Atelier du 26 novembre 2005

“Mon rapport à l’argent” – atelier du 26 novembre 2005

1) Préambule et fonctionnement d’atelier
2) Comment j’utilise l’argent pour acheter ? Qu’est-ce que j’achète avec mon argent ?
3) Quel rapport financier avec un psy, et pourquoi payer ma thérapie ?
4) Ce que me coute la demande de rétribution de mon travail

1) Préambule et fonctionnement d’atelier

Lecture du préambule.

Le modérateur : En ce qui concerne…
La logique des ateliers. Les ateliers sont une opportunité pour les acteurs victimes d’inceste et leur entourage impacté par les pratiques incestueuses de partager une parole sur leur expérience dans un contexte d’écoute libéré de toute contrainte morale.

La périodicité des ateliers. Les ateliers sont proposés sur une périodicité trimestrielle avec une proposition thématique sur l’année. La durée de deux heures et demie doit permettre la participation active au niveau de la parole comme de l’écoute, de l’ensemble des acteurs.

L’utilité des ateliers. Il s’agit de l’accueil non restrictif de l’ensemble des paroles des victimes de pratiques d’inceste dans leur dimension de connaissance psychologique, émotionnelle, sociale, socioprofessionnelle.

La parole dans les ateliers. La parole ainsi que les silences sont offerts aux acteurs sur la base de leur désir avec une régulation du temps liée au nombre de participants et aux thèmes de l’atelier.

Le recueil de la parole. L’ensemble du discours pendant les ateliers est enregistré afin d’en permettre une retranscription fidèle qui permettra la réalisation de synthèse thématique.

La synthèse de la parole. Ces synthèses ont pour objectif pour chaque membre de l’atelier de pouvoir, s’il le souhaite, retrouver sa parole, garder sa parole, et peut-être retrouver par une nouvelle manière, par une nouvelle écoute, la parole de l’autre, de positionner sa parole et son expérience au sein de la parole des autres. Dans un deuxième temps, elles ont pour objectif de permettre une lecture plus large, mais aussi plus complète, des connaissances, expériences, ressentis par l’ensemble des acteurs concernés par la problématique des conduites incestueuses. Il s’agit de communiquer l’expertise et sur l’expertise du discours non programmée des acteurs victimes. Et enfin, dans un troisième temps, elles permettront dans le cadre d’une démarche scientifique au plus proche de la parole des acteurs, une analyse du discours sur le vécu des victimes, en vue d’une publication.

Je vous rappelle que c’est un atelier d’une durée de deux heures trente ; on va se donner à peu près pour chaque sous thème 40 minutes de paroles. La thématique qui avait été choisie est : “quel rapport j’entretiens avec l’argent ?” Trois sous thèmes :
– Comment j’utilise l’argent pour acheter ? Qu’est-ce que j’achète avec mon argent ?
– Quel rapport financier avec un psy, et pourquoi payer ma thérapie ?
– Ce que me coûte la demande de rétribution de mon travail.

2) Comment j’utilise l’argent pour acheter ? Qu’est-ce que j’achète avec mon argent ?

En ce qui concerne le premier sous thème, c’est une réflexion autour de l’argent, de ce qu’il représente dans une dimension sociale assez générale. Et après, qu’est-ce que représente l’argent dans la logique d’achat, quand on parle de son propre argent ; donc d’une dimension plus individuelle de ce côté financier.

Qui souhaite prendre la parole ?

Delphine : je veux bien commencer. Ben moi j’en perds beaucoup, de l’argent. Pas nécessairement ce que j’achète mais j’en donne beaucoup aux gens qui mendient dans la rue. J’en perds, je sais pas comment je fais mon compte, mais j’ai du mal à garder l’argent. C’est pas que je le dépense, mais… il n’y a pas très longtemps, ma mère – parce que j’ai beaucoup de frères et sœur – nous a fait une donation d’argent, en disant “autant que vous en profitiez maintenant”. Et mes frères et sœurs n’ont pas fait pareil mais moi j’ai placé cet argent de telle sorte que j’ai quasiment tout perdu, assez vite, et que… voilà… comme si… et ça ne m’a pas vraiment dérangée. Cet argent venait de la famille donc je pense peut-être que je me suis dit que ce serait pas mal que ça disparaisse. … redis le thème…

Le psychologue : Comment j’utilise l’argent pour acheter ? Qu’est-ce que j’achète avec mon argent ?

Delphine : Ah oui… bah voilà, j’utilise l’argent comme ça. Ou bien pour acheter des choses mais pas pour moi, en général. Ça me paraît toujours possible d’aider ma sœur qui a un enfant, et qui en aura bientôt deux, et qui n’a pas un super gros salaire et son mari non plus. Et donc de payer des trucs pour ma nièce et tout ; et puis pour moi, je trouve ça plus compliqué. J’ai jamais spécialement envie. Ou je trouve toujours que je dois économiser, que je dois faire attention. Puis j’ai toujours peur d’en manquer, aussi, de l’argent.

Virginie : Moi c’est pareil, j’ai toujours peur d’en manquer mais du coup, c’est une catastrophe, ce qu’elle dit qu’elle en perd parce que en fait, moi, je n’en perds pas du tout ; je sais où il est, je le dépense, mais je ne le perds pas. Je le dépense… et effectivement, j’ai le stresse de ne pas avoir d’argent. On n’en avait pas d’argent, quand j’étais petite, et puis en plus, ma mère avait un boulot où elle mendiait quasiment parce qu’elle était ouvreuse de cinéma. Donc ce qui rentrait, c’était ce qu’elle recevait dans la main. Donc c’était très fluctuant, absolument pas sécurisant parce qu’il n’y avait pas la notion de salaire. Donc effectivement, moi, ma sécurité entière en tant qu’individu repose sur l’argent. Si j’ai pas d’argent, mais même pas énormément, c’est à dire avoir un petit chez moi, puis… bon, et à part ça, je ne fais pas du tout mes comptes, c’est tout au pifomètre. J’ai trouvé un truc, c’est d’avoir des messages par SMS de ma banque le matin. Donc ça je suis obligée de les lire, et comme ça je sais où j’en suis. Mais j’ai une trouille bleue d’aller voir l’état de mon compte.

Delphine : Mais quoi, ton banquier il t’envoie des sms ? mais c’est juste pour toi ?

Virginie : non, non, c’est un service payant. Et bon évidemment, je ne remplis pas mes talons de chéquier et je suis complètement au pifomètre. Donc c’est à la fois une trouille… j’ai pas besoin d’avoir beaucoup d’argent, même si on n’a pas eu d’argent et qu’on était émigré, j’ai pas eu le trip d’en vouloir beaucoup. Mais pour moi, c’est la sécurité de ne pas être à la rue.

Delphine : je peux juste reprendre la parole ? c’est pour dire que ça me fait penser que… je suis presque gênée de dire ça mais je crois que ce qui m’angoisse horriblement, c’est d’être riche. Je ne peux pas supporter cette idée. Je ne veux pas ressembler à mes grands-parents, à cette famille très bourgeoise. Alors quand je dis que j’ai peur de manquer, c’est que j’ai besoin d’avoir ce qu’il faut pour vivre mais l’idée d’être riche me dégoûte profondément.

Virginie : on peut s’arranger…

Mireille : moi j’ai envie de dire que je ne sais pas compter. A chaque fois que je fais mes comptes, je me trompe tout le temps, j’oublie des retenues, je… je fais aussi un petit peu au pifomètre, et pourtant je suis issue d’une famille où il fallait toujours compter. Il n’y avait pas beaucoup d’argent. J’ai quand même fait des études avec des bourses, donc je devais faire très attention. Et cependant, je fais très attention quand c’est pour moi, pour acheter des vêtements, c’est toujours trop cher, je vais toujours essayer de trouver ce qu’il y a de moins cher. Par contre, j’ai dépensé beaucoup d’argent pour des livres. Des livres, des livres, des livres, je ne peux pas lutter contre les livres. Disons que dans ma vie, j’ai réussi ma vie relativement, mais le côté intellectuel, je l’ai développé. Et donc les livres, j’avais le droit de dépenser de l’argent pour des livres. Même si j’en achète certains que je ne lis pas, ou que je donne après. Donc je dirais comme ça que je ne sais pas compter. Je me trompe tout le temps. Pourtant même maintenant, je me dis aujourd’hui je m’y mets, je vais faire attention. Ben même comme ça, je me trompe. Je ne sais pas compter. Donc voilà ce qui me vient maintenant.

Sidonie : Bien moi, je vais dire que je sais compter, maintenant. Je ne savais pas compter tant que j’étais mariée, que j’étais que j’étais en couple. Mon argent ne m’appartenait pas, c’était l’autre qui gérait, et ça m’a menée à toutes les catastrophes du monde. Je me suis retrouvée par deux fois sans rien. Et alors un jour, quand je me suis retrouvée seule, j’ai dit ben cette fois-ci, c’est fini. Mon argent, c’est pour moi, je compte. Et alors ça, pour compter, je vous assure que je ne fais pas une dépense de deux euros sans la noter sur du papier. Je fais mes comptes tous les quinze jours, à la fin du mois, bien sûr ; par année, bien sûr. Ça va être Noël, j’emmène mes comptes avec moi au ski pour faire un bilan de l’année. La manière dont je le dépense, bon, j’ai pas beaucoup, donc… faut quand même bien gérer. Mais j’achète beaucoup de cadeaux pour les autres. Pour moi, bien entendu, j’achète tout en solde. Surtout au mois de janvier et au mois de juillet. Et puis de temps en temps, je me fais une petite paire de lunette de luxe parce que je sais que c’est remboursé en partie par la sécu. Les luxes que je me paie, c’est quand il y a de l’aide. Maintenant, ça me touche beaucoup parce que je ne savais pas que c’était le thème de l’argent qu’on allait aborder aujourd’hui, et ça fait peut-être deux nuits que j’en rêve, j’ai une jouissance à faire mes comptes! Et à m’occuper des comptes des autres! Mais alors là! Mais c’est un plaisir. J’ai une vieille tante de 83 ans qui n’arrive plus à gérer son argent. En ce moment, je vais voir des conseillers financiers pour essayer de voir avec elle ce qu’on peut faire. Je lui fais des aditions, j’y vais deux jours de suite, je compte pourquoi elle est dans le rouge, etc. je m’explose la tête, je reprends mon train, j’ai l’impression d’avoir fait de grandes choses, alors que je ne fais que compter l’argent des autres. Mais alors là, je ne me trompe pas. J’ai la calculette, je refais… et… ce n’est pas pour leur prendre de l’argent, hein. Vraiment, je pense que… pour aider des vieux qui peuvent plus compter leur argent, mais qui ont su bien compter. J’ai pas du tout envie d’aider les gens qui vont dans tous les sens. Mais quelqu’un qui ne peut plus à un moment, j’ai vraiment envie. Et ça, quand j’aligne les chiffres…

Delphine : mais qu’est-ce qu’il y a de jouissif à ça ?

Sidonie : je ne sais pas, maintenant, ce qu’il y a de jouissif. Je vais vous dire, j’ai un ami dans ma vie, depuis dix-huit ans, je ne le vois pratiquement jamais ; je n’ai aucune autre relation avec lui que d’ordre sexuel, et depuis dix-huit ans, on peut supposer qu’il doit y avoir autre chose. Il est bourré de fric. Et il arrête pas d’en avoir, et ne m’en donne absolument pas. Et je n’y tiens pas parce que son argent, c’est le sien, et le mien, c’est le mien. Mais j’ai une grande jouissance à approcher un homme qui a les poches bourrées et qui l’amène chez moi. Il sait qu’il ne craint rien. Son argent ne m’intéresse pas, mais j’adore le compter. J’adore le compter. Si je pouvais faire des tas! Mais après, je ne sais pas quoi en faire, et ça ne m’intéresse pas, j’ai pas envie de rentrer là dedans.

Delphine : Et puis c’est compter l’argent ; t’aimes pas compter autre chose, ou…

Sidonie : ah non! L’argent, les petites pièces à entasser, à rouler dans un papier… ça c’est une jouissance.

