu aller entreprendre une formation
de travail social ; de formateur d'éducateur,
et j'ai été dans l'incapacité
d'écrire. J'arrivais pas à écrire
; il y a un certain nombre de travaux à rendre,
et impossible, donc je pensais que c'était
probablement lié à une formation que…
j'avais fait une formation de typographe, et c'était
pas une formation que je voulais faire, ça
ne m'intéressait pas, et on m'avait forcé,
parce que j'étais bon en français, etc.
Et pendant cette formation, ben j'arrivais pas à
écrire et j'avais cette impression que c'était
parce que je ne comprenais pas, et je participais
à des ateliers d'écriture au sein du
centre, et la formatrice me disait : "mais vous
n'avez pas de problèmes d'écriture".
Et elle m'avait même dit "après
votre diplôme, surtout ne vous arrêtez
pas, continuez ; allez en faculté. Vous n'êtes
pas fait pour être sur le terrain, vous êtes
fait pour chercher". Et donc ça aurait
dû au contraire me booster, etc, et non, ça
a été… et encore aujourd'hui,
la mise au travail, bien j'ai beaucoup de mal ; parce
que je suis très perturbé. J'ai besoin
de l'urgence. Je ne peux agir que dans l'urgence.
Par rapport aux exigences que je peux avoir dans le
cadre professionnel, il y a des fois, j'arrive même
plus à parler, j'ai peur de ne pas comprendre
ce qu'on me demande, j'ai des problèmes avec
les messages ; envoyer des messages, je percute pas
du tout. Des fois, je pense que je suis un idiot,
un imbécile congénital ; et puis des
fois je me trouve, je dirais pas brillant, mais intelligent,
je percute vite certaines choses, je fais vite des
relations entre les choses. Et c'est à désespéré
parce que… là, je voudrais changer de
boulot, parce que j'en ai mare de ce que je fais actuellement,
et je suis dans l'incapacité de mettre les
choses en route. J'ai fait un bilan de compétences,
j'ai des compétences, néanmoins, le
changement me fait très peur, et je mets toujours
beaucoup de temps à passer à l'action,
à agir. Je ne peux pas. Je me mets plein de
barrières. Enfin, je ne sais pas si je me les
mets ; j'ai l'impression que je suis totalement désorganisé
dans ma tête, ma pensée est désorganisée.
Mais je me soigne!
Isabelle : Pour moi, tout allait
bien jusqu'à l'âge de sept ans ; je pense
que c'est entre six et sept ans où j'ai été
abusée sexuellement par mon oncle par alliance
; et à partir de là, je suis rentrée
dans un rapport de force assez phénoménal
avec tout ce qui était, à mon sens,
"pouvoir", "éducation nationale",
etc, y compris mes parents. Je mettais un point d'honneur
à ne pas être bonne. A être la
dernière. J'en arrivais à un point où
je faisais des concours avec mon meilleur ami à
qui serait le plus nul des deux.
Virginie : En classe ?
Isabelle : En classe. Et arrivée
au bac, j'étais pas élève de
l'Education Nationale, j'étais dans le privé.
Virginie : Comment t'es arrivée
au bac ?
Isabelle : C'est pas difficile,
il y a des moyens. Donc je navigue, et je navigue
aujourd'hui encore dans la vie sociale entre rapport
de force et rapport de séduction, qui est aussi
un rapport de force ; qui m'a permis, très
longtemps, de sortir… de ne pas me fatiguer,
quoi. De me sortir de situations ; ça m'évitait
de travailler, je savais que j'avais une puissance
mentale, mais l'utiliser, quelque part, c'était
faire plaisir à des gens qui ne m'avaient pas
protégée au moment où c'était
leur rôle. Et j'ai aussi un problème
au niveau des [inaudible], tout ce qui est organisation.
Et je ne prépare pas ; c'est-à-dire,
mentalement, je me fais suffisamment confiance. Il
faut que je sois au bord du précipice pour
faire, pour dire.
Le modérateur : Alors
le temps est écoulé sur ce premier sous-thème,
mais vous allez voir qu'avec les autres sous-thèmes,
on va pouvoir rebondir. Juste une petite question
avant qu'on passe au sous-thème suivant : est-ce
que certains parmi vous ont fait une différence
au niveau mémorisation, entre mémorisation
à court termes et une mémorisation à
long terme ? Plus de difficultés à mémoriser
par exemple sur une courte période, et par
contre, une bonne mémorisation à long
terme, ou l'inverse.
Gaétan : Je crois que
je me rappelle de choses très lointaines, très
très lointaines ; je fais des recherches sur
mes origines, et donc je retrouve des choses très
lointaines. Par contre, la mémoire à
court terme, c'est problématique. Les collègues,
des fois, me disent : "oh, t'as oublié
ça", et si, j'ai oublié ; mais
c'est vraiment, je vais poser des questions, et on
en a parlé deux minutes avant, et j'ai oublié.
Par contre, j'ai une excellente mémoire des
noms ; c'est vraiment sur le court terme, je percute…
même qu'on peut pousser la réflexion,
sous forme de boutade, mais : "attends, Gaétan,
c'est pas un Elzeimer qui se déclare ?"
parce que c'est vraiment problématique.
Delphine : (à une nouvelle
participante qui vient d'arriver) Tu connais le principe
de l'atelier, ou peut-être qu'on peut…
Zoé : non, ça va,
c'est bon.
2) Problèmes d'orientation
au niveaux spatial et territorial
Le modérateur : Nous allons donc passer au
sous-thème suivant, puisque, si vous avez vu
les sous-thèmes qui étaient annoncés
sur le site, on en a changé un peu l'ordre.
On vient de parler de "mémorisation et
apprentissage", et on va donc maintenant appréhender
le deuxième sous-thème qui est "les
problèmes d'orientation", essentiellement
au niveau spatial et territorial ; le troisième
sera donc "passer un examen", et le quatrième
"le syndrome du perroquet". Donc, sur le
problème d'orientation spatiale et territoriale,
est-ce que c'est quelque chose…
Virginie : Oui, moi je veux bien
dire, mais ça va être résumé
en deux mots : c'est une catastrophe. Pour rajouter
au club des gens qui ont passé leur permis
trois fois, j'ai aussi passé trois fois mon
permis ; que j'ai fini par avoir, mais je pense que
l'examinateur était un peu lassé. Et
de toutes façons, je pense que si j'avais eu
une voiture entre les mains, que j'ai eue juste quelques
mois avant de la revendre : je ne pouvais pas me diriger.
Je n'ai absolument aucun sens de l'orientation. Et
c'est à tel point que dans mon travail, pour
la communication visuelle, depuis le web, on me demande
de travailler sur trois dimensions, finalement, sur
l'espace, et j'en suis incapable. Je sous-traite cette
partie du travail parce que je suis incapable de raisonner
dans l'espace. C'est vraiment un gros handicap.
Delphine : Et ça te fait
plus de souci en trois qu'en deux dimensions ?
Virginie : Oui, les deux dimensions,
c'est très bien, mais trois, ça me pose
un gros problème. Donc je pense que j'ai maintenant
une certaine habitude du métier, mais je ne
peux tout simplement pas réfléchir quand
je suis en trois dimensions. Et je pense que si j'avais
conduit, c'était pareil. Par contre, c'est
juste un problème d'orientation, mais pas de…
alors, qu'est-ce que je fais en général,
je retiens assez bien les endroits parce que je mémorise.
Mais dès que je sors de ma rue et qu'il s'agit
de faire un travail dans la tête : est-ce que
c'était à droite ou à gauche
qu'il fallait aller, dans un cas sur deux, je fais
l'inverse.
Delphine : Je vais dire un mot
pour moi : je n'ai absolument aucun, aucun souci d'orientation
; je sais à peu près toujours où
je suis : même dans la forêt, je ne me
perds pas
[changement de face]
par contre, je voudrais parler
pour deux absentes : je ne suis pas chargée
de le faire mais ça me frappe beaucoup : l'une
c'est ma sœur, qui ne sait parfois pas sa gauche,
ni sa droite. Elle sait absolument pas s'orienter,
le permis a été un drame personnel pour
elle ; elle vient de l'avoir mais elle a commencé
à essayer de le passer à dix-huit ans
et elle a 38 ans, et elle l'a eu l'an dernier au prix
de souffrances inouies; Et l'orientation, c'est un
problème, mais même, lorsqu'elle emménage
quelque part, il lui faut des mois pour savoir où
est le boulanger, pour arriver à le retrouver.
Et le boulanger, on est à Paris, donc il n'est
jamais à plus de deux ou trois coins de rue.
Et une autre personne, que j'ai été
très admirative de rencontrer, qui était
encore plus mal orientée ; en rencontrant ma
compagne, qui, au début, quand elle est venue
chez moi : j'habite à Saint-Germain des prés,
et pour redescendre sur le boulevard Saint-Germain,
non seulement c'est tout droit mais c'est en pente
; le boulevard est juste en bas. Et bien il lui a
fallu au moins une quinzaine de visites chez moi pour
que… à chaque fois elle me redemandait
où était le métro, qui était
donc à 50 mètres et 5 minutes à
pied. Donc, ça, c'était chez moi, je
me disais, c'est normal ; mais même chez elle,
elle ne se repérait pas très bien.
Lise : Il faut peut-être
préciser qu'elle est victime d'inceste…
Delphine : Oui, oui. Et par exemple,
ma sœur et elle ont déjà discuté
de ça, et échangé ensemble des
conversations sur le thème : et toi, est-ce
que tu sais retrouver la voiture quand tu te gares
quelque part ? Et non. Et des fois, ma sœur est
obligée de noter l'endroit où elle a
garé la voiture, parce que sinon, elle ne la
retrouve pas. Elle ne sait plus la retrouver. Je ne
comprends pas cette difficulté de se représenter
où on est, tu sais, quand c'est dans le même
pâté de maison.
Annabel : Moi, j'ai aucun sens
de l'orientation. Par exemple, si je dois aller travailler
en banlieue, il faut que je regarde le plan dix fois,
que je le tire sur Mapi-l'ordinateur, que je l'apprenne
par cœur ; je pars des heures en avance et j'arrive
à me perdre… même si c'est un trajet
que j'ai fait de nombreuses fois, parce que je dois
y retourner : à chaque fois, c'est quasiment
pareil. Et si je suis pas dans un état de vigilance
absolue, je suis quasiment sûre que je vais
sortir au mauvais endroit. Et c'est très très
pesant. Si par exemple, il faut choisir une route
; par exemple, ça m'est déjà
arrivé de nombreuses fois de prendre le train,
d'arriver en province et d'aller chez un client qui
est à cinq dix minutes à pied de la
gare. Donc j'écris toutes les indications qu'il
me donne, je demande à peu près à
quatorze passants, et je finis par y arriver. Le problème,
c'est pour retourner à la gare : c'est absolument
atroce, et par contre, ce qui est incroyable, c'est
qu'à chaque fois, je crois savoir la bonne
route, et je pars exactement dans l'autre sens. Et
je ferais mieux de savoir que je ne sais pas ; mais
non, je m'embarque toujours dans la mauvaise direction.
