ATELIER du 9 avril 2016 – LA PARENTALITE – Animé par Soraya de Moura Freire
Nombre de participant(e)s : huit (six adhérentes d’Arevi, Luc Massadier psychiatre, Emmanuelle Cesari art-thérapeute, Soraya de Moura psychologue).
Luc expose son sujet de recherche sur la parentalité qui a comme point de départ le travail à la Maison du docteur Bru à Agen, établissement qui reçoit (depuis vingt ans) des jeunes femmes victimes d’inceste, jeunes mères, qui se construisent ou se reconstruisent dans un cadre dédié à l’analyse et aux soins liés à cette problématique familiale.
Le thème du secret de l’inceste dans la famille, sujet et cause de l’inceste est lancé en début d’atelier. L’enfant mis au secret, pourquoi ce secret existe t il, pourquoi l’enfant garde t il le secret de ce qu’il subit. Lorsqu’on devient adulte et parent le secret est il toujours actif, y a t il besoin de révéler les faits aux membres de la famille, à ses propres enfants.
La première intervenante N. évoque le souvenir du père entrant dans sa chambre lorsqu’elle a douze ans, qui vient pour la première fois la masturber. A l’instant de l’acte, le secret est scellé, l’enfant sait qu’elle doit se taire.
Le secret semble être consubstantiel de la transgression.
Devenue mère d’une fille de 22 ans aujourd’hui, N. a fait en sorte que le secret soit dit à sa famille (qui n’a rien dit, notamment sa mère) mais aussi à sa fille lorsque celle ci a commencé à avoir des comportements que N. jugeait dangereux (comportements notamment sexuels à l’adolescence). Aidée par une psychologue, la mère a parlé à la fille de 14 ans et le secret est devenu un lien entre elles, une force de réflexion et d’engagement affectif et intellectuel.
La deuxième intervenante S. évoque les confidences intimes, les exhibitions, les menaces de suicide de sa mère lorsque S. était enfant. Elle évoque également la relation perverse de séduction et d’agression que sa mère entretient avec elle et ses enfants (une fille et deux garçons). Le souvenir de l’inceste subi par S. avec le grand père maternel reste enfoui, en situation de latence pendant des années.
A la mort de ce grand père, vers l’âge de 19 ans, S. fait des bouffées délirantes qui la conduisent à des tentatives de suicide répétées, jusqu’à l’hospitalisation.
Le secret est levé à la naissance de son premier enfant, une fille.
S. parle alors à sa mère de souvenirs d’après midi entières dans le lit de son grand père, des souvenirs flous d’intimité sexuelle, de masturbation. La mère de S. ne semble pas étonnée par cette révélation et avoue avec désinvolture : « Je t’ai sans doute donnée à mon père ».
La mère semble entretenir le flou pour garder le pouvoir, les souvenirs sans représentations précises des abus sexuels font souffrir S. qui tente de rationaliser un passé sans consistance.
S. sait qu’elle est détentrice d’un secret, mais elle ne sait pas exactement lequel, elle peut nommer des personnages mais les faits restent flous. Elle sait également que son grand père faisait des photos avec un polaroïd, photos qui demeurent introuvables. Il y a un secret du secret, le passé se dérobe sans cesse.
La troisième intervenante, A. dit : « Il y a trois mois que j’ai ouvert la boite ». La conscience des abus, des violences sexuelles et mentales de sa mère « étaient là », mais dit elle : « j’excusais toujours », depuis trois mois, A. semble avoir pris conscience de la gravité de ce qu’elle a subi, elle en a parlé avec ses frères et sœurs et ses ami(e)s proches.
A. pense qu’il est difficile d’en parler à ses deux garçons (14 et 16ans) précisément parce que ce sont des garçons, et que les confidences intimes d’une mère seraient peut être plus faciles avec une fille.
A. a conçu ses enfants avec un père qu’elle a évalué comme étant un bon géniteur ; son désir d’enfant n’était pas clair, mais les naissances ont été très bien vécues : « ça m’a remplie et ça me remplit toujours ». Le premier enfant a été accueilli avec réticence à cause d’une sensation d’ « animalité » qui a rapidement mué en bienveillance maternelle.
La parentalité est pour A. un état de joie aujourd’hui.
A. protège ses fils des approches très nocives de leur grand mère maternelle, elle ne les a jamais laissés seuls avec elle. A. a grandi dans une ambiance de bruits sexuels omniprésents, avec une mère exhibitionniste, une fois adulte, elle était obsédée par le fait qu’aucun bruit des ébats avec son mari ne devait parvenir aux oreilles de leurs fils. L’indécence du quotidien familial envahissante participait des abus et crée des besoins de filtres.