Bérénice : Moi, mon rapport à l’argent, en fait, ça a été un enjeu très tôt dans ma vie. C’est assez curieux mais en fait, l’argent comptait beaucoup dans ma famille, et en particulier pour ma mère. Et j’avais, petite, une espèce de don, je crois, à ne pas compter mais à savoir combien exactement il fallait rendre aux gens. Mes parents tenaient un commerce et donc quand ils prenaient des consommations, très vite, je savais combien je devais rendre aux personnes, sans décompter. C’était visuel, ça fait un rapport un peu occulte à l’argent. Et depuis, mon rapport à l’argent est resté occulte, mais je ne gère pas. Je ne suis pas quelqu’un qui gère mon argent. Je ne peux pas regarder mes comptes. J’aime pas savoir combien il me reste, ou combien il ne me reste pas. Et je crois que c’est lié à une promesse que je me suis faite, justement très jeune, de ne jamais avoir à me soucier de l’argent. Je crois que toute ma vie s’est organisée un peu comme un dispositif autour de ça, pour qu’effectivement je n’ai pas à me poser la question de savoir ce que j’ai en caisse et comment…

Delphine : Que tu ne manques pas, quelque chose comme ça ?

Bérénice : Oui c’est ça, que je ne manque pas. Et comment j’utilise l’argent, c’est beaucoup plus problématique. A la fois parcimonieuse ; par exemple quand j’étais étudiante, j’avais du mal à imaginer m’acheter des casseroles qui me manquaient. Ça ne me venait pas à l’esprit. Donc je restais avec ce qui me manquait sans imaginer que je pouvais l’acheter. J’avais pas cette… comment dire… j’avais pas l’initiative de l’utilisation de l’argent. Bien que je concevais pouvoir en acheter, mais je n’arrivais pas à passer à l’acte. C’est tout ce que je veux dire pour l’instant.

Regane : Ben moi, c’est un peu ça, en fait. D’abord, avec l’argent, quand je vais faire ma situation de compte, ce que je fais moins souvent qu’avant. Avant j’y allais quasiment tous les deux jours et puis je ne sais pas… je trouvais que c’était un besoin, et en fait, ça m’excitait aussi d’y aller. Quand j’ai… bien, un certain montant qui me convient bien, là, je suis rassurée. Je ne peux même pas dire que je suis heureuse ; je suis rassurée. Mais quand j’approche de zéro, et genre il me reste deux cents ou trois cents euros, ce qui n’est quand même pas mal… je n’ai même pas, je n’ai pas de problème de crédit, ou d’être dans le rouge ou des choses comme ça. Mais quand j’approche de deux cents euros, alors là je commence à avoir peur. Je me sens angoissée. Et par rapport à acheter ce qu’il me faut, ouais, pendant un moment aussi, je ne savais pas… c’est comme s’il me manquait un prolongement d’action financière. Je ne pouvais pas acheter. Alors c’est important pour moi d’avoir de l’argent sur mon compte, mais pas énormément. Mais je vais avoir une incapacité à la dépenser. Et c’est justement là le problème, c’est que je ne sais pas si je suis radine, ou si je gaspille mon argent. Ça dépend, je crois, de ce que j’achète. Il y a des trucs pour lesquels je ne vais pas vouloir mettre le prix alors que si ça se trouve, c’est bien pour moi, et des choses comme ça. Ça peut toucher au luxe, à quelque chose de qualité, ou bien juste à quelque chose qui me plairait. Mais alors par contre, les trucs pas trop chers qui vont juste m’encombrer et m’être d’aucune utilité, ben comme c’est pas trop cher, je l’ai longtemps fait. Mais maintenant, je suis contente, ça j’en ai fini là-dessus. Puis… voilà…

Lise : J’ai grandi jusqu’à dix-sept ans, dans une famille où il n’y avait pas d’argent. Le 3 du mois, c’était fini, c’était déjà les dettes. On payait les dettes le 3 du mois avec l’argent et c’était fini, et on partait acheter avec un carnet, surtout cher l’épicière. Et à dix-sept ans, j’ai travaillé, et là, je me suis cru riche. Et pourtant, je payais ma pension… je gagnais, je vous dis les francs de l’époque ; je gagnais au début dix-huit mille francs, et je donnais quinze mille francs de pension à mes parents. C’était impossible qu’on en donne pas ; toutes mes sœurs et frères qui travaillaient donnaient une pension. Mais j’arrivais avec ça, j’allais chez le coiffeur, je faisais plein de choses.

Virginie : Tu parles en ancien francs ?

Lise : oui, oui. Et on habitait très loin de mon travail, et j’ai acheté une bicyclette d’occasion et le marchand a bien voulu que je la paye en deux fois. Et ensuite, donc j’ai recommencé ma vie à trente-six ans ; je suis entrée au Carmel avec le motif entre autres de la pauvreté. Ça m’emballait de vivre une vie de pauvreté, comme si je ne l’avais pas connue ; et donc après, j’ai pu m’habiller. J’ai ouvert un plan d’épargne logement, et je l’ai gonflé, gonflé, et je n’ai jamais pu acheter d’appartement. J’ai demandé conseil à un financier de la poste où j’étais, qui m’a dit : “oh! Vous ne pouvez pas, vous n’auriez que 16 mètre carrés”.

Delphine : t’avais peur de quoi ?

Lise : D’acheter, de me lancer, alors que ma sœur à Paris en était à son troisième appartement. Donc j’étais toujours, je suis encore locataire. Et ensuite, d’ailleurs, dés que j’ai été à la retraite, c’est à dire il y a trois ans, le conseiller de la poste a vu que j’avais ce plan d’épargne logement plus l’indemnité de départ à la retraite, qui était d’ailleurs assez minime. Il m’a tout fait placer sur des actions. Et au jour d’aujourd’hui, j’ai perdu presque la moitié de ce que j’avais. J’ai toujours eu peur de dépenser, et j’ai toujours… oui… voilà… alors j’ai fait une demande de… je suis passée par “Que choisir”, donc peut-être que je vais récupérer ces douze millions d’anciens francs qui sont perdus. Pour le reste, je tiens mes comptes presque au jour le jour, mais je ne fais jamais l’adition, en bas. Et en début d’année, je fais vraiment mon budget, tant pour le loyer, tant pour l’EDF, etc. dons je sais que je ne dois pas dépenser tant par moi, à peu près. Et ce qu’il y a, c’est que deux fois par semaine, je vais au distributeur vérifier le solde de mon compte. Je dis deux fois, mais c’est parfois plus. J’ai la trouille de manquer. Et même si la veille je l’ai fait, si je tire de l’argent parce que j’en ai besoin, je dis allez, pendant que j’y suis… et je regarde ce qui me reste. En fait j’ai toujours thésaurisé, et je n’ai jamais su quoi faire de l’argent que j’avais. Par peur de le gaspiller, sans doute. Mais j’ai fait beaucoup de cadeaux. Et je continue… et dans la rue, l’autre jour, je me suis engagée à payer pendant un an pour une association, tous les mois pendant un an. D’habitude on donne une somme, bah non, là j’ai réussi à m’engager pour un an…

Le psychologue : je me permets juste de faire une petite remarque. Je souhaiterais vivement qu’on laisse les gens terminer, et qu’après on leur pose les questions. Mais vraiment, qu’on attende que les gens aient terminé, pour vraiment ne pas couper cette parole, et après, poser les questions.

Virginie : C’est nouveau.

Delphine : C’était pas comme ça avant…

Le psychologue : Si, si, toujours. Je pense que c’est plus simple parce que le fait de poser les questions amène l’autre à réagir finalement sur la question que vous lui avez posé et parfois de raccrocher son discours sur finalement une orientation. Alors que le fait que la personne termine, et que vous posiez la question après, là effectivement… je suis désolé, c’est pas réactionnel, mais on est bien d’accord là dessus.

Virginie : Moi je voulais juste rajouter quelque chose, qui me vient à l’esprit en en parlant. C’est que pour moi, l’idée de tenir ses comptes, en fait, c’est pas que je ne pourrais pas les tenir, parce que je m’aperçois que c’est un exercice. On part de très bas et on arrive à gérer ça. Parce que j’y arrive au bureau, je facture mon travail ; j’ai mis des années, j’ai mis quinze ans à facturer mon travail. C’est un problème d’estime de moi, c’est que quand je faisais un truc, comme j’avais une mauvaise estime de moi, je me disais ça vaut cinquante, là où ça aurait pu en valoir cinq cents. Donc là, j’ai appris. Il m’a fallu quinze ans, c’est très long, je vous le dis à tous, mais au bout d’un moment, on y arrive. Donc là, je sais à peu près que je peux facturer. Mais le problème de tenir ses comptes, c’est que j’ai l’impression que ça m’enferme. Si je tenais mes comptes, ça m’enfermerait dans une espèce de… c’est comme une perte de liberté, c’est à dire… je vais donner un exemple qui n’a rien à voir mais par exemple, je tiens énormément… j’ai pris un mari ultra libéral, je tiens à être libre dans le mariage. Alors c’est pas pour forcément le tromper à l’arrivée. Mais j’ai besoin de sentir que je peux sortir à n’importe quelle heure. L’argent, c’est pareil. C’est qu’en fait, j’ai besoin de savoir que je peux le dépenser. Et pour moi, tenir les comptes, ça voudrait dire “ben non, j’en ai plus”. Alors le résultat, c’est que je ne le dépense pas, parce que de toutes façons, je ne suis pas dépensière. J’achète des jeans à 10 euros, et puis je suis contente quand j’ai trouvé à 5. Mais je ne veux pas supposer un seul matin que je ne peux pas le dépenser. Et pour moi, faire les comptes, et conclure que le fait est que je ne peux pas dépenser, vu que je finis toujours à peu près à moins huit cents euros tous les mois. C’est toujours la même somme donc ça va, en fait il me manque juste huit cents euros. Mais bon, c’est vraiment la notion de liberté, de savoir qu’on peut dépenser, qu’on peut faire des folies. Et curieusement, à l’arrivée, je ne la fais pas, d’ailleurs. Heureusement… mais j’ai besoin d’avoir cette sensation de ne pas être dans un cadre. Je ne sais pas pourquoi je pense au mariage mais du coup, le mariage, c’est pareil, c’est un cadre, t’as pas le droit de sortir. Moi, j’ai besoin du non-cadre pour ne pas sortir. Pour moi, les comptes, c’est entravant : le débit, le crédit, c’est entravant. C’est un peu ce qui me vient à l’idée.

Nathan : Mes grands parents avaient pas du tout d’argent, et mes parents en ont gagné énormément. Et j’aimerais revenir sur la petite distinction : comment est-ce que vous utilisez l’argent en général, et comment est-ce que vous dépensez votre argent ? il y a une nuance, et notamment pour moi, dans mon expérience. Dans la vie associative ou professionnelle, j’ai un rapport assez calme à l’argent. Il y a de l’argent, on doit l’utiliser pour x ou y chose, on le fait. Il n’y en a plus, ben on ne le fait pas. C’est simple, c’est calme. Et j’ai pas de difficulté à dire des choses assez brutalement, à dire “ben non, on n’a pas les moyens de ça, donc…”. Par contre, au niveau personnel, il y a une dimension affective plus… qui est beaucoup plus complexe. Et justement, cette confrontation aux conséquences, parce que je crois que les comptes, c’est ça, c’est d’essayer de penser aux conséquences et de se donner une marge de manoeuvre. C’est pas de repousser, sans se confronter aux conséquences des actes. Er notamment, dans le cadre familial, l’argent, d’une certaine manière c’est l’incarnation du pouvoir. Pouvoir au sens fort, mais aussi au sens puissance de l’homme. Parce qu’avec de l’argent, on fait des cadeaux, on paye des études. Du coup, c’est… oui… repoussé.

Bérénice : moi il me vient quelque chose… tout à l’heure, j’ai dit qu’il y avait une espèce d’aspect… je ne l’ai pas exprimé comme une forme de chance par rapport à l’argent, mais je crois que d’avoir vécu dans une famille où le client était roi, et où on faisait tout pour de l’argent, m’a amenée à travers cette promesse d’enfant qui était donc de dire – je le rappelle – que je n’aurai jamais de problème d’argent, à aller assez loin là dedans. Il m’est arrivé plusieurs fois de perdre ma carte bancaire, et j’ai l’impression à travers ça de provoquer parfois le monde extérieur pour qu’il me ramène à cette idée que, effectivement, oui, j’ai de la chance vis à vis de ça. Parce que je l’ai récupérée, ma carte bancaire ; ou bien on me la ramenait, ou bien il n’y avait pas de conséquences fâcheuses. Je crois que je suis persuadée que jamais je n’aurai de souci d’argent, et cette certitude m’interroge. Je me dis que ça a vraiment… c’est étonnant, quoi. Je me dis aussi que je pourrais très facilement faire mes comptes si je le voulais, que ce n’est pas un handicap, que c’est vraiment une facilité ou un refus d’être comme eux, mais que ce n’est pas un handicap de ne pas faire mes comptes.