Delphine : Mais tu te retrouves
toujours…
Annabel : bah c'est-à-dire
que je vois bien que je ne vois pas de gare, donc
je demande ; les gens me disent : "ah non, c'est
derrière vous", et voilà, c'est
ça. Je n'ai aucun sens de l'orientation, et
quand je crois que je l'ai, c'est à l'envers,
toujours. Et ça c'est chiant, c'est très
pénible.
Virginie : Oui, moi, ce côté
aussi d'être persuadée mordicus que j'ai
bien… mon mari qui me dit : "non, non,
c'est exactement de l'autre côté",
"arrête, c'est pas de l'autre côté".
Annabel : Voilà, c'est
très… et la voiture, ça ne m'arrive
plus mais ça m'est arrivé pendant très
très longtemps, où j'écrivais
le nom de la rue, ou la boutique devant laquelle j'étais
garée ; ça m'arrivait de tourner en
me disant mais qu'est ce que j'ai fait de cette bagnole,
où je l'ai mise , dans les parking. Et l'orientation,
donc c'est un truc incroyable mais, à la maison
: faut quand même être très tarée
; chez soi-même. C'est pas que je ne sais pas
où je suis, je ne peux pas dire ça comme
ça, mais il y a des moments où j'ai
un sentiment de me sentir perdue : perdue dans un
endroit familier. Alors, ça peut se traduire
par : je ne sais pas où sont les trucs, alors
qu'il n'y a pas cent endroits possibles pour les ranger.
Je perds énormément de choses, mais
en fait, je ne les perds jamais, elles sont toujours
là et je les retrouve, mais je me tape des
angoisses… alors les clés, évidemment,
carte bleue, tout ça ; des dossiers, au moment
où on doit partir, le machin a disparu, donc
maintenant, je fais mon cartable la veille ou deux
jours avant. Parce que c'est une souffrance, c'est
pas des petits trucs anecdotiques un peu embêtant.
Tout ça est lié à une angoisse,
une confusion mentale effroyable.
Delphine : mais quand tu es perdue
chez toi, ça t'angoisse ?
Annabel : Bah plutôt!
Delphine : Parce que ça
peut durer ? C'est pas juste un moment ?
Annabel : Non, c'est fugitif,
fugace, mais ça m'angoisse horriblement, parce
que derrière, il y a une confusion. Alors depuis
que l'amnésie s'est levée, depuis que
je suis en analyse, c'est moins douloureux parce que
je relis ça. Mais avant, c'était épouvantable.
Zoé : Le sens de l'orientation,
je ne l'ai pas du tout non plus, quoi. C'est-à-dire,
pour moi, je suis sure qu'il faut que j'aille à
droite, et en fait non, c'est l'inverse, faudrait
aller à gauche. Faut que je fasse des…
Donc je passe du temps à tourner, à
chercher, c'est pas clair, quoi.
Delphine : et ça te fait
ça dans des endroits familiers, aussi, ou c'est
que quand tu découvres ?
Zoé : C'est quand je découvre.
Les endroits familiers… mais c'est vrai que
j'ai remarqué que je me sentais bien dans les
petits espaces. Là, je vis dans 14 mètres
carrés, et c'est bien : j'ai tout sous la main,
je sais où sont rangées mes choses;
Ma mère habite dans un appartement beaucoup
plus grand au moment où j'étais chez
elle, et je posais une chose là, une autre
là-bas, et je ne les trouvais plus, elles étaient
perdues. Mais des fois, j'ai l'impression de faire
exprès de me perdre, de m'induire en erreur
; genre, je vais être dans une rue, je vais
chercher un numéro, c'est un numéro
impair, et je vais m'installer du côté
des numéros pairs, en me disant, c'est bizarre,
je le trouve pas.
Annabel : Ah oui, ça,
ça m'arrive.
Zoé : Je me dis, il n'y
est pas, il n'y est pas ; donc je fais des zigzags,
je tourne en rond, c'est catastrophique.
Virginie : Mais le truc de la
direction opposée de celle où on devrait
aller, moi, ça me parle vachement parce que,
par exemple, dans les correspondances du métro,
toujours, je pars bille en tête que je sais
où je vais, que je maîtrise tout, etc,
et je prends très - anormalement souvent -
la mauvaise direction opposée de là
où je dois aller, donc effectivement, je rechange.
C'est un grand classique, ça m'arrive très
souvent.
Delphine : Tu veux dire, pour
aller chez le psy ou pour aller ailleurs ?
Virginie : Pour aller partout,
c'est vraiment le grand classique. Le côté
: c'est vraiment l'opposé. Pareil quand on
cherche le numéro d'une rue, et donc voilà,
je dois aller au 150, je regarde que je suis au 100,
donc normalement, je dois aller dans le sens où
ça augmente. Pareil, je mets très longtemps
avant de m'apercevoir qu'en réalité
ça redescend, et j'en suis à un état
troublant parce que je me dis : est-ce qu'il faut
que j'additionne, ou pas ? Et c'est une espèce
de paralysie, brouillard dans la tête. Tellement
j'étais persuadée que j'étais
au bon endroit, que j'allais dans le bon sens. J'ai
un effort mental énorme à faire pour
tout déconstruire ce que je m'étais
mise en tête, et tout refaire.
Delphine : Ben c'est ça
que ma sœur appelle les crises d'imbécillité
: par exemple, ce genre de truc, quand tu sais plus,
quand tu es au numéro 50 et que tu dois aller
au 100, tu vas vers le 49, 48 et tu sais plus. Ma
sœur dit qu'elle pense que si tu lui demandes
son nom à ce moment, là, elle ne peut
pas le dire, elle ne le sait plus non plus.
Annabel : Moi, je me souviens
d'un dîner, avec des proches de mes parents,
et j'étais petite, j'avais pris mon bain, j'étais
en robe de chambre et je venais dire au revoir ; et
il y avait un ami de papa qui était absolument
adorable et qui m'a fait cette petite blague bien
innocente : quelle est la couleur du cheval blanc
d'Henri IV ? Et là, je… je… c'était
atroce, je me disais : mais je ne sais pas, mais je
ne sais pas, et je voyais la tête de tout le
monde disant "mais" et répéter
"du cheval blanc d'henri IV", et tout, et
donc, c'était horrible. Je sentais que n'importe
quel abruti aurait trouvé la réponse
et moi, je ne l'avais pas, et je ne voyais pas comment
on pouvait trouver la réponse, et je ne sais
même plus comment ça s'est fini. Et je
me souviens avoir dit ; et ça avait fait rire
jaune "… gris clair", des essais de
couleur de chevaux qui pouvaient me venir à
la tête, et je me disais : mais pourquoi il
me demande la couleur du cheval blanc d'Henri IV ?
Delphine : Tu zappais que c'était
blanc ?
Annabel : Oui, et je crois que
ça a été la première fois,
cette fois là, où j'ai su ce que c'était
que d'être atteinte par une crise d'imbécillité,
et la souffrance que c'était, et l'étiquette
que tu prends auprès de ta famille, aussi.
Virginie : Oui, ça fait
un peu Mongol…
Lise : A sept ans, c'était
la deuxième classe de l'école primaire,
et la maîtresse avait écrit à
la craie sur le mur blanc, à la craie rouge
: ouest, nord, enfin bon, les quatre points cardinaux,
pour qu'on apprenne. Et je ne sais pas pourquoi je
n'ai jamais pu comprendre ; elle avait mis le "O"
à l'ouest, le "S" en bas, etc ; et
je n'ai jamais pu ; ça, c'est comme les maths,
ce n'est jamais entré. J'ai pu m'orienter après,
parce que j'ai fait de la randonnée, et j'avais
la boussole autour du coup, et ainsi, j'ai pu savoir…
en même temps, j'ai appris mais assez tard,
par une amie avec qui je randonnais, que le soleil
se couchant à l'ouest ; lorsqu'il était
à tel endroit vers 5h du soir, c'était
forcément l'ouest. Et ça, ça
a été très tardif, ça
a été un éblouissement, un soulagement,
parce que c'était une torture de ne pas savoir
où était le nord, est, sud, même
quand c'était écrit sur le mur. Et je
me souviens, il y a cinq six ans, sur la place de
la Nation, j'avais regardé sur mon plan, et
je me dis : une petite rue inconnue, à l'est.
Et je me suis servie du soleil pour retrouver la rue,
et j'ai réussi… c'était récemment,
j'allais chez un pédicure.
Annabel : Lise va chez le pédicure
à la boussole, c'est normal…
Lise : non, je n'avais pas la
boussole mais j'ai réussi toute seule à
voir le soleil couchant, et à deviner que c'était
l'ouest. Ça a été un éblouissement.
Et je voulais dire quelque chose ; quand je suis arrive
à paris, à 17, 18 ans, et même
après, quand j'y suis revenue à 35 ans,
je ne savais pas trop comment me diriger, et dans
le bus, comme dans le métro, je ne voulais
pas qu'on sache. Je ne voulais pas qu'on sache. Et
je regardais toujours le plan du bus, la ligne de
bus, mais d'un œil : en me disant, faut pas qu'on
me voit, faut pas qu'on me voit.
Delphine : tu voulais pas qu'on
sache quoi ? Ou t'allais ?
Lise : Non, que je ne sache pas.
Il fallait pas qu'on voit que je ne savais pas. Je
voulais cacher mon ignorance de ne pas savoir. Ça,
mais c'était vraiment, c'était la honte,
quoi : la honte. J'avais honte, j'imaginais que les
gens se dirigeaient dans le bus un petit peu magiquement,
quoi. Et ma désorientation était telle
que pour moi, c'était sans doute un effet magique
de savoir dans quelle direction aller. Et je vais
finir avec lorsque j'ai été en voiture
avec Delphine l'année dernière, deux
ou trois fois, j'étais admirative, parce qu'elle
savait tourner à la bonne rue ; et ça
confirme ce que tu as dit tout-à-l'heure. Et
ça se voyait, et j'étais stupéfaite,
qu'on sache.
Virginie : ah oui, moi ça
me paraît supra-normal que les gens arrivent
à tourner comme ça en voiture.