Elle vit aujourd’hui seule avec ses fils.
La troisième intervenante B. a « su » il y a trois ou quatre mois avoir été agressée sexuellement par son père à l’âge de quatre, cinq ans. B. a révélé le secret à sa mère qui a avoué que son propre père avait commis des agressions sexuelles sur ses filles (les tantes de B.) notamment l’une d’elle qu’il nommait « sa favorite ». Les six filles (tantes et mère de B.) dormaient dans la même chambre, la mère de B. a pu échapper au prédateur.
B. n’a pas d’enfant et une opération lui a ôté définitivement cette possibilité.
B. n’a révélé les agressions qu’à sa mère et veut pouvoir en parler avec son père avant que cette dernière n’intervienne. B. souhaite lever le secret progressivement, au rythme qui lui convient.
La quatrième intervenante E. (art thérapeute) rappelle qu’une mère agressée par un inceste sera elle même agressée par ses enfants.
S. évoque alors son sentiment de culpabilité lorsque sa fille de 17 ans devient violente avec elle. Sa fille est agressive et lui désobéit ; tout en acceptant cela comme une situation « normale » à cet âge, S. se plaint d’une relation aux conflits souvent difficiles à gérer, pendant lesquels elle semble bousculée dans le rôle de mère protectrice et régulatrice qu’elle souhaite tenir. Sa fille profite d’un ascendant pour mettre S. dans diverses situations de culpabilité.
Une problématique qui incommode fortement S. est le désordre « pathologique » de sa fille qui fait intrusion dans sa garde-robe lorsque ses placards sont vides.
La question de la limite est posée. Comment poser une limite à nos enfants ? Comment imposer le respect ? Tenir en respect quelqu’un c’est faire respecter une zone intime qui a été piétinée lorsqu’on était enfant.
N. évoque les moments de passage à l’acte sur sa fille (abandon, tentative d’agression sexuelle) pendant lesquels elle reproduisait ce qu’elle avait vécu enfant, dans un état de perte de conscience de ce qu’elle faisait. La conscience revenait comme « un atterrissage » dans la réalité.
N. explique avoir eu peur de sa fille, lorsqu’à l’adolescence, celle ci refusait d’obéir ; sa fille s’adonnant à toutes sortes d’ « expériences » plus ou moins dangereuses, dans un état d’inconscience joyeuse et provocatrice (aux yeux de N.).
La mère et la fille vivaient ensemble, le père était absent. Pour rétablir un équilibre et permettre à leur fille de se stabiliser, la famille s’est recomposée.
A. se demande comment résister à son fils qui est devenu « grand et fort ». Que se passera t il s’il refuse d’obéir, s’il lui dit simplement « non ». Comment s’opposer à son enfant ? Comment le protéger de lui même ? A. explique que le trio entre ses deux fils et elle permet de ne jamais être en face à face avec l’un des deux. Chacun des fils se positionnant de façon différente en fonction des situations et de leur personnalité à chacun.
A. tente de jouer sur ses différents éléments relationnels pour garder le contrôle du foyer.
Une même angoisse revient dans les paroles des intervenantes. A la fois peur et culpabilité. Peur de l’enfant, peur de sa propre peur, culpabilité d’avoir peur, culpabilité de ne pas être une bonne mère.
Soraya parle de transmission du féminin (il n’y a que des femmes dans cet atelier). L’interprétation du comportement de l’enfant se fait aussi en fonction de l’ombre que la mère porte sur elle, ombre de l’inceste, ombre du prédateur, qu’elle projète sur son enfant (qui serait lui même une victime potentielle).
L’enfant victime d’inceste se développe en étouffant son « moi », en niant ses ressentis, en entrant dans ce que l’agresseur attend de lui, la soumission et le silence. Ses énergies sexuelles et psychiques sont entièrement mobilisées par son agresseur, il développe donc un faux-self en maintenant à toutes forces une apparence de normalité qui entre en conflit avec son vrai-self, sa personnalité saine, non envahie.
Devenue adulte la victime d’inceste se laissera envahir par son propre enfant, aura du mal à savoir quelles limites poser, quel environnement créer pour son enfant.
Il est donc important de s’en remettre à la loi, aux différents cadres susceptibles d’aider à l’éducation.