Regane : Moi ça a aussi été un moyen d’exister ; j’existe pas, donc le seul moyen pour moi d’exister, c’est de payer, d’utiliser mon argent. D’une part, et aussi, c’est ma liberté. J’ai toujours dit, moi, je peux partir, il me faut juste ma carte de transport et ma carte bleue, c’est tout ce que je veux. Et quand je suis en relation avec quelqu’un, c’est évident que je ne peux pas… alors ça… c’est évident, ça ne m’arrivera jamais, ce n’est pas possible. Financièrement, il n’est pas question que je dépende de quelqu’un. Je ne parle pas de la dépendance genre, j’en n’ai pas et il en a. C’est : j’en ai, mais c’est lui quand même qui paye tout. Non, je ne peux pas. Là, vraiment, je ne peux pas, parce que j’aurais l’impression d’y laisser ma liberté.

Virginie : le “il paie”, pour moi, il n’y a aucun souci. Ça doit être lié à l’inceste mais si c’est “il”, il paie. On peut tout me payer, je ne suis absolument pas féministe. Le mec est là pour payer, je le dis. Mais quand je dis “il paie”, c’est vraiment “ils paieront!” c’est vraiment, c’est la haine totale. Tout ce que je pourrai extorquer, je le ferai. Donc si je pouvais… mais je me suis calmée, maintenant. Ça c’est clair, je pense que c’est évident que c’est un problème d’inceste, on va dire. Mais les femmes, non, bien sûr. Je ne suis pas du tout pingre, je suis toujours la première à payer au restau. Mais c’est l’homme… l’homme paie.

Mireille : moi, j’ai l’impression que je devrai payer toute ma vie, et surtout par rapport à ma sœur. Parce que moi, mon histoire d’inceste, c’est lié à mon beau-frère, donc le mari de ma sœur, et je ne sais pas… enfin j’en prends conscience maintenant, parce que j’avais neuf ans, et il est mort maintenant. Et c’est vrai que ma sœur, j’ai voulu comme quelque part compenser
(…) maintenant je me dis, “mais t’es folle! Pourquoi t’as payé ?” et je dois encore payer. Payer quoi ? je ne sais pas, mais je dois toujours payer. Et c’est vrai que quand je dois faire mes comptes ; enfin là, mon mari, il est un peu comme moi, on ne compte pas trop. Bon, alors on se débrouille parce que ce n’est pas dramatique mais il y a des moments, je me dis : je m’y mets, je vais le faire. C’est à moi de prendre les choses en main et de décider. Mais quand je passe un après-midi à faire les comptes, je me sens très très mal et j’ai vraiment l’impression de perdre mon temps. C’est vraiment une épreuve de faire les comptes. Et en plus, je vois après coup que j’y ai passé des heures et que je me suis trompée. Donc voilà, ce n’est pas très clair…

Sidonie : Moi, par rapport à l’inceste, je me rends compte que dans ma tête, la notion, c’est “j’ai payé pour tout le monde”. J’ai payé pour tous, ils m’ont fait payer… j’ai eu à payer tout le temps. Et il y a un moment où j’ai arrêté; donc pour ça,j’ai bloqué… d’une certaine manière, une manière de dire, dés que j’allais voir mes parents, le premier repas que je prenais avec eux, je ne l’avais même pas fini que j’allais aux toilettes. Je me vidais. Parce qu’il fallait que je leur donne tout en liquide. C’était immédiat. Avec mon second mari, il me téléphonait le matin, toujours pour vérifier si j’étais là. Et au moment de lui dire “je t’embrasse”, je me trompais, je disais “je t’emmerde”. Et en même temps, je me vidais, fallait que je me précipite aux toilettes. C’était… j’étais obligée de raccrocher. Et là, quand j’en ai pris conscience, j’ai tout arrêté, et c’est là que j’ai commencé de faire les comptes et où j’ai refusé de payer. Mais j’ai tout bloqué. Et alors là, au moment où j’ai tout bloqué, je me suis fait bloquer mes comptes. Il y a eu une magouille juridique à la suite d’un problème de loyer, on m’a bloqué tous mes comptes. Et je me suis retrouvée à ne même pas pouvoir payer les huissiers. Mes comptes étaient bloqués, c’était au mois d’août, y’avait personne pour me prêter rien. J’ai fait une dépression nerveuse, alors là! L’humiliation complète. J’ai vécu l’humiliation que j’avais pas été capable! J’avais pas été capable de suffisamment fermer mes portes. Il avait fallu que la loi en dessus vienne me choper mes comptes. Alors maintenant, je vis sur deux comptes. Un ouvert, et un caché. Parce que bien entendu, dans ma famille, ils continuent à vouloir me faire payer. Là j’ai mon frère et mon père ont eu un droit sur moi, ils ont la loi qui peut leur permettre de récupérer de l’argent sur mon compte. Ils ne le font pas pare que je suis prête à leur faire payer autre chose, je sais pas comment, pas en argent, mais ce qu’il y a de sûr c’est que j’ai deux comptes. Je sais bien qu’on n’échappe pas à la Banque de France, mais… je vais retirer de l’argent d’un compte en liquide pour aller le placer sur l’autre parce que je crois qu’il est protégé. Mais je le crois pas vraiment. Mais ça me rassure, moi, quand je passe d’un compte sur l’autre. Je me dis : il y en a un, j’espère, on ne pourra pas me le toucher. Voilà. Donc c’est totalement lié au problème d’inceste. Je fais ma cuisine toute seule. Mais je veux faire payer… je veux au moins, ne plus payer. Je voudrais faire payer un peu, mais pas payer en argent. L’argent, ça ne me semble pas… et je cherche l’autre valeur à faire payer… mais… moi, je refuse, je dis non.

Delphine : Je voudrais revenir sur un truc ; c’est ce que tu dis qui m’y fait penser : faire payer les hommes… j’éprouve très vivement… je vis l’expérience inverse. Il n’est pas question que j’accepte qu’un homme paye pour moi. Bon, je vis avec une femme donc au plan de ma vie privée, ça ne se joue pas, et… dans ma vie professionnelle, je suis fonctionnaire donc il n’y a pas de rapports d’argents… c’est pas neutre, d’ailleurs, d’avoir choisi un métier où il n’y a pas d’enjeu autour de l’argent. Et il reste ma vie sociale, et je vois bien que c’est vraiment une épreuve d’accepter qu’un copain m’invite à déjeuner, par exemple. J’en ai fait l’expérience très récemment ; mon copain voit bien que ça a l’air difficile pour moi et donc il me dit “mais c’est pas grave…” ; il m’invite, il voit ma tête et il dit “non mais tu sais, c’est pas grave!” et pour le coup, ça c’est tout à fait lié à l’inceste aussi ; quand on était petit, on était acheté… je dis “nous”, dans notre famille… mes frères et sœurs et moi, on était acheté tout le temps. Ma mère dit souvent, très élégamment… mon violeur, c’est mon grand-père, le père de ma mère, et elle dit souvent pour elle, et aussi elle le dit pour nous ; elle dit qu’elle avait l’impression qu’elle était la pute de son père. Et c’est pas mes mots à moi, je ne le formulerais pas comme ça mais il y a bien quelque chose de cet ordre là, quoi. Et donc, plus jamais un homme pairea quelque chose. Quand je dis payer quelque chose, c’est acheter quelque chose de moi. Ça je refuse. J’espère que ça passera d’ailleurs, parce que ce serait plus simple.

Virginie : moi c’est bizarre parce qu’en fait, c’est un peu le problème inverse. C’est qu’en fait, mon père s’est pas occupé de moi, n’a jamais envoyé la pension, parce qu’il était divorcé d’avec ma mère, etc. et en fait, c’est l’inverse, la seule chose dont il s’est occupé, c’est effectivement de me tripoter quand je l’ai revu. Et là pour le coup, c’est l’inverse. Je me dis : et merde! j’ai rien eu. Il ne m’a pas achetée, dans le truc. Donc du coup je me dis : voilà! C’était devenu : si on me tripatouille, si on me touche, ben il faut qu’on paye. Au minimum, il faut ça. C’est un miroir.

Lise : En vous écoutant, en écoutant Virginie en dernier, je me dis que parfois je dépense, je fais… parfois un voyage… c’est pas les livres, moi j’ai dépensé, c’est parfois un voyage. Mais toujours avec le CE, donc c’est moins cher. Et comme c’est e fonction de l’avis d’imposition, je suis toujours en zone 3, en tranche 3, donc je paie 60 % moins cher. Je calcule toujours comme ça. Alors je fais des… c’est comme ça que j’ai fait quelques pays. Mais l’argent que j’ai économisé, après, je le donne, sous une forme ou une autre. Et quand j’ai beaucoup dépensé, même quand j’ai fait des cadeaux, ou que j’ai donné à des œuvres, ça m’arrive. Et bien à ce moment là, c’est là où ce que j’ai entendu me fait revenir ; j’économise, j’essaie en tous cas d’économiser, de récupérer, à hauteur de ce que j’ai dépensé, par rapport à la nourriture. Je dis : non, aujourd’hui, je n’achète pas ça… je dis j’ai assez, je peux manger avec ça… et petit à petit, je me dis “j’ai au moins récupéré la moitié de ce que j’ai versé”. Il y a quelque chose de la récupération, quelque part. je dois dire que je le fais beaucoup plus depuis que je suis à la retraite. Mais quand même, c’est un réflexe. Je fonctionne…

Nathan : alors par rapport à l’argent… toute l’histoire incestueuse est ressortie très très tard, et a duré assez longtemps, avec mes parents qui verrouillaient tout avec de l’argent comme ciment. Et du coup, je vois que les enfants, nous, on a une sorte de joie à faire dépenser mes parents. Mais c’est pas de l’argent, en fait. C’était important qu’ils gagnent de l’argent, qu’ils mettent de l’argent de côté, à un moment où ils auraient pu faire attention à d’autres choses, prendre du temps pour d’autres choses ; être attentifs, être présents, être responsables. Mais ils ont choisi de prendre ce temps là pour gagner de l’argent. Et du coup, le fruit de leur travail, dont ils ont l’usage aujourd’hui, c’est comme le fruit de l’inattention. A un certain moment, il y a presqu’une joie à le faire dilapider. Mais c’est presque plus de l’argent, quoi. C’est du temps, de l’attention… comme s’il y avait différentes saveurs d’argent. Gaspiller… quand je vois des gens gaspiller de l’argent, au sens bête, pas au sens maladroit ; au sens où ça blesse des personnes… ça me met hors de moi, mais j’ai presqu’une joie à faire gaspiller mes parents.

Le psychologue : On va s’arrêter là parce que le temps qu’on s’était donné pour le premier sous-thème est terminé. On peut faire la pause maintenant, et les deux sous-thèmes à la suite, ou bien on fera la pause après le prochain sous-thème.

(discussion pour voir si on s’arrête tout de suite ou à la fin du prochain sous-thème, et pause…)

3) Quel rapport financier avec un psy, et pourquoi payer ma thérapie ?

Le psychologue : je vous propose de passer au deuxième sous-thème, qui est intitulé de la manière suivante : quel rapport financier avec un psy ? et pourquoi payer ma thérapie ?

Virginie : moi je commence, mais je m’arrête après. Je suis entièrement contre. Je suis désolée, je suis contre. On a le droit d’avoir en France, et dans le monde, un rein malade et c’est remboursé par la sécu ; on ne paye pas d’être malade. Alors je suis désolée, quand on a un truc qui débloque dans la tête, c’est vachement plus compliqué qu’un rein, je ne vois pas pourquoi ça ne débloquerait pas. Que ce soit lié à un psycho-traumatisme incestueux ou à je sais pas quoi, on est malade. On est malade de la tête. C’est pas pour autant qu’on est fou à lier, la preuve. Donc hors de question de payer. Hors de question. Ou alors, on paye les reins malades. Alors l’histoire de Freud, machin, il faut payer pour être motivé, etc. ben dans ces cas là, c’est pareil. Les cancéreux, on sait qu’il y a une grande part psychologique dans leur guérison qui joue, alors dans ces cas là, pourquoi on les ferait pas payer aussi pour qu’ils soient motivés pour guérir ? Il n’y a rien qui tienne la route dans cette logique, je ne vois pas ; il n’y a pas à payer. En plus, quand on s’est fait violer, c’est pas de notre faute, je ne vois pas en plus pourquoi on paierait. Même sans viol… être malade de la tête, il n’y a pas à payer. Point barre. Rien que d’y penser ça m’énerve. Le psy, c’est un médecin, il est là pour nous aider, on paye nos cotisations à la sécu, ça doit être remboursé. Et sinon, moi, je le vois comme une pute, le psy. S’il se fait payer… pourquoi pas lui faire une pipe, c’est n’importe quoi, je ne suis pas d’accord. D’ailleurs l’argent, pour moi, est relativement sexuel, effectivement. Moi, quand je paie mon psy, je me sens mal. Lui filer ces billets… en plus, quand il veut du black… ça fait vraiment je lui laisse l’argent sur la table de nuit! Non!