Gaétan : Moi, je suis
un très mauvais co-pilote. Réellement
un très très mauvais co-pilote. Autant
je crois que je me repère bien dans Paris,
j'ai pas de problèmes d'orientation dans Paris.
Par contre, c'est vrai que si je suis co-pilote, même
ne serait-ce que si c'est quelqu'un qui me ramène
chez moi : je suis pas fichu de lui donner le chemin.
J'y arrive pas. Et ce qui est dramatique pour le pilote,
c'est qu'il fait des kilomètres supplémentaires.
Delphine : Tu veux dire, toi,
tu sais, mais tu peux pas le transmettre ?
Gille : je ne peux pas le transmettre,
j'y arrive pas. Et pourtant, c'est des choses que
je pourrais faire au quotidien, mais j'y arrive pas.
En fait, j'ai l'impression que j'ai du mal avec l'objet…
tu parlais de boussole, c'est impossible pour moi
d'utiliser une boussole, un plan. Pourtant, c'est
pas très compliqué, quand je vois les
autres personnes. J'y arrive pas, je suis… par
contre, à pieds, il n'y a aucun problème.
Je peux marcher très longtemps, et je me retrouve
tout le temps, j'arrive toujours à retrouver
mon chemin, et tout, mais : à pied. Je peux
même prendre des raccourcis, j'arrive à
me repérer. Mais c'est vrai que sur des plans,
j'ai envie de dire, c'est presque des barrières
que je me mets ; c'est probablement ça. C'est
parce que je vois tous les gens que tu peux connaître,
ils ont aucun problème, et moi, d'emblée,
j'ai peur de pas m'y retrouver, en tous cas, sur un
plan. Mais c'est marrant, parce que ça me fait
penser : problème d'orientation, je crois que
c'est aussi le problème du sens, et il y a
plusieurs sens au sens : le sens giratoire, le sens/la
direction ; et le sens des mots. Pour moi, c'est très
lié. Et j'ai un peu l'impression que c'est
la même chose, les problèmes d'orientation
et les problèmes de la signification des mots.
Je fais le lien sans bien cerner, mais aussi, c'est
quand on parle d'orientation, c'est aussi, enfin -
pour parler de moi - l'orientation de ma vie. C'est
dans quel sens je vais, et avec quel sens. C'est toujours
pareil, le sens giratoire, la signification du mot,
des mots, de l'histoire, de mon histoire ;tout ça
est très lié.
Isabelle : Non, moi, j'ai juste
une difficulté à lire un plan, mais
je crois que c'est une question de précision.
Je ne suis pas sure que ce soit un problème
d'orientation. Il y a trop de choses, c'est tout petit
et il y a trop de choses. Et ça me demande
d'être concrète.
Delphine : Et un gros plan ?
Isabelle : C'est pareil, il y
a plein de choses. Ça me demande de m'arrêter.
Sur quelque chose, et je zappe, je zappe.
Virginie : C'est la concentration…
Isabelle : Oui.
Delphine : je peux dire un truc,
mais ça a pas à voir ? ça a à
voir avec tout-à-l'heure.
Le modérateur : Oui
Virginie : Non. bon… vas-y.
Delphine : ça a à
voir avec la mémorisation. Ça m'est
revenu, je me suis rappelé. Je sais maintenant
pourquoi je peux travailler, j'arrive à m'y
mettre. Je m'en suis souvenue tout-à-l'heure,
après. C'est que maintenant ; en fait, je me
suis rendu compte que maintenant, j'arrive à
m'y mettre parce que j'arrive à laisser venir
ce qui doit venir… et en fait, tout ces derniers
temps, j'ai réussi à rendre mon travail
à temps parce que je laisse venir ; et ce qui
vient en premier, c'est mon grand-père qui
me viole et des cauchemars atroces. Avant, je ne pouvais
pas ; je ne pouvais pas laisser venir ça, donc
je ne laissais rien venir, donc je ne pouvais pas
travailler. Mais maintenant, alors c'est pour ça
que c'est très dur et que ça s'accompagne
de nausées, machins, crises de larmes, je sais
pas comment ça se passe mais en tous cas apparemment,
ça cède, et ce qui vient en premier,
c'est des cauchemars atroces et des souvenirs, et
après, je peux travailler.
Gaétan : Ce que tu viens
de dire, ça me fait penser à autre chose,
l'histoire du plan. En fait, je viens de me rendre
compte que le plan, c'est aussi… du mal à
lire un plan, c'est aussi du mal à… par
exemple, je me rappelle ; le problème, quand
je devais écrire dans le cadre de mes études,
c'est justement que je n'arrivais pas à faire
de plans. Donc il y a plein d'idées qui me
venaient, et que c'était complètement
désordonné, et j'arrivais pas à
organiser. Et en fait, c'est pareil, c'est l'histoire
du sens des mots. Je m'interroge beaucoup sur les
mots. Pour en revenir aux apprentissages, j'applique.
En fait, tout ce que j'ai pu apprendre, c'est grâce
aux livres, parce que je lisais beaucoup, et je continue
à lire énormément, et…
comment expliquer ça. Je pense que si - bien
sûr, avec des "si", on peut tout -
mais j'ai envie de dire que j'ai été
un bon élève qui a été
contrarié. Parce que je me rends compte que
quand je parle dans d'autres cadres, les gens sont
toujours très intéressés par
ce que je dis. On me dit, même, qu'on me trouve
très intelligent, et bon, enfin, c'est juste
quelque chose en apparté.
Le modérateur : Merci.
Bon, il est quatre heure moins le quart, on va faire
une pause maintenant, et on reprend après pour
les deux autres sous-thèmes. Une pause de dix
minutes.
(PAUSE)
Isabelle : j'ai une question
; j'ai une question : est-ce que la difficulté
de lire un plan ne peut pas venir du refus de suivre
les règles imposées par quelqu'un d'autre
?
Le modérateur : Un élément
important ; dans le cadre de ces ateliers, quand vous
posez une question, et s'il y a une réponse,
ou une proposition de réponse, elle est de
toutes façons donnée uniquement entre
les particpants. En l'occurrence, ni par moi, ni par
les gens qui accompagnent aujourd'hui.
Delphine : Moi j'ai une idée
de réponse, mais je te la dirai, on y reviendra
tout-à-l'heure dans le syndrome du perroquet.
Je te dirai…
Isabelle : Bon, c'est pas des
questions au modérateur…
Delphine : non, c'est nous autres
entre nous.
Le modérateur : Oui, mais
par rapport à la question qui vient d'être
posée, est-ce que quelqu'un a quelque chose
à apporter ?
Gaétan : Oui, mais répète
la, ta question, parce que je crois que…
Isabelle : En ce qui me concerne,
j'entends, est-ce que la difficulté de lire
un plan ne vient pas du fait que ce soit des règles
à suivre imposées par quelqu'un d'autre
?
Gaétan : Moi, ça
me renvoie effectivement à quelque chose, j'ai
beaucoup de problèmes avec les règles.
C'est pour ça que justement, j'ai pas de réponse
mais ce que tu dis me touche.
Lise : Moi, la réponse
qui me vient, c'est que si par exemple, la rue que
je dois atteindre est de l'autre côté
de la Seine, il faut absolument que je prenne le pont.
Il n'y a pas moyen, je ne peux pas aller à
la nage de l'autre côté, donc je suis
la règle du plan ; c'est ce qui me vient tout
de suite comme réponse.
Delphine : Et puis ça
ne te dérange pas ?
Lise : Non, je préfère
prendre le pont que de traverser à la nage.
Mais je sais bien que - je sais pas si c'est fondamental
dans l'existence - mais c'est quelque chose de solide
de traverser le pont pour aller de l'autre côté
d'un fleuve, par exemple. Je bifurque comme çà
mais voilà ma réponse par rapport à
ta question.
Zoé : J'ai visité
Auxerre, il n'y a pas très longtemps, et ils
ont fait une chose très bien avec un plan,
avec un plan et des choses marquées au sol,
donc tu peux pas te tromper, et tu peux pas te perdres
: tu commences par le numéro 1 et tu vas jusqu'au
numéro untel, et voilà. Et bizarrement,
je suis sortie, le numéro 1 était à
côté, et j'ai pris le dernier numéro.
Et j'ai fait toute la visite à l'inverse; Et
j'ai galéré parce que c'est pas bien
indiqué dans ce sens là, mais ça
m'a… et à un moment, je me suis dit :
je vais reprendre le parcours normal, et bah ça
m'a ennuyé, quoi. Donc je me suis dit, je vais
recommencer comme je faisais, je vais repartir à
l'envers. Et c'est vrai que ça me plaisait
plus.
Virginie : Quand j'ai parlé
du décalage entre ce qu'on est capable de faire
et l'éventuelle "capacité à",
c'est - je sais pas si c'est dans le thème
- mais c'est mon problème avec les machines
en général. J'ai remarqué qu'il
y avait des tas de gens à qui ça arrivait,
et des gens qui avaient pas forcément été
incestés, et qui pigeaient rien aux machines.
Mais je voulais dire, dans mon truc, c'est visiblement
apparemment quelque chose qui est pas dû à
mes capacités, puisque je suis incapable de
faire marcher un magnétoscope, au pire, un
réveil matin non plus, et j'ai toujours pensé
que j'étais débile là-dessus.
Et un jour, on m'a fait remarquer que : pourquoi dans
ces cas là, je maîtrisais parfaitement
mon Mac, j'arrivais à changer une carte-mère,
j'étais pro, je dépanne souvent mes
copains graphistes. Donc visiblement, c'était
pas le rapport à la machine qui n'allait pas,
c'était encore une fois une inhibition, un
refus que je m'imposais, devant la machine. L'histoire
du magnétoscope, ça a été
très grave, c'est qu'en fait j'avais rendu
service à un ami, et il m'avait offert un magnétoscope
pour me remercier. Et le blocage était tel
que ce magnétoscope est resté dans le
carton pendant six ans. J'ai pas réussi déjà,
à ouvrir le carton. Je déménageais,
je transportais ce carton, je n'arrivais déjà
pas à l'ouvrir, pressentant qu'il fallait s'y
mettre. Et finalement, je ne l'ai pas ouvert, j'ai
demandé à mon frère de le mettre
en place, de l'installer. Et quand je l'ai installé,
c'est effectivement un truc super compliqué,
programmable etc. et donc, je ne m'en sers que pour
mettre une cassette dedans, ce que j'ai énormément
de mal à faire. Et dans la mesure où
je n'ai aucun souci pour réparer un ordinateur
- parce qu'on peut dire, c'est les nanas, elles sont
pas bricoleuses - mais j'ai décidé qu'il
fallait que l'ordinateur, je le maîtrise à
fond, et là, je suis très douée
: je dépanne mes copains, même des hommes.