Delphine : et alors, tu le payes pas ?

Virginie : je lui fais des chèques. Déjà, ça va mieux. Je lui fais des chèques. Je suis contre parece que c’est un psy qui est intéressé par le pognon, comme beaucoup, et qui fait du black. Le chèque passe mieux que l’argent en liquide. Mais je veux une feuille de maladie.

Nathan : moi, ça me fait penser… quand même il y a une première disctinction ; j’ai vu une psychologue, et justement, ça me faisait un peu bizarre de devoir payer. Et du coup, je me suis un peu renseigné puis il y a psychologue / psychiatre, et que psychiatre est médecin alors que psychologue ne l’est pas, et du coup, cette année, c’est psychiatre. Et du coup, c’est remboursé. Mais au delà du remboursement ou pas, moi je vois simplement le fait d’avancer… parce qu’il faut quand même payer pour se faire rembourser, c’est pas le tiers payant, etc… moi, c’est assez paradoxal, j’ai à la fois très envie de faire payer ; c’est à dire que mes parents reconnaissent une responsabilité et assument l’accompagnement des conséquences. Et en même temps, je suis très attaché à une autonomie, de dire : de toutes façons, maintenant, c’est ma vie. Et donc même si ça va me coûter, c’est à moi que ça coûte parce que c’est moi que ça regarde. Et couper le lien, couper d’eux. Mais ça peut changer de semaine en semaine. Une fois j’ai envie qu’on paye, et une fois j’ai surtout pas envie qu’on paye pour moi parce que c’est ma vie.

Delphine : parce que c’est pas toi qui paye, c’est ça ?

Nathan : non, mais simplement le fait d’avancer de l’argent, par exemple. Qui est une démarche à laquelle j’ai parfois envie que mes parents soient associés, en avançant de l’argent, etc. et parfois j’ai envie que ça ne les concerne pas du tout.

Delphine : moi je voudrais dire que je ne suis pas malade, et l’inceste, être violée pendant des années, c’est pas une maladie, et ma psy n’est pas médecin, et d’ailleurs si elle l’était, je n’irais pas. Je ne vais pas voir une psychiatre mais une psychanalyste. Et voilà… et je trouve ça normal de la payer. De payer pour moi, investir quelque chose. C’est ma part active dans ma vie, de payer pour aller mieux. Je ne suis pas malade mais c’est sûr que ça n’allait pas, et que maintenant ça va mieux. Mais c’est pas une maladie. Do,c je trouve ça normal de payer. Pour un coup, alors je fais la distinction dans les sous thèmes : ça me va de payer cette psychanalyste là, pour cette relation là, ce travail que je fais avec cette femme depuis maintenant des années. Avant, quand j’étais adolescente, puis après… quand j’avais dix-huit ans, j’en ai vu deux. J’ai vu une… j’allais dire une connasse… une psycho je sais pas ce qu’elle était celle-là ; quand j’avais treize ans, quatorze ans. Alors elle, franchement ça m’arrachait de payer, mais pourtant j’avais conscience que c’était ma vie, mon affaire. Donc je faisais le ménage chez nous, et des baby-sitting, pour me payer une fois par semaine, c’était cent balles, à l’époque. Mais vraiment… alors je voulais bien payer pour ce travail mais lui donner à elle que je trouvais pathétiquement nulle, alors que vraiment, il n’y avait aucune relation qui s’établissait, j’aimais pas ça. Après, j’ai cessé avec elle, ça a duré deux ans. Après j’ai vu un homme, un psychanalyste aussi, j’avais dix-huit ans. Donc lui, pareil, je travaillais et je le payais. J’ai payé pendant un an et demi, j’ai jamais dit un seul mot… donc je ne… j’avais du mal à payer ça, parce que justement il y avait rien. Mais payer la psychanalyste avec laquelle je fais une analyse depuis des années, et qui me sauve la vie, complètement… ma vie est complètement différente de ce qu’elle était. Je me sens vraiment tellement mieux, c’est incommensurable, en fait. Donc là, là, je trouve ça normal, je trouve qu’elle mérite plus, en fait. A chaque fois que j’ai une augmentation, je suis pas loin de lui demander si elle veut qu’on augmente parce que je trouve que c’est normal. Cette bonne femme elle m’a sauvé la vie ; peut-être la vie d’autres gens aussi mais alors moi, ça me paraît super normal de la payer. Et je suis bien contente qu’elle ne soit pas médecin. Parce que justement, ces connards de médecins qui ont rien vu, rien fait… et puis je suis pas malade. Voilà…

Bérénice : moi, j’avais du mal à mesurer l’importance de l’argent dans mon rapport à la thérapie. Et pour ce qui est de mesurer l’aspect financier avec un thérapeute en particulier, tout ce dont je me souviens, c’est que j’ai toujours peur d’oublier de payer. Et que ça m’est arrivé de ne pas avoir sur moi l’argent… parce que elle aussi, elle se faisait payer en liquide – ce qui me dérangeait, dans le principe – mais bon, ceci dit, c’était pas un problème pour moi de le faire, de la payer en liquide. Et au bout de deux fois, quand j’oubliais, il m’arrivait de lui rappeler que je lui devais de l’argent. Mais j’aimais pas ça, en fait. Mais je me rends compte que j’ai horreur d’être redevable, et que payer, pour moi, payer un thérapeute, ça veut dire qu’il y a un échange qui se met en place, et que ce que je reçois, c’est normal que je le restitue. C’est comme ça que je perçois mon rapport financier au thérapeute. Mais comme pour n’importe quel autre service, c’est pas spécifique, en fait, à la relation thérapeutique.

Mireille : ce que je voudrais partager par rapport à ça… c’est vrai que c’est pas juste d’avoir à payer dans la mesure où on a souffert, et finalement, faut payer toute sa vie pour essayer de s’en sortir ; d’un autre côté, j’ai été voir des psy assez tardivement, parce que finalement, c’est quand j’ai pu améliorer mon salaire. A un moment, je me suis sentie autonome. Au départ j’étais… enfin, je suis toujours mariée, et j’ai toujours des enfants mais au départ j’aurais eu l’impression de prendre l’argent de la famille. Parce que quand j’étais jeune, c’était hors de question. Puis aller voir des endroits où c’était gratuit, j’aurais eu l’impression de faire une sorte de mendicité. Donc pas payer, c’était pas mieux que payer. Donc maintenant je paie, après j’ai payé, donc… pas mal, à force, c’est vrai que ça fait cher… si je réfléchis, j’aurais peut-être pu faire des voyages ou autre chose… peut-être m’acheter encore plus de livres. Mais je paie aussi, avec de l’argent, ça me gêne effectivement un petit peu. Mais par rapport au travail que je fais, bien je paye, et puis voilà. Et je suis bien contente de l’avoir fait, de toute façons, et de continuer à le faire. Parce que ça m’aide à vivre également. Donc je paie, et c’est vrai que je trouve que ça fait beaucoup, ça fait pas mal d’argent qui va ailleurs à cause d’une souffrance qu’on n’a pas souhaitée. C’est pas très juste, ça, mais je le fais quand même : je paye. Et j’aurais eu un peu honte d’aller dans des centres… il y a bien des centres où c’est gratuit ; mais non, je ne suis pas allée là… comme si je dois quand même payer, malgré tout. Faut toujours payer. Et si c’est pas ma sœur, c’est mon psy. Faut que je paye. J’aurais pu aller dans des endroits où c’était gratuit mais non, je suis allée là où il faut payer.

Sidonie : par rapport au premier thème, ça me fait l’impression à la fin, qu’il y avait plusieurs sortes d’argent. Parce que pour moi, payer, ou faire payer, c’est pas forcément de l’argent, mais au moins, l’argent a l’air d’avoir plusieurs qualités : il y a l’argent de luxe, il y a l’argent des pauvres, et puis l’argent du quotidien. Alors pour moi, la psychanalyse, l’argent du travail, pour moi ça a été de l’argent de luxe, vraiment. C’est du luxe de pouvoir se payer ça. Alors je ne suis plus dans le luxe maintenant, donc je ne paye plus. Mais il y a eu une époque de ma vie où j’étais dans une forme de luxe, c’est à dire après mon premier divorce, mon premier mari a eu à payer une pension alimentaire pour moi, qui était assez conséquente. Immédiatement, bien entendu, ma famille s’est rappliquée pour me dire que je n’y avais pas droit. Que c’était pas possible, que les autres femmes faisaient sans rien, pourquoi est-ce que moi, j’aurais droit à quelque chose ? donc je devais redonner cet argent à ma mère, qui elle, la pauvre, n’avait rien etc. Bon, je ne l’ai pas fait, je ne suis pas maso… n’empêche que j’ai été très… peut-être pas coupable, par rapport à cet argent, mais quand même, je l’ai entièrement redonné en psychanalyse. Donc j’ai payé ma psychanalyste pendant des années avec l’argent que je devais à ma mère, ou que ma mère me devait. Et le jour où j’ai divorcé de mon second… le jour où je me suis remariée, j’avais plus cet argent, j’ai arrêté mon travail d’analyse, et là, je l’ai repris à mon compte. Et le reprendre à mon compte, ça ne pouvait pas aller parce que c’était trop cher, alors j’ai changé de formule, sous forme de thérapie, jusqu’à trouver celle qui me convenait, c’est à dire payée par ma mutuelle, et ma mutuelle, c’était encore une fois quelque part lié à ma mère. Donc j’avais l’impression cette fois ci qu’ c’était gratos, mais que quand même, c’était sous couvert de ma mère que c’était payé. Et il n’y a pas si longtemps que ça, quelques années, où j’ai arrêté, et où je suis retourné voir cette thérapeute qui me convenait bien, et où j’ai accepté de payer de mes petits sous à moi, en liquide. Et je l’ai fait un ou deux ans, en raclant bien les fonds les tiroirs, et puis maintenant, j’ai arrêté. J’ai arrêté, mais j’ai encore une manière de m’en sortir gratos, c’est à dire que je téléphone à SOS amitié. Alors là, j’ai l’impression que j’ai un psy, pendant une demi heure, une heure, anonyme, que je ne connais pas, etc. et avec qui je peux faire le tour de la question et qui me dépanne. Et puis vous…

Lise : j’ai deux psy qui ont compté dans ma vie, qui ont compté et qui m’ont fait compter aussi. Donc la première, c’est l’analyste, pendant huit ans, à raison de trois fois par semaine. Moi, je me sentais malade, et j’étais malade. L’inceste n’est peut-être pas une maladie, mais m’avait rendue malade. Et j’étais dans un état tel que je cherchais à guérir. Je disais, je viens pour guérir… donc, par suite de recherches, j’ai atterri chez une analyste qui était neurologue-psychanalyste, donc qui pouvait faire des feuilles de soin pour le remboursement. Donc elle le faisait, ma mutuelle remboursait le complément, ça ne me coûtait rien au niveau argent. Ça me coûtait beaucoup de faire ce travail mais… alors je lui dois à cette analyste de m’avoir fait sauter l’amnésie de l’inceste, et c’est au bout de deux semaines avec elle que tout m’est retombé dessus. Je lui dois ça. Elle me faisait payer et un jour, je lui ai avoué parce que j’étais mal avec ça, que la mutuelle me remboursant, je ne dépensais rien. Elle a dit “si! Il faut que vous payez” donc, elle m’a dit, vous allez payer une séance sur deux. Donc j’ai accepté, mais j’étais complètement… je la déteste encore à cause de ce calcul qu’elle m’a fait faire et qu’elle s’est permis de faire pour elle. Là, j’ai trouvé ça honteux : si ça coûte pas, on ne vient pas. J’étais régulière, tout le temps, mais ça, je la détes… je la hais encore à cause de ça. Donc une fois, j’étais malade, ça m’arivait, des fois j’étais malade, j’avais des maux de tête, je vomissais. ça commençait à six heures du matin, et jusqu’au lendemain matin, c’était toutes les cinq minutes je vomissais. Je lui ai téléphoné pour lui dire que je ne pouvais pas venir, que je ne pouvais pas me déplacer, même le téléphone, ça me faisait venir… et elle m’a fait payer cette séance. Elle m’a dit : comme vous n’étiez pas là, celle-ci, je vous fais pas de feuille de soin. Et je ne lui ai pas payée tout de suite, ça a traîné pendant un mois, et elle ne réclamait pas, mais c’était une telle pression mentale que j’ai fini par lui payer. Mais vraiment, avec… quand je lui ai donné l’argent, c’était un paquet de merde que je lui donnais. C’était une haine… donc j’ai arrêté au bout de huit ans. Entre temps, j’ai vu un psychiatre qui me donnait des médicaments, donc j’étais vraiment malade… et à la retraite, j’ai dit, je veux recommencer à voir une thérapeute. Et à l’aide de ce psychiatre, j’ai rencontré la thérapeute actuelle, que j’ai depuis deux ans et demi. Pour moi, c’est la perfection. Je ne suis pas remboursée parce qu’elle n’est pas médecin, donc je paye. Elle m’a fait un prix, c’est pas moi qui lui ai demandé, mais elle sait que je… que j’ai l’équivalent du SMIG, à peu près, à la retraite. Et une fois, je lui ai dit : “mais il faudrait peut-être que vous augmentiez, c’est pas assez, vous ne demandez pas assez”. Et elle m’a dit “ce n’est pas votre affaire! C’est la mienne”. Mais elle l’a dit d’un ton péremptoire, et depuis, je paye en partant, je mets 38 euros, je les dépose sur son bureau. Je suis un peu gênée de ne donner que ça, compte tenu de la qualité de ce qui se passe pour moi. Mais je l’ai tenue au courant de l’histoire de la poste, là, que je m’étais fait avoir avec le conseiller, et j’ai tout à fait l’intention de lui dire, si je récupère l’argent perdu, de lui dire : “voilà, j’ai récupéré, et maintenant, je pourrai vous payer plus raisonnablement”. Voilà, deux relations de psy, et deux relations avec l’argent. Je trouve encore honteux la façon dont l’analyste, la médecin, m’a traitée.

Delphine : je peux poser une question ? c’est donc bien dans le rapport à l’un et à l’autre des thérapeutes que ça s’est joué la question de l’argent. Pas par rapport au travail mais par rapport à ce qui s’est mis en place avec l’un et avec l’autre ?

Lise : Oui.

Delphine : Oui mais parce que du coup, là tu payes plus que ce que tu payais avec l’autre…

Lise : ah non, je paye moins. En huit ans, elle ne m’a augmentée qu’une fois, et le jour où… c’est vrai qu’elle ne me prenait pas beaucoup non plus mais… c’était à l’époque, c’était encore en francs, c’était 250 francs. Et elle m’augmente une seule fois.

Delphine : oui, donc tu paies pareil. Ce que je vois, c’est que tu paies pareil, sauf que là tu la trouves formidable et donc ça ne te gêne pas de ne pas être remboursée, et l’autre, tu dis “je la détestais pour ça” donc c’est vraiment dans la relation que…

Lise : oui, je pense, je pense que sur les huit ans… que j’aurais dû arrêter au bout de quatre ans. Donc mon rapport à l’argent… mais il y avait surtout cette histoire de faire payer. Et ça, c’est lié à Freud : il faut que ça coûte. Et moi, ça m’a toujours coûtée. Enfin, c’est le contraire de ce que je disais l’autre jour… ça coûte forcément, quand on paye.

Delphine : mais qu’est ce qui fait que ça ne te dérange pas de payer avec elle ?

Lise : ben d’abord, parce qu’elle était pleine d’attention en ne me demandant au départ que… en acceptant de me prendre en charge avec cette somme. Parce qu’apparemment, les tarifs sont… et puis je suis bien avec elle, il y a des choses qui se passent avec elle.

Virginie : je voulais préciser, par rapport à ça, c’est que l’histoire du psy, je ne le vois pas comme une espèce de rapport interrelationnel : elle m’aide, elle m’a sauvé la vie, etc. je vois… le problème, c’est l’inceste en général. J’en veux tellement à la société toute entière de ne pas prévenir ces conséquences là, de ne pas soigner les gens, de ne pas afficher partout sur les murs qu’il y a une gamine sur dix qui se fait violer, de ne pas prendre en charge ce syndrome là : je considère que la société est coupable. Si la société est coupable, parce que c’est des actes, et les conséquences sont pas loin de la maladie, pour certains cas ; il y a des gens qui deviennent tarés, qu’on soigne avec des molécules. Donc pour moi, la société étant coupable, c’est la sécu qui doit payer. Je ne remets pas en cause… donc la sécu… qui dit sécu dit médecin… c’est sûr, on peut tomber sur des psychologues qui vont être plus efficaces que des psychiatres, malheureusement. Et bon, les psychologues, peut être que si on imagine une société où les psychologues qui aident les gens seraient dans une espèce de système de sécu. Je ne sais pas : trouver un système pour que de toutes façons, dans la société, il y ait cette notion que la société a produit les victimes, ces victimes là doivent être prises en charge. Comme quand il y a un tremblement de terre et qu’il y a une cellule psychologique gratuite, et tout le monde trouve ça normal. Alors que là, on ne trouve pas ça normal. On nous fout dans un rapport interrelationnel avec Freud qui était complètement à la masse, qui à l’époque soignait des névrosés, qu’avait pas vu qu’il y avait un problème d’inceste dans sa société et puis on était dans une société où la famille était forte. Il a mis en place ce système pour des névroses, effectivement, je le conçois. Dans les conséquences du psycho-traumatisme, on est très loin de la névrose, on est dans d’autres domaines où le truc de Freud ne marche plus. Je ne suis pas d’accord qu’on ait à payer ça. Je sais pas, c’est un truc politique. Encore que dans l’interrelationnel, mais si, c’est vrai que ils doivent bien gagner leur vie. Effectivement, je le conçois, moi je fais des prestations, je me fais payer. Mais cet interrelationnel là est un interrelationnel d’aide. C’est comme si j’avais une amie qui me donnait… ça m’est arrivé parfois d’avoir des amis qui me donnent des conseils nettement plus avisés que mon psy, et c’est comme si ils me donnaient un paiement après. C’est normal d’aider. Moi, je trouve que c’est normal d’aider. Ce qui ne va pas, c’est le statut de psychologue qui est obligé de gagner sa vie sur le dos et la souffrance de… enfin, quelque chose que j’arrive pas à exprimer mais ça me paraît anormal. A partir du moment où on aide quelqu’un, on peut soutenir quelqu’un pendant des années parce qu’il va mal, on va pas le faire payer. C’est ce métier qui est bizarre. C’est un métier d’aide. Dans tous les métiers d’aide, il y a des bénévoles ; pas des bénévoles mais des gens qui sont payés pour aider, bah ils sont payés par l’Etat. Ce truc de psy est très particulier. On a l’air de considérer qu’on est dans un espèce de rapport… je ne sais pas comment l’exprimer ; c’est daté, il y a tout à revoir là-dessus. On n’a pas à payer. On a été cassé, fracassé, abusé, violé ; au même titre que des gens qui ont reçu un toit sur la gueule parce qu’il y a eu un tremblement de terre, non! Il devrait y avoir un système d’assurance, quelque chose.

Bérénice : Au Québec, l’inceste est considéré comme un crime contre la société, et pas contre la personne. La personne est témoin du crime qu’elle a subi.

Delphine : Tu veux dire pas victime ?

Bérénice : Oui.

Virginie : et payer son psy, c’est continuer à être victime toute sa vie. Alors qu’ils doivent gagner leur vie, je le conçois, je veux dire… mais c’est pas contre nous qu’il faut se tourner. Les psychologues, les psychiatres et tout ça devraient faire des manifs et se tourner contre l’Etat et dire : “voilà, nous, on aide les gens, on leur sauve la vie, il devrait y avoir un système ; on fait qu’on vous fait économiser de l’argent parce qu’entre ceux qui se tuent, ceux qui se droguent, ceux qui se font du mal, ceux qui font du mal aux autres, etc. on économise de l’argent. Il y a un calcul à faire.” Donc cet argent, il va être économisé pour éviter que derrière, il y ait les conséquences qu’on connaît. C’est tout.

Sidonie : J’ai une réaction, mais qu’est complètement… dés qu’on me parle d’Etat, et que ça pourrait quelque part être l’Etat qui pourrait avoir à gérer mon amélioration ; pour moi, immédiatement, je suis en abus de pouvoir et l’Etat pour moi est un violeur. L’Etat, pour moi, c’est un homme, il a le pouvoir sur moi, c’est un violeur, je n’en veux pas. Donc c’est immédiat. Toute personne qui a un quelconque pouvoir sur moi, y compris me passer une petite cuiller, d’une certaine manière, je considère ça – à toute petite dose mais – comme un abus de pouvoir. Et confier à quelqu’un qui a plus de pouvoir que moi mon bien-être, mais alors là, c’est terminé. Plus jamais, jamais! Jamais! Jamais! Plutôt crever que d’avoir quelqu’un qui… ha non! Ça!

Nathan : Par rapport à payer le soin, en général, ou le soin psychologique ; en médecine chinoise, on paie régulièrement quelqu’un qui… une sorte de consultant santé, et on ne le paie pas quand on est malade, parce qu’il a échoué. C’est assez particulier de payer quelqu’un quand on ne va pas bien ; ça veut dire qu’il y a échec. On voit bien dans le monde professionnel ou ailleurs que quand il y a échec, on réclame, on ne paie pas, on fait des procès, etc. au-delà de l’aspect psychologique, je trouverais normal de payer… c’est un peu extrême comme analogie peut-être mais je trouverais normal de payer l’entretien de son véhicule mais on râle quand l’entretien n’a pas été bien fait et que c’est tombé en panne. Notamment par rapport à la santé psychique, il y a quelque chose qui frappe, c’est que c’est dans les pratiques courantes d’aller tous les trois, six mois, un an, chez le dentiste pour vérifier que tout va bien, que les choses sont à peu près saines, et par rapport à la santé psychique, c’est attendre que ça craque pour faire quelque chose. Et par exemple, par rapport à la prévention ; chez les enfants, on prend pas en compte la santé psychique d’un enfant tant qu’il n’y a pas quelque chose qui craque, qui visiblement ne va pas bien. Et du coup on fait payer quand ça ne va pas. Alors que si on payait pour voir si dans le développement psychique, c’est relativement équilibré, c’est pas trop mal, à ce moment là, on peut légitimement dire à la personne qui suit : il y a échec ou pas.

Regane : Moi, je me suis présentée devant mon premier psy, payer ne me faisait ni chaud ni froid. De toutes façons, c’était la période où je payais même les aditions quand on était à plusieurs, des choses comme ça. Alors ce qu’a dit Freud comme quoi si on ne paie pas, c’est pas efficace, ça ne servait à rien du tout. C’était complètement inutile. Ça n’existait pas du tout comme principe dans ma tête. Après je me suis rattrapée : j’ai vu une psychologue, je crois que c’était dans un truc comme un dispensaire, et ça, je n’ai pas payé. Et puis bon, ça va, ça a plutôt assez bien marché. Maintenant, de payer, je l’inclus dans mes dépenses. Ça ne me pose as de…pour la personne que je vois en ce moment, ça va. Mais au début j’ai eu du mal. Je me sentais lésée, je ne sais pas pourquoi, d’ailleurs. Peut-être parce que là j’ai un bon retour, j’ai des choses comme ça en échange ; peut-être aussi que… j’en sais rien du tout en fait, pourquoi, mais là, ça ne me dérange pas du tout. Par contre, je ne pense pas que je le laisserais me mettre plusieurs rendez-vous, plus que ce que je veux, ou quoi que ce soit ; voilà.