Delphine : Non…
Virginie : Donc ce qui va pas,
c'est le décalage. Encore, je serais douée
en rien. Mais c'est le décalage entre ce que
à un moment donné, on a décidé,
donc visiblement, le potentiel y est, et l'inhibition
dans d'autres domaines.
Le modérateur : Quelqu'un
a quelque chose à ajouter à cette question
?
Virginie : Ben il y a peut-être
un peu ça aussi, c'est le fait qu'il y a des
choses qui sont imposées, et d'autres choses
que l'on décide, finalement. Et en fait, le
magnétoscope avec son existence compliquée,
son mode d'emploi etc, m'agresse, parce que je suis
obligée de rentrée dans le rang pour
apprendre. Alors que le Mac, j'ai décidé.
3) Passer un
examen
Le modérateur : On va
rebondir sur ce que dit Virginie, pour passer au troisième
sous thème, par rapport à ce principe
d'imposition, qui était "passer un examen".
Alors passer un examen, c'est au sens large. Ça
peut être aussi une échéance après
dans le cadre professionnel, c'est pas forcément
l'examen au sens stricto sensu de ce qu'on peut connaître
dans le monde scolaire.
Zoé : Moi, en matières
d'examens, et même de quoi que ce soit, je me
suis toujours arrangée pour choisir des niveaux
qui sont inférieurs au mien; comme ça
au moins j'étais sûre d'être acceptée
et de pas avoir trop d'effort à fournir. Enfin,
sans me le dire à l'avance, mais je me suis
rendue compte de ça. Par exemple, j'étais
auxiliaire vétérinaire, c'est un niveau
CAP-BEP, et j'ai un niveau Bac, j'aurais pu faire
un autre métier, avec les compétences
que j'ai. Je me suis arrangée pour faire des
choses pour lesquelles je ne devais pas en faire beaucoup.
Delphine : C'est parce que tu
ne veux pas être en échec ? Ou comme
ça, t'es sûre de l'avoir, le truc ?
Zoé : Ouais, c'est pour
être sûre que je serai pas en échec,
et pour être sûre que j'aurai pas beaucoup
d'effort à fournir, pendant la formation, ou
pendant le métier. Mais ça ne veut pas
dire que je ne me suis pas donnée du mal pour
faire mon année d'école ; je me suis
rendue compte de ça il n'y a pas longtemps.
Delphine : ben moi, j'adore ça,
passer des examens ; des diplômes, des trucs
comme ça, j'adore ça. Je voulais passer
les plus hauts, dans les meilleures écoles
avec la meilleure mention, j'a-do-re ça. Après,
je me sens légitime, c'est important. Je ne
sais pas. J'ai toujours aimé ça. J'ai
bien aimé avoir le bac, j'ai bien aimé
avoir la suite, j'ai même entamé d'autres
cursus, j'aime ça.
Lise : mais est-ce que tu peux
expliquer ? Ou non ? ça va tout seul et c'est
comme ça ?
Delphine : Non, mais je travaille…
mais c'est que j'aime bien les avoir, après,
les diplômes. J'aime bien avoir des diplômes.
Annabel : mais moi aussi j'aurais
bien aimé avoir des diplômes. Mais c'est
même pas qu'on n'a pas réussi ; c'est
qu'on était tellement inhibée et bloquée
que on n'a même pas pu aller jusqu'au bac. Donc
on peut se poser la question…
Virginie : Je pense que d'une
façon générale, dans les effets
de l'inceste, une chose et son contraire sont souvent
les mêmes choses. Peut-être qu'elle veut
maîtriser à tous prix, etc.
Delphine : C'est pas une question
de maîtrise, c'est une question de légitimité.
Je vous assure que dans ce que je raconte, j'ai mal
à la tête pareil et je suis cinglée
pareil, mais c'est pas la même chose d'être
docteure de Sciences-Po que d'être rien du tout
pour parler. C'est une position légitimante.
Une fois que t'as ton étiquette "haut
fonctionnaire", je me sens bien avec ça.
Annabel : Mais ça veut
dire que t'avais pas cette inhibition, cette impossibilité
de…
Virginie : C'est peut-être
à cause de l'amnésie ?
Annabel : Je l'ai eue aussi…
Delphine : Ecoute, pour moi,
c'était la survie. C'était une idée
fixe depuis que je suis petite, de bien réussir
l'école, la sortie par les études et
par les diplômes les plus hauts et les plus
forts, c'était la survie. J'avais l'intuition
de ça, c'était la seule chose.
Lise : Pour reprendre ce que
dit Delphine, on a eu des échanges récents
par mail, donc Delphine a dit à peu près
: moi, je ne me suis jamais sentie… parce que
moi, je me suis toujours sentie la petite à
côté du grand, et des exemples dans ma
vie ; j'ai eu trois grandes difficultés, entre
autre, en dehors de l'inceste qui en est à
l'origine. Je me suis retrouvée en face d'un
évêque, et comme… et j'ai dit quelque
chose de pas bien à l'évêque.
Et c'était un évêque, et moi,
toute petite, quoi. C'est arrivé aussi avec
le chef du service de psychiatrie où je travaillais,
bien c'était : moi j'étais la petite
secrétaire, et c'était le grand chef
de service, et encore une autre occasion, c'était
encore un grand chef et moi toute petite. C'est-à-dire
que je me suis toujours, dans les échecs, considérée
comme la petite merde, mais en même temps à
ma place, j'en voyais pas d'autre. Je m'y suis installée,
et c'était normal. Et j'ai été
surprise mais en bien, et là, je retrouve Delphine
me disant… c'était par rapport au conseiller
CCP… qui lui était une grosse merde…
non, mais je veux dire la situation, c'était
encore le conseiller. Ce que je veux dire, c'est que
je ressens l'inverse de ce que vient de dire Delphine.
Ma position a toujours été dans l'inverse
que celle que Delphine exprime.
Virginie : Moi, par rapport aux
examens, je crois que j'ai toujours gardé une
position un peu ado, un peu "anar". Les
quelques examens que j'ai passés, c'est effectivement,
je refuse d'entrer dans le rang et de faire ce qu'on
me dit de faire. Par exemple à vingt ans, quand
je me suis inscrite pour cet entretien d'embauche,
ils demandaient "bac + 2", j'avais pas le
+ 2, et je me suis dit, je vais essayer quand même,
pour voir. Par rapport au bac, je me suis faite virer
en première, et donc, j'ai arrêté
d'aller à l'école ; et à un moment
donné, j'ai atterri dans un foyer de délinquants
et puis bref, là-bas, le mec a dit "écoute
vas-y, essaie de passer ton bac" et donc j'y
ai été un peu en reculant parce qu'on
me forçait à y aller, plus ou moins,
et je voyais pas trop à quoi ça allait
me servir. Et donc, là, je me souviens très
bien que je suis arrivée aux différentes
épreuves, et… pareil, je me suis dit,
ça passe ou ça casse, je vais voir.
C'était un bac A, du coup, comme j'avais pas
fait d'études, donc… et en philo, il
y avait une dissert' à rendre et le prof de
l'école m'avait mis dans ce foyer, et m'avait
dit surtout, il faut faire plein de citations. Et
donc, j'ai surtout fait aucune citation, et je m'en
faisais un point d'honneur, complètement le
côté ado-anar. Je me faisais un point
d'honneur à faire zéro citations. Apparemment,
j'ai eu du bol parce que je me suis quand même
tapée 16/20 et que ça m'a permis d'avoir
le bac avec les coéficients, machin…
mais c'est toujours ce côté "je
ferai pas comme tout le monde". Alors autre type
d'examen, le passage des ceintures en sport de combat,
bon bah pareil, ce coup-ci, j'ai pas eu ma ceinture
parce que le prof m'a dit : "écoutez,
ça fait des années que je vous répète,
les passages de ceinture, il s'agit pas de casser
tout le monde, vous ne vous contrôlez pas assez",
et il l'a refusée pour absence de contrôle.
Et là, c'est pareil, je sais ça, et
je me dis toujours : il faut que je fasse un détour,
et que voilà… je veux pas faire ce qu'on
me dit de faire. Pour moi, l'examen, c'est vraiment
"pisser là où on me dit" et
je garde ce côté complètement
ado, non, je ferai pas, et tant pis si j'ai pas l'examen.
Annabel : Alors que en tous cas,
moi, ce que j'ai toujours ressenti avec les examens,
c'est : on va voir à quel point je suis une
merde. Une pauvre conne, une abrutie, et c'est ça
qui me terrorise, c'est plutôt l'image que tout
le monde va le voir, quoi. C'est pour ça que
c'est difficile.
Delphine : Moi c'est le contraire,
c'est qu'après, ça permet d'accéder
à la position de celui qui fait passer les
épreuves.
Annabel : mais là, tu
rationalises, je ne peux même pas y aller.
Delphine : Oui, mais moi, c'est
comme ça que j'ai passé tous mes trucs.
Le modérateur : On va
juste essayer, dans ces cas là, de permettre
à la personne qui intervient de terminer ses
phrases. C'est important.
Delphine : Oui, bah voilà,
c'est ça. Je ne sais pas si c'est raisonné
ou pas, mais j'ai pas l'impression de faire ce qu'on
me dit de faire, j'ai l'impression que c'est une étape,
d'abord, le bac, après, le machin, après
le truc, et je ne sais pas, c'est presqu'un truc à
l'envers ; je serai plus forte que tous ces gens là
qui me donnent des devoirs ou des examens à
passer. Après, c'est moi qui pourrai discuter,
parce que c'est moi qui ferai les règles.
Virginie : Tout ça pour
dire que passer l'examen sans passer par les règles
du jeu, c'est aussi une manière de le foirer
de toutes façons. Parce qu'après tout,
autant essayer. Enfin, c'est une manière de
ne pas être confrontée à l'échec
aussi, peut-être. Parce que finalement, si j'arrive
en retard, et si je ne rends pas ma feuille fermée
comme il faut, c'est sûr que là, ça
ne sera pas de ma faute.
Lise : Mais là, ce que
je voudrais demander, par exemple le point de vue
de Delphine et celui de Virginie ; par exemple, rattacher
quelque chose à ce que tu as vécu, il
y a certainement un lien…
Delphine : c'est que… je
ne suis pas folle. C'est que… ma tête
est entière. On ne peut pas me nier complètement,
on peut pas me détruire complètement.