Lise :C’est peut être un peu plus une généralité mais il y a quelque chose toujours qui me frustre, c’est que certains psy prennent… il n’y a pas de tarifs. Il n’y a pas première, deuxième, troisième, comme chez les …. Je ne sais pas comment ça s’appelle. Les psy demandent en fonction de ce qu’ils s’estiment eux-mêmes. Ils peuvent demander mille balles, c’est l’équivalent de cent cinquante euros. Et ça, je trouve ça inadmissible, c’est comme ci en payant plus, ils soignent mieux ? ou bien est-ce que c’est à cause de leur notoriété seulement qu’ils demandent cent cinquante ou même deux cents euros. Et ça je trouve, c’est estimer la personne qui demande du soin… je ne sais pas ; il y a quelque chose que je ne tolère pas.

Virginie : je voulais rajouter que par rapport aux psy, eux-mêmes, qui estiment combien le patient peut payer, ça part d’un bon sentiment, certes, pourquoi pas…. Et encore c’est parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans notre société mais j’arrête là… et aussi, c’est une espèce de toute puissance. De quel droit ? Quand on estime, quand on doit payer nos impôts, on nous demande tout un relevé détaillé, des preuves, quoi. Là, je ne sais pas : vous êtes étudiant, vous êtes ci, vous êtes ça, j’estime que… le pire des cas que j’ai connu, c’est un patient ; un mec que j’ai envoyé chez un psy, le mien, d’ailleurs… alors lui, il estimait que ce mec était dans la drogue jusqu’au cou, et donc payait des doses phénoménales de cocaïne tous les jours, et donc lui a estimé qu’il pouvait se les payer. Et donc lui, il voulait se faire payer… c’est ce que j’ai compris. Il était en train de se foutre en l’air avec le la coke, et l’autre a estimé que donc pour le coup, il avait de l’argent et… il y a quelque chose que je n’arrive pas à comprendre. Quand quelqu’un est prêt à payer de telles sommes pour se foutre en l’air, et ben l’autre estimait… il est mort d’une overdose, depuis ; et lui avait carrément demandé par séance le prix d’une dose. Il lui avait demandé combien coûte le gramme, et il lui échangeait. C’est pas le seul cas que je connais. J’ai connu un autre cas d’addiction où le psy s’estime devoir considérer que le prix de la souffrance fait que on peut payer le prix de encore plus de souffrance. C’est pas de la faute du psy, faut bien qu’ils vivent, je le redis encore. Mais il y a quelque chose qui ne va pas.

Lise : on peut penser aussi que le psy, c’est lui qui estime, et c’est pas de sa faute mais c’est quand même lui qui a décidé. Là, c’est la toute puissance du psy. Déjà, il a une certaine puissance parce que quand on est malade et qu’on se présente à lui, on peut très bien être bien soigné mais on peut très bien aussi être sous son influence et tout… donc… je trouve que… quels sont ses critères pour dire : je demande tant.

Regane : moi je veux payer le prix affiché : ni plus, ni moins. Plus, j’ai l’impression qu’on veut m’arnaquer, et c’est pas possible, je ne supporte pas. Et d’ailleurs quand j’ai repris contact avec les psy pour essayer de savoir, j’ai osé par téléphone demander le prix de la séance à chaque fois, pour essayer de trouver un nouveau psy. La dernière fois que je l’ai fait, j’ai demandé le prix par téléphone. J’étais pas à l’aise mais je me suis quand même posé la règle. Juste après, je disais : vous voulez en liquide ou en chèque, histoire de faire genre de cacher la question précédente. Mais je l’ai demandé, parce qu’il n’était pas question que j’arrive et qu’il fasse en fonction de son jugement. Et voilà.

Delphine : ce que j’entends là à propos des psy et de leur toute puissance à évaluer combien ils vont demander et tout ça ; moi je le vis de façon extrêmement brutale avec les spécialistes en médecine. Je suis allée voir – pas deux fois, d’ailleurs – une fois une dentiste pour faire un détartrage. Je suis tombée sur une espèce de bonne femme qui me dit : “oh! Faut tout refaire toutes vos dents, ouh la! La!, faut au moins caler ça sur dix rendez-vous. J’étais sciée, j’étais là juste pour mon détartrage. Je suis allée voir un autre dentiste qui a dit : “ben non, tout va bien”. Et une autre expérience qui m’a vraiment fâchée, contrariée, c’est quand je suis allée voir une neurologue. Avant, j’étais un peu allée voir un neurologue à la Pitié-Salpétrière pour les migraines. Parce que maintenant c’est les neurologues qui ont des médicaments pour soulager la migraine, et j’en avais pris un petit peu, puis après plus. Et puis il y a tellement monde qu’a la migraine qu’à Lariboisière, ils ont fermé la consultation ; à la Pitié aussi. Il y avait d’abord six mois d’attente pour les rdv, et puis après, ils ont carrément fermé la consultation. Résultat, ils renvoyaient sur le privé. Je suis allée voir sur leurs conseils une neurologue spécialiste, pas super loin de chez moi ; et alors là, c’est le pouvoir total. La bonne femme… c’était 90 euros la consultation, pour me prescrire le médicament et pour me poser même pas trois questions et me dire “oui, je pense que vous avez la migraine”. Mais quel abus! De tout! 90 euros remboursés que dalle, parce que c’est aussi plafonné à des trucs de remboursement de spécialistes. Et là j’ai trouvé que le rapport entre ce que je gagnais et ce que je lui donnais était tout à fait en ma défaveur, ce que je n’ai jamais éprouvé avec la psychanalyste avec laquelle je fais ce travail. J’ai trouvé que sur le coup, les professionnels de la santé ne se gênent pas non plus pour établir les barèmes qu’ils veulent, les prix de consultation qu’ils veulent. Et encore elle a dit : c’est 90 euros, c’est une simple consultation. Je ne sais pas ce que c’est quand elle fait autre chose.

Sidonie : oui, moi je ressens un grand soulagement en ce moment ; il me semble que ça arépondu à une de mes questions, si on va voir quelqu’un et qu’on se fait arnaquer parce que c’était la première fois, parce qu’on t’annonce le prix ; et bien : tu vas voir ailleurs. Que ce soit un psy, un dentiste… sauf si tu as eu un accrochage psychologique, et alors là, ben on est près à payer. Quand on est amoureux… on y met le prix si on veut que ça dure. Et puis c’est tout. Et puis le jour où tu peux plus payer, ben t’arrêtes.

Lise : je voudrais rajouter ; avec l’analyste, au bout de quelque temps, j’aurais voulu arrêter avec elle, parce que sa façon de me faire payer tout ; et je me suis crue obligée de continuer. C’est peut être ambigu ce que je raconte, mais j’arrivais pas à dire non. Mais mes hésitations, c’était dû aussi à cette façon de me faire payer.

Virginie : le fait est que ce que disait à l’instant Delphine, c’est que effectivement, quand on voit que visiblement un spécialiste nous arnaque, en général on réagit assez vite. Le truc vicieux avec la psychanalyse, c’est que de toutes façons on part coupable. Elle a raison, on a beaucoup de mal à partir ; on est pris dans une relation, ils arrivent à nous foutre dans la tête que c’est comme ça que ça doit se passer, entre Freud l’a dit et machin. Et en général, on sent, on débarrasse beaucoup plus difficilement, alors ça crêve les yeux que quand un garagiste ou un neurologue nous arnaque, on se tire en général. Là, il y a quelque chose qui est difficile parce qu’on considère qu’on doit payer pour la souffrance.

Bérénice : moi, il y a quelque chose qui me dépasse là-dedans, c’est que j’arrive pas à ce raisonnement pour moi mais j’imagine toutes les personnes qui n’ont pas les moyens de se payer une psy et qui sont obligées d’aller en CMP, et là, je trouve qu’il y a un problème. Je trouve que c’est grave que ce système ne permette de soigner que des gens qui en ont les moyens.

Lise : j’ai travaillé en CMP, et il y avait aussi de bons psy en CMP. Il y en avait des moins bons, mais ça, c’est un problème de société aussi. Je réagis parce que j’ai vu aussi des gens très bien.

Regane : je voudrais rajouter que si je paie en dessous du prix affiché, ben je vais me setir menacée. Je m’attendrais à ce qu’il y ait un revers quelque part, ou quoi que ce soit, et puis ça va déclencher un besoin chez moi de combler cet écart, c’est bizarre, tout ça. Moins cher, j’ai l’impression qu’on va me piéger. Plus cher, ben on me piège aussi.

Le psychologue : merci. Est-ce que quelqu’un veut ajouter quelque chose ? Alors nous faisons une pause de dix minutes.

(…) Pendant la pause, Lise raconte sa première rencontre avec sa première psy, qui lui a dit au bout d’un quart d’heure : “faites plutôt du yoga, je ne peux pas vous prendre”. Et puis Lise s’est mise à pleurer, parce que c’est insupportable. Et au moment de se lever, elle lui dit “écoutez, je vous redonne un rendez-vous”, et Lise est revenue. Delphine demande si elle l’a détestée tout de suite, et Lise répond que oui, le fait qu’elle dise “je ne peux pas vous prendre”. Sidonie fait remarquer que la psy l’a jetée et qu’elle y est retournée. Chacun y va de son commentaire, faisant remarquer qu’on fait en général en fonction de ce qu’on peut faire, et que si on est soumis, si ça fait mal, on fait ce qu’on peut. Et il y a aussi la question de la présentation… si on présente bien, si on n’a pas l’air de souffrir, alors les psy se demandent ce qu’on vient faire chez eux. Mireille fait remarquer qu’on ne sait pas trop ce que ça veut dire, être malade, ou avoir l’air malade, et que là, ce qui compte, c’est ce que Lise y mettait. Tout le monde s’accorde que c’est bizarre, et puis que les psy ne sont pas tous bons.

4) Ce que me coute la demande de rétribution de mon travail

Le psychologue : je vous propose d’attaquer le troisième sous-thème, intitulé “ce que me coûte la demande de rétribution de mon travail”. Ça concerne donc aussi bien les logiques de demande d’augmentation, que pour les gens qui sont indépendants, d’évaluer et de se faire rétribuer le travail qui est le leur. Ou même, dans des logiques, quand on est à la recherche d’un emploi ou qu’on va se présenter pour un emploi, où on vous demande d’évaluer le salaire qui est le plus en adéquation avec le travail qu’on va vous demander et les compétences qui sont les vôtres.

Bérénice : c’est dur. Je me rends compte qu’il faut vraiment que je sois dans un bon jour pour aborder le sujet avec mon employeur. Déjà, demander une augmentation, je peux avoir le sentiment que c’est juste, mais je me rends compte qu’il faut que j’ai précédemment, que les jours précédents, j’ai fourni une quantité de travail qui ait justifié le fait de demander quelque chose. C’est vraiment pas facile à négocier. Je préfère vraiment partir si ça va pas, ou si j’estime que je vais essuyer un non ; je préfère partir par anticipation, plutôt que d’avoir à demander quelque chose et négocier un prix plus fort ailleurs. Dans une situation neuve, c’est possible, mais dans une situation existante, où il va y avoir prise en compte d’éléments, d’interactions, je préfère négocier…

Mireille : il n’y a pas de souci puisque je suis dans l’éducation nationale, je suis payée, donc, j’ai été augmentée par les concours, par l’ancienneté, ça s’est fait tout seul. De temps en temps faut faire un dossier et puis on attend, et parfois c’est oui, parfois c’est non, mais si c’est non, c’est l’année d’après. Enfin ça s’est bien passé par rapport à ça. Je voudrais donner un autre exemple que je vis ; parce que je suis dans l’enseignement privé sous contrat, il y a des comités d’entreprise. Donc je suis au comité d’entreprise depuis… enfin, j’y suis, j’y suis pas, mais enfin, on a le droit d’être rétribuée… il y a des heures de délégations payées par l’employeur. Hé bien, et là, c’est du bénévolat. Enfin, je l’ai fait en bénévolat alors que je peux être payée si je le demande. Mais c’est vrai que si je ne demande rien, on ne me paie pas. Alors qu’en fait, l’employeur, s’il applique la loi, il doit payer. C’est prévu comme ça. Donc j’ai mis pas mal d’années, j’ai une collègue avant moi qui avait fini par obtenir ce paiement. Moi, j’avais fini par me décider ; j’ai fait souvent des lettres de demande, et puis je les gardais pour moi, et puis un jour, j’ai fini par le faire. Donc au départ, cet employeur, il joue un peu à cache-cache. Donc j’avais pas de réponse, et puis finalement, la réponse, je l’ai eue quand j’ai mis une copie à l’inspection du travail. Donc là j’ai pu être payée un petit peu. Mais disons que pour toutes les années où j’ai fait ce travail bénévolement, je demande presque rien. Donc là je me dis, est-ce que… il y a cinq ans ; j’ai le droit de demander une rétro-action pour les cinq ans ; je ne l’ai pas fait encore. Il faudrait que je le fasse, je pourrais le faire. Mais à chaque fois, c’est très très difficile. Comme si j’allais… oui, une fois, j’ai demandé, un jour où justement il y avait l’étude des colles de l’établissement, où justement je ne comprends pas grand chose par rapport à l’argent, mais ça ne fait rien, ça a le mérite d’être présenté et puis je ne suis pas seule, et donc il avait pris ça en disant : “oui, ça va être trop cher”. Il avait dit : “oui, de toutes façons, vous les aurez, mais si l’établissement est en difficulté, ce sera de votre faute et je le ferai savoir”. Bon, et ça s’est stoppé là et après j’ai écrit à l’inspection du travail et ça a été payé, et maintenant il ne dit plus rien. Mais faut à chaque fois que je demande. Et je dois demander, et c’est difficile pour moi.