Et ce que je pensais, que ça ne me plaisait
pas, que ça me faisait mal et que j'avais pas
envie que mon grand-père me fasse ça
: mon avis compte. C'est la même chose : mon
avis, mon point de vue est le bon. Et je poursuis
ce truc là dans les études, même
dans le métier que je fais, quoi. Mon point
de vue est défendable, et mon point de vue
vaut. Et je pense que… ma sœur devait venir,
mais elle est pas là… mais à ma
sœur, mon grand-père qui était
mon agresseur la torturait autrement ; mon grand-père
et mon père disaient tout le temps à
ma sœur qu'elle était bête, qu'elle
était nulle, qu'elle comprenait rien, qu'elle
était vraiment abrutie, donc décliné
toute la journée depuis qu'on était
bébé jusqu'à ce qu'on ne ce soit
plu vu, mon grand-père parce qu'il est mort,
et mon père parce qu'on ne l'avait plus vu.
Et moi je pense que j'ai survécu en voyant
dans les yeux de ma sœur que… parce que
elle, elle voyait tout ce qui se passait, et donc
je lisais dans ses yeux que ce qu'on vivait, c'était
bien la réalité, donc j'ai tenu grâce
à son regard. Elle, je pense qu'on lui renvoyait
tout le temps, en l'écrabouillant en lui disant
qu'elle était bête, parce qu'elle était
témoin et que sa parole ne devait rien valoir.
"les crises d'imbécillité",
ce mot là, c'est ma sœur qui appelle ça
comme ça ; et que sa parole ne vaille pas,
ou les problèmes d'orientation, tout ça,
le permis de conduire, tout ça, ma sœur
a longtemps vécu… elle a fait des années
d'analyse pour sortir de ce truc où ce qu'elle
disait, ce qu'elle pensait, ça valait rien,
quoi, puisqu'elle était conne et nulle et abrutie.
Et on s'est construites… c'est les deux faces
du même truc. Moi je savais que mon point de
vue était bon, je savais qu'elle était
intelligente et très forte et très brillante,
et voilà, on était embringuées
toutes les deux d'un côté et de l'autre
du machin.
Le modérateur : Annabel,
tu voulais réagir un peu tout à l'heure
sur le côté rationalité…
Annabel : Oui, parce que j'avais
l'impression qu'elle rationalisait, mais là,
elle s'est expliqué sur ça ; c'est une
réponse à cette question. Parce que
j'avais l'impression que tu oubliais cet aspect blocage
inhibition. Mais c'est pas le cas, je vois très
bien ce que tu veux dire.
Virginie : Moi, je voulais quand
même dire, par rapport à cette histoire
de connerie de bac, c'est qu'en fait, effectivement,
j'ai tout fait pour saboter. Parce que refuser de
citer quoi que ce soit, c'était évident.
Et pour moi, j'étais persuadée que je
l'avais pas ; je me souviens que c'était mon
directeur, prof de philo qui m'a téléphoné
pour me dire, c'était en province, pour me
dire "vous l'avez". Donc je pense que c'était
plutôt une conduite de sabotage.
Delphine : Tu ne t'étais
même pas déplacée ?
Virginie : Non. Non, donc effectivement,
c'est le seul examen que j'ai passé de ma vie,
mais heureusement, je pense que 'est pas la peine
d'en faire d'autres. Je suis à peu près
persuadée que je ne collerai pas la feuille
comme il faut, je ferai en sorte de ne pas être
jugée, pensant que de toutes façons,
je suis nulle.
Le modérateur : Et le
fait de la réussite ?
Virginie : Bien, à l'époque,
ça m'a fait cette impression qui m'a tenue
pendant très longtemps, qui est "c'est
pas moi c'est l'autre", c'est-à-dire une
manière schizo de me voir moi-même, genre
il y a erreur, ils vont s'en rendre compte. Ils ne
se sont pas trompés ? Qui m'a tenue longtemps,
avant de finir par comprendre que je n'étais
pas nulle au boulot; C'était toujours, le jour
où ils vont se réveiller, ils vont se
rendre compte de l'escroquerie, de la supercherie.
Ou bien, "oh, les pauvres, ils n'ont pas connu
mieux". Pareil le prof de philo, je me suis dit,
mais pourquoi il a fait ça… c'est une
sensation de ne pas être dans le bon rôle,
qui est effectivement celui de la débile. Donc
je me dis, ils vont s'en apercevoir.
Delphine : mais quand tu fais
une campagne de communication qui est saluée
et reconnue par tout le monde comme quelque chose
de formidable, faut bien que ça lâche
?
Virginie : Ben il a fallu que
ça arrive vachement souvent et que ça
me rentre dans la tête, que c'était…
très longtemps, quand c'était salué,
comme ça, et que tout le monde disait, c'était
bien… la légitimité dont tu parlais,
justement, d'avoir le titre est très important,
parce que je n'ai pu accepter les compliments, même
liés à mon job - que je n'ai pas appris
pas des diplômes mais sur le tas - c'est ça,
la difficulté ; comme ça n'a pas été
validé par un diplôme, j'ai jamais considéré
que je valais ça. Donc ça a été
suite à ce travail en quotidien national, j'étais
dans un grand journal. Et quand je me suis rendue
compte que je savais tout autant faire les choses,
c'était comme une validation diplômante,
et là, j'ai pu accepter, après, les
compliments. Mais effectivement, la notion de légitimité
est importante. Je pense que je ne serai pas passée
par ce journal, c'était impossible pour moi
d'imaginer, il y avait toujours erreur sur la personne…
et à tel point que je n'arrivais pas à
facturer mon travail. J'ai un gros problème
pour facturer mon travail, parce que je me dis, ils
vont recevoir la facture… et 'est du pipo, quoi.
Le modérateur : Quelqu'un
a envie de prendre la parole ?
Lise : Quelque chose m'est venu
en écoutant Virginie. Donc moi, mes examens,
je vais revenir sur les examens scolaires. J'ai passé
le certificat d'études, le brevet commercial
et CAP de sténo-dactylo, et pour le certificat
d'étude… voilà les résultats
que j'ai entendus. Donc, pour le certificat d'études,
j'étais la première de la ville de Tour,
au niveau notes. Et quelqu'un a trouvé le moyen
de me dire : oui, mais tu n'est pas la première
du département. J'ai eu mon CAP avec mention
bien, et option anglais, parce que c'était
facultatif, et mon brevet commercial, je l'ai eu aussi
haut la main. Et quelqu'un, dans la famille, m'a dit
: oui mais tu l'as pas eu la première fois.
Ben , je dis, "non, non, non, je l'ai eu du premier
coup". Et on a pas voulu me croire. C'est dans
ma famille, une de mes sœurs qui a passé
le même examen mais une année plus tard,
l'a passé mais l'a obtenu en re-passage. Mais
elle m'a dit "mais oui mais toi, tu ne l'avais
pas eu non plus." Or, je l'avais eu avec mention.
Et je peux vous dire dans quel contexte ; c'était
des examens qui avaient une validité pour travailler.
C'est tout… C'est peut-être un lien avec
l'idée que moi-même, je devais me situer
en bas de l'échelle.
Isabelle : Moi, c'est toujours
la même chose. C'est la difficulté de
donner à l'autre le pouvoir, c'est toujours
une histoire de pouvoir. C'est de… au bout d'un
moment, j'y vais et je regarde l'autre, et je me dis,
"mais attends, qui il est…" et donc,
je pars. J'ai besoin de planter l'autre là,
quelque part.
Delphine : faut que tu gagnes…
Isabelle : Oui, faut que je gagne.
Et j'aime pas ça. Et ça me ramène
à l'inceste, c'est toujours la même problématique.
J'ai l'impression d'être regardée sous
toutes les coutures, et je… et ce que j'ai à
gagner n'est pas suffisant pour que je fasse l'effort
de plier, en fait. C'est quelque part lui dire : "je
n'ai pas besoin de toi". Parce que je sais que
derrière, même si on me le demande, je
peux mentir, je peux dire que je l'ai, je peux argumenter,
de façon à faire croire à l'autre
que oui, et l'autre va y croire. Donc voilà,
c'est la difficulté de dire à l'autre
"je te reconnais pour que tu puisse me donner
ça".
Annabel : Est-ce que ça
t'a porté préjudice ? dans ta vie professionnelle
?
Isabelle : Non, parce que les
gens me donnent souvent un niveau supérieur
à ce que j'ai, et je laisse croire.
Virginie : Mais t'as pas eu le
problème de la légitimité, justement
: ok je sais faire, mais c'est pas marqué sur
un papier.
Isabelle : Ah non, je ne peux
pas dire les choses comme ça.
Virginie : Non mais toi, tu le
dis comment ?
Isabelle : Bah moi, je peux m'en
convaincre ; c'est-à-dire que je me prépare
mentalement à l'entretien et donc quand j'arrive,
c'est ok. Il n'y a pas de… même une fois,
j'avais bluffé. J'avais bluffé parce
que… elle était assez perverse, celle-là.
Elle était clinicienne, d'ailleurs. Elle m'avait
demandé la photocopie des diplômes, homologués.
Et je l'avais pas. Et je lui ai fait un coup de théâtre.
Je lui ai dit "écoutez, il y a quinze
personnes dehors, si vous voulez, vous restez là,
et je fais rentrer les quinze personnes dans votre
bureau et je vous fais une démo". Et je
savais absolument pas comment faire, je savais pas
préparer une consultation, je savais rien.
Et en fait, je l'ai mise dans sa propre peur, parce
que je savais qu'elle était phobique. Donc
je l'ai mise face à sa propre peur, ce qui
m'a permis moi de me sortir de la situation. Elle
m'a dit, non, c'est bon. Mais elle tremblait. Elle
m'a dit, c'est bon. C'est bon. Et… elle-même
ne s'est pas assumée. Donc voilà. J'ai
joué sur sa faille pour sauver la mienne, en
fait.
Annabel : C'était un coup
de poker, en fait. Un coup de bluf.
Isabelle : J'ai un sens pour
détecter la faille chez les gens.
Delphine : Tu savais ce que tu
faisais, quoi.
Isabelle : Oui, mais c'était
pas rationalisé. C'était… on parlait
tout à l'heure de situation d'urgence, et là,
il me le fallait, peu importe le moyen.
Le modérateur : est-ce
que quelqu'un a quelque chose à ajouter ?
Gaétan : Pour les examens,
je sais que moi, ce que j'ai mis en place… à
un mois du CAP, d'un CAP de micromécanique,
puisque j'ai une formation initiale de micromécanique,
je ne me suis pas présenté.