Delphine : pourquoi ?

Mireille : pourquoi ? si je savais répondre. C’est pas une œuvre de bienfaisance que je fais. C’est pas… je ne sais pas. Comme si quelque part… pourtant j’y passe du temps à cette histoire. C’est du travail, c’est du boulot… mais pourquoi, pourquoi… c’est une difficulté de demander en général. Pas seulement de l’argent, en fait… Là, je demande de l’argent, mais c’est le fait de demander. Faut jamais demander, faut jamais rien… c’est ça qui reste du passé. Ne rien dire, ne pas poser de questions, de quoi tu te mêles ; en quoi ça te regardes… donc heureusement que j’ai un travail qui n’a pas nécessité… enfin, c’est peut-être pas par hasard que je me suis retrouvée là. Pour mon boulot, c’est un certain confort parce que j’ai rien à demander, en fait. L’avancée se fait. Donc c’est cette sécurité là que j’apprécie. Et heureusement que j’ai pas fait un autre boulot, j’aurais peut-être pas été capable d’en faire un autre. Enfin bon, on en sait rien.

Lise : oui, moi, je veux dire aussi que j’ai choisi la même option, c’est à dire de ne jamais avoir à demander parce que lorsque j’ai commencé ma vie professionnelle, je faisais du dessin, comme j’habitais Lyon, le mieux, c’était d’aller faire pour des grands soyeux lyonnais, de faire des tissus, de faire des models. Et très rapidement, je me suis rendue compte que quand je m’amenais avec mon grand carton à dessin, j’avais le droit à la main au cul etc. et que je ne pouvais faire mes dessins que si j’y passais toujours dans le rapport de pouvoir. J’ai tout de suite compris que ça, je ne pourrais pas, donc j’ai tout de suite laissé tomber et je me suis dirigée vers l’enseignement pour être sûre que je n’aurais jamais à monnayer pour être payer parce que j’aurais à être payée d’une autre manière. Je crois pas que je me sois retrouvée dans n’importe quelle situation de ma vie avec des hommes qui avaient le pouvoir sur moi sans qu’ils demandent la main au cul. Qu’ils soient avocats, c’est terrible, il n’y avait pas moyen. Donc, j’y ai échappé, et j’ai fait ma carrière comme ça, tranquille, à l’avancement. Ça y est, je suis à la retraite, j’ai ma sécurité, j’ai ma base, qui ne revient qu’à moi. C’est de l’argent qui n’est pas de l’argent pauvre comme mes parents, comme de la misère, comme de la prostitution, c’est de l’argent moyen. Pour moi, c’est une idée du moyen. Maintenant, c’est vrai que j’ai un petit désir qui serait d’avoir de l’argent de luxe. Alors l’argent de luxe, maintenant, pour moi, je fais de la peinture et mon luxe, c’est de vendre mes tableaux. Et ça, la vente de mes tableaux, ça c’est mon argent de luxe. Alors comment s’estimer ? me revoilà à la case départ… c’est à dire est-ce que je vends mes tableaux au prix… à quel prix je m’estime pour les vendre ? quelles sont les références, etc… je crois que j’arrive à m’y retrouver maintenant. Je ne suis pas dans la référence de luxe, je ne suis pas dans la référence de pauvre, je veux un argent de luxe, moyen. Et puis si je ne l’ai pas, tant pis, puisque j’ai ma base. C’est simplement un luxe. Ça, c’est situé par rapport à moi. Moi, où je me situe, je n’ai pas peur, je ne solde pas, je ne vais pas taper dans le luxe parce que c’est pas la peine je veux m’estimer à ce prix là. Mais j’estime que c’est correct qu’il y ait tel prix en dessous de tel tableau, par rapport aux références que j’ai. Maintenant il y a un prix auquel j’ai du mal à me faire estimer, et là dessus je me bas avec un budget juridique, c’est à dire ma valeur de fille dans la famille. Ma mère est décédée il y a sept ou huit ans, je n’ai pas eu ma part de succession, parce que mon père a préféré toujours prendre ses intérêts dessus et se garder sous le coude en le mettant à son nom. J’ai fait une procédure, je suis toujours en procédure depuis sept ans contre cet homme qui a maintenant 94 ans. C’est dur de faire une procédure à un homme de 94 ans qui commence à mal aller et qui en est en ce moment à me demander de l’aide. Et moi, je dis, tant qu’il ne m’a pas donné ma place de fille avec la succession de ma mère et qu’il se reconnaît mon père en me donnant ma place de fille : je dis “non!”. Cet argent, je m’en fous, même si je l’ai jamais. Mais cet argent me revient, il n’est pas à lui. Il n’a pas à mettre le coude dessus, même si d’une certaine manière légale, il continue. C’est ma place, c’est mon prix ; on ne peut pas… sans que je gueule et que je hurle, on ne peut pas me le squizzer sans que je dise rien. Et je vous assure que c’est pas facile, parce que moi, je suis une bonne fille. Moi, tous les vieux, je veux bien les aider. Mais là, ça m’est très dur et je dis non.

Nathan : je voudrais revenir sur la question du bénévolat, de la vie associative et du travail bénévole et du travail professionnel. Moi je débute tout juste dans la vie active, et par rapport à (…) mais il est absent. Il a passé son temps à gagner de l’argent et c’était son rôle, quitte à le renforcer pour compenser le fait qu’il n’avait pas les autres rôles de père. Du coup c’est le rôle attitré, et du coup, je me suis énormément investi dans les mouvements associatifs, à faire beaucoup de chose, à mettre beaucoup d’énergie, mais comme si j’avais pas le droit, en fait, d’être payé pour ça. Parce que c’est pas mon rôle. Et du coup, c’est extrêmement difficile de dire : “ce que je fais, ça vaut tant et il faut me le donner”. Et c’est assez drôle parce que dans le concret, j’ai assez de mal à le voir, à le faire, à le dire. J’ai l’impression, quand je vais au bureau et que je fais des choses, que je ne fais rien. Que ce que je fais ne sert pas à grand chose. Et c’est seulement en fin de projet, quand je vois les budgets et ce que ça a rapporté à la boite, ma part dedans, je me dis… c’est gonflé, et ça repose quand même beaucoup sur ce que j’ai fait et… il y a de l’argent qui va là et pas dans ma poche…et il y a un problème, quoi. Mais oui, je trouve que c’est très lié à des questions de rôles familiaux, des questions de légitimité de gagner de l’argent par le travail. D’une certaine manière, ça enlève la protection de mon père. Si il n’a plus ce rôle là, il se retrouve face à ses responsabilités, ses autres responsabilités. Et du coup, j’aurais touché au bastion… le responsable économique.

Virginie : ben moi j’ai démarré… dans mon métier… là, je suis graphiste mais c’est pas un métier, j’ai pas fait d’étude, je suis tombée dedans un peu au départ par hasard, parce que j’ai découvert le Mac. J’ai commencé à bricoler des petits trucs, et quand je dis bricoler, ça a duré des années parce qu’en fait, j’avais fondamentalement l’impression de bricoler et de m’occuper… et surtout, d’avoir réussi à trouver une niche parce que j’étais complètement désinsérée socialement et je n’aurais pas pu travailler dans un bureau, etc. et donc j’ai vu mes premières années de travail, plus de dix ans, comme un espèce d’atelier protégé qui me servait à… je sais pas quoi… il n’y avait aucune notion de travail payant. J’arrivais pas à facturer ce que je faisais. Au bout d’un moment, j’ai fini par apprendre. Oui, j’ai appris. Mais j’avais vraiment l’impression tout le temps d’être un imposteur. Alors si, mon associé m’obligeait à facturer, et c’était atroce, ça me foutait des migraines. Je faisais les factures, je savais pas quel prix mettre. Je me disais… et quand j’envoyais la facture, j’avais toujours cette notion où je me disais : ils vont s’en rendre compte que je suis… que c’est une imposture. Pour moi, c’est relié au statut social. Parce que comme je n’avais pas fait d’études, dans ce sens, c’était illogique de demander de l’argent pour ça. Je sais pas pourquoi. Et ça c’est débloqué connement, c’est qu’un jour, ils ont eu besoin d’un graphiste dans une agence, et c’est un copain qui m’a dit : “vas-y!” faut y aller demain matin, ils sont dans l’urgence, etc. donc je suis arrivée la peur au ventre en me disant, je ne sais pas comment… et j’ai pris un café le matin avant d’arriver là-bas, j’ai dégueulé dans les chiottes, je me suis dit : ils vont s’apercevoir que c’est une imposture totale. Le truc délirant. Evidemment, il y avait zéro imposture, j’ai fait le boulot plusieurs fois, je l’ai fait, et à l’époque, ils ont effectivement trouvé ça normal de me payer trois mille francs de la journée. Il a fallu qu’ils me paient une fois, deux fois, que je revienne, que je me dise “ben non, ils m’ont payée”, et donc c’est trentré dans ma tête que ça valait tant. Et qu’apparemment, ils ne s’en faisaient aucun problème. Et ça m’a… ça a commencé à me débloquer. Et ensuite j’ai bossé là-bas, en tant que salariée, pendant quelques mois, juste le temps de me rendre compte que j’étais pas adaptable dans le monde du travail parce que je me suis tirée après. Mais pour le coup, ça m’a débloquée après, j’ai acquis un statut. Il y avait marqué : graphiste ; il y avait marqué : ça coûtait tant. Et voilà. Je crois que chez moi, c’est parce que j’ai pas fait les études qui amenaient là. Ils fallait que ça vienne d’en haut. Pas l’Etat mais… Quelque chose d’en haut qui dise : voilà, elle est ça, donc elle a droit à ça. Mais ça ne pouvait pas venir de moi. Il fallait que ça vienne d’une espèce d’autorité. En plus je suis dans un métier chiant par rapport à ça à l’idée de me faire payée, parce que je suis obligée d’évaluer. Un coup ça peut coûter tant, comme ça peut coûter tant. Donc j’ai fini par régler le truc en étant hyper pointilleuse sur le travail que je rends. Et là, quand on me dit qu’on est content de mon travail, je peux, ça me va. J’aurais jamais pu travailler pour des sociétés d’aide, puisque vous l’aurez compris, l’aide ne se paie pas. Mais comme c’est pour des sociétés qui engrangent de l’argent et que je suis dans la pub et que ça les aide à rentrer de l’argent, je considère que j’ai ma part.

Lise : bravo! Si!

Delphine : moi je ne suis pas capable. J’ai jamais été capable de discuter d’argent, ça me dégoûte. Je ne peux pas en parler dans les rapports professionnels. Je ne suis pas non plus fonctionnaire par hasard ; c’est pas la raison qui m’a incitée à passer des concours mais je trouve ça très rassurant de ne jamais avoir à parler d’argent. Concours, dossier, ok, mais jamais on n’a à aborder ces choses là. Même les choses que j’ai fait à côté, ou e plus, une charge de cours, ou quelque chose comme ça, ça rentre toujours dans des cases, on n’a pas à discuter d’argent. Je ne peux pas avoir de négociation d’argent, d’aucune sorte. C’est comme les blagues scatologiques ou les réflexions comme ça. Ben l’argent, c’est comme le caca, je trouve ça aussi inapproprié d’en parler. Alors c’est bien, fonctionnaire.