Annabel : T'es tranquille, là…
Gaétan : J'avais dix-huit
ans, je ne me suis pas présenté. Au
départ, très tôt, vers treize
quatorze ans, j'avais un désir, c'était
d'aller jusqu'au bac. Et vu que j'étais nul,
mais vraiment, nul de nul en maths, on m'a dit, non,
tu pourras pas aller au bac. Par contre, tu peux être
un bon micro-mécanicien, tu es habile. Donc
tu seras micro-mécanicien. Donc j'ai fait une
formation en micromécanique… je voulais
aller jusqu'au bac, et, en parallèle, je voulais
être éducateur spécialisé,
pareil, très tôt, parce que j'ai grandi
en institution et je voulais être éducateur
spécialisé. Et bien des années
plus tard, j'ai fait une formation. J'arrivais donc
là où je voulais aller, et je le voulais
très très fortement. Mais dès
la première année ; autant je m'en sortais
plutôt bien oralement, autant, au niveau de
l'écrit, je n'y arrivais pas du tout. Et j'ai
fait quatre ans au lieu de trois, et je n'ai pas été
au diplôme. Mais je crois que… c'est marrant
parce qu'il y a un mot qui résonne bien chez
moi, c'est légitimité. Pour revenir
un peu en arrière, c'est que je ne suis pas
un enfant légitime. Donc quelque part, ça
fait le lien, du coup. Est-ce que je m'autorise, est-ce
que j'ai le droit de… Voilà, est-ce que
j'ai le droit de… Et quelque part, c'était
ne pas me donner. Ne pas m'autoriser. Et donc c'est
aussi le refus de la légitimité. Et
au début, je disais que j'avais passé
un bilan de compétences, et par rapport à
mon travail, j'ai une échéance, c'est
que là, je… je ne peux plus, il n'y a
plus de sens, j'y arrive plus. Et j'ai envie de faire
quelque chose. Je sais ce que je veux faire ; le problème,
c'est que ça a été posé
sur papier, sur un bilan, c'est formalisé.
Maintenant, je ne peux pas passer… j'ai du mal
à passer à l'acte. Et du coup, je suis
en train de me mettre dans la situation où
je demande à mon employeur de me licencier…
Je ne peux pas partir, de moi-même. Je suis
donc obligé de demander à mon employeur
de me licencier, non pas pour avoir un parachute,
mais que ce soit lui qui me force.
Virginie : tu peux pas partir…
Gaétan : Non, parce que
j'ai peur du lendemain. Je ne peux pas me projeter.
Et je fonctionne par cycles. J'ai été
dix ans comme éducateur spécialisé
bien que n'ayant pas le diplôme, j'ai passé
dix ans dans le poste que j'occupe aujourd'hui dans
mon travail. Et voilà. Et je me dis, mais est-ce
qu'il va falloir maintenant que j'attende dix ans
avant de… et je crois que l'histoire du permis
de conduire, bah c'est pareil, c'est un passage d'examen.
Et je suis en train de me poser la question pour les
examens, au sens large. J'ai des problèmes
de santé, et ça se retrouve même
ici, parce que j'ai des examens à faire et
que je retarde au maximum, je me fais des idées,
j'ai la peur du résultat de ces examens. C'est
marrant parce que c'est des mots qui me font rebondir.
Examen, je penserais presque examen de conscience
; alors après c'est à moi de creuser
tout ça, pour voir ce que ça peut avoir
comme sens. Je crois que je me suis installé
; je me considère comme un looser, et je ne
vois pas des lendemains qui chantent. Et en même
temps, tout en étant bien lucide, je voudrais
essayer de sortir de ce cercle dans lequel je me sens
enfermé.
4) Le syndrome
du perroquet
Le modérateur : est-ce
que quelqu'un veut ajouter quelque chose ? …
écoutez, je vous propose donc de passer au
quatrième sous-thème : "le syndrome
du perroquet". Je vous explique un petit peu
à quoi correspond le "syndrome du perroquet".
Le syndrome du perroquet, c'est quand on est dans
cette situation où finalement, on ne peut répondre
que quelque chose qu'on a appris. Quelque chose qu'on
vous a enseigné. C'est-à-dire qu'on
a peu d'autonomie, ou des problèmes d'autonomie,
ou une absence d'autonomie dans le cadre d'émettre
des avis. D'émettre ses propres avis. C'est-à-dire
qu'on a toujours tendance à avoir un espèce
de positionnement sur des lieux communs, ou sur des
points de vue généraux. C'est-à-dire
des points de vue partagés par, au moins une
communauté, ou une personne de référence,
ou qu'on référencie par rapport à
une certaine légitimité. Voilà
ce qu'on appelle le "syndrome du perroquet"
Delphine : Moi, je ne peux avoir
que mon point de vue. Je pense que c'est pour ça
que longtemps, j'ai pas pu retenir ou apprendre. Je
ne crois pas le point de vue des autres. Tout le monde
m'a menti depuis toute petite, tout le monde m'a raconté
n'importe quoi, puisqu'on ne m'a pas protégée.
N'importe quoi, du genre ; la famille…, nanana,
le truc. Je vivais bien, au quotidien, que c'était
pas vrai. Et mon point de vue, j'y croyais. Et donc,
je ne peux pas non plus suivre les règles ;
aucune forme d'autorité n'est supportable.
C'est à moi de faire les règles. C'est
long, mais je ne suis pas pressée. C'est pas
une question de contrôle, c'est une question
de ce que je ne crois pas, en tous cas, pas a priori,
ce que disent les autres. Et juste, après,
je laisse la parole ; là maintenant, je parle
au nom de Bérénice, qui voulait dire,
à propos du syndrome du perroquet, qu'elle
est encore là-dedans. Notamment pour passer
les examens, elle peut retenir, c'était une
bonne élève, elle a fait des études
pour devenir conservatrice du patrimoine, elle a fait
des années, je ne sais pas combien de temps
ça dure, mais elle n'a pas pu présenter
son mémoire de fin d'étude. Elle l'avait
fait, mais elle ne pouvait pas le dire, cela ne pouvait
pas venir d'elle ; elle ne pouvait pas dire quelque
chose qui lui appartenait. Et elle dit que ça
a été à peu près toujours
le cas, elle peut pas faire valoir son avis. Elle
ne peut que répéter le truc des autres.
Virginie : Moi, ça me
parle vachement, ça, parce que je suis une
caricature de ça. J'ai zéro avis. J'ai
absolument zéro avis. Je suis une éponge.
C'est pour ça que ça m'aide dans mon
métier, finalement, parce que finalement, j'absorbe
assez bien l'air du temps, ce que je vois, etc. Jusqu'au
point où j'arrive très facilement à
percuter des choses, enfin, à intégrer
des choses qui ne viennent pas de moi, très
très rapidement, souvent, même plus rapidement
que prévu. Je me souviens, moi qui étais
nulle en maths, une fois, dans le cadre d'une actualité
sur des implants dentaires, il a fallu se taper une
thèse sur l'oxydoréduction, et la passivation
des implants et tout ; j'ai résumé la
thèse du mec et le médecin qui l'a écrit
il m'a dit : est-ce que vous pouvez me faire passer
votre truc, que je m'en serve pour vendre ma thèse,
parce que c'est mieux résumé. Parce
que je l'avais bien intégrée. Et dans
des domaines que je ne connais pas, je pompe, et je
suis vraiment une éponge. Mais je suis vraiment
incapable d'avoir un avis. Et souvent, ça même
très loin ; j'imite même la manière
de parler. Par exemple, mon mari fait souvent des
discours sur les sciences sociales, et je finis par…
alors là, je répète ses mots,
j'utilise ses mots, sa manière. Je me suis
tellement bien imprégnée de sa réflexion
qui est alors lui, purement originale, elle est même
souvent des fois un peu délirante ; je suis
tellement bien imprégnée de ça
que je suis parfois capable de parler à sa
place. Je peux le faire, je suis persuadée
que je pourrais tenir des discours. Et souvent, d'ailleurs,
je lui coupe la parole ; il est médecin, et
on lui pose des questions, c'est lui qui est autorisé,
et pareil avec des ordonnances, je dis bah tiens,
tu prends ça, et ça. Il me regarde et
me dit : ça va, c'est moi le médecin.
Mais je l'ai tellement entendu parler d'ordonnances,
j'ai intégré. Je pense que c'est pas
idiot, ce que je finis par dire à l'arrivée.
Mais pour moi, c'est le vide total. Et parfois, j'ai
des gens me confient leurs soucis et me disent qu'est-ce
que t'en penses, et là, je n'en pense rien.
Je ne pense rien. Souvent, je téléphone
à mon mari, pour lui demander ce qu'il pense,
et donc, je rebalance ce qu'il pense. J'intègre
assez rapidement, une fois qu'on me l'a dit. Mais
j'ai un blanc total au niveau de la… c'est comme
si j'étais abrutie, totalement, au niveau de
la réflexion. Il me faut une base pour la recracher.
Donc du coup, ça aide dans mon métier,
parce que je dois re-résumer des choses que
les gens ne savent pas faire parce qu'ils sont souvent
trop techniques. Et j'arrive à les rendre compréhensibles.
Mais pour ce qui est d'avoir un point de vue, une
idée originale, ou une idée tout court,
c'est le blanc, comme si j'étais un sac vide
et qu'il n'y avait rien dedans.
Gaétan : j'ai un peu cette
même impression, d'être vide intérieurement,
et je suis entre deux façons d'être.
A la fois, un buvard, dans l'incapacité d'avoir
un avis, et de tout absorber. Et en même temps,
quand j'ai un avis, je suis incapable de l'expliquer,
ou de l'argumenter, en tous cas, d'argumenter. Et
à partir du moment où quelqu'un d'autre
va me contredire, je le vis très très
mal. Alors à choisir, je préfère
être un buvard, que plutôt… parce
que quelqu'un qui va penser différemment de
moi, j'entends pas que c'est un avis. Son avis à
lui, et que ça ne m'engage à rien. Mais
du coup, je me sens… ma parole n'est pas entendue.
Donc ça me met dans une situation de désarroi,
de colère, de ce qu'on veut. L'impression de
ne pas être entendu. Quitte à choisir,
autant être entendu.
Delphine : mais tu fais quoi,
alors ? Tu adoptes le point de vue de l'autre ou tu
te refermes ?
Gaétan : Ce que je fais
? ça peut… j'ai du mal, parce que moi,
je vais essayer de parler, de donner mon avis, et
je ne m'entends pas, je ne vois pas comment je parle.
Et bien souvent, l'autre, ou les autres me renvoient
: "mais t'énerve pas". Et plus on
me dit "mais t'énerve pas", et plus
ça me titille, parce que j'entends, ce que
je comprends, c'est qu'on ne m'entend pas, du coup.
Et ça peut aller très loin dans la discussion,
jusqu'à un claquage de porte, ou après,
je suis dans la situation où je suis vachement
mal et je vais m'excuser. Parce que j'ai dépassé,
où j'ai l'impression d'avoir dépassé
les bornes ou les limites. Et j'ai l'impression du
coup, d'avoir blessé l'autre, alors qu'il me
dit, "mais t'énerve pas, c'est pas la
peine de te mettre dans ces états là".