Bérénice : je trouve que c’est facile de dire : un café, ça coûte tant, un coka cola, un orangina, tout ça… mais qu’est-ce que je vaux, moi ? ce qui me vient, c’est le doute. C’est plutôt que je me dis : comment l’autre apprécie ce que je fais ? j’ai du mal à me positionner moi, de façon objective. Mon travail. C’est une sorte de vide à ce niveau là, qui est… et alors c’est très difficile de demander aux autres combien ils gagnent, aussi, pour pouvoir aussi se positionner à peu près justement dans un marché. Il m’est arrivé quelques fois de donner des cours, en plus d’être salarié. Etre salariée, en fait, c’est pas très compliqué. Quand même, ça peut s’évaluer et se relativiser assez facilement mais donner des cours, et donner un prix, c’est pas évident. Je crois que je n’ai pas envie de savoir comment faire. Il y a aussi quelque chose de l’ordre du refus d’aborder ces choses là. C’est pas du dégoût, c’est une absence, plutôt.

Virginie : je voudrais rajouter aussi que par rapport à ça, en fait, l’idée, c’est que quand on travaille, on produit quelque chose de l’ordre des neurones, de la cogitation, le résultat d’études, etc. et on est fondamentalement positionné comme sujet capable de raisonner et de produire. Mais en tous cas, ça reste au niveau de la tête. Mais par contre, autant j’ai eu du mal à me dire que je pouvais produire quelque chose en réfléchissant, et être payée pour ça, et j’ai mis quinze ans à essayer. Autant, je me suis fait payer les rapports sexuels à l’époque quand j’avais pas de sous, il y a une vingtaine d’années. Et là, j’avais aucun problème à évaluer du tout. Je l’ai fait très peu de temps, et là, du coup, ça touchait le physique. Alors je ne sais pas si c’est effectivement lié à l’inceste, c’est à dire que je suppose avoir eu beaucoup de mal à me considérer comme sujet. Par contre comme objet, je veux dire, j’avais vingt ans, j’avais aucun problème à l’époque à me situer dans des milieux d’Arabes qui avaient du pognon et qui pouvaient en sortir. Donc c’était pas le trottoir pur et dur mais là, je savais très vite, très jeune, j’ai pu donner un prix. J’ai considéré que j’étais blonde, baisable, et que ça valait tant, et que c’était tant la nuit, etc. et là, ça a été immédiat. Alors… curieusement, je pense que ça reste encore immédiat parce que bon, j’ai arrêté, évidemment, mais si demain on devait me dire : “tiens, combien tu vaux ?” ben je ferais une décôte de l’âge, parce que j’ai quarante ans, mais j’aurais aucun problème. Sur moi en tant qu’objet, j’ai aucun problème. Je vais dire, elle fait pas de sport, voilà… j’arriverais à me situer. C’est curieux, ça me fait penser aussi à quand j’ai bossé dans cette agence, ces métiers où… on embauchait des mannequins, et c’est pareil, c’était de la marchandise ; donc il y avait le tarif A, le tarif B, le tarif C, celle là elle côte tant… mais c’était basé sur le physique. Et là, j’ai jamais eu de mal. Et là, je pense qu’il doit y avoir un lien dans le sens où j’ai utilisée purement comme objet, et pas comme un sujet capable d’engranger quelque chose de valable, de côtable.

Delphine : ça me donne envie de réagir, ça me fait penser que… je pense que j’ai choisi ce métier, pas uniquement parce qu’on ne parle pas d’argent, mais c’est que je fais un métier où je ne produis rien, je ne sers à rien. C’est absolument pas utilisable. Chercheur, ça sert à rien! J’aurais pu être poète, qui serait d’ailleurs encore moins bien payé, mais c’est mon maximum de ce que je peux produire d’utile. C’est à dire, rien. Et je pense que ça c’est complètement lié aussi à l’inceste, ou aux questions de sous dans ma famille, où mon père a bien fermé les yeux et m’a laissée là-bas parce que mon grand-père payait le loyer, les vacances, etc. mon grand-père payait des choses matérielles, concrètes, et donc tout ce qui est mon travail rétribuable à moi, ça ne peut pas être quelque chose de concret.

Virginie : mais ça sert!

Delphine : bof. On produit du savoir.

Mireille : ça rebondit un peu en moi, parce que moi au départ, j’aurais aussi voulu faire de la recherche ; j’ai commencé des études supérieures mais bon, au début de ma vie, vers mes vingt ans, j’étais en échec, donc j’ai pas pu faire de la recherche. Mais sinon, j’aurais eu envie aussi de faire ça. Bon, dans différents domaines, notamment en génétique. Puis je repense aussi à autre chose qui me vient en tête. J’aime bien aussi la géologie, et je trouvais ça très marrant d’aller trouver des fossiles ; ce qui me vient, ça s’appelle des numulites, ça n’a aucune importance, et même en génétique, compter des drosophiles, et des drosophiles, ça sert à rien, mais je trouvais ça super. Je rejoins ce que tu dis. Mais malheureusement, à ce moment là, j’ai pas pu le faire, et donc plus tard, j’ai fait du… mais au départ, c’était vraiment ce que je voulais faire : quelque chose qui ne sert à rien, ça me tentait beaucoup. Pourquoi toujours vouloir faire quelque chose qui sert à quelque chose, je ressens ça aussi.

Lise : il y a quelque chose que j’ai vécu, dans ma vie, au niveau de l’estimation de soi ; une positive, une négative. Quand ma mère est décédée, elle est partie en maison de retraite, elle était en HLM, et quand ma mère est décédée, donc on est une famille de neuf enfants encore vivants, je suis dedans. Mes frères et sœurs se sont rassemblés – je n’étais pas au courant ; mon frère violeur, lui, il est dans son pays étranger – et se sont partagés, j’allais dire, le butin. Je n’étais pas informée. Et donc j’ai appris deux ans après, que le partage des biens avait été fait chez une de mes sœurs où j’ai vu un buffet. Et je lui ai dit : ce buffet là, il me dit quelque chose. Et elle me dit : “mais tu sais, il était chez maman ; tu sais, on s’est partagé ce qui restait, il n’y avait pas grand chose, donc moi j’ai eu le buffet, unetelle a eu…” et j’ai dit “ha bon!” et je n’ai rien dit d’autre. Et je n’ai encore jamais parlé à la famille, comme pour l’inceste, je n’ai jamais parlé de ça. Donc j’ai été squizzée complètement de l’héritage, assez léger mais quand même. Et il y a eu d’autres occasions comme ça dans ma vie, où je… je vais dire la deuxième, c’est le positif. Actuellement, j’ai été demandée – par une amie avec qui je fais l’alphabétisation dont la mère a 96 ans – pour faire la lecture. C’est une femme qui ne voit plus clair et qui lisait beaucoup donc ça lui manque. Elle est en maison de retraite, je vais la voir. Et sa fille avait estimé de me payer, je crois, 8 euros de l’heure, ou 7 euros de l’heure. Donc j’étais deux heures avec cette dame, elle est à Paris, et le travail consiste à faire un peu de lecture mais elle est âgée, au bout d’un quart d’heure elle s’endort, alors je la promène, on va au jardin, et tout… je me disais, c’est quand même pas cher payé pour ce que je donne, surtout qu’une personne âgée demande beaucoup d’attention. J’étais d’une présence… et j’ai réussi à dire au bout de… Françoise m’a appelée en me demandant des nouvelles, commentça se passait, et j’ai réussi à lui dire : tu sais, je passe deux heures… j’ai peiné, j’ai peiné à lui dire, mais j’ai fini par lui dire : “c’est quand même pas beaucoup payé”. J’ai pas dit “pour la qualité de mon travail…”, j’ai pas dit ça quand même… et elle m’a augmenté. ça fait un an. Et cette dame dit… elle m’aime beaucoup, et j’estime que quand même, je vaux bien les 25 euros qu’elle me donne pour les deux heures que je passe avec sa maman.

Delphine : tu lui as demandé sur ce ton là ?? avec cette petite voix ?

Lise : j’avais la trouille! Et en même temps, intérieurement, je tenais à y arriver. Donc elle a dû le sentir. Et puis elle est plutôt…c’est un peu sec quand elle parle, mais sa maman est tellement contente, en même temps, c’est… pour cette dame, c’est comme une après-midi de présence.

Delphine : mais quand tu dis que tu avais du mal, tu pensais qu’elle te dirait non ?

Lise : j’étais gênée de demander, parce que c’est une personne âgée. Ce sont des gens qui ont de l’argent, je veux dire. Peut-être que je l’aurais fait gratuitement pour des gens pauvres. Mais c’est des gens friqués, là. Au départ, elle m’a demandé, elle trouvait que j’étais bien pour sa mère.

Mireille : comment ça se fait que tu n’étais pas là au partage des affaires de ta mère , tu étais où, toi ?

Lise : c’était à Tour, chez une de mes sœurs qui a plusieurs maisons. Elle a été prévenue.

Virginie : je ne sais pas si c’est une digression mais les histoires d’héritage de l’abuseur. Est-ce qu’on estime devoir hériter…

Le psychologue : on peut l’envisager pour un futur atelier (…)… il reste cinq minutes, est-ce que quelqu’un a le désir de rajouter quelque chose par rapport à ça ?

Bérénice : oui, moi je viens de faire le lien entre une histoire familiale et un comportement professionnel qui ramène à l’argent. C’est que je me rends compte, je m’explique pourquoi je refuse les CDI ; on m’a proposé plusieurs fois des CDI et c’est en général à ce moment là que je claque la porte. C’est que je ne veux pas, en fait… ce que je ne veux pas, c’est avoir le sentiment de devoir quelque chose. Et j’anticipe d’une situation où l’employeur pourrait ne plus avoir besoin de moi (changement de face de cassette)…
J’ai appris qu’il fallait qu’ils signent une clause de non reconnaissance dette pour que l’argent puisse être donné. Et je me souviens avoir réagi en disant : “mais je m’en fous d’avoir cet argent ou pas, c’est pas ça l’important, mais je ne veux pas avoir de dettes ; je ne veux pas devoir quelque chose”. C’est la même chose dans le travail, je ne veux pas… comment dire : imposer ma présence à l’employeur qui n’aurait plus de travail. C’est bien dans le rapport à l’argent que ça se situe aussi. Et la sécurité.

Sidonie : avec ce qu’on vient de dire là, je voudrais dire que je suis très intéressée par un prochain atelier par rapport à l’argent et à l’abuseur. Parce que je me rends très bien compte que ma partie luxe actuel de peinture est tout à fait liée au viol. Que cet homme avait beaucoup d’argent, et que ma seule manière à moi de le récupérer, c’était un gros lard, un gros cochon… et c’était ni du lard, ni du cochon, et que moi je fais de l’art, et que je veux que ce soit payé à un prix luxueux mais je n’attends pas qu’on me le donne ; je veux le conquérir. Je veux récupérer sur le gros lard et le gros cochon. C’est important parce que c’est la deuxième partie, c’est le luxe.

Regane : Moi, juste… c’est pas une rétribution financière mais c’est vrai que j’ai arrêté de donner sans rétribution, sans rien en retour. Donc tous les actes, toutes les aides que je pouvais apporter et pour lesquelles j’attendais pas de rétribution parce que c’était un service et des choses comme ça, bah je les fais plus. Parce que j’attends bien une rétribution. Enfin, je trouve ça mieux.

Delphine : tu veux dire, tu ne veux plus rendre de service, par exemple ?

Regane : ouais. Ou alors, faudrait être sûre qu’il y ait quelque chose en retour. Parce que j’ai toujours donné, sans rien en retour, et donc là, non. Je veux qu’il y ait un retour. Et en fait, il y a des choses que je pourrais faire, et avoir de l’argent, mais je sais bien que… je ne peux pas accepter d’avoir cet argent là, donc je ne le fais pas.

Delphine : comme quoi ?

Regane : c’est des choses que je sais faire, pour lesquelles je pourrais être payée, mais que je ne veux pas faire.

Delphine : tu veux dire, comme un boulot ?

Regane : oui, c’est ça. Mais ça rejoint ce que quelqu’un disait tout à l’heure. L’aide, ça ne se paye pas. Moi il y a des choses que je ne peux pas faire payer. Seulement, en même temps, je veux pas les faire sans être payée, donc je ne les fais plus. Je résous le problème comme ça.

Le psychologue : merci beaucoup. Il est 17h, nous avons respecté nos trois sous-thèmes. Merci à tous pour la qualité de la parole et les questionnements que ça a fait naître, et qui feront certainement l’objet d’une réflexion pour la prochaine thématique de l’atelier.