Je me prends les choses en pleine poire. Jamais aucun
recul. Je suis à fleur de peau. C'est pour
ça que je lis beaucoup. D'où cette impression
de vide. Pas : qui je suis ? mais : qu'est-ce que
je pense ? Je ne sais pas ce que je pense. C'est ça.
Et le syndrome du perroquet, c'est ce que j'entends.
Des fois, c'est ce que je disais à ma thérapeute,
je vais prendre ce que je lis pour argent content.
Parce que je suis tellement perturbé que j'ai
du mal à avoir un avis. Et ça m'a joué
des tours, parce qu'au bout du compte, il y a toute
une période où les gens ne voulaient
plus me parler.
Virginie : Moi, je me suis demandée
si c'était pas quelque chose de l'ordre de
rentrer dans l'autre, dans sa pensée. Si c'était
pas quelque chose du domaine ou d'un problème
de fusion ; de ne pas avoir bien intégré.
L'autre ayant fait infraction physique, est-ce que
il y aurait quelque chose de l'ordre de l'altérité,
de l'autre, de soi et d'autrui, la cassure n'ayant
pas été bien faite, ce qui fait que
je me fusionne avec trop de facilité dans ce
que pense l'autre, pour le restituer enfin; Tout en
étant moi-même consciente d'un vide intérieur.
Mais ça c'est aussi dû à ce problème
d'individu, de l'individualité qui ne s'est
pas faite, quelque chose de cet ordre là. Et
ça va même, cette notion de fusion ;
une fois, je sais que j'avais mon chat sur les genoux,
j'étais comme ça, et je fusionnais complètement
avec lui. Et à un moment, je lui ai même
léché la tête, je me suis prise
pour la mère chat. Et je pense que c'est ça,
le moteur qui fait que je m'imprègne de ce
que dit l'autre. Par exemple, aussi, quand les gens
ont un accent autour de moi ; ça m'énerve,
parce que je prends l'accent dans les cinq minutes
qui suivent. Je prends le même accent, que ce
soit un accent marocain ou anglais. Je suis incapable
ensuite de garder mon accent français. Dans
les cinq minutes qui suivent. C'est le perroquet,
je m'entends parler.
Zoé : C'est vrai que…
mon avis. Et d'une, déjà, j'arrive pas,
quand j'ai un avis, j'arrive pas à le dire.
Ou parfois, ça arrive que j'arrive à
exprimer ce que je veux dire. Mais il suffit que la
personne en face me sorte un argument que je pourrais
balayer, bien je vais me mettre… je vais être
finalement de l'avis de la personne qui est en face
de moi. Je me dis, "vu comme ça, en fait,
c'est vrai". Et j'y crois.
Delphine : et tu crois plus à
ce que tu croyais avant.
Zoé : Non, voilà.
Et je me suis rendue compte que comme ça, ça
n'allait pas, et du coup, maintenant, ça me
pose problème parce que je me mets beaucoup
en retrait. Je suis assez solitaire. Rencontrer des
gens, voir des gens, je vais être avec eux.
Déjà, d'une, je vais pas oser donner
mon avis. Ou alors, je vais prendre, mais j'ai pas
envie de prendre l'avis des autres. Donc du coup,
je me mets en retrait, et voilà. Et même
comme ça, j'ai des difficultés à
avoir des amis. Il faut que je réfléchisse
au pour, au contre, avant de me dire, voilà,
c'est ça. Et pareil, comme toi, quand il y
a quelqu'un qui va avoir un accent, je vais avoir
l'accent aussi. Ou si je fréquente quelqu'un
assez longtemps, je vais adopter sa gestuelle.
Virginie : C'est flippant parce
que qu'on se dit : on n'est rien, tout est pompé
sur les autres.
Annabel : moi, les moments de
perroquet, parce que c'est pas tout le temps, surtout
que ça va de mieux en mieux, parce que je me
soigne. Donc je peux avoir des avis, je peux tout-à-fait
en avoir. Mais il y a des situations, je ne sais pas
trop lesquelles, où je cherche qu'est-ce que
les gens veulent que je leur dise, pour qu'ils m'aiment.
Parce que j'ai peur qu'ils ne m'aiment plus. Tout
d'un coup, ça me prend, mais ça prend
de façon paniquante. Et donc, je suis tout
à fait capable, par exemple, de dire à
Gaétan, sur un point : "ouais, ouais,
t'as complètement raison", et Lise me
dit le contraire, et cinq minutes après, je
dis à Lise "ah ouais, ouais… "et
à chaque fois j'y crois, qu'elle a complètement
raison. Et donc mes enfants ont souffert de ça.
Et donc, voilà, je commence par chercher ce
qui leur ferait plaisir, frénétiquement,
donc moi, je n'existe plus. Et quelques fois, dans
des situations qui ne sont pas familiales ou affectives,
plus professionnelles ou quelque chose comme ça
; je cherche la méthode. Qu'est-ce qui faut
faire ? Donnez moi une méthode. Donc je cherche
frénétiquement une méthode.
Delphine : je ne comprends pas.
Annabel : ben si j'ai une méthode…
Delphine : mais de quoi ?
Annabel : de pensée, d'opération,
de traitement du truc. Quel est le mode d'emploi,
quelle est la marche à suivre, dites-moi ce
qu'il faut faire pour que vous soyez contents. C'est
ça qui est derrière. Et c'est pas moi
qui pense le truc. Et neuf fois sur dix, quand je
suis dans cet état là, ça ne
va pas. Quand je suis en état normal, de pensée,
d'appréciation de situation, ça marche.
Mais quand ça me prend, le perroquettage, je
ne m'en rends pas compte, donc je suis dedans ; c'est
qu'après, que je comprends que je me suis plantée.
Ou c'est les autres, qui me renvoient… et je
me dis, qu'est-ce que c'est encore que je fais…
mais le problème, c'est qu'on identifie pas
quand tout d'un coup ça nous prend.
Virginie : Oui, c'est vrai, parce
que ce que tu dis ; de faire plaisir, ou de ne pas
oser s'interposer. Dans le cadre de l'association,
on reçoit des mails des fondatrices de l'association
qui donnent toujours leur avis. Parce qu'on essaie
que chacune ait un avis, et que ce soit démocratique.
Alors en principe, je reçois un premier mail
de l'avis de Lise, mettons, qui me dit : "moi
je pense que…" je suis complètement
d'accord avec elle, je renvoie un mail et je dis,
"je suis complètement de ton avis".
Il se trouve qu'après, Delphine renvoie un
autre mail où elle émet un avis différent,
et là, je suis mal, parce que je suis aussi
de l'avis de Delphine, et que pourtant, c'est pas
le même avis que Lise. Et là, j'ai envie
de répondre à Delphine : "je suis
d'accord avec toi", et là, il y a problème
puisqu'elles ne sont pas d'accord entre elles. Et
réellement, je crois que je suis d'accord avec
elles. Et là, je suis obligée de faire
cet effort et de me dire qui suis-je, et que pensé-je
réellement ? Moi. Ensuite, je vais répondre
moi, mon avis, mais en m'excusant d'exister. Et là,
avec la trouille, parce qu'en plus je ne veux pas
que quelqu'un soit mécontent. Après,
c'est le compromis. Il faut arriver à trouver
une manière.
Annabel : Sur le fond du traitement,
de faire des choix, et tout, c'est pas ça qui
me… je suis capable de les faire. Mais c'est
le truc… je veux que les autres m'aiment, quand
je suis dans cet état là. Et donc, je
suis capable de déraper complètement
par rapport à la question posée, ou
je suis capable de manipuler, de mentir ; on est au-delà
du compromis, quand même. Parce que la chose
la plus importante, c'est surtout, que la personne
avec laquelle je suis en relation
m'apprécie.
Zoé : Virginie, quand
tu disais tout-à-l'heure Lise va avoir un avis,
Delphine un autre avis, moi je vais être au
milieu, et puis je voulais dire, souvent, je me retrouve
dans un rôle de médiateur. Trouver un
terrain d'entente, et ne pas avoir un avis neutre,
des choses. Je me suis rendue compte, même dans
les choix que je faisais, face à… dans
les choix sur mes lieux de travail, ou quand je sortais
en discothèque, c'est toujours des gros trucs
un peu anonymes, où tu sais qu'il y aura du
monde, et où… comment dire, et où
il n'y a pas d'âme. Et il n'y a que dans ces
endroits là que je me plaisais. C'est pas très
clair ce que je dis.
Annabel : Tu peux te noyer dans
le monde…
Zoé : oui, dans un endroit
où à la limite, t'as pas d'avis à
donner, faut juste remplir l'espace. Mais je me suis
rendue compte, à un moment donné, que
ce n'était pas moi, quoi.
Virginie : Il y a aussi un truc
par rapport à cette impossibilité d'avoir
une opinion, c'est que c'est hyper stressant. Le problème,
c'est comme je disais, soit je suis l'opinion de mon
mari, soit celle de Delphine, si elle a parlé
en dernier. Mais si mon mari me dit, non, elle se
plante, alors là, c'est très flippant,
je me dis : lequel des deux est faux. Alors là,
il y a un moment d'angoisse, il y en a un qui a tort.
Et là, c'est hyper angoissant. Et donc, par
rapport à ça, j'ai besoin d'avoir l'avis
de la majorité. C'est-à-dire, ce que
tu [NDLR - le modérateur] disais tout à
l’heure, l'avis officiel. Et ça, ça
va très loin. C'est par exemple, même
quand il sort un film qui fait un best-seller comme
Titanic, je me fais un devoir d'aller le voir, même
si je déteste ce genre de films, mais je me
dis "c'est un film qui a extrêmement bien
marché, et il est important d'aller voir tout
ce que tout le monde aime". Pour me rassurer.
Et je ne peux jamais aller voir un film d'art et essai
et le trouver bien, c'est pas possible. Donc je ne
vais voir que des choses qui ont été
plébiscitées. Il faut que ce soit de
l'avis général. Parce que comme je n'ai
pas d'avis, si je suis l'avis de quelqu'un, je peux
me dire : si ça se trouve, ce mec là
est complètement fou, et donc c'est flippant,
parce que je n'ai aucune sécurité. Et
je tiens énormément aux statistiques.
Alors là, s'il y a plus de 50 % des gens qui
pensent quelque chose, c'est hyper rassurant pour
moi, et c'est la majorité.
Annabel : je voudrais revenir
sur ce que disait Gaétan. On a l'impression
d'être le perroquet parce qu'on n'est pas entendu.
Et de toutes façons, on ne sera pas entendu.
Ils en ont rien à foutre, au fond, de ce qu'on
pense. Et là, ça me met dans des états
de rage, de pulsion, de colère où j'ai
envie de hurler et de tout casser… et le truc
"calme toi"… a marqué de nombreuses
années de ma vie, où ça me rendait
folle, parce que je me disais, mais ils n'entendent
pas sur le fond. Et tout ce qu'ils trouvent à
me dire, c'est calme-toi. Donc ce qu'ils veulent,
c'est que je me taise. Evidemment, ça me renvoyait
à ce sur quoi je m'étais tue, qui était
absolument abominable. Mais quand il s'agissait de
vider la poubelle ou de ranger sa chambre ou de prendre
son bain, par exemple avec les gosses, c'était
un déplacement total. Et quand ils me regardaient,
les trois, comme ça, en disant : "mais
calme-toi"… mais je crois qu'ils m'auraient
tapé avec des fouets, c'était pas pire.
Lise : bah, pour aller dans le
syndrome, je dirais que je pense comme Gaétan,
Virginie, et comme Zoé. Et, c'est pas l'accent,
que j'aurais pris, mais à un moment, je me
suis remise à lire des classiques comme Britanicus,
Horace, et tout ça, et bien je me suis mise
à parler en alexandrins. C'est venu comme ça,
ça venait comme ça. Je ne pouvais pas
faire une petite phrase, et puis ça rimait,
c'était du passé du subjonctif, et puis
c'était tout ça. Et parfois, j'ai tendance.
Donc j'entre en plein dedans.
Delphine : Et toi, t'as pas ça
?
Isabelle : J'ai pas ça
parce que je fusionne et je défusionne une
fois que je suis seule.
Annabel : Comment tu défusionnes
?
Isabelle : bien c'est-à-dire,
si la personne en face m'impressionne suffisamment,
si la personne a un certaine aura, je vais être
complètement avec la personne. Mais deux heures
après, je vais me dire "mais c'est pas
moi qui pense ça". Donc je ne me reconnais
pas trop là-dedans. Et je n'ai pas envie d'être
aimée, j'ai pas envie de plaire si j'ai pas
un objectif derrière.
Virginie : oui mais en même
temps, tu disais tout-à-l'heure que t'étais
dans la séduction.
Isabelle : Oui, mais quand il
y a un objectif derrière. Ou si c'est un moyen
de défense.
Annabel : parce que la séduction,
ça peut ne pas être pour se faire aimer,
mais pour dominer.
Delphine : Mais vous après,
quand vous rentrez chez vous, vous avez un avis ?
Ou vous oubliez, une situation inconfortable ? dans
les exemples que vous avez donnés, de la majorité
ou du dernier qui parle, soit médiation ? Est-ce
qu'ensuite, quand vous êtes en dehors de la
situation, vous y repensez et il y a un moment où
vous avez un avis , ou est-ce que non.
Zoé : moi, mon avis, ce
serait la médiation.
Delphine : Tu ne te refais pas
le film pour avoir un avis ?
Zoé : non, je me le fais
pour arriver à la médiation. Alors des
fois, j'ai la tête comme ça, mais…
je ne tranche pas.
Lise : la question que je me
pose, parce que des fois, je suis consciente de faire
ça, et je me dis stop ; il faudrait que je
pense autrement… ça vous dit quelque
chose, ce que je dis ? c'est pas tout le temps, quoi.
Delphine : oui, ou tu as un peu
de recul dessus.
Virginie : Non, moi je suis tellement
persuadée d'être tarée que j'ai
peur que si j'ai un avis, il risque d'être taré,
pathologique. Donc j'ai passé ma vie à
harceler mon psy pour qu'il me donne son avis, mais
il disait qu'il n'était pas là pour
donner son avis. Mais je pensais que c'était
une légitimité : moi, malade ; lui,
psy, donc non-malade, donc lui allait me dire quoi
faire. Bon, évidemment, c'est pas ce qu'ils
veulent faire. Et moi, ça me laisse après
dans un état d'angoisse terrible, pour répondre
à ta question. Je suis terriblement angoissée,
et j'ai besoin d'une béquille psychologique.
Donc en général, c'est mon mari qui
sert à ça, pour me remettre les pendules
à l'heure. Je lui expose le problème,
et donc, comme il me connaît suffisamment, il
ne me donne pas son avis, il me donne mon avis : il
dit, je pense que pour toi, c'est mieux ça.
Mais en fait, je lui mets un rôle de béquille,
de personne à penser à ma place, me
connaissant et sachant ce que j'aurais fait dans cette
circonstance là. Et si je l'ai pas lui sous
la main, je vais appeler Delphine, qui me connaît,
pour qu'elle me dise : oui, bah pour toi, c'est peut-être
mieux ça. C'est quand même toujours des
gens… c'est une démarche un peu thérapeutique
: je suis la folle, ils doivent dire…
Annabel : est-ce que c'est des
gens en qui t'as confiance ? Est-ce que le rapport
de confiance est important ?
Virginie : Totalement. C'est
pour ça que je cite Delphine, ou mon mari ;
je vois à la limite, même, personne d'autre.
Il faut absolument en fait, que ce soit un autre moi.
Et là, on est encore dans la fusion. Comme
si c'était une tête de raccordement,
une autre tête. Un double.
Gaétan : Moi, j'ai peur
de ma subjectivité. Je crois que c'est ce qui
fait que je ne peux pas, ou j'ai des difficultés
à avoir un avis, ou à le défendre,
en ayant, quand même, peu de distance. Je pense
que je me vis comme pas normal, de toutes façons.
C'est difficile d'avoir un avis. En bout de course,
je voudrais être parfait. Donc comme ça
n'est pas possible ; c'est le poids, probablement,
de mon éducation, je voudrais être parfait.
Donc je suis… on parlait il n'y a pas très
longtemps dans la confusion - et je suis dans une
parfaire confusion. Mais j'ai… j'ai un avis,
pour te répondre. Mais en même temps,
il n'est pas légitime. Je me sens disqualifié.
Virginie : J'arrête pas
de prendre la parole ; je pensais que j'avais rien
à dire à cet atelier, et en fait. Il
me semble que en fait, ce qui ne va pas, et ce que
j'ai pu ensuite comprendre au cours de ma vie, c'est
que les gens, il me semble qu'ils ne se posent pas
la question de savoir si c'est légitime ou
si c'est normal. Ils vivent juste en se disant : "est-ce
que j'en ai envie, est-ce que c'est bien pour moi,
ou pour d'autres". Alors est-ce que c'est lié
à l'inceste, parce qu'effectivement, ce qu'on
nous a fait, c'est parce qu'on a eu envie de nous
le faire ; on ne s'est pas posé la question
"est-ce que c'était un droit, est-ce que
c'était normal , on l'a fait juste par envie".
Et cette espèce d'obsession maintenant, de
ma part, de vouloir ne vivre que ce qui est du bon
droit de ce que pense la majorité, vu la déviance
initiale. Je ne sais pas ce que ça a avoir.
Parce qu'en fait, je sais que mon psy me disait plusieurs
fois : "mais arrêtez de vous poser la question
de si c'est normal ou pas, vous êtes ce que
vous êtes, et ce qui compte, c'est que vous
soyez heureuse et équilibrée".
Ce qui comptait, c'était mon bonheur. Et ça,
j'ai du mal à intégrer : mon bonheur
et mon avis ne comptent pas, il faut que ce soit :
le droit. Donc, comme je ne suis pas dans le droit,
parce que je suis malade, je suis tarée, je
n'ai pas de légitimité. Il y a une obsession
de la normalité. J'ai tellement peur, que je
sais pas si c'est sous prétexte que j'ai eu
une histoire d'inceste, je suis de toutes façons
pas normale et irrecevable.
Le modérateur : Annabel,
tu voulais dire…
Annabel : oui, parce que je pensais
; nous pensons, je m'associe, que les autres sont
dans la légitimité, ont le droit. Donc
en fait, on se considère quand même à
la marge. Et moi, j'ai éprouvé quand
même ce sentiment toute ma vie, sans comprendre
pourquoi je me sentais pas comme tout le monde. Sans
comprendre pourquoi je me sentais assez dégueulasse,
d'ailleurs, je ne voyais pas. J'ai compris. Et je
pense que c'est lié. Si on se sent comme ça,
c'est sûr, pour redonner son avis, pour se sentir
agréer, c'est pas facile.
Le modérateur : il est
cinq heures ; est-ce que quelqu'un a quelque chose
à dire ?
Lise : Oui, je voulais juste
dire, par rapport à ce que j'ai entendu ; Virginie
l'a assez bien résumé à la fin,
et ce qu'a dit Gaétan, moi, jusqu'à
maintenant, et jusqu'à il y a quelque temps,
je me disais, je suis malade. Partout où je
me présentais. Et depuis quelque temps, je
ne me dis plus : je suis malade. Et je pense que AREVI,
je ne veux pas faire de compliments… je ne voulais
pas dire ça parce que j'avais peur d'avoir
l'air de faire des compliments à AREVI, mais
je ne me dis plus, je suis malade, maintenant. Dans
ma famille aussi, et puis d'ailleurs, on m'a dit :
toi, t'es malade. Mais maintenant, je ne dis pas,
je suis moins malade, je ne le dis plus.
Virginie : Bah l'avantage, c'est
qu'on s'aperçoit qu'on est une bonne majorité,
déjà…
Lise : Oui, mais je crois que
j'ai évolué, et je suis contente de
penser ça.
Annabel : Moi, ce que m'a apporté
l'association, c'est justement, le fait de découvrir
que les autres personnes qui ont vécu le même
truc horrible, moi je trouve que c'est des gens très
bien. Donc ça me renvoie une autre image de
moi. Quand j'avais que ça, à porter
mon fardeau moi toute seule avec les autres dehors,
je me sentais vraiment à la marge. Mais depuis
que je peux en parler avec d'autres personnes, que
moi, je trouve intelligentes, formidables, ça
me renvoie aussi une image très positive de
moi, donc je me sens mieux au dehors.
Le modérateur : est-ce
que quelqu'un a quelque chose à ajouter ?
Delphine : C'était une
bonne idée de faire AREVI, Virginie.
Le modérateur : On termine
cet atelier. Je vous remercie tous, pour ces expressions
sur cette thématique qui est était un
peu interrogeante de par son thème général
"des crises d'imbécillité",
mais effectivement, au vu de ce qui a été
dit, on a bien vu qu'il y avait beaucoup de choses
à dire. Je ne sais pas si la prochaine date
a été arrêtée ?
Delphine : Elle sera début
février, et on la mettra sur le site.
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